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G.R.B.
(nom supprimé) c. Suède, Communication No. 83/1997, U.N. Doc. CAT/C/20/D/83/1997
(1998).
Présentée par : G. R. B. (nom supprimé)
(représentée par un conseil)
Au nom de : L'auteur
État partie : Suède
Date de la communication :
2 juin 1997
Le Comité contre la torture ,
institué conformément à l'article 17 de la Convention contre la torture et autres
peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Réuni le 15 mai 1998,
Ayant achevé l'examen de la
communication No 83/1997, présentée au Comité contre la torture en vertu de
l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants,
Ayant tenu compte de toutes
les informations qui lui ont été communiquées par l'auteur de la communication,
son conseil et l'État partie,
Adopte ses constatations au
titre du paragraphe 7 de l'article 22 de la Convention.
1.L'auteur de la communication est
G. R. B, citoyenne péruvienne née en 1966, résidant actuellement en Suède,
où elle demande l'asile. Elle affirme que son renvoi contre son gré au Pérou
constituerait une violation par la Suède de l'article 3 de la Convention
contre la torture. Elle affirme en outre qu'une expulsion constituerait
en elle-même une violation de l'article 16 de la Convention. Mme G. R. B.
est représentée par un conseil.
Rappel des faits présentés
par l'auteur
2.1 L'auteur affirme appartenir à
une famille politiquement engagée de Palcamayo (département de Junin). Ses
parents étaient des sympathisants du Parti communiste péruvien, parti légal,
dont des réunions se tenaient fréquemment à leur domicile. L'auteur est
devenue elle aussi une militante de ce parti. De 1983 à 1985, elle a suivi
des études d'infirmière à Tarma, une autre ville du département susmentionné,
et prenait à l'époque une part active à la vie du parti. Après avoir obtenu
une bourse, l'auteur a étudié de 1985 à 1992 la médecine en ex-Union soviétique
(République socialiste soviétique d'Ukraine).
2.2 L'auteur a quitté l'Ukraine le
9 mai 1991 pour rendre visite à ses parents; elle est arrivée au Pérou le
11 mai 1991. Elle avait l'intention d'y séjourner jusqu'en août 1991. À
son arrivée à Palcamayo, elle a appris de membres de sa famille que la maison
de ses parents avait été fouillée en février de la même année par des militaires
qui avaient saisi des livres et des revues, dont certains avaient été envoyés
d'Ukraine par l'auteur. Ses parents avaient été emmenés en prison où son
père avait été sauvagement battu et torturé. Ils avaient ensuite été libérés.
Son père lui a dit qu'il fallait qu'elle retourne en Ukraine le plus vite
possible car il était dangereux pour elle de rester au Pérou. Elle a néanmoins
décidé de passer quelques jours supplémentaires avec des proches à Tarma.
2.3 Le 16 mai 1991, l'auteur s'est
rendue en autobus de Tarma à Palcamayo afin de rendre visite à ses parents.
Selon elle, l'autobus a été arrêté sur la route par deux hommes appartenant
au Sentier lumineux. Ils l'ont forcée à descendre, l'ont violée et l'ont
gardée prisonnière pendant une ou deux nuits avant qu'elle ne réussisse
à s'échapper. Ses parents ont signalé l'incident à la police mais, selon
l'auteur, cette dernière a fait preuve d'une totale indifférence. L'auteur
est ensuite repartie en Ukraine le 19 mai 1991.
2.4 Peu de temps après son retour en Ukraine, des explosifs ont éclaté sur
le seuil de la maison de ses parents, blessant une tante et un cousin. Selon
l'auteur, ceux qui avaient placé les explosifs voulaient se venger de son
évasion.
2.5 L'auteur est arrivée en Suède le 12 mars 1993 et a demandé l'asile deux
semaines plus tard. Le 27 janvier 1994, le Service suédois de l'immigration
a rejeté sa demande, estimant que rien n'indiquait qu'elle était persécutée
par les autorités péruviennes et que les activités du Sentier lumineux ne
pouvaient être considérées comme des persécutions attribuables au Gouvernement
et constituaient plut_t des actes criminels. La Commission de recours des
étrangers a rejeté l'appel de l'auteur le 8 juin 1995, arguant que le risque
d'être persécutée par des entités non gouvernementales telles que le Sentier
lumineux pouvait, exceptionnellement, justifier l'octroi du statut de réfugié
mais que, dans le cas de l'auteur, il y avait la possibilité de trouver un
refuge à l'intérieur du pays. Une nouvelle demande, dans laquelle l'auteur
a fait valoir qu'elle avait été violée et a présenté un rapport médical attestant
qu'elle présentait un syndrome de stress post-traumatique, a été rejetée par
la Commission le 19 avril 1996. Le 10 février 1997, la Commission a rejeté
une deuxième demande dans laquelle l'auteur invoquait des raisons humanitaires.
Une troisième demande, étayée par une lettre de Human Rights Watch à la Commission
et un nouveau rapport médical, a été rejetée le 23 mai 1997.
3.1 L'auteur considère qu'elle court un risque sérieux d'être soumise à la
torture par le Sentier lumineux comme par les autorités de l'État et que la
fuite intérieure ne constitue pas une solution sûre.
3.2 En outre, l'auteur fait valoir qu'eu égard à son état de fragilité psychiatrique
et au syndrome de stress post-traumatique aigu qu'elle présente depuis qu'elle
a été violée par des membres du Sentier lumineux, son expulsion constituerait
en soi une violation de l'article 16 de la Convention.
Observations de l'État partie
4.1 Le 1er août 1997, le Comité a transmis, par l'intermédiaire de son Rapporteur
spécial, la communication à l'État partie pour qu'il lui fasse part de ses
observations et l'a prié, en vertu du paragraphe 9 de l'article 108 de son
Règlement intérieur, de ne pas expulser l'auteur tant que sa communication
serait à l'examen devant le Comité.
4.2 Dans sa réponse datée du 30 septembre 1997, l'État partie informe le Comité
qu'à la suite de la demande qu'il a formulée en application du paragraphe
9 de l'article 108, le Service suédois de l'immigration a décidé de surseoir
à l'exécution de l'ordre d'expulsion contre l'auteur tant que sa communication
serait à l'examen devant le Comité.
4.3 En ce qui concerne la procédure interne, l'État partie explique que les
dispositions fondamentales régissant le droit des étrangers d'entrer en Suède
et d'y demeurer sont énoncées dans la loi sur les étrangers de 1989, telle
qu'elle a été modifiée le 1er janvier 1997. En règle générale, la détermination
du statut de réfugié incombe au Service suédois de l'immigration et à la Commission
de recours des étrangers. Dans des cas exceptionnels, la demande est renvoyée
au Gouvernement par l'une ou l'autre de ces deux instances. L'État partie
explique donc que le Gouvernement n'a pas de compétence propre pour se prononcer
sur les cas qui ne lui sont pas renvoyés par l'une ou l'autre de ces instances
et que celles-ci prennent leur décision en toute indépendance. Il précise
que la Constitution suédoise interdit au Gouvernement, au Parlement et à toute
autre autorité publique d'intervenir dans les décisions qui sont prises par
une autorité administrative dans une affaire donnée. Il ajoute que le Service
suédois de l'immigration et la Commission de recours des étrangers jouissent
à cet égard de la même indépendance que les tribunaux judiciaires.
4.4 En janvier 1997, la loi sur les étrangers a été modifiée. En vertu de
la loi ainsi modifiée (titre III, art. 4, lu conjointement avec l'article
3), un étranger peut obtenir un permis de résidence s'il éprouve une crainte
fondée de subir la peine capitale ou des châtiments corporels ou d'être soumis
à la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
En vertu de l'article 5 b) du titre II de la loi, l'étranger qui est refoulé
peut introduire une nouvelle demande de permis de résidence s'il invoque à
l'appui de sa demande des circonstances qui n'avaient pas été prises en compte
auparavant et s'il est fondé à demander l'asile en Suède ou si l'exécution
de la décision de refoulement ou d'expulsion serait incompatible avec les
principes humanitaires. Les autorités administratives ne peuvent apprécier
d'office s'il existe des circonstances nouvelles, elles ne peuvent le faire
qu'en réponse à une demande.
4.5 En vertu de l'article premier du titre VIII de la loi sur les étrangers
tel qu'il a été modifié, et qui correspond à l'article 3 de la Convention
contre la torture, un étranger qui a fait l'objet d'une mesure de refoulement
ou d'expulsion ne peut désormais en aucun cas être renvoyé dans un pays où
il y a des motifs sérieux (auparavant, il était question de solides
raisons) de croire qu'il risquerait d'y subir la peine capitale ou des châtiments
corporels ou d'y être soumis à la torture ou d' autres peines ou traitements
inhumains ou dégradants (texte en italiques ajouté dans le texte modifié),
ni dans un pays où il n'aurait aucune garantie de ne pas être renvoyé dans
un autre pays où il serait exposé à un tel risque.
4.6 En ce qui concerne la recevabilité de la communication, l'État partie
indique qu'à sa connaissance, la même affaire n'a pas été soumise à une autre
instance internationale d'enquête ou de règlement. Il précise que l'auteur
peut à tout moment présenter à la Commission de recours des étrangers une
demande de réexamen de son cas en invoquant des faits nouveaux. Il signale
qu'une quatrième nouvelle demande de permis de résidence est actuellement
pendante devant la Commission de recours des étrangers. Toutefois, comme les
faits nouveaux invoqués ne se rapportent pas uniquement aux risques que court
l'auteur au cas où elle serait expulsée, mais sont aussi d'ordre humanitaire,
le Gouvernement ne pose plus comme condition formelle que les recours internes
soient épuisés mais laisse la question à la discrétion du Comité. Enfin, l'État
partie soutient que la communication est irrecevable car incompatible avec
les dispositions de la Convention, la demande de l'auteur n'ayant pas été
étayée.
4.7 En ce qui concerne le fond, l'État partie renvoie à la jurisprudence du
Comité dans les affaires Mutombo c. Suisse Communication
No 13/1993 (CAT/C/12/D/13/1993), constatations adoptées le 27 avril 1997.
et Ernesto Gorki Tapia Paez c. Suède Communication No 39/1996
(CAT/C/18/39/1996), constatations adoptées le 7 mai 1997., et aux critères
établis par le Comité : premièrement, une personne doit risquer personnellement
d'être soumise à la torture et, deuxièmement, la torture doit être une conséquence
nécessaire et prévisible du renvoi de cette personne dans son pays.
4.8 L'État partie rappelle que, pour déterminer si l'article 3 de la Convention
s'applique, il faut tenir compte des éléments ci-après : a) la situation générale
des droits de l'homme dans le pays d'accueil, encore que l'existence d'un
ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes
ou massives, ne soit pas déterminante à elle seule; b) le fait que l'intéressé
risque personnellement d'être soumis à la torture dans le pays vers lequel
il serait renvoyé; c) le risque que court l'intéressé d'être soumis à la torture
doit être une conséquence prévisible et nécessaire de
son renvoi. L'État partie rappelle que la simple possibilité qu'une personne
soit soumise à la torture dans son pays d'origine ne suffit pas pour interdire
son renvoi au motif que cette mesure serait incompatible avec l'article 3
de la Convention.
4.9 Pour ce qui est de la situation générale des droits de l'homme au Pérou,
l'État partie reconnaît que dans le cas des membres du Sentier lumineux, du
Mouvement révolutionnaire Tupac Amaru (MRTA) ou d'autres organisations terroristes
similaires qui sont recherchés par les autorités péruviennes, le risque d'être
soumis à la torture ou de subir de mauvais traitements ne saurait être négligé.
Toutefois en ce qui concerne les personnes qui n'appartiennent à aucune de
ces organisations, il n'y a pas en général de raison de s'inquiéter. Selon
l'État partie, bien que la situation des droits de l'homme dans le pays soit
loin d'être satisfaisante, il n'y a pas au Pérou un ensemble de violations
systématiques des droits de l'homme graves, flagrantes ou massives.
4.10. Pour ce qui est de déterminer si l'auteur risque personnellement d'être
soumise à la torture si elle était renvoyée au Pérou, l'État partie se fonde
sur l'évaluation des faits et des preuves à laquelle ont procédé le Service
suédois de l'immigration et la Commission de recours des étrangers, et dont
il ressort qu'il n'y a pas de motifs sérieux de croire que l'auteur serait
personnellement en danger. Le 27 janvier 1994, le Service suédois de l'immigration
a rejeté la demande de l'auteur au motif que rien n'indiquait qu'elle était
dans le collimateur des autorités péruviennes, puisque, entre autres, elle
n'avait plus eu d'activité politique depuis 1985 et qu'elle avait pu se rendre
au Pérou à deux reprises sans être inquiétée. Pour ce qui est de l'affirmation
selon laquelle elle risquerait d'être persécutée par le Sentier lumineux,
le Service suédois de l'immigration a fait valoir que de telles persécutions
devaient être considérées comme des actes criminels non imputables aux autorités
nationales et ne justifiant pas, par conséquent, l'octroi d'un permis de résidence
en Suède. Le 8 juin 1995, la Commission de recours des étrangers a estimé
qu'en ce qui concerne le risque d'être persécutée par les autorités péruviennes,
il n'y avait pas de motifs suffisants pour octroyer l'asile et a ajouté, à
propos du risque de persécution par le Sentier lumineux, qu'il s'agissait
d'un problème local que l'auteur pouvait résoudre en trouvant refuge à l'intérieur
de son propre pays.
4.11. Le 19 avril 1996, la Commission de recours des étrangers a rejeté une
nouvelle demande de permis de résidence dans laquelle l'auteur invoquait d'autres
circonstances, à savoir le fait d'avoir été enlevée et violée par des membres
du Sentier lumineux, et produisait des certificats médicaux établis par un
psychologue et un psychothérapeute concernant son état de santé actuel. La
Commission a estimé que le viol ne constituait pas en soi un motif pour octroyer
l'asile, faisant observer qu'il fallait pour cela que ce crime ait été, entre
autres conditions, commis ou cautionné par les autorités, ou que la situation
soit telle que les autorités se trouvent dans l'impossibilité d'assurer une
protection suffisante contre un tel acte. La Commission a jugé que les circonstances
de la cause ne permettaient pas d'affirmer que tel était le cas et a fait
valoir que l'auteur avait la possibilité de se réfugier dans son propre pays.
Quant aux raisons humanitaires invoquées par l'auteur, la Commission ne les
a pas jugées suffisantes pour justifier l'octroi d'un permis de résidence.
4.12 Le 10 février 1997, la Commission a rejeté une deuxième nouvelle demande
étayée par de nouveaux rapports médicaux sur l'état de santé de l'auteur.
Elle a estimé que, selon la pratique en vigueur, un permis de résidence ne
pouvait être accordé pour des raisons humanitaires que dans des cas exceptionnels,
par exemple lorsque le requérant souffrait d'une maladie mettant ses jours
en danger pour laquelle il ne pouvait se faire soigner dans son pays d'origine,
ou lorsqu'il souffrait d'une infirmité particulièrement grave. Dans le cas
d'espèce, les motifs d'asile pour raisons humanitaires n'ont pas été jugés
suffisants. Le 23 mai 1997, la Commission a rejeté une troisième nouvelle
demande à l'appui de laquelle l'auteur invoquait la décision du Comité dans
l'affaire Ernesto Gorki Tapia Paez c. Suède et présentait
une lettre de Human Rights Watch et de nouveaux rapports médicaux. La Commission
n'a pas estimé que les informations produites dans la demande faisaient apparaître
de nouvelles circonstances conférant à l'auteur le droit de rester en Suède.
4.13 En ce qui concerne les décisions des autorités suédoises exposées plus
haut, l'État partie récapitule les principaux éléments du récit de l'auteur
indiquant qu'elle n'est pas en danger d'être persécutée par les autorités
péruviennes. L'auteur affirme que lorsque le Sentier lumineux a commencé à
perpétrer des actes terroristes dans la région, sa famille et elle ont été
accusées d'avoir commis de tels actes parce qu'elles soutenaient le Parti
communiste légal. Or, l'auteur n'a plus aucune activité politique depuis 1985,
date à laquelle elle a quitté le Pérou pour aller étudier en Union soviétique.
En outre, elle a séjourné au Pérou en 1988 et 1991 sans être inquiétée de
quelque manière que ce soit par les autorités. En 1993, l'auteur a obtenu
sans aucun problème un passeport de l'ambassade du Pérou à Moscou. Si l'on
tient compte aussi de sa propre déclaration selon laquelle sa famille avait
signalé à la police son enlèvement par le Sentier lumineux, force est de conclure
que rien n'indique que ses proches au Pérou ou elle-même étaient dans le collimateur
des autorités. À cet égard, l'État partie rappelle que lorsqu'elle a demandé
l'asile, l'auteur était déjà depuis deux semaines en Suède, ce qui indique
qu'elle n'avait pas un besoin immédiat de protection.
4.14 En ce qui concerne la crainte manifestée par l'auteur d'être persécutée
par le Sentier lumineux, l'État partie souligne que les actes de cette organisation
ne sont pas des actes attribuables aux autorités. Il reconnaît néanmoins que,
dans certaines circonstances, l'octroi de l'asile à une personne peut être
justifié même si le risque de persécution est imputable non pas à un gouvernement
mais à une entité non gouvernementale. Mais en l'espèce, il considère que
même s'il y a un risque de persécution imputable au Sentier lumineux, il s'agit
d'un problème local et l'auteur peut assurer sa sécurité en allant dans une
autre région du pays.
4.15 L'État partie conclut que l'information fournie par l'auteur sur son
appartenance politique et les sévices que lui aurait infligés la guérilla
ne prouvent pas que son renvoi au Pérou aurait pour conséquence prévisible
et nécessaire de l'exposer à la torture. L'exécution de l'arrêté d'expulsion
pris contre l'auteur ne constituerait donc pas une violation de l'article
3 de la Convention.
4.16 Enfin, pour ce qui est de la question de savoir s'il existe des motifs
humanitaires justifiant l'octroi d'un permis de résidence à l'auteur, l'État
partie partage la conclusion de la Commission de recours des étrangers selon
laquelle il n'y avait pas, au moment de la décision, de raisons suffisantes
de lui octroyer un tel permis. Il rappelle, à cet égard, que la Commission
doit encore se prononcer sur une quatrième nouvelle demande dans laquelle
l'auteur invoque des raisons humanitaires.
4.17 Pour terminer, l'État partie note que le Comité a conclu à l'existence
de violations de l'article 3 dans toutes les affaires contre la Suède qu'il
a jusqu'ici examinées quant au fond. À cet égard, il tient à faire observer
que ses services d'immigration possèdent une grande expérience qui leur permet,
ce qui est toujours difficile, d'évaluer la crédibilité des renseignements
fournis. En outre, ils ont une connaissance étendue de la situation des droits
de l'homme dans différents pays. L'État partie rappelle aussi que le critère
appliqué par la Commission européenne des droits de l'homme au titre de l'article
3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales
est en principe identique à celui qu'applique le Comité au titre de l'article
3 de la Convention contre la torture. Or, la Commission européenne des droits
de l'homme a écarté la plupart des plaintes formées contre la Suède au motif
qu'elles étaient manifestement mal fondées. L'État partie se dit préoccupé
à l'idée que ce qui est fondamentalement le même droit pourrait donner lieu
à l'élaboration de critères différents selon qu'il s'agit de l'un ou de l'autre
des deux instruments relatifs aux droits de l'homme. Il soutient que l'existence
de critères divergents sur ce point n'irait pas sans poser de graves difficultés
aux États qui se sont déclarés liés par les deux instruments. Les États qui
s'efforcent de se conformer à la jurisprudence internationale seraient embarrassés
de se trouver devant une jurisprudence incohérente. Selon l'État partie, une
jurisprudence incohérente pourrait aussi compromettre gravement la crédibilité
d'ensemble du système de protection des droits de l'homme au niveau international.
5.1 Dans une lettre datée du 12 décembre 1997, le conseil informe le Comité
que l'auteur a retiré la quatrième nouvelle demande qu'il avait adressée à
la Commission de recours des étrangers.
5.2 Dans ses commentaires au sujet des observations de l'État partie, le conseil
réfute l'affirmation selon laquelle il n'y a pas de raison de craindre d'être
torturé ou soumis à de mauvais traitements au Pérou si l'on n'est pas un membre
du Sentier lumineux, du MRTA ou d'une organisation terroriste similaire recherché
par les autorités péruviennes. L'auteur appelle l'attention du Comité sur
le cas d'un demandeur d'asile péruvien, Napoleon Aponte Inga, qui, après son
expulsion de Suède, a été immédiatement arrêté par les autorités péruviennes
à l'aéroport, détenu et torturé pendant trois mois.
5.3 Pour ce qui est du risque d'être soumis à la torture par les autorités
péruviennes, le conseil fait observer que c'est simplement parce qu'à l'époque
la guérilla n'avait pratiquement aucune activité dans le département de Junin
et que la situation était donc relativement calme que l'auteur n'a pas été
inquiétée par les autorités pendant sa visite au Pérou en 1988. Le conseil
ajoute qu'il n'est pas exact d'affirmer que l'auteur n'a eu aucune difficulté
avec les autorités lorsqu'elle s'est rendue au Pérou en 1991. En fait, comme
indiqué précédemment, par peur des autorités, elle n'a même pas osé séjourner
chez ses parents, préférant habiter chez des proches dans une autre ville.
5.4 Le conseil rejette l'argument selon lequel l'auteur a la possibilité de
trouver refuge dans son propre pays : pouvant identifier les membres du Sentier
lumineux qui l'avaient enlevée et violée, elle ne serait en sécurité nulle
part au Pérou.
5.5 Le conseil fait valoir en outre que le fait que l'auteur n'ait pas demandé
l'asile dès son arrivée en Suède ne permet de tirer aucune conclusion quant
à son besoin de protection. Elle était simplement fatiguée après un long voyage,
dans un état de grande détresse mentale et d'extrême tension nerveuse.
5.6 Le conseil conclut qu'il y a de sérieux motifs de croire que l'auteur
serait soumise à la torture si elle était renvoyée au Pérou.
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
contre la torture doit déterminer si cette communication est recevable au
titre de l'article 22 de la Convention. Le Comité s'est assuré, comme il est
tenu de le faire aux termes du paragraphe 5 a) de l'article 22 de la Convention,
que la même question n'a pas été examinée et n'est pas en cours d'examen devant
une autre instance internationale d'enquête ou de règlement. Le Comité note
aussi qu'une quatrième nouvelle demande précédemment pendante devant la Commission
de recours des étrangers a été retirée, que tous les recours internes ont
été épuisés et estime que rien ne s'oppose plus à ce qu'il déclare la communication
recevable. L'État partie et le conseil de l'auteur ayant chacun formulé des
observations sur le fond de la communication, le Comité passe sans plus attendre
à l'examen de celle-ci quant au fond.
6.2 La question sur laquelle le Comité doit se prononcer est celle de savoir
si le renvoi de l'auteur au Pérou contre son gré violerait l'obligation qu'a
la Suède en vertu de l'article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler
une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle
risque d'être soumise à la torture. Le Comité doit en outre déterminer, en
application du paragraphe 1 de l'article 16 de la Convention, si un tel renvoi
constituerait en soi une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant
autre que la torture telle qu'elle est définie à l'article premier de la Convention.
6.3 Le Comité doit décider, en application du paragraphe 1 de l'article 3,
s'il existe des motifs sérieux de croire que l'auteur risquerait d'être soumise
à la torture si elle était renvoyée au Pérou. Pour se prononcer sur ce point,
le Comité doit, selon le paragraphe 2 de l'article 3, tenir compte de toutes
les considérations pertinentes, y compris l'existence d'un ensemble de violations
systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives. Le but
de cette évaluation, cependant, est de déterminer si l'intéressé risque personnellement
d'être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s'ensuit
que l'existence, dans un pays, d'un ensemble de violations systématiques des
droits de l'homme graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une
raison suffisante de conclure qu'une personne donnée serait en danger d'être
soumise à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des raisons
particulières de penser que l'intéressé serait personnellement en danger.
Pareillement, l'absence d'un ensemble de violations flagrantes et systématiques
des droits de l'homme ne signifie pas forcément qu'une personne ne court pas
le risque d'être soumise à la torture dans la situation particulière qui est
la sienne.
6.4 Le Comité note que les faits invoqués par l'auteur à l'appui de sa demande
ne sont pas contestés. Il note en outre que l'auteur n'a jamais été soumise
à la torture ou à de mauvais traitements par les autorités péruviennes et
qu'elle n'a pas d'activité politique depuis 1985, date à laquelle elle a quitté
le Pérou pour aller étudier à l'étranger. Selon des informations non contestées,
l'auteur a pu se rendre au Pérou à deux occasions sans être inquiétée par
les autorités nationales.
6.5 Le Comité rappelle que l'obligation de l'État partie de ne pas renvoyer
contre son gré une personne dans un autre État où il y a des motifs sérieux
de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture est directement liée
à la définition de la torture figurant à l'article premier de la Convention.
Aux fins de la Convention, «le terme "torture" désigne tout acte par lequel
une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement
infligées à une personne aux fins notamment d'obtenir d'elle ou d'une tierce
personne des renseignements ou des aveux, de la punir d'un acte qu'elle ou
une tierce personne a commis ou est soupçonnée d'avoir commis, de l'intimider
ou de faire pression sur elle ou d'intimider ou de faire pression sur une
tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination
quelle qu'elle soit, lorsqu'une telle douleur ou de telles souffrances
sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne
agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès
ou tacite ». Le Comité considère que la question de savoir si l'État
partie a l'obligation de ne pas expulser une personne qui risque de se voir
infliger une douleur ou des souffrances par une entité non gouvernementale,
sans le consentement exprès ou tacite du Gouvernement, est en dehors du champ
d'application de l'article 3 de la Convention.
6.6 Le Comité note avec préoccupation les nombreux rapports faisant état de
tortures au Pérou mais rappelle qu'aux fins de l'article 3 de la Convention,
il doit exister dans le pays vers lequel une personne est renvoyée un risque
prévisible, réel et personnel pour celle-ci d'être torturée. Compte tenu des
considérations ci-dessus, le Comité estime que l'existence d'un tel risque
n'a pas été établie.
6.7 Le Comité doit en outre déterminer si, en application du paragraphe 1
de l'article 16, le renvoi de l'auteur contre son gré constituerait, eu égard
à son mauvais état de santé, une peine ou un traitement cruel, inhumain ou
dégradant autre que la torture telle qu'elle est définie à l'article premier.
Le Comité note que l'auteur a produit des rapports médicaux d'où il ressort
qu'elle présente un syndrome de stress post-traumatiques sévère, très probablement
dû aux sévices qu'elle a subis en 1991. Le Comité considère toutefois que
l'aggravation de l'état de santé de l'auteur qui pourrait résulter de son
expulsion ne constituerait pas un traitement, cruel, inhumain ou dégradant
attribuable à l'État partie, au sens de l'article 16 de la Convention.
7. Le Comité contre la torture, agissant en vertu de l'article 22, paragraphe
7, de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants, estime que les faits dont il est saisi ne font pas
apparaître de violation de l'article 3 ni de l'article 16 de la Convention.
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