University of Minnesota



MANUEL DE FORMATION SUR LA SURVEILLANCE DES DROITS HUMAINS

CHAPITRE 13 : OBSERVATION DES PROCÈS ET MONITORING DE L'ADMINISTRATION DE LA JUSTICE


 

 

MATIÈRES

A. Introduction

B. Les Normes Internationales d'un Procès Équitable

C. Objectifs de l'Observation des Procès et du Monitoring de l'Administration de la Justice

D. Le Choix des Procès

E. Séléction et Qualifications des HRO Observateurs de Procès

F. Faire Part de l'Observation aux Autorités

G. Briefing et Recherches Préalables à l'Observation

H. Les Traducteurs-Interprètes

I. Les Déclarations Publiques avant, pendant et après l'Observation

J. Dispositions Relatives au Voyage et aux Conditions de Séjour

K. Contacts et Entretiens après l'Arrivée sur Place

L. L'Accès au Dossier

M. Siège à l'Audience, Présentation devant le Tribunal et Prise de Notes

N. Minutage, Établissement et Contenu du Rapport d'Observation

O. L'Observation des Procès Associée à d'Autres Formes de Monitoring

Annexe 1 au Chapitre 13 - Liste de contrôle : les éléments d'un procès équitable

 

A. INTRODUCTION

 

1. Ce chapitre porte sur les normes internationales des droits de l'homme relatifs à l'équité du procès, et sur diverses techniques concernant une autre fonction éventuelle du HRO en mission : l'observation de procès pour en vérifier la conformité à ces normes. Il s'attache également à montrer comment l'observation des procès peut servir d'instrument permettant d'évaluer le fonctionnement du système d'administration de la justice en vigueur dans le pays de la mission, et d'identifier les besoins de réforme à discuter avec le gouvernement hôte, qui pourront éventuellement faire l'objet d'une assistance de l'ONU ou d'autres à cet effet.

 

B. LES NORMES INTERNATIONALES D'UN PROCÈS ÉQUITABLE

 

2. Le droit à un procès équitable et public est établi par divers instruments internationaux concernant les droits de l'homme. L'article 10 de la Déclaration universelle des droits de l'homme dispose ainsi : "Toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal [...] qui décidera [...] du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle." L'article 11 ajoute : "Toute personne accusée d'un acte délictueux est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d'un procès public [...]." En outre, l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques précise que :

"Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil."

 

3. Par ailleurs, les traités régionaux garantissent le droit à un procès équitable et public. L'article 8(5) de la Convention américaine relative aux droits de l'homme dit ainsi : "Le procès pénal est public [...]", tandis que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales établit, dans son article 6, le droit de toute personne à être entendue publiquement par un tribunal "qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle". Enfin, la Charte africaine (de Banjul) des droits de l'homme et des peuples établit à son article 7 que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue.

 

4. Selon l'article 14(3) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, toute personne a droit en pleine égalité aux garanties minimales nécessaires à sa défense qui suivent :

 

"(a) À être informée, dans le plus court délai, dans une langue qu'elle comprend et de façon détaillée, de la nature et des motifs de l'accusation portée contre elle;

 

(b) À disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et à communiquer avec le conseil de son choix;

 

(c) À être jugée sans retard excessif;

 

(d) À être présente au procès et à se défendre elle-même ou à avoir l'assistance d'un défenseur de son choix; si elle n'a pas de défenseur, à être informée de son droit d'en avoir un, et, chaque fois que l'intérêt de la justice l'exige, à se voir attribuer d'office un défenseur, sans frais, si elle n'a pas les moyens de le rémunérer;

 

(e) À interroger ou faire interroger les témoins à charge et à obtenir la comparution et l'interrogatoire des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge;

 

(f) À se faire assister gratuitement d'un interprète si elle ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience;

 

(g) À ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s'avouer coupable." (1)

 

5. Le droit à un procès équitable ne doit se concevoir que comme un aspect des droits permettant le fonctionnement efficace de l'administration de la justice. Les droits relatifs à l'administration de la justice sont décrits plus en détail au Chapitre 4 E "Les droits dans l'administration de la justice".

 

C. OBJECTIFS DE L'OBSERVATION DES PROCÈS ET DU MONITORING DE L'ADMINISTRATION DE LA JUSTICE

 

6. On peut distinguer six objectifs majeurs pour l'observation des procès. Le premier de ces objectifs, élémentaire, consiste à rédiger un rapport indépendant et impartial concernant la procédure. En deuxième lieu, la présence du HRO donne conscience aux acteurs, et notamment aux magistrats du siège et du parquet, qu'ils agissent sous un regard extérieur; conscience qui peut les inciter à l'équité. Troisièmement, le HRO représente les Nations Unies, et par conséquent exprime le souci international d'équité envers le procès. Quatrièmement, la présence du HRO donne à l'accusé, à la défense et aux soutiens de l'accusé le sentiment de l'assistance internationale et donc une confiance accrue. Et cinquièmement, cette présence devrait contribuer à assurer que la justice soit à la fois rendue et vue rendre. Quant au sixième objectif, il en sera question plus loin.

 

7. Ces objectifs pourront peser sensiblement sur le choix des procès, sur la sélection des HRO, et sur d'autres stades du processus de l'observation judiciaire. En outre, ces objectifs peuvent se contredire. Par exemple, si le HRO tente ouvertement d'influencer la conduite du procès ou de soutenir l'accusé, son impartialité et son indépendance deviendront suspectes.

 

8. Le HRO qui s'attachera en conscience à remplir l'ensemble de ces cinq premiers objectifs devra évaluer soigneusement chaque étape du processus d'observation, de manière à en minimiser les contradictions potentielles. Étant donné que les fonctions du HRO sont par nature contradictoires, et qu'il est impossible de prédire avec précision les situations dans lesquelles il va se trouver placé, l'expérience du passé montre que les HRO doivent user de leur propre jugement en fonction de la situation qu'ils rencontrent.

 

9. Le cinquième objectif doit cependant faire l'objet de quelques mots d'explication. Historiquement, on a surtout envoyé des observateurs lors de procès pour en assurer l'équité, et ce principalement en vertu des droits de la défense. Mais depuis peu, on constate un besoin accru d'observateurs judiciaires visant à assurer que justice soit faite et qu'aucune impunité ne soit concédée lors de violations des droits de l'homme. Ceux qui ont perpétré de tels actes ont évidemment droit à un procès équitable, mais la société a elle aussi le droit de faire en sorte que ceux qui violent les droits de l'homme soient traduits en justice (voir aussi Chapitre 4-Q : "Les principes de l'impunité"). Les observateurs judiciaires ont par conséquent acquis une nouvelle fonction, celle de s'assurer que justice est faite et que les personnes qui ont violé les droits de l'homme ne jouiront pas de l'impunité.

 

10. Même s'ils en sont l'élément le plus visible, les procès ne forment pourtant qu'une très petite partie du système judiciaire. Aussi un sixième objectif, plus général, pourrait-il consister en ce que les HRO considèrent l'observation aux procès comme une simple partie d'un examen et d'une description de toutes les fonctions et structures de l'administration de la justice, beaucoup plus complète. C'est ainsi que l'observation des procès pourra servir à évaluer les besoins du système judiciaire. On pourrait procéder à une évaluation plus large encore en connaissant et en pouvant décrire tous les tribunaux à chaque échelon gouvernemental et régional, le fonctionnement du parquet, les pratiques policières, celles du personnel pénitentiaire, etc., ainsi que leur rôle à chaque stade de la procédure judiciaire, depuis l'arrestation ou l'enregistrement d'une plainte jusqu'à l'appel, en passant par l'enquête et la décision de première instance. Quelle formation universitaire et professionnelle les divers personnels impliqués ont-ils reçue ? Quelles sont leurs conditions de travail ? Quelles sont leurs ressources matérielles ? Dans quelle mesure le système fonctionne-t-il réellement ? Comment les divers acteurs du système judiciaire perçoivent-ils leur rôle, et quelles sont les aides ou formations qu'ils jugeraient utiles ?

 

D. LE CHOIX DES PROCÈS

 

11. Il est évidemment impossible d'observer tous les procès. En général, les HRO de l'ONU se verront confier l'observation des procès les plus sensibles du point de vue des droits de l'homme. Ils observeront également des procès à l'occasion desquels il sera approprié d'exprimer les préoccupations des Nations Unies de façon visible. En élaborant le monitoring régulier de l'administration de la justice dans le pays, la mission pourra devoir établir un schéma de suivi périodique des procédures judiciaires, et entretenir des contacts avec le siège, le parquet, les avocats, etc.

 

12. La présence de l'ONU contribue à la crédibilité d'une procédure; par conséquent, si elle envisage la possibilité d'observer une procédure, l'Organisation devra donc déterminer de façon indépendante si les droits de l'homme s'en trouveront globalement favorisés. En tout état de cause, ces décisions relèvent normalement de la mission (ou autre agence mandante), et non par le HRO à titre individuel.

 

E. SÉLECTION ET QUALIFICATIONS DES HRO OBSERVATEURS DE PROCÈS

 

13. Parmi les critères à respecter dans la sélection d'un HRO faisant fonction d'observateur, on prendra en considération sa compétence ou son expérience professionnelle, en tant par exemple que magistrat du siège ou du parquet, avocat, ou toute autre profession d'administration de la justice. Ce HRO aura également la connaissance du système judiciaire dans lequel le procès doit se dérouler, ainsi que des normes internationales relatives à un procès équitable. Il sera en général originaire d'un pays autre que celui où a lieu le procès, en accord avec la pratique générale destinée à préserver l'indépendance et l'impartialité de l'observateur. Concernant les procès particulièrement importants pour lesquels la présence d'un observateur sera spécialement requise à l'audience, et notamment s'il doit venir directement de l'étranger, ses qualifications comprendront également la notoriété, la crédibilité, les aptitudes linguistiques, la visibilité, et la réputation d'équité et d'impartialité.

 

14. Ce HRO se comportera avec impartialité et sérieux. Il aura à l'esprit la nature sensible des procès en général, ainsi que les objectifs des Nations Unies concernant ce procès en particulier.

 

F. FAIRE PART DE L'OBSERVATION AUX AUTORITÉS

 

15. Dans le cas de missions de terrain, les HRO se trouveront le plus souvent sur place avant d'avoir à observer un procès, mais il pourra être utile de notifier au gouvernement l'intention de la mission d'envoyer un observateur à l'audience. Dans le cas d'un observateur venant de l'étranger, une pratique générale s'est développée, consistant à notifier au gouvernement la présence de l'observateur, et non à lui demander son autorisation. L'observateur n'a en effet pas d'autorisation à attendre, puisqu'en général le procès sera public; que l'on admet que le silence du gouvernement vaut accord. Bien souvent, le gouvernement ne sera informé de l'observation qu'immédiatement avant le départ de l'observateur.

 

G. BRIEFING ET RECHERCHES PRÉALABLES À L'OBSERVATION

 

16. Le HRO agissant en tant qu'observateur sera aussi bien informé que possible quant à l'histoire, la politique, l'économie, le droit et la situation des droits de l'homme dans la localité du procès. L'observateur se procurera également des informations sur le contexte dans lequel se sont déroulés les faits ayant abouti au procès. Si possible, il étudiera les rapports d'observateurs antérieurs, le code de procédure pénale, le code pénal, les dispositions constitutionnelles applicables, ainsi que les documents juridiques et coupures de presse concernant l'affaire. En outre, l'observateur obtiendra les noms des personnes pouvant servir de contacts et d'informateurs dans la localité où est prévu le procès.

 

H. LES TRADUCTEURS-INTERPRÈTES

 

17. Dans l'idéal, le HRO devrait parler la langue locale employée lors du procès. Étant donné que ces aptitudes linguistiques ne sont pas toujours disponibles, les observateurs ont fréquemment besoin de traducteurs ou d'interprète pour les aider dans l'observation, les entretiens, etc. Il est généralement préférable de s'assurer les services d'un traducteur-interprète avant l'arrivée dans la localité du procès.

 

18. Les considérations émises au Chapitre 8 "L'entretien" à propos des services d'interprètes s'appliquent en général ici aussi. Puisque le choix d'un traducteur-interprète affectera sensiblement l'indépendance, l'impartialité et l'influence de l'observateur, le traducteur-interprète sera choisi avec grand soin. Il devra être bien informé, digne de confiance, et devra bien connaître la terminologie juridique. Il sera également impartial et perçu comme tel. Si le traducteur-interprète appartient à une organisation, un parti politique ou un groupe auquel appartient aussi le défendeur, l'observateur risque 1) d'apparaître comme biaisé, tout en 2) étant incapable de vérifier les traductions. En outre, choisir un traducteur favorable à la cause du défendeur pourra faire courir au traducteur (et éventuellement à l'observateur) des risques considérables. De même, l'observateur évitera d'avoir recours aux services d'un traducteur rattaché au gouvernement.

 

I. LES DÉCLARATIONS PUBLIQUES AVANT, PENDANT ET APRÈS L'OBSERVATION

 

19. En règle générale, aucune déclaration publique ne devra être délivrée quant aux conclusions de l'observateur avant la fin du procès. Cependant, dans certaines circonstances, il sera nécessaire d'en faire une au début du séjour, afin d'expliquer les buts de l'observation du procès. La mission de droits de l'homme pourra également décider d'une déclaration publique à la fin de l'observation, afin d'en rapporter les conclusions et d'annoncer les étapes suivantes du processus. Pendant le déroulement du procès lui-même, une déclaration publique pourra avoir pour effet de maintenir l'attention que consacre la communauté internationale à l'affaire. Dans tous les cas, les effets attendus d'une déclaration publique seront pesés en tenant compte de ses conséquences possibles.

 

20. Le plus souvent, ces déclarations publiques seront délivrées par la mission sur la base des renseignements fournis par les observateurs, mais n'émaneront pas des observateurs eux-mêmes.

 

J. DISPOSITIONS RELATIVES AU VOYAGE ET AUX CONDITIONS DE SÉJOUR

 

21. Si le HRO doit se déplacer jusque dans la localité du procès, il se montrera circonspect dans les dispositions prises pour son voyage et son séjour. Ainsi, dans toute la mesure du possible, le HRO évitera toute identification visible avec l'une ou l'autre partie, telle que le fait de résider dans le même hôtel.

 

K. CONTACTS ET ENTRETIENS APRÈS L'ARRIVÉE SUR PLACE

 

22. Avant le début de l'observation du procès, le HRO prendra contact et s'entretiendra avec diverses personnes susceptibles d'apporter les informations et détails qu'il jugera utiles à sa compréhension de l'affaire et de son contexte. Avant même d'arriver sur le site, il devra donc avoir une idée des personnes à interviewer. Le HRO en observation tentera de maintenir un équilibre en établissant des contacts avec le parquet, le siège, les officiels du gouvernement pouvant fournir des informations utiles, aussi bien qu'avec l'accusé et la défense. Comme toujours, l'observateur demeurera impartial, indépendant, et quelque peu distant.

 

23. Le HRO en observation saisira également cette occasion pour s'entretenir avec les officiels du gouvernement, car de telles discussions peuvent contribuer à donner l'observateur une image complète de toutes les circonstances entourant le procès. Ces contacts avec le gouvernement pourront également accroître l'effet qu'aura l'observateur sur le procès. Celui-ci ne devra en revanche jamais outrepasser son mandat.

 

24. Pour s'entretenir avec le défendeur, le HRO tentera d'obtenir un lieu assurant une confidentialité optimale, tout en permettant au fonctionnaire de vérifier l'étant mental et physique du défendeur ainsi que ses conditions d'isolement. Il lui appartiendra de décider s'il préfère conduire l'entretien seul à seul avec le défendeur, ou bien en présence de sa défense.

 

L. L'ACCÈS AU DOSSIER

 

25. Le HRO devra se procurer les documents essentiels qui seront présentés à l'audience et permettront de comprendre pleinement le déroulement du procès. Notamment dans les pays de droit civil, il est primordial qu'il ait accès au dossier de la défense. L'avocat de la défense devrait de plus avoir accès au dossier, et donc pouvoir produire les documents nécessaires. Il appartiendra aux greffiers de fournir à l'observateur le dossier d'instruction : même si celui-ci n'est pas public, les observateurs auront en effet demandé et obtenu le droit de l'examiner, puisque leur tâche quasi-judiciaire consiste à vérifier l'équité de la procédure en cours. De même, des observateurs ont pu être admis à assister à des audiences à huis clos concernant des affaires militaires ou de sécurité, dont le public est en général exclu.

 

M. SIÈGE À L'AUDIENCE, PRÉSENTATION DEVANT LE TRIBUNAL ET PRISE DE NOTES

 

26. Le HRO a le droit de pénétrer dans la salle d'audience puisque le procès est public. De plus, l'accord passé entre la mission et le gouvernement comprendra d'ordinaire une disposition prévoyant que les HRO puissent accéder à tout bâtiment ou établissement afin de s'assurer de la protection des droits de l'homme ou d'en effectuer le monitoring. Si par extraordinaire le HRO doit obtenir une autorisation pour entrer au tribunal et assister à l'audience, il est possible qu'il ou elle doive présenter son Ordre d'observation au ministère des affaires étrangères, au ministère de la justice, ou au président du tribunal. Une fois entré dans la salle d'audience, le HRO devra décider où s'asseoir. Toute salle ayant son architecture et sa configuration propres, le HRO doit être bien conscient de l'importance de l'emplacement qu'il va occuper, et le cas échéant de rechercher quelque arrangement lui permettant de maintenir manifeste son impartialité et de faciliter l'observation du procès. Dans la salle d'audience, l'observateur choisira de préférence une situation en vue mais neutre.

 

27. Parfois, les observateurs des procès publics demandent à être présentés, de telle sorte que leur présence soit formellement reconnue par les parties et par l'assistance. Il s'agit là parfois d'une tactique payante pour ce qui est de l'effet produit par l'observateur. Mais il aura soin de préserver les dehors de son impartialité en faisant en sorte d'être présenté par une tierce partie, par exemple le bâtonnier de ce ressort. Mais si le HRO ne compte assister qu'à une partie du procès, une telle présentation risque de rendre son départ plus apparent, et donc s'avérer peu avisée.

 

28. L'un des outils les plus efficaces dont dispose le HRO consiste à prendre des notes abondantes au cours du procès. Il devra cependant savoir que quelques pays interdisent toute prise de notes, sauf aux magistrats, avocats et journalistes qui y participent. Une autre difficulté concernant la prise de notes, en particulier après un entretien avec un informateur, réside en ce qu'elles risquent d'être saisies par la police ou autres autorités, ou encore faire l'objet d'une consultation clandestine. Par conséquent, le HRO affecté à certaines localités ne prendra que des notes très elliptiques, et ne commencera à établir son rapport sur ces bases qu'après son retour en lieu sûr.

 

N. MINUTAGE, ÉTABLISSEMENT ET CONTENU DU RAPPORT D'OBSERVATION

 

29. Après toute observation, la responsabilité première du HRO consiste à établir rapidement un rapport. Si l'observation doit s'avérer efficace, le rapport devra être remis alors que le gouvernement de l'accusation sera encore réceptif vis-à-vis d'une critique indépendante et faisant autorité, ainsi que de l'opinion publique. Si donc la rapidité est primordiale, il n'en demeure pas moins que, pour des raisons de sécurité, l'observateur ne commencera en général à rédiger son rapport que lorsqu'il se trouvera en lieu sûr. Enfin, le rapport sera rédigé dans une langue utilisable par la mission de terrain.

 

30. Dans la mesure où le temps disponible le permettra, les HRO feront figurer dans leurs rapports les informations suivantes :

 

(1) les instructions ou termes de référence du HRO;

 

(2) le contexte de l'affaire;

 

(3) les faits relatifs à l'affaire tels qu'ils ont été exposés lors du procès et par le monitoring indépendant, en insistant particulièrement sur les preuves apportées par le parquet et par la défense, les charges retenues, les lois applicables, les procédures préalables au procès, son déroulement, le jugement (s'il en a été rendu un), et les procédures ultérieures;

 

(4) l'état mental et physique de l'accusé et ses conditions de détention;

 

(5) une évaluation de l'équité des procédures, du droit applicable et des conditions de traitement de l'accusé au regard des normes nationales et internationales en vigueur;

 

(6) une conclusion (comportant des recommandations).

 

31. Le rapport comprendra éventuellement en annexe :

 

(1) une copie de l'Ordre d'observation du procès, ou d'instructions similaires comprenant les termes de référence du HRO ayant effectué l'observation;

 

(2) les copies des règles de procédure, décisions de justice et lois concernées

 

(3) les copies des charges, des transcriptions et du jugement;

 

(4) une description de la méthodologie employée par le HRO, y compris les documents étudiés et les personnes interrogées (dans les limites imposées par les considérations de sécurité);

 

(5) les documents sensibles tels que les noms, adresses et numéros de téléphone des personnes risquant d'être mises en danger par une divulgation publique (ces éléments seront retirés de tout rapport rendu public);

 

(6) les copies des articles de presse relatifs au procès et à la présence de l'observateur, avec les noms des journaux et les dates de parution;

 

(7) toute information supplémentaire n'entrant pas strictement dans les termes de référence du HRO (comme des renseignements sur d'autres détenus, les procès à venir, les modifications apportées à la loi, etc.);

 

(8) des remarques pratiques servant à conseiller les HRO qui feront fonction d'observateurs dans l'avenir.

 

O. L'OBSERVATION DES PROCÈS ASSOCIÉE À D'AUTRES FORMES DE MONITORING

 

32. En plus de rapporter ce qu'ils voient au procès, le HRO chargé de l'observer aura souvent besoin d'établir des faits qui se sont produits hors de sa présence. Bien souvent, les observateurs agissent pour établir des faits, évaluer les pièces produites au procès, y ajouter des informations extérieures, et parvenir à une décision globale concernant l'équité de la procédure, ce qui peut évidemment demander de se prononcer quant à la culpabilité ou à l'innocence de l'accusé.

 

33. Si le procès est source d'éléments présentés de manière formelle, le HRO ne peut pas interroger lui-même les témoins devant le tribunal, ni garantir l'équité de la procédure d'établissement des faits. Par conséquent, dans la mesure du possible, le HRO devra observer les débats tout en conduisant une enquête parallèle, non officielle. Par exemple, le HRO devra réunir les renseignements utiles s'il ou elle soupçonne que le tribunal a des préjugés, que les avocats sont soumis à des pressions gouvernementales pour ne pas assurer une défense forte, ou que le parquet accorde l'impunité à ceux qui ont violé les droits de l'homme en ne poursuivant pas adéquatement les abus passés. Les enquêtes menées par l'observateur hors du tribunal s'apparenteront davantage à des entretiens qu'à des auditions judiciaires (voir Chapitre 8 "L'entretien").

 

34. Le monitoring international n'est pas borné par des règles de preuve impliquant un jury. Plutôt que d'employer l'approche d'exclusivité d'un tribunal de droit commun, le HRO devra considérer la totalité des éléments disponibles, et les peser avec soin. L'observateur s'assurera de la fiabilité du processus d'établissement des faits grâce à des techniques comme le recoupement d'informations de sources différentes, et le questionnement détaillé des personnes fournissant des informations.

 

35. On l'a vu plus haut, les évaluations de l'équité des procès ainsi que les visites sur les lieux de détention ne constituent que deux des manières de vérifier si le système judiciaire fonctionne convenablement. Les missions de droits de l'homme se voient souvent confier un mandat de monitoring de l'administration de la justice et d'assistance technique. Connaître les forces et faiblesses du système judiciaire dans son fonctionnement concret pourra aider la mission non seulement les responsables de violations, mais plus encore à travailler avec le gouvernement hôte pour identifier les projets d'assistance technique de nature à améliorer l'administration de la justice, même après que la mission aura quitté le pays.

 

36. Toute analyse globale de l'administration de la justice demande non seulement d'examiner les rapports d'observation des procès, mais aussi d'évaluer le comportement réel, les qualifications et la formation des juges, greffiers, procureurs, avocats et autres personnels attachés aux tribunaux, des policiers, fonctionnaires pénitentiaires, et autres personnels chargés de l'application des lois dans chaque localité du pays. Elle implique également d'examiner les règlements des tribunaux, le code pénal, le code de procédure pénale, et autres mécanismes de résolution des conflits, afin de déterminer si des réformes seraient utiles au regard des normes internationales. En outre, rencontrer régulièrement des fonctionnaires du ministère de la justice pourra contribuer à les aider à développer des programmes pour améliorer l'administration de la justice, par exemple par la formation des juges, policiers, etc. (2). Enfin, la mission sera peut-être en mesure d'aider à rechercher ou à identifier des ressources extérieures en appui à ces efforts.

 

37. Si tel est son mandat, la mission ne se bornera pas à rédiger des rapports sur des procès précis suscitant une inquiétude ainsi qu'une analyse globale du fonctionnement de l'administration de la justice et des recommandations pour l'améliorer, mais devra également établir des rapports de mise à jour périodiques sur le fonctionnement du système judiciaire, qui pourront alors faire l'objet de rencontres régulières avec le ministère de la justice ainsi que, au niveau local, avec les fonctionnaires et magistrats concernés (voir Chapitre 19 "Suivi et action corrective"). Parmi les questions qui seront peut-être traitées dans l'analyse globale, puis reprises dans les rapports périodiques des bureau régionaux, on pourra rencontrer :

 

(a) Nombre des juges, procureurs, etc.; besoins en formation des officiers de justice, formation reçue, améliorations et difficultés.

 

(b) Présence ou manque des matériels nécessaires au fonctionnement des magistrats, greffiers, etc. : le bureau d'un procureur ou d'un juge ne peut fonctionner sans un minimum de matériel de base (machine à écrire, papier, stylos, tables, chaises, un véhicule, etc); il ne sera donc pas en mesure de protéger les droits des autres.

 

(c) Manque de volonté de s'acquitter de ses tâches, de se présenter au travail, de mener des enquêtes, d'établir des dossiers, etc.

 

(d) Obstacles ou menaces de la part de fonctionnaires administratifs, de l'armée, de la police ou autres.

 

(e) Cas de corruption, de dessous-de-table, etc.

 

(f) Fréquence ou statistiques des arrestations, dépôts de plaintes, audiences, procès, etc.

 

(g) Évaluation de la légalité des autorisations d'arrestation.

 

(h) Évaluation de la réalité des enquêtes policières ou judiciaires en cours.

 

(i) Évaluation de l'équité des procès en cours.

 

(j) Quels efforts de gestion et d'amélioration ont été entrepris par les autorités des tribunaux, le ministère de la justice, etc.

 

(k) Quels efforts de réforme ont été entrepris, et avec quel effet.

 

 

 

___________________

1. On trouvera davantage de détails sur les normes internationales d'un procès équitable dans le rapport soumis par Stanislav Chernichenko et William Treat, membres de la Sous-commission, UN Doc. E/CN.4/Sub.2/1994/24 (1994).

2. Ces observations se basent pour l'essentiel sur William G. O'Neill, "Monitoring the Administration of Justice in Human Rights Field Operations" in Hege Araldsen et Øyvind W. Thiis eds., Manual on Human Rights Monitoring (Norwegian Institute of Human Rights 1997).

___________________

Annexe 1 au Chapitre 13 - Liste de contrôle : les éléments d'un procès équitable

 

1. Tous sont égaux devant les tribunaux et les cours de justice.

 

2. Toute personne a le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement pour décider du bien-fondé de toute accusation en matière pénale, ou de ses droits et obligations en matière civile3.

 

3. Le procès sera public4.

 

4. Le procès sera conduit par un tribunal compétent, indépendant et impartial5.

 

5. Le procès ne sera conduit que par un tribunal établi par la loi6.

 

6. Toute personne accusée d'une infraction pénale est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie7.

 

7. Toute personne accusée d'une infraction pénale a droit, en pleine égalité, au moins aux garanties suivantes :

 

(a) À être informée, dans le plus court délai, dans une langue qu'elle comprend et de façon détaillée, de la nature et des motifs de l'accusation portée contre elle;

 

(b) À disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense;

 

(c) À communiquer directement avec le conseil de son choix;

 

(d) À être jugée sans retard excessif;

 

(e) À être présente au procès et à se défendre elle-même ou à avoir l'assistance d'un défenseur de son choix;

 

(f) À être informée, si elle n'a pas de défenseur, de son droit à en avoir un;

 

(g) À se voir attribuer d'office un défenseur, sans frais, si elle n'a pas les moyens de le rémunérer, chaque fois que l'intérêt de la justice l'exige;

 

(h) À interroger les témoins à charge et à obtenir l'interrogatoire des témoins à décharge dans les mêmes conditions;

 

(i) À se faire assister gratuitement d'un interprète si elle ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience;

 

(j) À ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s'avouer coupable.8

 

8. Toute personne déclarée coupable d'une infraction a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, conformément à la loi9.

 

9. Lorsqu'une condamnation pénale définitive est ultérieurement annulée ou lorsque la grâce est accordée parce qu'un fait nouveau ou nouvellement révélé prouve qu'il s'est produit une erreur judiciaire, la personne qui a subi une peine en raison de cette condamnation sera indemnisée, conformément à la loi, à moins qu'il ne soit prouvé que la non-révélation en temps utile du fait inconnu lui est imputable en tout ou partie10.

 

10. Nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de chaque pays11.

 

11. Nul ne sera condamné pour des actions ou omissions qui ne constituaient pas un acte délictueux d'après le droit national ou international au moment où elles ont été commises12.

 

12. Il ne sera imposé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise13.

13. Si, postérieurement à cette infraction, la loi prévoit l'application d'une peine plus légère, le délinquant doit en bénéficier14.

14. Nul ne peut être emprisonné pour la seule raison qu'il n'est pas en mesure d'exécuter une obligation contractuelle15.


1 Document interne du HCDH (1995). Voir également les sections concernant l'arrestation et la détention au Chapitre 9 - "Les visites aux personnes détenues" pour d'autres informations relatives aux droits devant les tribunaux.

2 PIDCP, article 14(1).

3 id.

4 La presse et le public peuvent être exclus de tout ou partie de l'audience, uniquement dans l'intérêt des bonnes mœurs, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, ou lorsque l'intérêt de la vie privée des parties l'exige, ou si le tribunal l'estime absolument nécessaire en raison de circonstances particulières où la publicité nuirait aux intérêts de la justice. Cependant, tout jugement sera rendu public, sauf si l'intérêt de mineurs exige qu'il en soit autrement ou si le procès porte sur des différends matrimoniaux ou sur la tutelle des enfants. PIDCP, article 14(1).

5 PIDCP, article 14(1).

6 id.

7 PIDCP, article 14(2)

8 PIDCP, article 14(3).

9 PIDCP, article 14(5).

10PIDCP, article 14(6).

11PIDCP, article 14(7). Connu comme principe de ne bis in idem, ou de non-double jugement ou peine.

12PIDCP, article 15(1). Cet article ne préjuge pas du jugement ou de la condamnation de tout individu en raison d'actes qui, au moment où ils ont été commis, étaient tenus pour criminels, d'après les principes généraux de droit reconnus par l'ensemble des nations.

13id.

14id.

15PIDCP, article 11.


 



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