University of Minnesota


Lignes Directrices Du Cad Sur Les Conflits, La Paix Et La Coopération Pour Le Développement 1997


TABLE DES MATIÈRES

PRÉFACE

LIGNES DIRECTRICES DU CAD POUR LES CONFLITS, LA PAIX ET LA COOPERATION POUR LE DEVELOPPEMENT

I. Comprendre les conflits violents et leurs liens avec le développement

A. La prévention des conflits – objectif majeur du développement
B. Un cadre d'analyse des conflits
Encadré 1. Définition et échéances
a) Les conditions structurelles
b) Les facteurs accélérants ou déclenchants
c) Les différentes phases et la dynamique des conflits
C. Les sources de conflits et leurs liens avec le développement
a) Les difficultés rencontrées dans la gestion de transitions et changements rapides
b) Le creusement des inégalités socio-économiques
c) L'exploitation des différences ethniques et autres
d) La concurrence pour l'accès aux ressources
Encadré 2. Insécurité de l'environnement et conflit
e) Le legs de la violence
D. Initiatives extérieures pour soutenir la prévention des conflits et la consolidation de la paix
a) Formulation de stratégies cohérentes de prévention des conflits et de consolidation de la paix
b) Orientations pour le soutien extérieur en situation de conflit
i) En situations de tensions sous-jacentes
ii) En situations de tensions croissantes
iii) En situations de conflit violent
iv) En période transitoire de paix fragile et après les conflits
E. L'alerte précoce
a) Les moyens nécessaires à l'alerte précoce
b) Réduire l'écart entre l'alerte précoce et l'action préventive
F. Rôles particuliers de la coopération pour le développement

II. Coordination au sein de la communauté internationale et sur le terrain

A. Principes de base
B. Adapter la coordination de l'aide aux pays en crise
C. Les bases d'une coordination efficace entre les donneurs
a) Un cadre stratégique commun pour l'aide
Encadré 3. Un cadre stratégique pour l'aide : liste illustrative de points à aborder (1)
b) Des ressources et des procédures souples
Encadré 4. Stratégie internationale de mobilisation de ressources : l'expérience du Cambodge
c) Direction d'un chef de file parmi les acteurs internationaux
d) Mécanismes de consultation opérationnelle
e) Affectation de ressources aux activités de coordination
D. Partenariats et répartition des tâches
Encadré 5. Coordination de l'aide humanitaire en Angola
E. Meilleures pratiques recensées
F. Orientations à l'intention des donneurs
Encadré 6. Coordination entre les organismes multilatéraux

III. De l'aide humanitaire au développement: les défis à relever

A. L'aide extérieure dans les situations de conflit
B. Enseignements de l'expérience
C. Lier secours et développement
D. Meilleures pratiques recensées
a) Durant la phase de planification
b) Face aux bénéficiaires et aux institutions locales
c) Face aux organismes partenaires
E. Orientations à l'intention des donneurs
Encadré 7. Code de conduite pour les secours lors de catastrophes à l'intention du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et des ONG

IV. Les fondements de la paix et de la réconciliation : la bonne gestion des affaires publiques et la société civile

A. Principes de base
B. Les bases de la construction de la paix et la réconciliation
a) Le respect des droits de l'homme
b) Processus participatifs
i) La participation
Encadré 8. La décentralisation
ii) Les processus démocratiques
c) Renforcement des institutions publiques
d) Renforcement des systèmes de sécurité et de justice
i) Systèmes judiciaires
Encadré 9. Soutien au système de justice criminelle au Cambodge
ii) Réforme du secteur de la sécurité
iii) Formation en matière de droits de l'homme
C. Renforcement de la société civile pour la construction de la paix et de la réconciliation
a) Soutien à certaines institutions traditionnelles
b) Encouragement du dialogue et de la coopération dans les sociétés divisées
i) Relations intercommunautaires
Encadré 10. Le rôle des femmes dans le processus de transition en Sierra Leone
ii) Médiation et négociation
Encadré 11. Développement des capacités de consolidation de la paix et de réconciliation en Afrique du Sud
iii) Education et formation inter-culturelles
c) Action en faveur de la liberté et de l'accessibilité de l'information
Encadré 12. Le rôle d'éducateur social des médias en Somalie
D. Orientation à l'intention des donneurs

V. Aide au relèvement après un conflit : les priorités opérationnelles

A. Vue d'ensemble
B. Rétablir une capacité de gestion économique
a) Questions principales et besoins prioritaires
b) Recommandations
Encadré 13. La gestion économique : besoins prioritaires en matière d'assistance technique
C. Domaines prioritaires de soutien
a) Rétablir la sécurité intérieure et l'Etat de droit
b) Légitimer les institutions de l'Etat
c) Soutenir la réemergence de la société civile
d) Améliorer la sécurité alimentaire et les services sociaux
e) Développer les capacités administratives
D. Réintégration des populations déracinées
a) Principes et considérations à prendre en compte
b) Programmes de reconstruction et de réintégration au niveau local
i) Principales caractéristiques des programmes
ii) Principales composantes des programmes
c) Quelques enseignements de l'expérience
d) Acteurs et partenariats
e) Meilleures pratiques recensées
f) Orientations à l'intention des donneurs
E. Démobilisation et réinsertion sociale des anciens combattants
a) Principes et considérations à prendre en compte
Encadré 14. L'opération "Flamme de la paix" au Mali
b) Besoins et domaines de coopération
i) Cantonnement et libération
Encadré 15. Les enfants soldats
ii) Réinsertion et réintégration
Encadré 16. Démobilisation et réinsertion en Ouganda et en Ethiopie
c) Quelques enseignements de l'expérience
Encadré 17. Faut-il verser une prime pour la restitution des fusils ?
d) Dispositifs institutionnels
e) Meilleures pratiques recensées
f) Orientations à l'intention des donneurs
F. Elimination des mines terrestres
a) Principes et considérations à prendre en compte
b) Besoins et domaines de coopération
Encadré 18. Coûts comparés du minage et du déminage
Encadré 19. Munitions non explosées
c) Quelques enseignements de l'expérience
d) Partenariats et acteurs
e) Meilleures pratiques recensées
f) Orientations à l'intention des donneurs

VI. Approches régionales de prévention des conflits et de construction de la paix

A. Principes et approches
B. Dimension régionale des conflits
a) Les conflits inter-états et l'instabilité régionale
Encadré 20. Réponses aux initiatives locales – Contrôle des armes en Afrique de l'Ouest
b) L'impact des populations de réfugiés sur les pays d'accueil
Encadré 21. Fournir des moyens d'existence aux réfugiés afghans dans les zones d'accueil au Pakistan
C. Meilleures pratiques recensées
a) Mécanismes régionaux pour la prévention des conflits et la construction de la paix
b) Gestion des ressources naturelles communes et prévention des conflits
D. Orientations à l'intention des donneurs
Encadré 22. La région du Mékong --Risques de conflits et potentiel de coopération

PRÉFACE

A la réunion à haut niveau du Comité d'aide au développement (CAD) tenue les 3 et 4 mai 1995, les Ministres de la coopération au développement et les responsables des organismes d'aide se sont penchés sur la nécessité croissante pour la coopération pour le développement de contribuer plus activement à la prévention des conflits et, après les conflits, au relèvement et à la reconstruction et sur les opportunités de plus en plus nombreuses qui s'offrent dans ce domaine.

Le Comité a décidé de lancer un programme de travail visant à tirer les enseignements de l'expérience acquise concernant les liens entre les conflits, la paix et la coopération pour le développement, à rechercher des moyens d'améliorer l'efficacité et la cohérence des efforts déployés par ses Membres dans ces domaines, et à formuler des orientations pratiques destinées à faciliter la conception et la mise en oeuvre de programmes d'aide dans ces domaines complexes et encore peu familiers.

Un Groupe d'étude spécial du CAD établi à cet effet a commencé ses travaux en octobre 1995. Ce Groupe d'étude s'est appuyé principalement sur l'expérience opérationnelle des organismes de coopération pour le développement et sur les connaissances et l'expérience de terrain de spécialistes extérieurs et de praticiens et à en outre été guidé par les nombreux travaux de recherche en cours dans ces domaines.

Les sujets abordés dans les différents chapitres ont tous été sélectionnés en raison de l'importance particulière qu'ils revêtent pour la conception et la mise en oeuvre de la coopération pour le développement, à l'appui la prévention des conflits et de la reconstruction après les conflits. Ils vont de questions d'ordre général, notamment dans le domaine de l'aide à la prévention des conflits à des sujets d'ordre beaucoup plus pratique et opérationnel, particulièrement en ce qui concerne l'aide au redressement après un conflit.

Bien que ces lignes directrices portent principalement sur le rôle de la coopération pour le développement dans ces domaines, certaines des questions abordées concernent des domaines plus larges de l'aide et de la coopération internationales. Cette perspective plus intégrée devrait contribuer à promouvoir une plus grande cohérence et une meilleure coordination même si, en fin de compte, les règles et procédures régissant l'affectation des fonds d'aide au développement détermineront les limites dans lesquelles ils pourront être utilisés pour mettre en oeuvre ces lignes directrices.

Chaque section conclut par des recommandations spécifiques à l'intention des donneurs, qui peuvent, globalement constituer une sorte de résumé des points essentiels à aborder. Cependant, les analyses plus détaillées qui les précèdent devraient être utiles à ceux qui sont plus directement intéressés par les sujets abordés.

Etant donné l'évolution rapide des défis et connaissances dans les domaines concernés, il est entendu que les lignes directrices pour les conflits, la paix et la coopération pour le développement ne sont pas définitives. De nombreux points importants restent à examiner et le CAD poursuivra ses travaux à cet effet. En outre, les questions déjà abordées exigent d'être constamment réexaminées au vu des nouvelles leçons de l'expérience, c'est pourquoi les informations en retour et les suggestions sont encouragées et seront intégrées dans des lignes directrices actualisées.

1. Ont participé aux travaux: Allemagne, Australie, Autriche, Belgique, Canada, Danemark, Etats-Unis, Finlande, France, Irlande, Italie, Japon, Norvège, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni, Suède et Suisse, ainsi que des représentants de la Banque mondiale, de la Communauté Européenne, du Fonds monétaire international (FMI) et du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR) et le Département des affaires humanitaires des Nations Unies (UNDHA) ont également été invitées à participer aux travaux.

LIGNES DIRECTRICES DU CAD POUR LES CONFLITS, LA PAIX ET LA COOPERATION POUR LE DEVELOPPEMENT

I. Comprendre les conflits violents et leurs liens avec le développement A. La prévention des conflits – objectif majeur du développement 1. Les conflits violents sont désormais beaucoup plus souvent internes qu'inter-états. Ils surviennent surtout dans les pays en développement, dont beaucoup continuent d'être en proie périodiquement à des violences civiles, et leurs principales victimes se trouvent parmi les civils. Outre les morts et les destructions, ces conflits laissent derrière eux des blessures sociales, politiques et psychologiques profondes et durables. Ils peuvent annihiler des décennies de progrès économique et entraver le développement futur.

2. Les conflits sociaux et politiques sont inévitables dans un processus de développement socio-économique. Bien que le déclin économique prolongé puisse être une source de conflit, il est évident que la croissance économique en elle même n'empêche pas l'apparition de conflits et peut même susciter ou intensifier les tensions au sein de la société. Le risque que ces tensions se transforment en confrontations ouvertes et en conflits violents constitue cependant un obstacle majeur au développement durable, centré sur l'être humain. Le développement durable doit par conséquent être étayé par des institutions capables de gérer les tensions socio-politiques et éviter leur escalade vers la violence.

3. Travailler dans des pays déchirés par la guerre ou particulièrement exposés aux conflits a toujours fait partie des activités de coopération pour le développement. Aider une société à se donner les moyens de gérer les tensions et contentieux sans violence est un aspect essentiel de l'action en faveur du développement. S'il est parfois difficile à articuler et à analyser, cet objectif de "consolidation de la paix" doit être la clé de voûte de toute stratégie et de tout programme de coopération pour le développement. Les organismes d'aide peuvent également jouer un rôle de catalyseur en favorisant une large participation des différents groupes sociaux aux processus de discussion et de négociation. Les femmes et les associations féminines doivent être invitées à participer aux efforts de prévention des conflits et de construction de la paix. Elles exercent souvent une influence considérable et peuvent faire pression sur les parties en conflit pour les inciter à la négociation. Elles peuvent en outre contribuer à la recherche de solutions pacifiques aux conflits.

4. Les efforts de coopération pour le développement doivent chercher à créer un environnement de "stabilité structurelle", base d'un développement durable. Un environnement de stabilité structurelle se caractérise par l'existence de structures sociales et politiques représentatives et dynamiques, capables de gérer le changement et de résoudre les conflits sans recourir à la violence. C'est là l'un des fondements essentiels sur lequel peuvent se construire la paix sociale, le respect des droits de l'homme et des obligations qui en découlent, l'accès équitable aux ressources et par la même le développement durable. Le renforcement du développement économique en est souvent l'une des bases essentielles, sinon indispensable.

5. Tout en concentrant son action sur les domaines dans lesquels elle possède un avantage comparatif, la coopération pour le développement peut aussi compléter les autres instruments de politique étrangère y compris diplomatiques, militaires et économiques pour renforcer les possibilités de paix et de développement. A long terme, elle peut contribuer à atténuer les causes des conflits et aider à mettre en place des institutions permettant de gérer et résoudre les litiges et disputes de façon pacifique. L'aide au développement et l'aide humanitaire peuvent aussi aider à consolider des processus de paix fragiles en aidant à la réconciliation sociale, au développement politique et à la reconstruction matérielle.

6. Avec leur connaissance des conditions locales, les organismes de développement peuvent souvent apporter des informations et des éclairages particuliers sur les causes de conflit. Cependant, il nous apparaît clairement que l'aide humanitaire ne peut pas se substituer à une volonté politique et à un engagement durable de la part de la communauté internationale pour soutenir la paix. La coopération pour le développement doit aussi être davantage prendre en compte le contexte politique.

B. Un cadre d'analyse des conflits 7. Les causes de conflit sont diverses et imbriquées. Il est donc difficile de délimiter clairement et de mesurer exactement l'influence des différents facteurs. Ceux-ci peuvent aller d'une situation sociale déstabilisante, se caractérisant par d'extrêmes disparités sociales ou des phénomènes d'exclusion, à l'absence de mécanismes de conciliation pacifique, des intérêts des divers groupes de la société. Une compréhension globale et étendue des conditions nécessaires pour que l'état et de la société civile puissent coopérer de manière satisfaisante est indispensable pour comprendre les origines et la dynamique des conflits violents. Des capacités locales de résolution de conflit peuvent déjà être en place. En leur apportant un soutien, dans la mesure du possible, on peut contribuer à renforcer les possibilités de paix et de développement.

Encadré 1. Définition et échéances La prévention des conflits fait référence ici aux mesures qui peuvent être prises à court terme pour réduire les tensions manifestes et empêcher des conflits violents d'éclater ou de se reproduire.

La consolidation de la paix et de la réconciliation englobe l'ensemble des mesures à long terme pour soutenir la mise en place de structures politiques, socio-économiques et culturelles viables et capables de traiter les causes fondamentales des conflits, ainsi que d'autres initiatives visant à instaurer les conditions nécessaires à la paix et à la stabilité durables. Ces activités visent également à promouvoir l'intégration de groupes en conflit avec la société, ou marginalisés, leur permettant un accès équitable au processus de décisions politiques, aux réseaux sociaux, aux ressources économiques et à l'information. Elles peuvent être mises en oeuvre dans toutes les phases d'un conflit.

Le concept de "stabilité structurelle" englobe plusieurs objectifs étroitement imbriqués et qui se renforcent mutuellement : paix sociale, respect de l'état de droit et des droit de l'homme, développement social et économique, grâce à des structures politques dynamiques et représentatives capables de gérer le changement et de résoudre les disputes sans qu'ils ne puissent donner lieu à des conflits violents.

Par opération de secours d'urgence on entend l'aide immédiate de survie aux victimes civiles des crises et conflits violents. La plupart des opérations de secours sont lancées très rapidement et durent peu de temps, leurs objectifs devant généralement être réalisés en moins d'un an. Le but principal est de sauver des vies. Les apports extérieurs en financement et en personnel sont souvent dominants. Les opérations de secours les plus complexes sont celles qui découlent de conflits civils prolongés.

Les opérations de relèvement chevauchent souvent les opérations de secours. Le délai fixé pour la réalisation des objectifs est généralement de deux ans. Le but principal est d'initier la reconstruction d'infrastructures nationales et locales et de préserver des moyens d'existence. La prise en charge des bénéficiaires par eux-mêmes étant de première importance, la gestion des programmes est progressivement confiée aux autorités locales. Des mécanismes de récupération des coûts peuvent être instaurés, de même que des programmes de création d'emplois et des crédits tournants. Dans des situations d'instabilité persistante, la prévention des catastrophes futures (consistant à essayer d'éviter que la situation d'urgence se reproduise) et l'atténuation de leurs conséquences sont d'autres aspects essentiels des efforts de relèvement.

Les opérations de développement ont des objectifs à longue échéance, généralement plus de deux ans, et présupposent des conditions de sécurité et une administration dédiée à la poursuite d'objectifs et stratégies nationaux, en partenariat avec des acteurs externes. Elles impliquent normalement des études de faisabilité et un examen préalable des projets, y compris de leurs taux de rentabilité économique, des études d'impact environnemental et une analyse sociale (y compris en ce qui concerne la place des femmes). La participation des bénéficiaires et des pouvoirs publics locaux est indispensable.

Il importe d'observer que les opérations de secours d'urgence, de reconstruction et de développement ne sont pas nécessairement séquentielles mais sont souvent menées en parallèle. Ces différentes formes d'aide peuvent être classées selon leurs objectifs immédiats et leur durée plutôt que selon une séquence logique ou chronologique supposée commencer par les secours pour aller jusqu'au développement mais qui correspond rarement à la réalité. Cela dit, si l'on ne veille pas à ce que ces opérations soient structurées de façon à se renforcer mutuellement, elles risquent au contraire de se nuire. 8. Les théories qui cherchent à expliquer les causes des conflits armés et les conditions dans lesquelles ils éclatent distinguent en général les facteurs structurels d'une part et les facteurs accélérants ou déclenchants de l'autre.

a) Les conditions structurelles 9. Les conditions structurelles qu'il faut considérer sur le long terme, sont celles qui créent un climat propice à un conflit violent, sans pour autant en rendre l'éclatement inévitable. Il s'agit de facteurs politiques, sociaux et économiques qui sont imbriqués tels que : la densité de population, le niveau et répartition des richesses et des chances ; l'état de la base de ressources, la structure et la composition ethnique de la société et les fondements historiques des relations entre groupes. Certains types d'organisation socio-économique peuvent porter en eux les germes d'un conflit. C'est ainsi que les sociétés très stratifiées où un groupe politiquement dominant contrôle l'appareil gouvernemental, l'accès aux richesses, à l'instruction et au statut social sont souvent extrêmement vulnérables.

b) Les facteurs accélérants ou déclenchants 10. Les facteurs accélérants ou déclenchants sont les événements, actions et décisions qui suscitent l'escalade de la violence. Les facteurs déclenchants dépendant essentiellement du contexte propre à un pays, il n'est pas possible d'en faire une liste type. Ce sont par exemple : le déclin économique, un affaiblissement de la cohésion interne de l'Etat ; des changements de mains au niveau du pouvoir central, notamment de l'armée ; un changement soudain de la répartition interne des pouvoirs, notamment l'accès au gouvernement et aux privilèges ; des importations d'armes (légères) ; des interventions d'Etats voisins, de puissances régionales et d'organisations régionales ; et des mouvements de populations et de capitaux à grande échelle.

c) Les différentes phases et la dynamique des conflits 11. Un conflit n'est pas un état de choses statique et immuable mais un processus dynamique. On peut distinguer différentes phases, mais qui ne suivent pas nécessairement un chemin séquentiel ou prévisible. C'est la conjonction des facteurs qui déterminera l'aggravation ou l'apaisement d'un conflit. Aussi le passage d'une phase à une autre n'est il pas nécessairement déclenché par un événement ou un facteur unique au moment précis de la transition. Bien que les causes déclenchantes et aggravantes des conflits soient hétérogènes, presque toutes les crises peuvent se subdiviser en quatre grandes phases difficiles à dissocier :

-situations de tensions sous-jacentes ; -situations de tensions croissantes ; -phases d'éclatement du conflit et de confrontation ouverte ; -phases fragiles de transition après-conflit.

12. En théorie, un cycle conflictuel peut se définir par les phases suivantes : paix-conflit-réconciliation. En pratique, cependant, la situation est bien plus complexe. Il est souvent très difficile de définir le moment où l'on passe de la paix ou de la normalité au conflit ou inversement. Il est rare d'assister à une progression claire d'une situation de paix à des tensions socio-politiques aiguës qui culminent en un conflit violent avant de s'apaiser. Il peut arriver, par ailleurs, qu'une partie du pays soit en paix tandis que dans d'autres gronde un conflit latent qui éclate périodiquement. De nombreux pays se caractérisent par une situation de paix et de conflit à la fois. Cette situation peut durer des années, voire des décennies.

C. Les sources de conflits et leurs liens avec le développement 13. D'une façon générale, une société dotée d'une base solide et équilibrée de ressources sociales et économiques, et caractérisée par un indice élevé de développement humain, a les capacités de gérer les tensions avec moins de risques d'effondrement institutionnel et social qu'une société marquée par des conditions de développement déstabilisantes telles qu'une pauvreté généralisée et d'extrêmes disparités socio-économiques, l'absence systématique d'opportunités, et l'impossibilité de recours à des institutions crédibles aptes à résoudre les contentieux. En l'absence de capacité de ce genre, les facteurs suivants peuvent provoquer des conflits ou contribuer à leur déclenchement :

a) Les difficultés rencontrées dans la gestion de transitions et changements rapides 14. Les processus de changement profond entraînent souvent des fractures sociales et politiques. L'absence d'opportunités de participer à la société civile, aux processus politiques et au marché du travail peut contribuer à affaiblir la cohésion sociale et fragiliser les structures traditionnelles d'autorité. Le changement peut même parfois entraîner une perte d'identité culturelle et le déracinement ou la marginalisation de communautés. Les transitions économiques et politiques engendrent aussi des tensions, surtout lorsque l'équilibre du pouvoir change, au profit de certains groupes et au détriment d'autres. Des luttes pour le pouvoir peuvent aussi éclater entre des groupes participant au processus de développement mais concurrents, même lorsqu'ils profitent tous de la prospérité économique. Les processus de transition de la période de décolonisation, la transformation actuelle d'Etats autoritaires en Etats plus participatifs et l'évolution des anciennes économies planifiées en sont autant d'exemples.

b) Le creusement des inégalités socio-économiques 15. Une croissance économique déséquilibrée et une répartition inégale de ses fruits peuvent aussi contribuer à accroître les tensions. Elles peuvent déranger les schémas établis de production et de distribution des revenus et de la richesse. Les ressources et les avantages qui en découlent peuvent parfois ne profiter qu'aux groupes qui tiennent en main l'appareil d'Etat. C'est ainsi que peuvent se trouver marginalisés les groupes vulnérables et les régions les moins dynamiques laissées de côté. Ce phénomène est particulièrement grave lorsqu'il s'accompagne d'un sentiment croissant d'injustice et que les dispositifs institutionnels pour y remédier font défaut, comme c'est souvent le cas parmi les populations urbaines en forte croissance.

c) L'exploitation des différences ethniques et autres 16. Les différences ethniques, religieuses et culturelles sont rarement en elles-mêmes des sources de conflit. Dans un climat de tensions très vives dues à des conflits socio-politiques, elles offrent cependant un terrain fertile à l'exploitation politique. Parmi les facteurs pouvant favoriser ce genre de polarisation, on trouve : les bouleversements économiques, sociaux et politiques découlant d'un développement déséquilibré ; l'héritage des frontières coloniales ; la fragilité ou l'illégitimité des structures de l'Etat ; l'assimilation forcée des minorités ; les aspirations à une plus grande autonomie de groupes ethniques concentrés dans certains territoires. d) La concurrence pour l'accès aux ressources 17. La concurrence pour l'accès à des ressources communes peut, en l'absence de mécanismes politiques pour la gérer, contribuer à créer des tensions. Une insuffisance de ressources en eau et en terres productives aux niveaux local et régional (parfois dues à l'accroissement rapide de la densité de population), les changements de régime foncier, la dégradation de l'environnement ou des conflits régionaux, peuvent donner lieu à des conflits au sujet de la gestion, la distribution et la répartition des ressources. Lorsque ces conflits concernent des ressources transnationales, ils peuvent même menacer la stabilité des pays voisins, voire de toute une région.

Encadré 2. Insécurité de l'environnement et conflit Il apparaît de plus en plus que la sécurité environnementale peut être un facteur important de contentieux et tensions. La dégradation de l'environnement, en engendrant la pauvreté et des déplacements massifs de population, peut, combinée à d'autres facteurs, contribuer à précipiter ou aggraver un conflit violent, aussi bien local qu'international.

Dans les pays en développement, les principales menaces qui pèsent sur l'environnement sont la dégradation des terres agricoles, la croissance démographique et l'épuisement de ressources telles que le bois de feu, les terres à pâturages et l'eau potable. Souvent, ces phénomènes dus à l'homme se conjuguent à l'action des éléments naturels et la renforcent : c'est le cas par exemple lorsque l'effet des crues est aggravé par le déboisement et l'assèchement des terres humides. Il y a insécurité de l'environnement lorsque les écosystèmes ne sont plus en mesure d'assurer les moyens d'existence des populations qui les habitent.

Il peut s'ensuivre de vastes mouvements de population. Or, les migrations se font souvent vers des régions où l'environnement est encore plus fragile ou sujet aux catastrophes naturelles, instaurant ainsi un cercle vicieux de déplacement, de dégradation de l'environnement et de redéplacement. On estime que jusqu'ici ce phénomène a touché au moins 25 millions de personnes, et que ce nombre va encore croître. C'est ainsi que la concurrence pour accéder à des ressources naturelles de plus en plus insuffisantes et l'inégalité de leur distribution peuvent contribuer à engendrer des conflits locaux ou régionaux.

Prévenir ou atténuer la plupart des formes d'insécurité de l'environnement dues à l'homme est possible, mais pour pouvoir formuler des stratégies de prévention appropriées il va falloir mieux en connaître les multiples facettes.

e) Le legs de la violence

18. La violence et les dégâts qu'elle inflige contribuent directement à accentuer la polarisation de la société. Elle aggrave les phénomènes d'insécurité, de haine, de représailles et de vengeance qui ne font que renforcer la tradition de conflit entre les groupes. Outre qu'elle entrave le progrès économique, elle peut contribuer à aggraver la vulnérabilité de certains groupes à des conditions défavorables et aboutir dans les cas extrêmes à des crises humanitaires de grande ampleur. L'exploitation des facteurs ethniques, religieux et culturels qui l'accompagne a tendance à favoriser la perpétuation du conflit même lorsque la situation économique générale s'améliore. Un autre legs des conflits violents prolongés, l'existence de stocks d'armement (notamment d'armes légères) en abondance et facilement disponibles, peut contribuer aux conflits en augmentant la propension au recours à la violence.

D. Initiatives extérieures pour soutenir la prévention des conflits et la consolidation de la paix

a) Formulation de stratégies cohérentes de prévention des conflits et de consolidation de la paix

19. Un conflit est un processus dynamique. Cependant, son déroulement peut être influencé par des interventions internationales. Les approches visant à la prévention des conflits et à la consolidation de la paix doivent être globales, cohérentes et intégrées et s'attaquer aux causes profondes des conflits. Cela nécessite une coopération étroite entre tous les secteurs de la politique extérieure (diplomatique, militaire, commercial et coopération pour le développement) tout en exploitant leurs avantages comparatifs respectifs, afin d'assurer la cohérence et la coordination. Les stratégies de prévention des conflits doivent aussi tenir compte de l'éventuelle dimension internationale. Les pays voisins et régionaux, le système des Nations Unies et les organisations régionales et d'autres états peuvent également avoir, chacun pour sa part, des rôles essentiels à jouer, si tant est qu'ils jouissent de la confiance des pays concernés.

20. La cohérence des politiques et des moyens doit être un objectif important aussi bien pour les gouvernements que pour les systèmes internationaux ou multilatéraux. Au niveau national, elle nécessite une cohérence entre les acteurs des domaines politique, économique, diplomatique, militaire et humanitaire, et ceux de la coopération pour le développement. Si cet objectif de cohérence est souvent difficile à atteindre au niveau national, par exemple lorsque des ventes d'armes risquent de nuire aux objectifs de sécurité régionale ou de respect des droits de l'homme, la difficulté est encore plus grande à l'échelon international. Le manque de cohérence des politiques menées par les Etats en matière de conflits et de développement peut être dû à de réelles différences de priorités nationales, d'approches du règlement des conflits ou de points de vue divergents quant à leurs causes fondamentales, mais il peut aussi résulter d'un manque de coordination entre les acteurs.

21. Le rôle à long terme de la coopération pour le développement pour aider à créer des structures et des mécanismes de prévention et de règlement des conflits ne doit être considéré que comme un facteur parmi d'autres. Le plus souvent, la perspective à long terme de la coopération pour le développement limite son utilisation comme un expédient à court terme. Les programmes de coopération pour le développement ne peuvent pour autant faire abstraction des facteurs de conflits potentiels. Dans tous les cas, pour être constructives, les interventions des organismes extérieurs nécessiteront un grand sens politique. Etant donné que les programmes de développement risquent eux-mêmes d'avoir dans certains cas des conséquences déstabilisantes, il est indispensable de les passer au crible de façon à éviter qu'ils ne contribuent à aggraver des tensions existantes dans les pays ou les régions sensibles.

b) Orientations pour le soutien extérieur en situation de conflit

i) En situations de tensions sous-jacentes

22. Même en temps de paix relative, des conditions structurelles défavorables peuvent, avec le temps, rendre un pays vulnérable au risque d'éclatement d'un conflit violent. Des actions visibles, s'attaquant aux causes profondes des tensions sociales et basées sur des mécanismes appropriés d'alerte précoce, d'analyse de l'information ainsi que transmission rapide des signaux d'alerte, sont essentielles. De telles actions pourraient, par exemple, viser à améliorer la répartition et la gestion des ressources naturelles, à réduire la pauvreté, à cibler la politique sociale de façon à permettre un développement participatif, à promouvoir la bonne gestion des affaires publiques, l'instruction civique et le respect des droits de l'homme. Elles doivent également viser à limiter le trafic et la diffusion d'armements, et en particulier d'armes légères, et soutenir des mesures renforçant la capacité des groupes de population menacés par la crise à se prendre en charge ainsi qu'à favoriser la création de structures de dialogue et de médiation. Il est en outre nécessaire d'examiner avec attention les phénomènes de division sociale afin d'élaborer des moyens appropriés pour y remédier.

ii) En situations de tensions croissantes

23. Lorsque les conditions de crise dans une société commencent à se manifester au grand jour (par exemple par des troubles sociaux, une opposition armée, des manifestations de masse, etc.), des mesures de prévention de la crise doivent être envisagées et mises en oeuvre rapidement. Des mesures appropriées peuvent en effet s'opposer à ce qui pourrait susciter une confrontation ouverte débouchant sur une violence généralisée. Sous la rubrique "action préventive", on dispose d'un large éventail de moyens de médiation et de règlement des conflits. A ce stade, il devient particulièrement important de surveiller et d'empêcher l'accumulation de réserves d'armes par les parties en conflit. Bien que des mesures immédiates soient nécessaires pour apaiser la crise, il importe de poursuivre et peut-être même d'intensifier les efforts à long terme de consolidation de la paix. Les initiatives de prévention et de résolution des conflits et de construction de la paix devront être eux étroitement coordonnés afin d'appuyer efficacement d'autres initiatives. Comme dans le cas de situations de tensions sous-jacentes, ces activités doivent s'attaquer aux racines du conflit pour avoir le maximum d'effet.

iii) En situations de conflit violent

24. En période de conflit violent et de confrontation, on a généralement recours à la diplomatie préventive et à des mesures militaires pour tempérer les conflits, mettre fin aux hostilités et entamer des négociations de paix. L'aide humanitaire et, lorsque c'est possible, la poursuite des activités de développement, doivent venir à l'appui de ces mesures. Une collaboration est parfois nécessaire pour obtenir un cessez-le-feu permettant l'acheminement de l'aide humanitaire aux victimes de la guerre et aux personnes déplacées. L'acheminement et la distribution d'aide humanitaire suppose une coopération et une compréhension suffisante de toutes les parties au conflit. Les négociations avec les parties en guerre sur le déploiement des forces de maintien de la paix et l'organisation de l'aide humanitaire peuvent en même temps ouvrir la voie à d'autres initiatives diplomatiques visant à mettre fin au conflit, moyennant une coordination étroite entre les organisations impliquées dans les domaines de la politique de sécurité, la diplomatie, l'aide humanitaire et la coopération pour le développement.

iv) En période transitoire de paix fragile et après les conflits

25. Outre des activités de reconstruction et de réhabilitation, des initiatives de rétablissement de la paix et de règlement du conflit doivent être menées, afin d'assurer le succès des négociations de paix. Le processus de réconciliation exige avant tout le rétablissement de la sécurité et de l'état de droit. Lorsqu'un conflit a été marqué par des violences extrêmes tels des massacres à grande échelle ou même des génocides, des efforts concertés seront nécessaires pour surmonter les traumatismes sociaux durables en résultant, promouvoir la réconciliation et prévenir une reprise du conflit. C'est par des mesures coordonnées dans les domaines suivants que l'on y parviendra le mieux : démilitarisation du conflit, comprenant le désarmement et la démobilisation des combattants ; le déminage et la réforme des forces armées ; la réintégration des populations déracinées ; la réconciliation entre les parties en conflit et la mise en place de mécanismes de règlement pacifique des conflits et enfin, la reconstruction économique, sociale, politique et écologique à long terme, pour aider à remédier aux facteurs structurels qui ont été à la racine du conflit. Ainsi, la période de transition après un conflit présente des occasions de s'attaquer aux causes structurelles de conflit, abordées plus haut sous la rubrique "en situation de tensions sous-jacentes".

E. L'alerte précoce

a) Les moyens nécessaires à l'alerte précoce

26. L'alerte précoce a trait à la surveillance des signes avant-coureurs de conflit potentiel, de montée de la violence et de menaces de catastrophes humanitaires. Sur la base de cette analyse, l'alerte précoce peut aider à stimuler une action préventive. Différents types d'alerte précoce s'attachent à surveiller ces signaux à plus ou moins long terme. La capacité de détecter, de surveiller, d'analyser les causes chroniques sous-jacentes de conflit est indispensable à une prévention efficace.

27. Se basant sur les efforts déjà entrepris au niveau international, la surveillance systématique des signes avant-coureurs de conflits potentiels peut aider à identifier les zones à risques suffisamment tôt pour permettre des réponses efficaces. Il s'agit de sélectionner, surveiller et analyser des indicateurs politiques, sociaux et économiques essentiels tels que : dépenses militaires, évolution du partage du pouvoir, situation des droits de l'homme, relations inter-ethniques, mouvements de population, disparités économiques et sociales, fonctionnement et accessibilité des services essentiels, liberté et pluralité de la presse, soutien extérieur à des groupes extrémistes.

28. Les réseaux permettant l'alerte précoce, la surveillance et l'analyse méritent d'être encouragés. Ils doivent être constitués d'individus et d'organisations capables d'avertir en temps voulu les responsables politiques des menaces de conflit, et suffisamment crédibles pour les inciter à intervenir. Dans ces réseaux, les institutions régionales et sous-régionales impliquées dans la prévention des conflits méritent souvent un soutien particulier en vue de les encourager et de renforcer leur capacité d'alerte précoce. Elles sont aussi susceptibles de participer de façon constructive à des consultations et à des négociations informelles, ainsi qu'à des missions d'investigation.

29. La collecte et le suivi de l'information sur les risques de conflit doivent au maximum faire appel au personnel sur le terrain et aux partenaires locaux qui connaissent bien la situation sur place. Cela exige une étroite coordination et la mise en commun des informations entre donneurs (notamment en ce qui concerne les solutions à long terme de problèmes particuliers) et entre gouvernements, organisations internationales et ONG. Cela permettra de compléter les données quantitatives affinées par l'analyse et l'interprétation des signaux "qualitatifs".

30. Des mécanismes d'alerte précoce efficaces doivent pouvoir fournir des analyses pluridisciplinaires intégrées qui anticipent les questions et besoins des décideurs. Ils doivent expliquer de façon précise ce qui peut se passer si la situation continue à se dégrader, ainsi que les liens entre les divers facteurs en jeu. Il est indispensable d'avoir conscience de cette complexité si l'on veut éviter des réponses erronées, consistant par exemple à considérer un facteur donné comme la cause exclusive du conflit, en négligeant les interrelations complexes dont il découle. Il faut donc, en envoyant un signal d'alerte précoce, avoir une idée claire des outils dont on dispose pour aider à prévenir un conflit violent et du délai dans lequel il faut agir. Il peut aussi être utile de présenter des choix politiques précis ou au moins d'indiquer une série d'actions possibles découlant de l'analyse. Par ailleurs, la formulation de différents scénarios peut rendre la masse d'informations plus facile à utiliser tout en améliorant la capacité de réagir plus rapidement aux signes avant-coureurs d'accroissement des tensions dans les zones de violence potentielle.

b) Réduire l'écart entre l'alerte précoce et l'action préventive

31. Il est difficile d'attirer l'attention sur les signes avant-coureurs d'un conflit potentiel très longtemps à l'avance. Lorsqu'un conflit devient imminent, il est souvent difficile d'arriver à un accord sur les actions à entreprendre. Jusqu'ici, les efforts déployés au niveau international pour établir et faire usage de mécanismes efficaces d'alerte précoce (particulièrement en ce qui concerne l'alerte à très long terme) n'ont guère été couronnés de succès. La faute en est en partie au fait que l'information fournie par les prévisions et les analyses est d'une qualité insuffisante, pas assez accessible et trop tardive. Il est évident que le manque de moyens d'analyse et l'absence d'un cadre analytique permettant l'analyse des informations et la détermination de l'influence relative des facteurs politiques, sociaux et économiques créent des goulets d'étranglement. Par ailleurs, il existe une certaine tendance à surveiller les facteurs déclenchants au lieu des facteurs structurels, plus difficiles à analyser. Or, à trop se focaliser sur les facteurs déclenchants une escalade vers la violence, on risque de négliger des questions relatives à la prévention à long terme.

32. Même lorsque des informations et des analyses précises sont fournies aux décideurs, il n'y a souvent pas de réaction. Pour que l'information donne lieu à une action, une volonté politique suffisante est indispensable. Ainsi, un mécanisme d'alerte précoce, pour être utile, doit contribuer à susciter la volonté politique et la capacité d'agir au niveau national et international, y compris au niveau des donneurs, ce qui peut alors aider à mobiliser les moyens nécessaires pour réagir en temps voulu. Les instruments disponibles pour l'assistance multilatérale ou bilatérale préventive comprennent le dialogue politique, y compris dans le cadre de groupes consultatifs; les sanctions; des démarches en faveur du processus de paix et des actions visant à enrayer un conflit. L'optimisation de la capacité d'agir en temps voulu et de l'efficacité des mesures prises suppose un renforcement de la coordination et de la coopération ; la mise en place de procédures d'urgence (assorties de lignes directrices pour la coordination) et la rationalisation des procédures budgétaires existantes en vue du financement des activités préventives.

33. Les médias et l'opinion peuvent peser en faveur d'un soutien politique de l'action humanitaire ; les médias ont d'ailleurs aussi leur rôle à jouer pour informer le public sur les causes sous-jacentes des conflits armés et les urgences humanitaires qui en découlent. Il faut sensibiliser l'opinion internationale à l'importance des problèmes chroniques qui créent les conditions d'un conflit. Toutefois, le caractère parfois inconséquent, voire contradictoire des intérêts et de l'influence des médias et de l'opinion peut inciter à adopter une approche ad hoc de la prévention des conflits, au détriment d'actions et d'initiatives plus cohérentes et plus soutenues.

F. Rôles particuliers de la coopération pour le développement

34. Un objectif central de l'aide doit être d'améliorer le climat politique et social général dans les pays partenaires. Il s'agit pour cela d'appuyer des mesures visant à renforcer la légitimité et l'efficacité de l'Etat et l'émergence d'une société civile vigoureuse. De tels efforts doivent faciliter la réalisation d'un consensus sur les grandes questions économiques, sociales et politiques. L'aide à la démocratisation, à la mise en place de mécanismes de participation au système politique et à l'instauration de l'Etat de droit peuvent être autant d'éléments d'une stratégie facilitant l'intégration des individus et des groupes dans la société, renforçant leur participation et évitant qu'ils se marginalisent et aient recours à la violence.

35. Au niveau des communautés, les donneurs peuvent contribuer à faciliter les négociations et les processus de réconciliation, surtout là où l'Etat est faible et où de vastes secteurs ou régions sont hors du contrôle du gouvernement central. Ce type d'aide, dont l'objectif premier est le rétablissement de la paix et la réconciliation, doit viser à renforcer des réseaux et des structures sociales ou institutionnelles qui puissent servir d'éléments stabilisateurs et compléter les efforts déployés à l'échelon national. Cela peut comprendre un soutien au développement d'organismes sociaux servant d'intermédiaire (ONG locales, associations professionnelles, commissions multi-ethniques, organisations féminines) et pour aider les groupes marginalisés à accéder plus facilement au système judiciaire, à l'administration et aux médias. Les donneurs se doivent cependant d'être réalistes et de reconnaître que certains gouvernements pourront percevoir de tels groupes et réseaux sociaux et institutionnels comme des menaces, et réagir en conséquence.

36. Lorsqu'un pays est en crise, les efforts extérieurs pour contribuer à prévenir les conflits et à instaurer la paix peuvent rencontrer une opposition considérable de la part des acteurs locaux, au nom de la souveraineté nationale. Les interventions extérieures peuvent aussi être considérées par les parties en conflit comme favorisant l'une d'entre elles. Dans des situations politiquement instables de ce genre, ou lorsqu'une situation est sur le point d'éclater, le rôle et l'impact potentiel des initiatives de coopération pour le développement mises en oeuvre par l'intermédiaire des autorités en place doivent être examinés de près. La poursuite en période de guerre civile de programmes de développement conçus durant la période précédant le conflit peut s'avérer problématique. La protection des civils et des personnels des organismes d'aide est d'une importance primordiale, si l'on veut que l'aide apporte une contribution constructive avant, pendant et après le conflit.

37. Les activités en faveur de la paix doivent être intensifiées lorsqu'éclate un conflit violent, en vue de renforcer les autres efforts déployés. La phase de consolidation à l'issue du conflit peut être particulièrement fragile et instable. S'attaquer au risque que le conflit reprenne suppose une connaissance approfondie et complète de ses causes profondes et de son contexte. Les mesures visant à remédier aux conséquences de la guerre, telles les programmes de reconstruction doivent en même temps viser à prévenir de nouvelles crises et le retour des affrontements violents.

38. La dynamique des conflits internes fait qu'il est difficile de distinguer clairement où se termine la violence et où commencent les conditions d'une paix véritable. Il faut par conséquent s'efforcer d'identifier, autant que possible, les caractéristiques particulières aux différentes phases des conflits, afin d'aider les agences de développement à s'accorder sur l'analyse de la situation dans laquelle se trouve un pays donné. Les organismes de coopération pour le développement doivent aussi savoir opérer dans des conditions incertaines et instables et être capables de repérer les possibilités d'accompagner les processus de développement même en temps de crise. Ils doivent être prêts à saisir les chances de règlement du conflit et prévoir les opérations de reconstruction. Cependant, le risque d'échec lorsque le contexte opérationnel est aussi incertain doit être pris en compte.

39. Dans la formulation de stratégies de coopération pour le développement dans des situations de conflit, les principes suivants doivent être pris en compte :

-La coopération pour le développement doit s'attacher à favoriser des conditions de stabilité démocratique structurelle, base d'un développement durable.
-Les donneurs doivent s'employer à développer les moyens dont ils disposent pour analyser le contexte socio-politique dans lequel ils fournissent leur aide.
-Le jugement qui doit être porté sur l'importance relative de s'attaquer explicitement aux causes profondes des conflits dans le cadre de stratégies de coopération pour le développement doit être basé sur une analyse détaillée.
-Le cas échéant, cela doit conduire à l'étude de possibilités d'actions préventives. De telles actions doivent chercher à développer les capacités des pays et acteurs partenaires à s'attaquer aux causes profondes des conflits et à développer les institutions et mécanismes nécessaires pour faciliter la conciliation des intérêts divergents et la gestion pacifique des contentieux socio-politiques.
-La coopération pour le développement n'est que l'un des instruments de la politique étrangère : les mécanismes pour la coordination des différents instruments (militaires, politiques, coopération pour le développement, commerciaux) dont disposent les pays donneurs doivent être renforcés.
-De même, une plus grande cohérence entre les composantes politique, militaire et de coopération pour le développement au sein du système multilatéral doit être encouragée.

II. Coordination au sein de la communauté internationale et sur le terrain

A. Principes de base

40. Les pays en développement eux-mêmes sont responsables de leur développement. L'aide extérieure doit mettre à profit les capacités, les ressources et les initiatives nationales, et non s'y substituer. L'un des principes de base de la coopération pour le développement est que l'intégration de l'aide extérieure dans l'action nationale relève de la responsabilité du pays partenaire. Le présent recueil de lignes directrices est, en lui-même, un instrument qui vise, par essence, à une meilleure coordination des actions en faveur d'objectifs communs, auxquels le pays concerné doit adhérer pleinement. Telle est l'une des principales préoccupations des stratégies établies par le CAD dans Le rôle de la coopération pour le développement à l'aube du XXIème siècle, OCDE, 1996.

41. Il existe un large accord sur les principales finalités de la coordination de l'aide : les ressources doivent être acheminées avec autant d'efficacité et d'efficience que le permet la situation au niveau local ; les contributions des nombreux acteurs en présence doivent être complémentaires et distribuées conformément aux priorités et aux politiques locales. En outre, l'aide extérieure doit être gérée de façon à alléger le fardeau qui pèse sur les pays partenaires au lieu d'ajouter encore à leurs propres problèmes de coordination.

42. Compte tenu du caractère volontaire de la coordination de l'aide, son succès sera à la mesure de la valeur ajoutée qu'elle confère aux activités des différents donneurs et agences concernés. Cette "valeur ajoutée" induite par la coordination peut prendre la forme d'une évaluation indépendante des besoins, d'un meilleur accès à l'information ou de la conduite de négociations diplomatiques pour le compte de l'ensemble des donneurs, afin d'assurer l'accès aux victimes et la sécurité de la traversée des zones de conflit.

43. Le caractère volontaire de la coordination de l'aide fait aussi qu'elle est fondamentalement différente de la "gestion", qui implique un contrôle sensiblement plus important des divers éléments en présence. Une bonne coordination n'implique pas qu'il faille faire entrer de force toutes les activités dans un même moule. La diversité des stratégies, et notamment l'expérimentation de nouvelles méthodes peut contribuer à la coordination.

B. Adapter la coordination de l'aide aux pays en crise

44. Dans les pays particulièrement exposés aux conflits, notamment dans des situations de tensions croissantes, il est particulièrement important que les donneurs adoptent des approches communes. Or cela est difficile vu le grand nombre d'associations humanitaires ou d'organismes d'aide au développement qui interviennent dans les situations d'urgence. Les donneurs augmentent souvent leurs contributions lorsque survient une catastrophe, ce qui se traduit souvent par une présence accrue sur le terrain. De nombreuses ONG internationales entreprennent des opérations sur le terrain et les ONG nationales développent leurs activités. Dans ces conditions, les institutions des Nations unies ont un rôle déterminant à jouer au nom de la communauté internationale.

45. En cas de conflit violent, le gouvernement d'un pays peut ne pas être en mesure de définir et d'exprimer les priorités nationales et de coordonner l'aide des donneurs. Dans certains cas extrêmes, l'effondrement d'une autorité centrale peut aboutir à des situations où différentes factions exercent de fait leur autorité sur certaines parties du territoire national. Dans de telles situations, l'acheminement des secours dans les zones échappant au contrôle du gouvernement exige généralement des négociations avec des forces non gouvernementales, voire antigouvernementales, impliquées dans le conflit. Comme souligné au Chapitre I, l'aide extérieure peut être considérée par les parties au conflit comme favorable à l'une d'entre elles.

46. Dans les situations d'après-conflit, un règlement négocié devra établir un compromis entre des positions et des intérêts rivaux quant à la structure politique future. En attendant l'aboutissement des négociations de paix, il se peut qu'il y ait une grande incertitude quant à la structure de pouvoir qui en ressortira.

47. Si, en général, les représentants des principales parties au conflit prennent part à l'élaboration des plans de reconstruction à l'issue du conflit, notamment dans le cadre de négociations de paix, la communauté internationale peut être obligée de prendre davantage d'initiatives qu'en temps normal pour identifier les priorités et veiller à ce que les ressources correspondent aux besoins prévisibles.

48. Dans de telles situations, les donneurs et les organismes d'exécution doivent s'efforcer de travailler avec les représentants des parties en présence aux niveaux national, régional et local, plutôt que de définir eux-mêmes les priorités. Même lorsque les parties en conflit participent à un règlement négocié, les donneurs et organismes d'exécution doivent s'efforcer de coopérer avec des acteurs représentatifs à tous les niveaux. Cela met les multiples organismes concernés (institutions des Nations Unies, donneurs bilatéraux, institutions financières multilatérales, organisations régionales, et ONG locales et internationales) devant une responsabilité toute particulière, qui est de coordonner leurs programmes et de veiller à ce que l'aide d'urgence vienne renforcer et compléter les efforts à long terme de coopération pour le développement.

C. Les bases d'une coordination efficace entre les donneurs

49. Dans la pratique, la coordination de l'aide repose sur cinq éléments :

a) un cadre stratégique commun ;
b) l'accès en temps voulu à des ressources permettant une mise en oeuvre souple ;
c) la direction d'un chef de file ;
d) des mécanismes de consultation et d'échange d'information sur le terrain et
e) la disponibilité de ressources expressément affectées à des objectifs de coordination.

50. Même lorsque ces exigences sont satisfaites, la coordination peut être rendue difficile par des divergences de vues quant à la coordination ou aux mandats des organismes chefs de file, et par la nécessité pour les institutions et organisations participantes de céder une part de leur indépendance et d'accepter le consensus implicite de toute coordination ayant un sens. Pour réussir, la coordination exige de la discipline de la part de tous les participants.

a) Un cadre stratégique commun pour l'aide 51. La coordination doit se fonder sur un large consensus entre les principaux acteurs quant à la façon dont leurs actions et initiatives respectives contribueront à la réalisation d'objectifs partagés. La participation locale doit également être encouragée au maximum. Comme l'aide extérieure ne saurait être dissociée du contexte politique local, national et international, ce consensus doit reposer sur une compréhension profonde des causes et de la dynamique du conflit (en particulier sur "l'économie politique de la guerre") afin d'éviter toute répercussion contre-productive de l'aide extérieure. La dimension régionale des conflits, tant quant à leurs causes qu'à leurs conséquences potentielles doit être prise en compte.

Encadré 3. Un cadre stratégique pour l'aide : liste illustrative de points à aborder (1) Un cadre stratégique exprime le raisonnement sur lequel se fonde le programme d'aide d'urgence et de redressement. Il définit les facteurs politiques, économiques et sociaux sous-jacents et fournit le contexte et la logique permettant une affectation rationnelle de toutes les ressources consacrées aux secours, à la reconstruction et au développement. Les cadres stratégiques représentent à la fois un processus d'établissement d'un consensus et un produit et sont élaborés en concertation avec le gouvernement et les autres partenaires locaux, les principaux donneurs bilatéraux et les institutions de financement internationales. Ils doivent répondre aux questions suivantes :

Analyse de la situation -Quel est le contexte politique, économique, social et de sécurité ? -Quelles sont les implications des événements récents, par exemple le retour en grand nombre de personnes déplacées ?
-Quelle est la réponse du gouvernement à ces événements sur le plan des politiques, de la gestion des affaires publiques, des institutions et de la gestion économique ?
-Quels sont les paramètres macro-économiques ? -Quelles sont les ressources financières nationales et extérieures disponibles ?

Evaluation des risques -Des systèmes politiques en mesure de supporter les tensions et les contraintes de la transition vers la paix peuvent-ils être mis en oeuvre ?
-Les conditions de sécurité suffiront elles a créer un environnement permettant de commencer la reconstruction ?
-L'assistance extérieure pourra-t-elle aider à surmonter les séquelles du conflit violent et mettre en route un processus conduisant à une société plus juste, plus humaine et plus productive ? Réponse du programme
-Quels sont les objectifs du programme, immédiats et à long terme ?
-Quelles sont les principales composantes du programme visant à la résolution du conflit, à la réconciliation et au redressement qui nécessitent un soutien extérieur (par exemple réintégration et reconstruction, renforcement des capacités de gestion des affaires publiques et du système judiciaire) ?
-Un plan a-t-il été établi pour la poursuite de ces objectifs ?
(y compris la mise en place d'un "filet de sécurité" couvrant les besoins élémentaires tels la nourriture, l'eau, le logement, les médicaments, la fourniture de services élémentaires, dans les secteurs de la santé et l'éducation, et autres services sociaux, et la réhabilitation d'infrastructures ; soutien à la reprise des activités économiques permettant d'assurer durablement des moyens d'existence aux populations ; le renforcement des capacités de gestion et d'administration au niveau des communautés) ?
-Une analyse des besoins respectifs des hommes et des femmes a-t-elle été réalisée dans le cadre des programmes essentiels tels ceux concernant la réforme des institutions de sécurité, la réconciliation nationale et le renforcement des capacités administratives ?
-Comment les ressources nécessaires seront-elles allouées à chacun de ces objectifs prioritaires ?

Conditions du succès

-Quelles sont les conditions indispensables à la réussite de l'exécution du programme ?
-Quelle est la capacité des groupes et communautés à l'échelon local d'identifier leurs besoins et d'y faire face ?
-Le rôle des femmes dans la réconciliation et la reconstruction a-t-il été pris en compte explicitement ?
-Existe-t-il une coordination efficace entre les acteurs nationaux et internationaux ?
-Comment peut-on concilier les besoins à court et à long terme et éviter la dépendance ?
-Les modalités de fin du soutien direct ont-elles été établies pour toutes les formes d'aide ?
-Des ressources ont-elles été prévues pour financer les coûts récurrents ?

1. La formulation de cadres stratégiques d'assistance concerne essentiellement le cas de pays se relevant de crise ou de conflit violent. Des approches similaires mais se concentrant sur les questions de prévention des conflits n'ont pas encore été développées de façon rigoureuse.

52. A partir de ce consensus, les donneurs doivent s'efforcer d'élaborer une stratégie commune définissant le contenu et les priorités du programme ainsi que les rôles de décision ou d'exécution qui incombent aux différents acteurs en fonction de leurs avantages comparatifs. Cette stratégie, qui est fonction de la situation et du moment, doit être définie à haut niveau comme étant l'approche qui doit servir de base au dialogue avec les partenaires sur le terrain.

53. Fondée sur une analyse commune des besoins les plus urgents de relèvement politique, économique, administratif ou social, ce cadre stratégique peut servir de guide pour déterminer les priorités des affectations de ressources aux différents secteurs et zones géographiques, répartir le travail entre les acteurs et définir les approches communes des principaux axes d'intervention. Par définition, ce n'est pas une liste de projets mais plutôt un instrument dynamique permettant d'organiser la transition entre les secours d'urgence et l'aide au relèvement à plus long terme.

54. Ce cadre stratégique doit aussi pouvoir faciliter le retrait progressif de l'aide humanitaire et éviter de créer des dépendances durables et faire en sorte que les apports d'aide à plus long terme se fassent dans le contexte d'un plan rationnel de stabilisation macro-économique. Cet aspect est analysé de façon plus détaillée au chapitre V.

b) Des ressources et des procédures souples

55. Le fait de disposer de moyens conjuguant de façon souple les éléments et les caractéristiques des secours d'urgence et du développement peut contribuer pour beaucoup à assurer une aide efficace dans des contextes instables. Les pays sortant d'une crise ou d'un conflit se trouvent généralement au bord de la faillite et ont besoin d'une injection immédiate de crédits pour pouvoir assurer les services essentiels et éviter l'aggravation de la déstabilisation économique.

56. Les procédures de planification, de programmation et de versement doivent permettre de réagir en temps voulu à l'évolution des circonstances et tenir compte des contraintes exceptionnelles auxquelles sont confrontés en matière de ressources humaines beaucoup de pays qui sortent d'une crise. Il est tout aussi indispensable de pouvoir exercer une certaine souplesse quant aux domaines et aux activités qui peuvent bénéficier d'une aide, en fonction des besoins et des priorités spécifiques des pays en crise ou en voie de relèvement, afin d'établir un équilibre entre les besoins humanitaires immédiats et les exigences à plus long terme de la reconstruction et du rétablissement de la paix. Il faut aussi que les donneurs honorent leurs engagements en temps voulu.

57. Les organismes donneurs doivent faire preuve de souplesse dans le choix des instruments de collecte de fonds ce qui doit être reflété dans la façon dont les appels de fonds communs et autres actions concertées entre donneurs (tables-rondes, groupes consultatifs) sont organisés. En définissant précisément la logique et les besoins en moyens financiers des programmes de construction de la paix et de reconstruction, ce cadre stratégique peut contribuer à guider les donneurs dans leurs décisions concernant l'affectation des ressources allouées à l'aide.

Encadré 4. Stratégie internationale de mobilisation de ressources : l'expérience du Cambodge

La guerre civile au Cambodge aura duré 13 ans avant que la signature en octobre 1991 d'un accord de paix par les factions et pays concernés (Accords de Paris) ne permette d'aboutir à un cessez-le-feu ouvrant la voie à un processus global de paix.

Les Accords de Paris ont également amené la communauté internationale à accroître son aide au Cambodge. Les pays et organisations internationales ayant participé à la Conférence ministérielle sur la réhabilitation et la reconstruction du Cambodge, qui s'est tenue à Tokyo en juin 1992, se sont engagés à verser un total de 880 millions de dollars américains. Ils ont en outre décidé de créer un Comité international pour la reconstruction du Cambodge (CIRC), chargé de coordonner l'aide à moyen terme et à long terme fournie au Cambodge à l'appui de la reconstruction. Trois réunions du CIRC ont eu lieu, en septembre 1993, mars 1994 et mars 1995, avec pour résultat des engagements d'un total de 1 079 millions de dollars américains. Grâce au volume total de l'APD provenant des Membres du CAD et d'institutions internationales comme le FMI et l'IDA, l'assistance financière que reçoit le Cambodge a pris sa pleine ampleur depuis 1994.

Le CIRC a non seulement prouvé son efficacité en tant qu'élément essentiel de la coordination de l'aide internationale, mais a aussi joué un rôle de catalyseur pour mobiliser des ressources à l'appui de l'aide au Cambodge. L'un des principaux facteurs ayant contribué à la relative réussite du processus de paix au Cambodge a été la concrétisation et la mise en oeuvre de l'aide promise par les pays concernés. Elle a permis une stabilisation progressive de la vie quotidienne du peuple cambodgien.

En 1996-97, l'aide internationale au Cambodge est entrée dans une nouvelle phase. La mission du CIRC a été relayée par le Groupe consultatif en faveur du Cambodge. La première réunion du Groupe consultatif s'est tenue en juillet 1996 à Tokyo sous la présidence conjointe de la Banque mondiale et du Japon. Le montant total des engagements annoncés à la réunion, soit 501 millions de dollars américains, était presque équivalent au montant des besoins en ressources extérieures des autorités cambodgiennes pour la même année.

c) Direction d'un chef de file parmi les acteurs internationaux

58. Dans le cadre d'approches axées sur le renforcement de la participation, la responsabilité et les capacités des acteurs locaux, un mécanisme peut s'avérer nécessaire pour susciter un consensus de la part des partenaires extérieurs autour d'une stratégie commune et en assurer le respect. On peut par exemple, envisager la désignation d'une autorité indépendante chargée de contrôler l'observation par les donneurs des principes arrêtés d'un commun accord.

59. L'expérience tend à montrer que la coordination de l'aide technique et financière gagnent à être placés sous la direction d'une agence bilatérale ou multilatérale jugée crédible par les donneurs et les bénéficiaires de l'aide. Différents organismes et différents donneurs ont assumé ce rôle et il paraît souhaitable de maintenir la même souplesse dans l'exercice de cette fonction. L'agence "chef de file" est responsable de la bonne diffusion des informations dans la situation de désordre qui risque de régner pendant ou au lendemain de la crise. C'est là quelque chose d'essentiel si l'on veut assurer que les diverses activités financées par les donneurs soient compatibles avec les principes définis d'un commun accord et qu'elles se renforcent mutuellement.

60. Outre l'absence de parti-pris à l'égard des principales belligérants, un certain nombre de critères doivent présider au choix d'une agence ou donneur chef de file :

-l'engagement d'assumer le rôle de chef de file et l'acceptation des risques correspondants, et notamment celui de devoir prendre des décisions qui peuvent ne pas être favorablement accueillies par l'opinion publique du pays donneur ;
-la connaissance des facteurs culturels, historiques, ethniques et linguistiques en jeu dans le pays ou la région ;
-une expérience préalable de l'apport d'une aide effective dans les situations de crise ;
-la capacité de mobiliser rapidement un personnel qualifié et expérimenté ;
-la capacité de mobiliser d'importantes ressources financières.

d) Mécanismes de consultation opérationnelle

61. Dans le cadre d'une stratégie arrêtée d'un commun accord, la coordination au niveau opérationnel exige que soient clairement définies les relations entre le siège et le personnel présent sur le terrain et que suffisamment de responsabilités administratives et financières soient déléguées à celui-ci pour qu'il puisse faire face à l'évolution de la situation. Certains organismes pourraient devoir procéder à une bien plus grande décentralisation des responsabilités et s'assurer les services de personnel de terrain spécialement recruté et formé.

62. Le processus de consolidation de la paix doit être appuyé par des initiatives au niveau des communautés locales. Les mécanismes de coordination de l'aide au lendemain d'un conflit doivent donc être aussi décentralisés que le permettent les circonstances, et impliquer les capacités et institutions nationales, régionales et locales. A l'échelon local, le nombre d'acteurs est généralement moins élevé que dans la capitale, de sorte que les représentants de l'ensemble des organisations en présence peuvent se réunir régulièrement. Cela contribue à l'efficacité de la coordination.

63. On n'insistera jamais trop sur l'importance de disposer d'une base d'informations commune et de partager une même analyse de la situation et de son évolution. De nombreux problèmes de coordination résultent des différences de perception entre les divers acteurs qui sont source de divergences d'opinion quant aux conséquences potentielles des interventions.

64. Toutes les parties doivent être encouragées à mettre en commun les informations concernant l'évolution de la situation tant au plan socio-politique que du point de vue de la sécurité, ainsi que les progrès accomplis dans l'exécution des programmes et des mesures prises à cet égard par le gouvernement. Chaque acteur devrait disposer d'informations sur tous les facteurs qui entrent en jeu, y compris l'aide dispensée par les autres organismes donneurs, afin de prendre des décisions en toute connaissance de cause. Les informations recueillies sur le terrain concernant les effets, les défauts ou les incohérences des programmes doivent être communiquées aux hauts responsables sur le terrain et au siège.

65. Les organisations et organismes concernés ne peuvent tous participer directement aux réunions de l'organe de coordination. Lorsque le nombre des ONG est important, elles devraient être encouragées à créer leurs propres structures de coordination pour les représenter dans le cadre de mécanismes de coordination et d'échange d'informations plus larges.

66. L'important volume de ressources mobilisées pour les secours et la reconstruction fait qu'il est essentiel de mettre en place un instrument moderne pour suivre systématiquement les flux d'aide. Il est à cet égard urgent d'établir des définitions communes des éléments de la nomenclature correspondante : déclarations d'intention, annonces de contribution, engagements prévisionnels, engagements de dépense et versements. L'utilisation des mêmes termes dans des acceptions différentes peut être source de confusion sur le terrain comme au siège et contrarier les efforts pour constituer des bases de données communes.

e) Affectation de ressources aux activités de coordination

67. La coordination nécessite des ressources. Les institutions des Nations Unies qui ont, de par leur mandat, des attributions générales en matière de coordination ne peuvent généralement pas financer les dépenses au titre de la coordination sur leurs budgets administratifs ordinaires. Ils en sont par conséquent réduits à financer leurs activités de coordination au moyen des ressources destinées aux projets ou de celles découlant d'appels spéciaux à la communauté des donneurs. Dans un petit nombre de cas, les coûts de coordination ont été couverts par les budgets de maintien de la paix votés par l'Assemblée générale. Le manque de prévisibilité de ces diverses méthodes de mobilisation de ressources pour les besoins de la coordination a souvent abouti à des situations de grave pénurie de moyens financiers, à de fausses économies, et à des inefficacités.

D. Partenariats et répartition des tâches

68. Les institutions des Nations Unies et les autres organisations multilatérales sont souvent appelés à assumer un large éventail de responsabilités, en particulier dans le domaine de la coordination et de la direction des efforts, en matière de coopération internationale dans le cadre des opérations de secours et de l'aide au développement. C'est là une reconnaissance du fait que la coordination de l'aide extérieure est mieux assurée par un organisme réputé sans parti-pris et capable dans le même temps d'incarner la volonté collective de la communauté internationale. Lorsque ces organisations ne sont pas jugées à même d'assumer ce rôle de coordination, d'autres mécanismes de coordination peuvent être mis en place comme mentionné plus haut.

69. Les ONG jouent souvent un rôle important pendant et après les situations de crise. Leur seul nombre, la diversité de leurs mandats et la disparité des moyens de fonctionnement dont elles disposent font que la coordination est essentielle pour assurer la cohérence de leurs efforts conjugués. En l'absence de mécanismes de coordination efficaces entre les ONG, les mandats et les méthodes de collecte de fonds de certaines ONG peuvent détourner l'aide de la satisfaction effective des besoins jugés prioritaires par le gouvernement partenaire, les Nations Unies ou des donneurs bilatéraux. Les donneurs qui s'en remettent aux ONG pour acheminer leur aide doivent s'assurer que les organisations qu'ils financent ont la capacité de remplir les fonctions qui leurs sont assignées et se conforment aux politiques, aux programmes et aux règles de conduite arrêtés d'un commun accord.

70. L'acheminement de l'aide humanitaire au cours de conflits armés impose de faire face à des situations particulièrement difficiles et dangereuses. Les ONG jouent un rôle principal dans l'acheminement de l'aide et les institutions spécialisées des Nations Unies ont très souvent recours à leurs services dans le cadre de partenariat. Etant souvent les premières à entreprendre des opérations de secours, elles se heurtent à des défis particuliers. Les conditions extrêmement difficiles dans lesquelles les opérations humanitaires sont menées, pour sauver le maximum de vies humaines, peuvent nuire à l'évaluation des besoins et aux efforts de coordination. Cela doit être pris en compte lorsqu'on évalue les performances des ONG. Encadré 5. Coordination de l'aide humanitaire en Angola L'Angola a sombré une nouvelle fois dans la guerre civile en octobre 1992, après seulement dix-huit mois de paix. En l'espace de quelques années, environ quatre millions d'Angolais se sont retrouvés dans une situation exigeant des secours d'urgence. Ce chiffre a pratiquement doublé entre 1993 et 1994. De violents affrontements ont eu lieu dans tout le pays. L'économie s'est effondrée, les travaux agricoles se sont interrompus, les relations commerciales ont été bouleversées, les services sociaux ont cessé de fonctionner et les familles ont été séparées. La reprise des combats et la crise humanitaire qui en est résulté a pris par surprise la plupart des organisations humanitaires.

En mars 1993, le gouvernement, qui n'avait plus accès à la plus grande partie du territoire, a demandé aux Nations Unies de l'aider à faire face à la crise humanitaire montante. Les principaux donneurs et ONG ont appelé à la mise en place d'un mécanisme de coordination des secours humanitaires, ce qui a conduit à la création par le Département des Affaires humanitaires des Nations Unies de l'Unidade de Coordenacão para Assistência Humanitaria (UCAH).

Coordination et non pas intervention

Uniquement créée à des fins de coordination, l'UCAH n'était pas chargée de la mise en oeuvre des programmes, ce qui lui a permis de jouer un rôle de premier plan dans l'évaluation des besoins humanitaires des populations victimes de la guerre. Dans l'accomplissement de cette mission, l'UCAH a pu s'appuyer sur l'expérience du personnel détaché auprès d'elle par les principaux organismes des Nations Unies en Angola.

En définissant les rôles et les responsabilités des divers organismes impliqués, l'UCAH a pu créer des conditions de coopération acceptables: les organismes des Nations Unies se concentreraient sur les problèmes d'ensemble tels que la logistique ou la sécurité, alors que les ONG présentes sur le terrain se focaliseraient sur les problèmes plus circonscrits tels que la distribution de vivres dans les villes et les villages.

Etant politiquement neutre et indépendante, au plan opérationnel, de la Mission de vérification des Nations Unies, l'UCAH a pu en outre engager des négociations tant avec le gouvernement angolais qu'avec les rebelles de l'UNITA (Uniao Nacional para a Independencia Total de Angola) afin de repérer les populations ayant le plus besoin d'aide et garantir la sécurité des convois d' aide humanitaire.

En termes pratiques, la coordination comprenait les éléments suivants : L'échange d'informations entre les donneurs bilatéraux, les organismes des Nations Unies et les ONG participant aux secours d'urgence a comporté la préparation de bulletins hebdomadaires récapitulant les principaux événements liés aux divers programmes humanitaires en cours; de notes de synthèse sur la situation dans les principales villes et provinces ; de rapports d'évaluation de la situation et des besoins ; ainsi que de rapports spéciaux sur les problèmes rencontrés dans certains domaines tels que l'agriculture et la nutrition.

Consultations régulières avec les donneurs bilatéraux et les ONG en vue d'examiner des problèmes et des programmes spécifiques, l'évaluation des besoins sur le terrain et la coordination et la mobilisation des ressources nécessaires pour y répondre. L'UCAH a apporté aux ONG une aide en matière de communications et de transports et a soutenu leurs efforts de mobilisation de ressources financières en les associant aux appels de fonds.

Evaluations conjointes des besoins, conjointement avec le gouvernement ou l'UNITA, ainsi qu'avec des donneurs bilatéraux, des organismes des Nations Unies et des ONG nationales et internationales. Il convient de noter que l'UCAH a été en mesure d'obtenir la coopération de l'UNITA en dépit des sanctions imposées à son encontre par le Conseil de sécurité des Nations Unies à la suite de la reprise des hostilités.

Liaison entre les opérations de secours et le développement à long terme L'UCAH a compris qu'il était nécessaire de définir les actions de secours en fonction des impératifs à long terme de la reconstruction et du développement. En février 1994, lorsque les perspectives d'aboutissement des négociations de paix se sont améliorées, l'UCAH a insisté sur la nécessité que les donneurs bilatéraux, les organismes des Nations Unies et les ONG planifient la reconstruction et le redressement du pays à l'issue du conflit. Les priorités étaient la réintégration des personnes déplacées et des anciens combattants et le déminage.

E. Meilleures pratiques recensées

71. Les donneurs et les organismes d'exécution ont intérêt à coopérer pour faire en sorte que : -les conditions préalables d'une bonne coordination soient réunies et que des ressources financières suffisantes soient fournies à cet effet ;

-dans toute la mesure du possible et s'il y a lieu, le gouvernement soit encouragé à prendre la direction du processus de coordination ;
-les organismes gouvernementaux bénéficient de l'assistance technique requise pour pouvoir assumer les fonctions de gestion de l'urgence.

72. Les efforts de coordination doivent chercher à promouvoir la cohérence des actions des différents donneurs et agences d'aide au service des principaux objectifs communs. Quels que soient les mécanismes de coordination mis en place, ils ne doivent pas entraver les initiatives de réponses rapides ni l'innovation de la part de donneurs individuels. Dans le cadre d'approches stratégiques communes, les différents acteurs doivent formuler et mener leurs actions selon leurs avantages comparatifs. L'absence de soutien des efforts de l'organe de coordination ou l'indifférence à son égard peuvent cependant nuire à son efficacité. Un soutien actif peut être apporté sous plusieurs formes, par exemple :

-en faisant volontairement passer au second plan les intérêts « exclusifs » afin de soutenir les programmes et les politiques de nature consensuelle préconisés par l'organe de coordination ;
-en simplifiant les règles et procédures de programmation et de décaissement;
-en restant dans les limites de la stratégie commune définie conjointement par les donneurs et les bénéficiaires ;
-en apportant une contribution aux fonds d'affectation spéciale créés par l'organe de coordination pour assurer la mise en oeuvre des politiques et des programmes définis d'un commun accord ;
-en collaborant à la collecte d'informations afin que des données complètes sur les programmes d'aide en cours puissent être réunies ;
-en proposant de détacher du personnel auprès de l'organe de coordination et en participant activement aux efforts de coordination.

73. Pour une meilleure coordination des actions des ONG, les donneurs et les partenaires (y compris les institutions des Nations Unies) qui contribuent à leur financement devraient :

-Définir les principes communs qui régiront le financement de différents types d'opérations et d'activités. Ces principes pourraient notamment porter sur des éléments tels que le financement des frais généraux et des dépenses de fonctionnement.
-Veiller à la transparence du financement qu'ils apportent aux activités des ONG afin d'éviter lacunes et doubles emplois.
-Etablir des critères de supervision et de contrôle des activités des ONG financées sur fonds publics conformément aux normes de résultat définies d'un commun accord et aux principes humanitaires de base. L'examen des résultats ne doit pas se limiter aux questions d'efficience et d'efficacité par rapport aux coûts mais doit également couvrir les aspects relatifs au respect de la stratégie commune définie par les donneurs.
-Encourager et soutenir les activités des ONG locales, en renforçant leur capacité à travailler en réseau avec les organisations internationales soeurs.
-Les ONG et les autres organismes fournissant des services dans des situations de conflit et après un conflit devraient veiller à assurer la participation appropriée des femmes parmi leur personnel afin d'être en mesure de communiquer de façon satisfaisante avec les populations visées et d'acheminer l'aide avec efficacité.

F. Orientations à l'intention des donneurs

74. Toutes les parties concernées doivent donner leur appui à l'organe de coordination, l'assister dans ses efforts de collecte et de traitement de l'information, et répondre – autant que faire se peut – à ses invitations à une action commune.

75. Les responsables des programmes et le personnel d'exécution sur le terrain sont les mieux placés pour observer et juger quelles sont les mesures qui donnent effectivement des résultats et pour identifier les synergies ou les chevauchements entre les différents programmes. La coordination sur le terrain exige des mécanismes spéciaux pour définir d'un commun accord les principales règles de coordination et les moyens de les traduire dans la pratique.

76. Les ONG sont souvent tenues de respecter les principes d'impartialité et d'indépendance dans la fourniture d'aide. Des interventions apparemment impartiales peuvent cependant contribuer à aggraver les tensions et ainsi aller à l'encontre des objectifs et des principes généraux collectivement définis par les donneurs. C'est aux donneurs qu'il incombe de s'assurer que les organisations dont ils financent les programmes respectent bien les politiques recommandées. Les gouvernements bailleurs de fonds doivent être prêts à se montrer fermes, en cas de besoin pour assurer le respect de la politique convenue s'ils veulent que la coordination ne soit pas compromise.

77. Grâce à leur connaissance de la situation locale et aux ressources humaines dont elles disposent, les ONG locales et des autres entités de la société civile ont souvent un avantage comparatif en ce qui concerne la fourniture d'aide dans un certain nombre de domaines. Ceux-ci comprennent le développement communautaire, la gestion des différends au niveau local, le redressement économique et social à l'issue d'une crise et la réconciliation au lendemain d'un conflit et, de façon plus générale, le renforcement des capacités de gestion des catastrophes. Elles mettent souvent davantage l'accent sur la nécessité que l'aide s'inscrive dans la durée que les organisations extérieures au pays. Les ONG locales, qu'elles soient indépendantes ou affiliées à une ONG extérieure au pays, doivent être invitées à participer aux mécanismes opérationnels et de coordination et elles doivent être traitées en partenaires à part entière.

78. Immédiatement après une crise, il peut y avoir une période d'incertitude quant à l'organisme qui assurera la coordination ou tiendra le rôle de chef de file. Plusieurs organismes peuvent remplir les conditions requises et être disposés à assumer cette fonction. Cela met en évidence la nécessité d'un mécanisme permettant d'assigner d'autorité cette responsabilité dans les plus brefs délais afin de réduire au minimum les risques de controverses institutionnelles. Il pourrait s'avérer nécessaire d'y ajouter des mécanismes et des procédures favorisant la résolution rapide des divergences d'opinion.

79. Les ambassades possèdent d'ordinaire une bonne connaissance des divers problèmes qui se posent au niveau de l'action et du financement, du fait de leur participation à d'autres réseaux de coordination au sein du pays, aux réunions des groupes consultatifs sous l'égide de la Banque mondiale ou aux tables rondes présidées par le gouvernement du pays concerné et par le PNUD. Elles devraient donc, de par leur expérience et leurs connaissances, être bien placé pour influer sur le processus de coordination et pour intégrer les activités bilatérales dans le programme d'ensemble. Ces réseaux de coordination au niveau de pays devraient aussi tenir compte de la dimension régionale des questions qu'ils traitent.

Encadré 6. Coordination entre les organismes multilatéraux En 1991, l'Assemblée générale des Nations Unies a créé et placé sous l'autorité d'un Coordonnateur des secours d'urgence un Département des Affaires humanitaires auquel il est clairement donné pour mandat d'assumer un rôle directeur dans la coordination de l'aide d'urgence dans les pays en crise. Le Département des Affaires humanitaires s'appuie sur le soutien et l'avantage comparatif des autres organismes des Nations Unies susceptibles d'apporter une contribution technique ou spécialisée à ce processus. Les acteurs suivants ont un mandat et des responsabilités officiels en matière de protection et d'aide humanitaires :

-le Coordinateur de secours d'urgence du Département des Affaires humanitaires des Nations Unies en ce qui concerne la coordination générale des secours humanitaires à travers le système de coordinateurs résidents des Nations Unies ;
-le Coordonnateur à l'échelon national des activités d'aide humanitaire des Nations Unies, lequel est, à quelques rares exceptions près, le Coordonnateur résident des Nations Unies pour les opérations de développement;
-le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), s'agissant des besoins des réfugiés et des personnes en situation similaire ;
-le Programme alimentaire mondial (PAM), concernant la fourniture d'aide alimentaire ;
-l'UNICEF, en ce qui concerne les besoins des femmes et des enfants ;
-l'Organisation internationale des migrations (OIM), pour les flux migratoires ;
-le CICR et la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, en ce qui concerne les activités générales de secours. Dans la plupart des crises humanitaires, la fourniture d'aide d'urgence se conjugue à des efforts de reconstruction et de développement. Les organisations humanitaires doivent s'assurer que les opérations de secours ne nuisent pas aux objectifs à long terme des initiatives de développement. Au niveau multilatéral, ces préoccupations relèvent de la compétence :
-du PNUD, qui traite de l'ensemble des problèmes de développement ;
-du FMI et de la Banque mondiale, qui donnent des avis sur le cadre macro-économique ; -des institutions spécialisées et autres programmes des Nations Unies, chacun dans sa sphère d'activités, lesquels entretiennent des relations de coopération dans le cadre du réseau de Coordonnateurs résidents des Nations Unies. Compte tenu de la fréquente conjugaison des interventions d'urgence et des actions d'aide au développement, le Département des Affaires humanitaires et le PNUD se sont efforcés d'établir des relations de travail étroites et structurées. La complémentarité de leurs mandats devrait leur permettre de contribuer à regrouper les différentes composantes du programme dans des appels de fonds communs et à créer un consensus parmi les organismes d'aide sur les questions ayant une incidence sur le programme.

Au niveau du pays, le coordonnateur résident des Nations Unies constitue d'ordinaire une « équipe de gestion des situations de catastrophe » et assure pour le compte du Département des Affaires humanitaires la coordination de l'aide humanitaire fournie par le système des Nations Unies, en saisissant toutes les occasions de faciliter la transition entre les opérations de secours et l'aide au développement.

Dans certains pays, des opérations de maintien de la paix d'une durée limitée sont décidées par le Conseil de sécurité, ce qui donne aux Nations Unies de nouvelles responsabilités dans le domaine politique et militaire. Toutes ces activités sont alors coordonnées par le Représentant spécial du Secrétaire général, auquel les organismes et les institutions spécialisées des Nations Unies impliqués sont invités à prêter leur concours.

80. Une certaine rivalité peut apparaître sur le terrain lorsque les organismes d'exécution entrent en compétition pour obtenir des ressources et le soutien des donneurs. Les donneurs doivent être conscients de cette forme de concurrence, car elle peut avoir des effets néfastes sur la coordination et l'efficacité de l'aide. La transparence des diverses sources de financement des activités des ONG peut grandement faciliter la coordination.

81. La création de comités ou de groupes de travail sectoriels responsables de l'articulation des politiques et des programmes propres à chaque secteur, dans un cadre stratégique défini d'un commun accord, peut contribuer à une bonne coordination. Si ces comités ne peuvent être placés sous l'autorité du gouvernement hôte, ils doivent à tout le moins compter sur sa participation active. Les donneurs et les organismes d'exécution peuvent alors prendre part aux comités qui présentent pour eux un intérêt particulier. Il est également possible de confier la direction de chaque comité à un organisme donneur spécifique.

82. Les coûts, tant financiers qu'en personnel, imposés par la coordination doivent être explicitement reconnus et pris en compte lors de la formulation des programmes d'aide et de l'établissement des budgets correspondants. Si les ressources affectées aux fonctions de coordination sont insuffisantes, la coordination peut en souffrir d'autant, causant toutes sortes d'inefficacités.

III. De l'aide humanitaire au développement: les défis à relever

A. L'aide extérieure dans les situations de conflit

83. Dans les situations d'urgence complexes, l'aide extérieure injecte des ressources substantielles dans un contexte de grande pénurie, où la maîtrise des ressources est un objectif important pour les parties en conflit. Si l'on considère souvent que l'aide est un levier puissant pour la consolidation de la paix et la réconciliation, elle peut aussi avoir l'effet contraire et aggraver les rivalités en faisant monter les enjeux de la lutte pour le pouvoir politique. Dans des situations de conflit ouvert, le droit à l'aide humanitaire doit être maintenu. En même temps, les donneurs doivent être conscients de ce que même si l'aide se veut équitable, elle est souvent perçue comme étant destinée, bien au contraire, à favoriser l'une des parties en conflit. Ainsi, l'aide extérieure peut contribuer à nourrir les tensions, soit indirectement, soit suite à des manipulations délibérées de la part de partenaires locaux participant à sa distribution.

84. Bien qu'en matière humanitaire, le principe d'impartialité ne soit pas contesté, il est parfois très difficile de le traduire en termes opérationnels dans des situations de conflit. Dans les situations marquées par la violation systématique des droits de l'homme, la purification ethnique, le génocide et autres crimes de guerre, l'absence de parti-pris vis-à-vis des parties en conflit, dans le cadre de critères humanitaires clairement formulés et respectés, peut s'avérer un meilleur guide, bien qu'il soit également difficile à mettre en pratique. Le respect de ce principe suppose que l'aide extérieure soit distribuée de sorte qu'aucune des parties en conflit ne puisse en tirer un avantage politique ou militaire. Cela implique donc que l'aide extérieure soit perçue par les belligérants comme étant distribuée de façon équitable.

85. Etant donné le contexte politique dans lequel s'insère inévitablement l'aide humanitaire, l'expérience montre que les organismes d'aide doivent éviter en particulier les situations suivantes :

-Les parties en guerre peuvent essayer de monopoliser l'accès aux ressources de l'aide humanitaire, en particulier alimentaire, pour en tirer une force politique supplémentaire. Elles peuvent aussi en tirer profit indirectement en vendant des fournitures humanitaires volées.
-L'aide humanitaire peut contribuer indirectement à prolonger le conflit en permettant aux belligérants, aussi bien gouvernement en place que mouvements d'opposition, de se dérober à l'obligation de répondre aux besoins urgents des populations civiles et de rechercher des solutions politiques au conflit.
-Les programmes qui aboutissent à mieux traiter les réfugiés rapatriés que les personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays et les autres groupes touchés par le conflit peuvent susciter des tensions entre ces différents groupes.

86. Lorsque l'hostilité est de longue date, il faut souvent négocier avec les parties en conflit pour obtenir la sécurité de passage des secours humanitaires. Cela peut être l'occasion de convaincre les antagonistes de l'équité des interventions d'aide extérieure et en fin de compte mettre les donneurs en meilleure situation pour contribuer à la solution du conflit. Inversement, la pratique qui consiste à offrir de l'argent aux belligérants pour s'assurer l'accès aux populations qui attendent des secours peut contribuer directement à donner autorité et légitimité à ceux qui ont recours à la violence. La pratique de négocier l'accès des secours humanitaires peut aussi conduire à la diversion d'une grande partie de l'aide et à la détourner des populations les plus nécessiteuses.

87. Il importe par ailleurs de ne pas créer chez les bénéficiaires de l'aide une situation de dépendance. Les objectifs à court terme et à long terme des opérations de secours peuvent être contradictoires, ce qui est efficace pour sauver des vies peut dans certains cas rendre plus difficiles les solutions à plus long terme. Trois exemples suffisent à le montrer :

-Une politique de distribution gratuite de semences et d'outils agricoles aux paysans après une période de conflit violent peut contribuer à atténuer les pénuries alimentaires au cours des premières campagnes agricoles postérieures à la crise. Elle peut cependant également contribuer à créer une dépendance des agriculteurs si elle est continuée au delà de cette période, de sorte que lesdits agriculteurs se mettent à considérer ces distributions gratuites comme allant de soi, réduisant d'autant leur épargne et leurs investissements. Qui plus est, la distribution gratuite d'intrants agricoles aux paysans qui cultivent des terres occupées sans titre peut contribuer à légitimer cette situation de fait, semant les germes de conflits futurs lorsque les véritables propriétaires reviendront réclamer leur bien. Les considérations à court terme, telles la nécessité urgente de relancer la production agricole et la charge administrative qu'imposerait le recouvrement du coût des intrants auprès des bénéficiaires, peuvent par conséquent aller à l'encontre des objectifs à long terme, qui sont de promouvoir la prise en charge des individus par eux-mêmes et la réconciliation.
-Si les regroupements de population peuvent, du point de vue logistique, faciliter l'acheminement des secours, ils peuvent aussi favoriser la dépendance en éloignant ces populations de leurs moyens d'existences habituels et contribuer à affaiblir la cohésion sociale.
-L'aide humanitaire d'urgence peut avoir pour effet d'affaiblir sensiblement les structures administratives locales qui sont souvent court-circuitées par des ONG mieux équipées pour assurer ce service. La réduction de la vulnérabilité et l'amélioration de la capacité de répondre à l'urgence dans l'avenir impliquent l'établissement progressif d'institutions locales compétentes. Si un large recours à des équipes de spécialistes expatriés, peut être inévitable au départ, il est impératif de se fixer pour objectif prioritaire de passer rapidement le relais aux institutions locales.

88. Pour éviter de tomber dans ces pièges, une compréhension parfaite de la dynamique locale, nationale, régionale et internationale du conflit est indispensable. Il faut en outre exercer un suivi étroit de l'aide extérieure, afin de détecteur toute répercussion négative et de mettre les forces politiques au service de la paix et d'une réconciliation durable. Cela implique notamment d'examiner les avantages que certains groupes tirent du conflit et de sa pérennisation (sur le plan du statut, des gains matériels, des conditions d'existence, du soutien politique, de l'identité individuelle et collective) et de déterminer quels sont les obstacles politiques qui se dressent sur le chemin de la paix.

89. L'impact social de l'aide sur les différents groupes bénéficiaires doit être examiné. Les hommes et les femmes ont des besoins matériels et sociaux différents, et qui peuvent par ailleurs être profondément modifiés par les conflits violents. L'insécurité et les déplacements forcés peuvent avoir pour conséquences des changements importants en ce qui concerne l'accès aux ressources essentielles telles que la terre, la main-d'oeuvre, les outils et les intrants agricoles. Les relations sociales peuvent aussi se trouver profondément modifiées par de nouvelles distributions des rôles entre hommes et femmes, et l'érosion des valeurs traditionnelles. En analysant et en prenant en compte de façon explicite les différentes vulnérabilités des hommes et des femmes, les stratégies de secours d urgence et de réhabilitation peuvent renforcer leur impact et améliorer leur rapport coût-efficacité.

90. Les spécificités liées au sexe devraient être un facteur primordial dans la distribution des ressources dans le contexte des secours d'urgence et de l'aide au développement. La distribution de vivres aux hommes, par exemple, peut porter atteinte au rôle des femmes dans la gestion de la consommation alimentaire des ménages, avec des conséquences socio-économiques durables. En tant que fournisseurs importants de ressources, les organismes d'aide peuvent souvent contribuer au développement de nouveaux rôles pour les hommes et les femmes, là où c'est approprié, et à favoriser l'émergence de nouveaux réseaux de relations sociales.

91. La recherche de solution à la question de savoir si cette distribution doit se faire par l'intermédiaire des structures communautaires, aux chefs de ménage ou directement aux individus, doit commencer par la compréhension de ses effets sur les relations hommes-femmes. L'analyse de la place respective des hommes et des femmes dans la société est nécessaire pour déterminer les différences entre ces deux groupes de population sous l'angle de la vulnérabilité aux crises, de la capacité à les affronter et des stratégies adoptées pour y faire face. Elle peut également aider à mettre en lumière l'inégalité des rapports de force sous-jacents à l'organisation sociale afin de faire en sorte que les femmes ne soient pas encore plus marginalisées par les opérations de secours.

92. Donner aux femmes une influence sur les décisions est un élément clé d'une approche tenant en compte les statuts respectifs des hommes et des femmes. Il faut pour cela du personnel formé en la matière, pour comprendre les types de relations qui existent entre hommes et femmes et déterminer les méthodes d'examen préalable des programmes qui permettront de détecter les vulnérabilités propres à chaque sexe et de définir les réponses à y apporter. Il faudra rechercher dès le début du processus de consultation les moyens de faire en sorte que les femmes soient représentées dans les institutions locales. Consulter tout le monde n'est pas toujours possible en période de crise aiguë. Il importe par conséquent de mettre en place le plus tôt possible des mécanismes permettant à tous les acteurs d'avoir voix au chapitre lors des prises de décisions.

B. Enseignements de l'expérience

93. En période de crise, les fortes pressions exercées par les médias et l'opinion publique dans les pays donneurs en faveur d'une réaction rapide pour secourir le plus grand nombre de victimes possible peuvent se traduire par des apports d'aide sur une grande échelle. Compte tenu de l'impératif humanitaire de répondre rapidement et efficacement aux besoins des victimes, c'est souvent la seule solution possible. Bien que la sympathie du public et l'intervention des médias aident à mobiliser les ressources nécessaires aux opérations de secours, elles ne sont pas obligatoirement propices à des décisions réfléchies concernant les formes d'intervention les plus appropriées. Des ONG inexpérimentées peuvent nuire aux efforts d'acteurs déjà en place, et l'attention des médias peut même influer sur la formulation des programmes d'aide et créer des distorsions dans l'évaluation des priorités en matière de fourniture d'aide, voire les entraver.

94. Les agences et ONG spécialisées dans les secours en cas de catastrophe ont rendu des services considérables dans de nombreuses situations d'urgences. Elles se sont efforcées principalement de sauver des vies et de soulager des souffrances, consacrant moins d'attention aux besoins à long terme des bénéficiaires. Une planification à plus long terme doit être mise en oeuvre dès la phase initiale des opérations de secours, afin d'aider les bénéficiaires à retrouver leur autonomie et d'éviter de créer des situations de dépendance vis-à-vis de l'aide externe Etant souvent les premières sur le terrain, les ONG sont souvent conduites à décider, par défaut, des critères et règles à appliquer dans la distribution de l'aide humanitaire. Leurs interventions initiales peuvent ainsi déterminer le cours des programmes ultérieurs. Au début des crises, l'absence de principe et règle opérationnelle pour guider les actions humanitaires est une véritable carence qu'il ne faut pas ignorer.

95. Les secours humanitaires qui ne s'accompagnent pas de plans d'aide à plus long terme peuvent également contribuer à affaiblir l'administration locale. Dans les situations de crise, les structures locales, souvent déjà fragiles, peuvent être totalement dépassées si les organismes internationaux d'aide humanitaire mettent en place des systèmes parallèles pour acheminer et distribuer les secours. Le vide administratif que crée par la suite le départ de ces organismes entrave les efforts de redressement.

C. Lier secours et développement

96. Pour les besoins de l'analyse, on a souvent décrit le passage d'une situation d'urgence à la phase de développement à long terme comme un continuum. Or, ce n'est pas ce qui se passe dans la réalité où les choses ne suivent pas un schéma, une chronologie ou un ordre établis. En temps de crise, les secours d'urgence, les activités de reconstruction et l'aide au développement coexistent avec d'innombrables interactions. Le problème est de surpasser les distinctions fonctionnelles entre les divers organismes et de ne pas se borner à coordonner les objectifs de secours d'urgence, de reconstruction et de développement, mais de les intégrer dans une stratégie à long terme.

97. Les périodes de crise prolongées sont l'occasion de réaliser des investissements visant à accroître la capacité de faire face aux crises, surtout parmi les groupes les plus vulnérables. Ainsi, la constitution de stocks de semences et alimentaires d'urgence au niveau des collectivités de base, peut contribuer directement à limiter les risques de déplacement massif de populations lors des catastrophes, et à réduire ainsi l'impact des urgences humanitaires et les besoins en secours. Dans la pratique, cependant, si chacun reconnaît l'importance de la préparation aux catastrophes dans les stratégies de développement durable, les affectations de ressources ne suivent pas et ne représentent généralement qu'une petite fraction des crédits consacrés aux interventions humanitaires.

98. Il est souvent possible de concilier les besoins à court et à long terme et de faire simultanément face aux besoins dans le domaine des secours, d'une meilleure préparation aux catastrophes, et du développement. Un projet type "vivres contre travail" visant à reconstruire les infrastructures collectives peut ainsi permettre :

-de dispenser des secours par la distribution de rations alimentaires (urgence) ;
-de fournir des possibilités d'emploi et des compétences professionnelles valables, notamment aux soldats récemment démobilisés (reconstruction) ;
-de reconstruire une école détruite (reconstruction) ;
-de contribuer à créer les capacités nationales requises pour administrer des projets similaires dans les situations d'urgence futures (préparation) ;
-d'aider à faire en sorte que l'enseignement primaire ne soit pas interrompu outre mesure (développement).

99. L'aide d'urgence peut aussi faire appel aux institutions et aux marchés locaux pour assurer la fourniture des secours. Les réseaux d'entreprises continuent souvent de fonctionner malgré les troubles de l'ordre public et ils peuvent être mis à profit pour la distribution des produits de première nécessité en zone rurale et l'acheminement des productions excédentaires depuis l'exploitation jusqu'au marché. Lorsque les réseaux commerciaux ruraux ont totalement disparu, leur reconstitution pose un problème majeur, surtout si les secours prennent essentiellement la forme de distributions gratuites de vivres et d'autres biens.

100. Un moyen particulièrement constructif d'assurer la liaison entre l'aide humanitaire et les interventions axées sur le développement consiste à faire un inventaire systématique des équipements collectifs et des moyens de production des districts et des régions touchés par la crise. Une base de données détaillées, enregistrant les résultats des efforts de reconstruction déployés au niveau du district par les organismes publics d'aide, les ONG, et les entreprises privées peut être très utile. Il apporte une pleine connaissance de la situation et permet de détecter des signes avant-coureurs d'un risque de retour à une situation de crise qui mettent en évidence la nécessité d'une action préventive et peut aider à l'évaluation de l'impact de l'assistance fournie. Si les résultats en sont partagés avec les donneurs, un tel inventaire peut constituer un instrument précieux pour la collecte de fonds et pour la coordination opérationnelle.

D. Meilleures pratiques recensées

a) Durant la phase de planification

-Toutes les situations d'urgence complexes sont différentes et des stratégies spécifiques doivent être définies pour chaque crise. Une profonde compréhension de la situation locale est essentielle.
-Limiter l'ampleur et la durée des interventions d'urgence au strict minimum et prévoir très tôt les opérations à réaliser après la crise initiale.
-Cesser le plus tôt possible l'acheminement en parallèle des secours et de l'aide au relèvement.
-Mesurer le risque que les opérations d'aide humanitaire et de développement puissent contribuer à prolonger la crise en créant un état de dépendance chez des groupes importants de bénéficiaires et en fournissant des moyens matériels que les parties en conflit utilisent à leur profit.

b) Face aux bénéficiaires et aux institutions locales

-Aider les institutions locales à prendre en charge au plus tôt la gestion des opérations d'aide. Eviter de fournir des ressources financières excessives aux structures locales, afin de ne pas créer des attentes auxquelles il ne serait pas possible de répondre durablement. Introduire, des procédures efficaces de contrôle, au travers par exemple d'un système de double signature pour les comptes recueillant les sommes provenant du remboursement des coûts. Mettre l'accent sur la nécessité que le processus de renforcement des capacités locales parte de la base pour aller vers le sommet.
-Consulter l'ensemble des bénéficiaires et les informer par avance des changements importants de politique, tels que le remplacement de l'aide alimentaire gratuite par des projets "vivres contre travail" et par des politiques de recouvrement des coûts. -Prendre systématiquement en compte les incidences des opérations de secours et des projets de reconstruction sur la situation respective des hommes et des femmes dans la société, et en particulier aux besoins spécifiques des femmes, surtout lorsqu'elles sont chefs de famille monoparentale. Dans la mesure du possible, s'efforcer de développer simultanément les stratégies respectives des hommes et des femmes en s'adaptant aux situations de crise.

c) Face aux organismes partenaires

-Adopter un code de conduite décrivant les comportements admis, en particulier concernant les contacts et la coopération avec les fractions impliquées dans une guerre civile. Il est essentiel d'observer une stricte impartialité. Le paiement de ces factions en échange de "services de protection" ne saurait se justifier car il ne ferait qu'encourager ces factions à entretenir un climat d'insécurité et à rançonner l'aide humanitaire.
-Mettre en place des mécanismes efficaces d'échange d'informations entre les organismes sur le terrain et au siège. Passer des accords de mise en commun des moyens logistiques afin de réduire les coûts et de limiter les risques de détournement de l'aide par les parties en conflit.

E. Orientations à l'intention des donneurs

101. Les conflits ont souvent pour objet le contrôle des ressources et il faut admettre que l'apport de ressources dans un contexte de crise ou de conflit entraîne, dans une certaine mesure, une participation à ce conflit. Cette observation s'applique tant à l'aide humanitaire qu'à la coopération pour le développement. Le risque existe donc non seulement que l'aide soit perçue comme étant partiale vis-à-vis de certaines des parties en conflits, mais aussi qu'elle soit détournée par les belligérants. L'aide de secours et l'aide pour le développement à plus long terme ont donc, dans de telles circonstances, un impact politique indéniable.

102. L'impact politique de l'aide doit être explicitement pris en considération. Les secours humanitaires et l'aide au développement peuvent conférer des pouvoirs aux organisations locales participant à leur distribution et mettre en question d'autres structures économiques et sociales. Les combattants peuvent également détourner l'aide, alimentaire ou autre, pour en tirer des gains commerciaux ou pour en faire un instrument de pouvoir. Les organismes d'aide peuvent par conséquent se voir accuser de prendre parti (en fournissant des vivres à l'ennemi) et contribuer indirectement à prolonger la crise. C'est un aspect qui doit être explicitement pris en compte dans les programmes de gestion des crises.

103. Une analyse soigneuse du contexte social est indispensable lorsque les secours, notamment alimentaires, sont distribués par l'intermédiaire des organisations locales. Une telle analyse peut contribuer à réduire au minimum les risques d'injustice dans la distribution et à éviter de renforcer toutes formes d'exploitation existantes. Les spécificités liées au sexe doivent faire l'objet d'une attention toute particulière. Il est nécessaire de prendre en compte de façon explicite les rôles, besoins et potentiels particuliers des femmes, de développer des approches tenant compte de la place des femmes au sein des ménages, de la société et de l'économie ; de rendre les projets et l'aide accessibles aux femmes; de faire appel à du personnel formé en la matière et d' assurer un bon ciblage des bénéficiaires à travers des méthodes de planification de projet flexibles et participatives.

104. Les organisations indépendantes et les ONG doivent être encouragées à analyser les incidences socio-économiques potentielles de l'aide qu'elles distribuent et à établir des normes destinées à régir leurs activités dans le cadre des opérations consécutives à un conflit. Celles-ci pourraient se conformer à des principes communément admis tels que ceux définis par le Code de conduite pour les secours lors de catastrophes à l'intention du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.

105. Le passage d'une situation d'urgence à la phase de développement à long terme ne suit pas schéma, chronologie ou un ordre établi. La distinction entre "secours d'urgence" et "aide au développement" à plus long terme, n'est pas toujours propice à la bonne planification du soutien à apporter aux pays en crise. De ce fait, les frontières institutionnelles, budgétaires et fonctionnelles entre les secours, la reconstruction et la coopération pour le développement peuvent aboutir à des contradictions, ou des lacunes et faire obstacle à la coordination. L'intégration de la planification du secours d'urgence et de l'aide au développement dans le contexte de stratégies à long terme visant à promouvoir la prise en charge des individus par eux-mêmes est un défi majeur.

106. Le rôle de l'aide au développement dans la prévention des conflits ou l'atténuation de leurs conséquences doit être examiné de façon systématique. Dans les zones où les risques de guerre civile sont élevés, l'aide doit s'attacher à remédier aux causes profondes de la violence, avant qu'elle n'éclate. Dans ce contexte, le concept de vulnérabilité est important pour identifier les groupes les plus menacés.

Encadré 7. Code de conduite pour les secours lors de catastrophes à l'intention du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et des ONG Le Code de conduite pour les secours lors de catastrophes, dont la rédaction a été achevée en 1994 par le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et les principales ONG, vise à définir des règles de conduite et à garantir l'indépendance, l'efficacité et l'impact des opérations d'aide humanitaire. Les principes élaborés à l'intention des ONG participant aux programmes de secours en cas de catastrophe sont notamment les suivants :

-l'impératif humanitaire passe en premier ; l'aide est dispensée indépendamment de la race, des croyances ou de la nationalité des bénéficiaires et sans discrimination d'aucune sorte ;
-les priorités en matière d'aide sont exclusivement définies en fonction des besoins ; l'aide ne doit pas être utilisée pour promouvoir une opinion politique ou religieuse particulière ;
-les ONG doivent s'attacher à ne pas être un instrument de la politique étrangère de leurs gouvernements ; elles doivent respecter la culture et les coutumes locales ;
-les ONG doivent s'efforcer de répondre aux catastrophes en s'appuyant sur les capacités locales ;
-il est impératif de trouver les moyens d'associer les bénéficiaires des programmes à la gestion des secours ;
-les secours doivent viser dans la toute mesure du possible à réduire la vulnérabilité future aux catastrophes et à répondre aux besoins essentiels ;
-les ONG sont responsables devant les bénéficiaires comme devant les donneurs.

107. Le repérage de "syndromes de dépendance" est une tâche essentielle des organismes d'aide nationaux et internationaux. Une évaluation soigneuse des besoins basée sur une connaissance précise des ressources disponibles sur place est également nécessaire pour bien juger de l'aide requise, aussi bien en qualité qu'en quantité.

108. Pour ne pas créer de dépendance à l'égard de l'aide, il est essentiel d'éviter de fausser le jeu du marché, surtout dans le secteur de la production alimentaire. La distribution gratuite de vivres peut s'avérer préjudiciable à long terme pour les producteurs locaux de denrées alimentaires. Il est par conséquent important de surveiller l'impact des secours sur l'offre de denrées alimentaires et sur le mécanisme des prix. Au début de chaque crise et parallèlement aux opérations de secours, les donneurs doivent s'efforcer d'assurer la protection et/ ou la fourniture de moyens de production favorisant le développement, tels que bétail, semences et outils.

109. Lorsque l'administration locale est inexistante, il pourrait être fait appel à d'autres structures ou ONG locales. Si celles-ci n'ont pas les capacités nécessaires, elles pourraient être formées par des ONG internationales. Il faut dans ce cas prendre soin que les niveaux de salaires offerts par les organismes d'aide ne soient pas de nature à débaucher le personnel qualifié de l'administration locale. Cela nécessite une politique de recrutement et de rémunération des personnels nationaux pour les programmes de secours humanitaires, acceptée et appliquée par tous les donneurs.

110. Une dépendance trop grande à l'égard des ONG internationales risque d'entraver ou d'empêcher le développement des capacités nationales nécessaires pour assumer une gestion efficace des affaires publiques. Elle peut également faire obstacle au développement dans les collectivités locales des capacités de résolution des problèmes et de gestion de leurs propres affaires. Il convient d'inciter les ONG internationales à établir des liens structurés avec les ONG nationales et locales --qu'elles travaillent avec des hommes ou des femmes --dans le but de développer des capacités parmi toutes les sections de la population.

IV. Les fondements de la paix et de la réconciliation : la bonne gestion des affaires publiques et la société civile

A. Principes de base

111. La "construction de la paix" suppose à la fois des mesures de prévention des conflits sur le long terme et des réponses plus immédiates avant, pendant et après les conflits. Elle repose sur un esprit de tolérance et de réconciliation et cherche en même temps à le promouvoir. La reconnaissance par tous les secteurs de la société de la légitimité de l'Etat et de la crédibilité des institutions gouvernementales est essentielle pour susciter un tel esprit. Lorsque les droits fondamentaux de chaque individu sont respectés, lorsque la société est régie par le droit et lorsque les citoyens ordinaires sont associés au processus politique, le recours à la violence pour provoquer un changement politique est évidemment moins probable. Il est clair que les efforts déployés pour soutenir la participation, la démocratisation et le rétablissement de la paix par le renforcement des institutions correspondent à des objectifs étroitement liés.

112. Dans les pays divisés par un conflit intergroupes, certains éléments de la société civile peuvent être en mesure de jouer un rôle important en exerçant une médiation entre les groupes, en favorisant le dialogue et la réconciliation. Les conditions d'insécurité, parfois aggravées par l'exploitation des différences ethniques, religieuses et culturelles, contribuent à créer un climat de profonde méfiance dans la société. Cependant, la violence du conflit socio-politique elle-même peut aussi susciter l'émergence d'institutions et d'acteurs nouveaux qui se consacrent spécialement à la cause de la paix. Il peut s'agir de réseaux de défense des droits de l'homme, de groupes pacifistes et de médias indépendants. D'autres éléments de stabilisation ou "des porte-parole de la paix" peuvent se rencontrer parmi les chefs religieux et des personnalités locales, les autorités traditionnelles, les syndicats et les associations professionnelles.

113. Lorsqu'il y a carence de l'Etat ou lorsque certaines régions d'un pays se trouvent sous le contrôle d'autorités non gouvernementales ou antigouvernementales, des mécanismes établis au niveau local ne relevant pas de l'Etat peuvent être le moyen le plus efficace de construire la paix et de gérer le conflit. S'il faut bien admettre que tous les éléments de la société civile n'oeuvrent pas nécessairement en faveur de la paix, une société peut, même en temps de crise, se construire des valeurs et des objectifs communs. En recherchant et en aidant au sein des communautés les principaux acteurs et mécanismes favorables à la paix et à la réconciliation et en veillant à ne pas soutenir, par inadvertance les forces de la guerre, les donneurs peuvent apporter une contribution efficace à la paix.

B. Les bases de la construction de la paix et la réconciliation

114. Etant donné leur caractère délicat et complexe, les programmes d'aide axés sur la gestion des affaires publiques exigent aussi bien de la part des donneurs que de la part des pays bénéficiaires un engagement politique ferme et durable. Ces programmes doivent sans relâche mettre l'accent sur le renforcement des propres capacités de bonne gestion des affaires publiques par les pays partenaires. Aider à affermir la volonté de réforme dans les pays partenaires implique souvent de mener avec eux un dialogue sur les politiques à suivre et de leur offrir des incitations. Les Orientations du CAD sur le développement participatif et la bonne gestion des affaires publiques (série des lignes directrices sur la coopération pour le développement, OCDE 1995) représentent à cet égard un cadre d'action bien adapté. Lorsqu'ils discutent avec les gouvernements des pays bénéficiaires de la conception des programmes de coopération pour le développement, les pays donneurs peuvent, sans faire de prosélytisme ni minimiser la complexité de la chose, souligner sans cesse la nécessité d'une bonne gestion des affaires publiques, du respect du droit et en particulier des droits de l'homme, et du développement d'une société civile forte si l'on veut parvenir à une stabilité durable.

115. Toutes les composantes d'une société civile vigoureuse ne sont pas nécessairement résolues à parvenir à un large consensus. Or, pour construire la paix et instaurer un développement durable il est fondamental qu'une société puisse construire et renforcer des valeurs et des objectifs communs et que les individus soient capables et désireux de s'intégrer pleinement à cette société. A terme, les donneurs peuvent aider à réunir ces conditions, notamment par des activités visant à:

-soutenir les structures gouvernementales et d'autres organisations, y compris les milieux d'affaires, qui sont en mesure de créer ou d'entretenir des réseaux sociaux et des associations qui favorisent la participation et l'intégration à la société ou qui soutiennent ou encouragent des valeurs communes (programmes culturels, sports, etc.) ;
-favoriser l'accès à l'information grâce à l'éducation et à des institutions telles que bureaux de conseils aux citoyens, médias locaux, etc. ;
-apporter un appui aux ONG locales et aux organisations communautaires pour les aider à améliorer leur capacité de répondre aux besoins de leurs mandants.

116. Bien que les Membres du CAD privilégient d'ordinaire les mesures de soutien positif, ils peuvent être amenés à recourir à la persuasion et au dialogue lorsqu'ils s'efforcent, avec les gouvernements de certains pays qui sont leurs partenaires, de prendre des mesures constructives pour améliorer la gestion des affaires publiques. Des critères de politique générale, visant à promouvoir la démocratie, l'Etat de droit, le respect des droits de l'homme et la bonne gestion des affaires publiques, devront être incorporés dans une gamme plus large de programmes d'aide au développement dans ce domaine.

117. Les principes les plus fondamentaux de la pratique démocratique doivent rencontrer l'adhésion du secteur public et de l'ensemble de la société civile. La démocratisation est un processus complexe, progressif et participatif par lequel les citoyens, la société civile et l'Etat instaurent un ensemble de normes, de valeurs et d'institutions qui organisent leurs rapports dans des conditions de régularité, de représentativité et d'équité. Les activités de coopération pour le développement visant à améliorer la gestion des affaires publiques et à renforcer la participation doivent s'inscrire sur le long terme et s'appuyer sur des stratégies cohérentes appliquées de façon homogène par les différents donneurs et les organisations multilatérales. Cela suppose une coordination efficace entre tous les acteurs qui interviennent dans la conception et l'exécution des programmes.

118. La stratégie de l'aide en matière de bonne gestion des affaires publiques doit s'adapter aux circonstances. Ainsi, face à un Etat autoritaire ou semi-autoritaire, les possibilités d'un dialogue constructif risquent d'être extrêmement restreintes, et les donneurs peuvent être obligés de limiter leur aide aux secteurs non gouvernementaux prêts à la réforme. Pour les pays en voie de démocratisation, l'aide peut être axée sur le renforcement des acteurs de la société civile et des processus démocratiques. Les donneurs doivent aussi se garder de ne pas précipiter l'instabilité politique et économique par l'introduction trop soudaine d'institutions démocratiques.

a) Le respect des droits de l'homme

119. Les libertés fondamentales qui doivent être protégées par la loi sont indispensables à des relations saines entre l'Etat et la société civile.

120. Les Membres du CAD se doivent de soutenir les principes internationaux énoncés dans la Charte des Nations Unies et élaborés dans la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, et la Déclaration de Vienne de 1994. Ils doivent aussi respecter les dispositions des Conventions internationales et régionales auxquelles ils ont adhéré, telles que la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (1948), la Convention des Nations Unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (1979), Les Conventions de la Croix-Rouge (Genève 1949) dans le domaine du droit humanitaire et les Protocoles additionnels de 1977 qui visent à protéger les non-combattants et les victimes des conflits armés, ainsi que la Convention relative au statut des réfugiés (Genève 1951). Plus généralement, la coopération pour le développement, l'aide humanitaire et le dialogue sur les politiques doivent promouvoir et soutenir explicitement les droits de l'homme et les libertés fondamentales reconnus au plan international.

121. Les groupes d'intérêt non gouvernementaux actifs peuvent jouer un rôle important de relais des initiatives des donneurs dans le domaine des droits de l'homme, en donnant des informations sur la situation des droits de l'homme dans un pays donné et en constituant une base de défense des droits de l'homme vis-à-vis des gouvernements et de l'opinion publique. De même, il peut être intéressant de cibler des groupes qui défendent ou représentent les victimes d'injustices ou d'abus de pouvoir (par exemple des groupes féminins, des coopératives d'agriculteurs). L'aide acheminée par l'intermédiaire des ONG internationales bénéficie de l'influence, du professionnalisme et de la neutralité qui caractérisent ces organisations et les groupes locaux de défense des droits de l'homme peuvent, en s'associant à des organisations internationales respectées, bénéficier d'une certaine protection et d'une capacité accrue.

122. L'aide des donneurs dans ce domaine doit faire partie d'une action plus générale visant à promouvoir un développement juste et durable et à permettre aux groupes les plus vulnérables et défavorisés de la société d'avoir une meilleure connaissance de leur droits en tant que personne ainsi que de leurs droits et devoirs de citoyen en particulier. L'action visant à renforcer l'Etat de droit et le respect des droits de l'homme devra se concentrer sur les structures et processus d'élaboration et d'interprétation de la loi et de la politique sociale (parlements et tribunaux), ainsi que sur ceux qui les mettent en oeuvre et les font appliquer (administrations, forces de police, forces armées). L'expérience montre que c'est lorsqu'elles sont intégrées dans une stratégie globale que ces interventions ont le plus d'efficacité et non lorsqu'elles ont lieu isolément.

b) Processus participatifs i) La participation

123. Favoriser la participation populaire à la définition des priorités de la gestion des affaires publiques est indispensable à la consolidation de la paix. La participation renforce la société civile et l'économie en permettant aux individus, aux communautés et aux organisations de négocier avec les institutions et les administrations, leur donnant ainsi la possibilité d'influer sur la politique des pouvoirs publics et de la contrôler. La participation favorise aussi le traitement pacifique des conflits d'intérêts. La mise en place des conditions propices à la participation et l'instauration des capacités institutionnelles nécessaires à des interactions constructives entre la société civile et les pouvoirs publics est donc indispensable à la construction d'une paix durable.

Encadré 8. La décentralisation La décentralisation peut stimuler la participation locale et régionale aux décisions et améliorer ainsi la transparence et la légitimité de l'action des pouvoirs publics. Elle peut permettre une réponse plus adaptée de la part de l'Etat et réduire ainsi les tensions qui pourraient conduire à des conflits violents.

Cependant, si la décentralisation est perçue comme modifiant la distribution des ressources, du revenu ou des possibilités d'emploi, au détriment de certains groupes ethniques ou religieux, cela risque de mobiliser des oppositions politiques. C'est ainsi que la décentralisation peut aggraver les tendances séparatistes et régionalistes et leurs manifestations violentes.

Les pouvoirs centraux, dont la volonté de décentralisation est nécessaire pour entreprendre une réforme, peuvent y voir une menace à leur autorité. C'est pourquoi le renforcement des autorités locales exige de bien connaître la structure des incitations qui s'offrent aux dirigeants politiques à l'échelon tant central que local.

124. Les donneurs peuvent apporter une aide dans les domaines suivants :

-la fourniture d'une assistance technique et de conseils spécialisés dans le domaine de la politique de décentralisation (mise en place de structures décentralisées de planification et d'administration) ;
-la clarification des responsabilités fonctionnelles respectives des différents échelons de l'administration. Cela comprend la mise en place de systèmes permettant de répartir les recettes fiscales et les responsabilités correspondantes ;
-le renforcement des capacités organisationnelles des instances représentatives intermédiaires, notamment les assemblées régionales et conseils locaux ;
-le renforcement de la représentation des groupes marginalisés dans la fonction publique.

125. Dans le contexte des projets visant à fournir des services sociaux de base tels que l'éducation, la santé et les infrastructures, les donneurs peuvent aussi jouer un rôle important en aidant à faire en sorte que ces services soient accessibles à tous les secteurs de la société et en particulier aux groupes marginalisés.

ii) Les processus démocratiques

126. La démocratisation permet aux citoyens de faire connaître au gouvernement leurs besoins et intérêts ainsi que de protéger les droits et intérêts des groupes marginalisés et des plus vulnérables. Un système démocratique comporte aussi des mécanismes de règlement pacifique des conflits, y compris ceux relatifs à la répartition des pouvoirs politique et économique, et des mécanismes pour le transfert des responsabilités politiques. En soutenant et en consolidant les institutions démocratiques, les donneurs peuvent contribuer à l'instauration de la paix et de la stabilité.

127. A partir de l'expérience acquise, la liste qui suit suggère les grands axes d'une politique de renforcement de la démocratisation ayant pour objectifs directs la prévention des conflits et la consolidation de la paix :

-Soutien aux initiatives de réforme de la constitution d'un pays, par exemple en donnant des conseils aux gouvernements sur les questions constitutionnelles et législatives.
-Soutien au renforcement d'institutions politiques représentatives, y compris les partis politiques au sens large du terme.
-Soutien aux systèmes législatifs et processus électoraux, y compris l'information des électeurs quant à leurs droits, la surveillance et l'analyse des consultations électorales et la réforme des lois électorales.
-Soutien à l'organisation et la surveillance des élections et des référendums. Il importe que ce type d'aide comporte un volet de renforcement des capacités, de façon qu'un pays puisse se doter de l'ensemble des compétences nécessaires pour l'organisation et la surveillance de ses processus électoraux.
-Soutien pour la mise en place et le contrôle d'autres institutions démocratiques (par exemple les cours de justice, les organes législatifs et l'exécutif).

c) Renforcement des institutions publiques 128. Les institutions publiques sont l'instrument par lequel le gouvernement met en oeuvre sa politique. La partialité et la corruption des institutions chargées de gérer les ressources publiques et les services sociaux portent directement atteinte à la crédibilité de l'Etat, ce qui risque d'encourager les groupes marginalisés à recourir à la force et à la violence pour provoquer le changement.

129. Un Etat qui semble à première vue disposer de moyens considérables peut en réalité être mal équipé pour remplir ses fonctions essentielles. Certaines institutions publiques peuvent même ne pas être représentatives ni responsables, ou même être perçues comme étant des instruments entièrement aux mains de certaines élites. C'est pourquoi aider à renforcer la capacité des institutions à remplir leurs fonctions essentielles avec efficacité et impartialité peut être un élément important de l'action en faveur de la paix.

130. Les donneurs peuvent apporter une aide dans les domaines suivants :

-Soutien à l'exécutif pour l'aider à améliorer l'efficience des services publics et favoriser la transparence, une gestion rationnelle et l'éradication de la corruption. L'aide doit s'adresser aux institutions véritablement engagées dans la réforme.
-Soutien à la fonction publique afin d'améliorer l'impartialité et l'accessibilité des institutions et d'aider à éliminer les discriminations et le favoritisme.
-Renforcement du contrôle des institutions civiles sur les affaires politiques et économiques et sur les forces armées, (y compris la maîtrise des budgets et dépenses militaires).

d) Renforcement des systèmes de sécurité et de justice

131. Pour être efficaces, les systèmes de justice et de sécurité doivent reconnaître et protéger les droits de l'individu et être accessibles à tous. Ils doivent être impartiaux et indépendants du pouvoir politique. Des systèmes inefficaces risquent d'encourager les citoyens à faire la loi eux-mêmes. Comme les éléments des systèmes de justice et de sécurité peuvent avoir un rôle important à jouer dans la prévention des conflits, l'aide internationale dans ces secteurs peut aussi être un élément très déterminant des stratégies du développement.

132. Pour que l'aide porte ses fruits dans ce genre de domaine, le gouvernement bénéficiaire doit être disposé à reconnaître que des systèmes judiciaire efficaces sont nécessaires et utiles pour la bonne gestion des affaires publiques en général, la stabilité et l'harmonie sociale et la bonne gestion de l'économie. Un dialogue avec les gouvernements partenaires peut être nécessaire pour les convaincre des avantages des normes de droit et justice sanctionnés internationalement. Les systèmes judiciaires et de sécurité sont la responsabilité de l'Etat et le fondement de la souveraineté du pays. L'action à entreprendre ne doit pas porter atteinte au monopole de l'Etat en matière d'exercice de la force et de l'autorité, mais au contraire le renforcer dans le cadre fixé par la loi.

133. Pour maximiser l'efficacité de leurs interventions, les donneurs doivent avoir une connaissance approfondie des compétences, de l'histoire et de la culture aussi bien de leur organisme d'aide que du pays en général, afin de pouvoir optimiser le ciblage de l'aide. Il importe aussi qu'ils fassent appel aux connaissances et aux compétences des responsables dans toute une gamme de secteurs, notamment les affaires étrangères, la défense et la coopération pour le développement.

i) Systèmes judiciaires

134. Un système juridique stable et fiable est indispensable à la démocratisation, à la bonne gestion des affaires publiques et au respect des droits de l'homme. L'absence d'un système judiciaire impartial peut déclencher des frustrations propres à poser de sérieux obstacles à la consolidation de la paix et à la prévention des conflits. Un système judiciaire perçu comme imprévisible arbitraire ou inaccessible peut susciter des résistances au sein de la société et des confrontations avec l'Etat qui aboutissent à la répression. C'est pourquoi tous les efforts visant à renforcer les moyens de consolidation de la paix et de prévention des conflits avec l'aide de la coopération pour le développement sont dans une certaine mesure conditionnés par l'environnement juridique dans lequel ils sont entrepris. Le maintien de la loi et de l'ordre doit s'accompagner d'un engagement des pouvoirs publics à répondre aux besoins fondamentaux des citoyens et à protéger leurs droits fondamentaux.

135. Les donneurs doivent prendre l'initiative d'aider à mettre au point et à maintenir des mécanismes qui assurent le respect des droits fondamentaux, garantissent aux communautés un accès équitable aux services juridiques et judiciaires et contribuent à faciliter le règlement pacifique des conflits. Les donneurs peuvent aider à désamorcer les tensions en assurant un soutien visant à garantir l'accès de tous les individus et groupes d'une société aux moyens d'arbitrage juridiques, aux processus de décisions informels et à toutes les possibilités de compromis.

136. Si de nombreuses sociétés traditionnelles conservent des codes de conduite sociale complexes et efficaces, ceux-ci ne permettent pas toujours de satisfaire aux exigences d'une société ouverte. Il ne faut toutefois jamais négliger les avantages et l'efficacité des systèmes traditionnels. Les donneurs doivent se montrer ouverts aux initiatives locales visant à renforcer des structures traditionnelles telles que tribunaux de village et chefferies traditionnelles.

Encadré 9. Soutien au système de justice criminelle au Cambodge Au Cambodge, une succession de gouvernements répressifs a abouti à la destruction quasi totale du système juridique formel. En outre, la dislocation généralisée des collectivités s'est traduite par la désintégration de nombreux mécanismes traditionnels d'arbitrage. Le pays s'est donc trouvé dépourvu de moyens efficaces de règlement des litiges et de protection des droits de l'homme. L'absence de loi et d'ordre constitue un obstacle considérable pour la réforme démocratique et le développement économique général. C'est ainsi que l'incapacité des systèmes existants à gérer efficacement les procédures d'enquête, de jugement et d'emprisonnement a abouti à l'incarcération et la détention de petits délinquants aux côtés de criminels endurcis, parfois pendant des mois avant que leurs dossiers puissent être traités. Ils sont littéralement "égarés" dans le système.

La disparition de toute mémoire institutionnelle relative aux systèmes judiciaires et aux procédures juridiques fondamentales a conduit un donneur à entreprendre en 1994 et 1995 une série de missions d'étude ayant pour principaux objectifs de recueillir des informations sur l'état de ce secteur et de déterminer les domaines où une aide pourrait être apportée. Des équipes de spécialistes ont eu des entretiens détaillés avec des représentants des ministères cambodgiens intéressés, de hauts responsables des institutions judiciaires, pénitentiaires et de police, les autres donneurs et ONG présents dans ce secteur.

Le projet propose l'introduction de réformes dans les institutions pénitentiaires, judiciaires et de police de la capitale, Phnom Penh, et de quatre capitales provinciales. Cela permettra de tester et d'affiner les procédures et les pratiques et d'avoir ainsi des modèles pour la réforme institutionnelle dans tout le pays. Lors de l'étude du projet, il est apparu qu'il serait important de prendre un certain nombre d'initiatives complémentaires, notamment :

-une étude des mécanismes communautaires de justice qui pourraient compléter les services assurés par le système formel; et -la mise au point de sanctions non pénales appropriées pour éviter le risque d'une augmentation excessive de la population carcérale qui pourrait découler d'une administration plus ferme de la justice criminelle. Cet examen approfondi du système existant a eu pour conséquence imprévue de susciter diverses réformes d'initiative locale, surtout dans le secteur carcéral. Ce sont essentiellement les échanges d'informations qui ont eu lieu entre les fonctionnaires cambodgiens et les équipes venues en mission pour préparer le projet qui ont permis ce résultat.

137. Les mesures de soutien doivent se concentrer sur :

-les institutions juridiques et judiciaires officielles --tribunaux, médiateurs, commissions de réforme des lois, forces de police civiles et services pénitentiaires ;
-les structures et groupes communautaires traditionnels chargés de faire appliquer la loi et de régler les litiges ;
-les autres organismes opérant dans des domaines qui comportent des risques de conflit au sein de la communauté, comme par exemple la gestion des ressources ;
-l'amélioration de l'accès aux systèmes judiciaires pour les individus et les groupes, et en particulier ceux qui sont marginalisés.

138. Etant donné le caractère complexe et délicat de beaucoup d'aspects du développement dans le secteur juridique et judiciaire, les interventions doivent être conçues de manière souple. Les organismes d'aide doivent s'efforcer de mettre sur pied des projets novateurs permettant d'aborder cette tâche selon diverses modalités, notamment :

-des projets visant à créer des liens entre les institutions formelles et informelles, jouant un rôle dans les domaines juridique et judiciaire, afin de favoriser une meilleure adhésion de la communauté aux initiatives en la matière (complétant ainsi l'approche plus traditionnelle qui consiste à renforcer exclusivement les institutions formelles) ;
-une aide à la surveillance des violations des droits de l'homme ;
-une aide à une formation professionnelle pour les juristes et les responsables politiques.

ii) Réforme du secteur de la sécurité

139. Les conditions d'un conflit socio-politique peuvent souvent contribuer à accroître le pouvoir et l'indépendance des formes armées et de la police par rapport aux autorités civiles et à la population. Il peut être important pour la paix de réformer les forces de sécurité de façon à les rendre plus comptables de leurs actes, à rendre leur conduite plus professionnelle et à renforcer le contrôle exercé par le pouvoir civil. En associant les efforts dans ce domaine à des activités destinées à renforcer les systèmes juridiques et la société civile dans son ensemble, on peut favoriser l'instauration d'un débat solidement étayé et une plus large participation à ces processus.

140. Le soutien international peut s'exercer dans les domaines suivants :

a) formation des dirigeants civils aux questions de sécurité, notamment pour le suivi du comportement, des performances et de l'efficacité/ coût des forces de sécurité ;
b) création d'un médiateur indépendant, de commissions civiles et autres moyens de supervision civile des forces de sécurité ;
c) formation de la police et des forces armées se concentrant sur les fonctions qui leur sont propres dans une société démocratique et leur aptitude à faire respecter les règles de conduite et de déontologie ;
d) soutien à la réforme des systèmes d'enseignement militaire.

141. La possibilité pour les donneurs de soutenir ces activités avec des fonds de coopération pour le développement dépendra des règles et procédures des Membres. Cependant, des résultats positifs peuvent découler d'une coopération étroite entre la coopération pour le développement et d'autres formes d'assistance internationale. Il ne faut jamais oublier que la réussite des efforts de réforme du secteur de la sécurité dépend en grande partie de l'existence d'un système judiciaire capable d'instruire et de punir les abus et les fautes. Autrement dit, les systèmes de sécurité et de justice sont intimement liés.

iii) Formation en matière de droits de l'homme

142. Le rôle des militaires évolue rapidement dans de nombreux pays. Les forces de défense et de sécurité sont de plus en plus utilisées à des opérations de police intérieure, aux secours en cas de catastrophe et à la prévention. Si certaines forces armées ont peut-être été formées aux principes fondamentaux du droit humanitaire, peu ont reçu une formation appropriée sur les droits de l'homme en général. Or, cette formation est indispensable si l'on veut que ces groupes aient un comportement convenable dans les conflits intérieurs. En tant que représentants de la communauté internationale, les forces de maintien de la paix doivent être préparées et soumises aux critères les plus stricts à cet égard.

143. La formation en matière de droits de l'homme, qui doit évidemment être adaptée à la culture du pays peut contribuer à assurer de bonnes relations avec les populations civiles. Elle doit être adaptée à la situation particulière du pays mais doit aussi reposer sur les principes reconnus au niveau international qu'énoncent les conventions internationales sur les droits de l'homme. Comme par ailleurs, chacun le sait, ce sont souvent les femmes qui supportent l'essentiel des conséquences des conflits, aussi bien sur le plan familial que sur le plan social, il convient de faire une place particulière dans la formation en matière de droits de l'homme aux problèmes et aux difficultés qui leur sont propres.

144. En plus de la formation, un soutien logistique peut être nécessaire pour fournir le matériel qui permettra à l'organisme bénéficiaire d'exercer ses fonctions. Cette activité peut cependant présenter des aspects délicats. Il faut examiner avec soin les risques d'un mauvais usage de l'aide. Ainsi, l'équipement destiné à la police, qui est tout à fait utile s'il est employé à bon escient, risque plus d'être employé abusivement que les équipements destinés à la plupart des autres secteurs.

145. Respecter et promouvoir les droits de l'homme doit faire partie des principes fondamentaux des systèmes de justice et de règlement des litiges. Les donneurs peuvent contribuer au renforcement des institutions et à la formation du personnel appelé à jouer un rôle dans la protection des droits de l'homme et la gestion des conflits. Les candidats tout désignés sont les militaires, les policiers, les magistrats, les professions juridiques et parajuridiques et le personnel pénitentiaire. D'autres groupes pourraient tirer avantage de ce genre de formation : les dirigeants des collectivités et les éducateurs.

C. Renforcement de la société civile pour la construction de la paix et de la réconciliation 146. Les institutions de la société civile jouent un rôle capital de représentation des différents groupes d'intérêts de la société, mais lorsqu'elles sont confrontées à une résistance ou à des processus d'accommodement inadéquats, il peut en découler une aggravation des tensions, de l'oppression et de la violence. Il faut donc que le soutien à la société civile ait pour objectif d'aider à concilier les intérêts des différents groupes à plus long terme. La "diplomatie du citoyen", à divers niveaux, peut apporter des capacités essentielles pour cette réconciliation.

147. Dans les régions de violence latente ou déclarée, les acteurs de la société civile peuvent être empêchés par des intimidations et des attaques de jouer un rôle dans la consolidation de la paix. Les réseaux d'information et de communication peuvent être particulièrement vulnérables. Les divisions entre les groupes peuvent aussi être aggravées et des efforts spéciaux sont souvent nécessaires pour assurer la protection des droits des individus appartenant à des minorités. Cependant, les mêmes conditions peuvent aussi susciter l'émergence d'institutions et d'acteurs nouveaux, tels que réseaux de défense des droits de l'homme et groupes de militants pacifistes. Dans certains cas, il peut aussi y avoir résurgence de formes d'autorité et de techniques traditionnelles de gestion et de règlement des conflits.

148. Tout en recherchant les sources de conciliation qui peuvent exister dans la société, les organismes d'aide doivent être conscients du risque que leur action en faveur de structures sociales et d'autorités particulières soit mal comprise ou mal interprétée. Certains groupes traditionnels peuvent être élitistes et oppressifs, et certaines ONG ou autres groupes locaux peuvent être les instruments des factions en conflit. Il faut donc soumettre ces autres agents de conciliation au même examen critique que les institutions "partenaires" officielles, et tirer parti de leurs aspects les plus positifs.

149. Les différents domaines où les donneurs peuvent apporter un soutien appartiennent à trois grandes catégories :

a) soutien à certaines institutions traditionnelles ;
b) encouragement d'un dialogue inter-culturel et de la coopération dans les sociétés divisées et
c) action en faveur de la liberté et de l'accessibilité de l'information pour tous les membres de la société.

a) Soutien à certaines institutions traditionnelles

150. Les autorités et mécanismes traditionnels sont souvent des systèmes et des institutions qui se sont façonnés au fil du temps, pour aider à gérer les tensions entre groupes et la répartition des ressources naturelles. Il arrive que les mécanismes informels de règlement des litiges et les autorités traditionnelles exercent une influence considérable sur les dirigeants politiques nationaux, même si cette influence n'est pas toujours visible.

151. Lorsque l'Etat n'a pas d'autorité, les structures traditionnelles ont souvent une grande influence sur les collectivités et peuvent constituer des mécanismes indispensables à la construction d'une paix véritable. Il existe d'ailleurs de nombreux cas où les mécanismes traditionnels et informels de consolidation de la paix ont repris après l'effondrement des autorités de l'Etat, leur rôle au profit des collectivités locales.

152. Les efforts déployés par les donneurs pour soutenir les initiatives traditionnelles de consolidation de la paix doivent chercher à s'appuyer sur des acteurs comme les anciens de la communauté, les chefs religieux et les conseils tribaux, qui contribuent de façon importante et constructive au rétablissement de la paix et à la réconciliation.

153. Soutenir l'instauration d'un espace politique dans lequel les groupes autochtones peuvent concevoir leurs propres solutions aux problèmes est particulièrement difficile. Cela exige un engagement de longue durée vis-à-vis des structures et processus traditionnels de gestion des conflits ; une parfaite connaissance des facteurs culturels propres à contribuer à la prévention et au règlement des conflits ; enfin, la volonté d'instaurer avec les partenaires locaux des relations de confiance basées sur une présence ancienne et importante dans le pays.

b) Encouragement du dialogue et de la coopération dans les sociétés divisées

i) Relations intercommunautaires

154. Dans les sociétés divisées, les efforts en vue de favoriser les relations intercommunautaires sous forme de commerce, d'échanges d'information et de dialogue peuvent jouer un rôle important pour désamorcer les tensions, abattre des barrières sociales anciennes et favoriser la tolérance et la compréhension. La constitution de réseaux de confiance ne contribue pas seulement à la construction de la société mais aussi à celle du capital social qui peut aider à empêcher de nouvelles flambées de la violence.

155. Le soutien des donneurs peut s'exercer dans les domaines suivants : programmes d'aide à la compréhension interculturelle, de promotion du multilinguisme et de l'expression culturelle des minorités et des populations autochtones et d'identification de l'héritage, des valeurs et des objectifs communs aux différents groupes sociaux. Cette aide doit commencer par favoriser des réseaux et organismes sociaux ou institutionnels capables d'être des éléments stabilisateurs dans la société.

156. Dans les sociétés menacées de conflit ou déjà déchirées par la guerre, les donneurs peuvent entreprendre, dans un but spécifique de réconciliation, des actions tendant à construire des liens entre groupes rivaux. Il peut s'agir :

-d'inclure dans le travail normal de secours et de reconstruction des mesures visant à faciliter la réconciliation des groupes en conflit au sein d'une société, par exemple des programmes d'insertion dans la vie sociale et économique normale des éléments potentiellement déstabilisants (anciens combattants, jeunes, etc.) ;
-d'aider à restaurer la confiance au sein des collectivités en apportant un soutien à des "noyaux de stabilisation" au sein des communautés (comités multi-ethniques, organisations féminines, etc.) ou en distribuant des ressources par leur intermédiaire.

157. Parmi les groupes cibles importants à cet égard on peut citer les coopératives d'exploitants agricoles, les organismes de jeunesse et autres associations spécifiques à caractère multiculturel.

158. Les femmes peuvent remplir un rôle particulier de médiation aussi bien dans le dialogue préventif que dans les négociations de paix et les stratégies de reconstruction et apporter leurs perceptions et expériences particulières aux efforts de construction de la paix et de réconciliation. Dans bien des cas, les organisations féminines peuvent aider à empêcher des conflits ou à mettre fin aux hostilités en menant des négociations informelles, en constituant des groupes de pression, en organisant campagnes ou manifestations. Les femmes ont souvent moins d'inhibitions et plus de poids que les hommes appelés au combat, lorsqu'il s'agit de protester contre les conflits armés et de militer pour la paix.

159. Comme l'affirme la plate-forme d'action de la Conférence de Pékin (1995), les femmes doivent se voir garantir l'égalité des chances pour participer aux instances de discussion et aux activités en faveur de la paix. Les agences de coopération doivent s'attacher à élaborer des stratégies efficientes pour permettre aux femmes de jouer un rôle plus actif dans la préparation d'un avenir pacifique et viable pour leur pays, en leur donnant les moyens de gagner en assurance, en autorité, en compétences de négociation, etc.

Encadré 10. Le rôle des femmes dans le processus de transition en Sierra Leone En 1994, les associations féminines en Sierra Leone ont commencé leur concertation en vue de définir leur contribution à la conférence de Pékin. C'est au cours de ce processus qu'elles se sont mises d'accord sur la nécessité de s'organiser pour apporter leur soutien au processus de paix et prendre une part active dans la transition de leur pays vers la démocratie.

Les groupes de femmes à Free Town se sont ainsi mobilisés en faveur de la paix et ont vu dans le processus d'élections démocratiques l'un des moyens d'y parvenir. Elles ont oeuvré pour que les rebelles acceptent de participer aux négociations de paix et des groupes de femmes se sont aussi organisés pour parcourir la campagne et pour les exhorter à déposer les armes. L'une de ces expéditions s'est même soldée par un massacre, le projet ayant été découvert par les militaires.

Malgré ces difficultés, les associations féminines ont persévéré dans leurs efforts, parvenant à mobiliser un large soutien en faveur d'élections démocratiques parmi les organisations syndicales, les groupements d'enseignants et autres associations représentatives de la société civile et traditionnelle. De nombreuses tentatives d'intimidation (à travers des attaques violentes et autres violations des droits de l'homme) tant de la part des militaires que des rebelles, n'ont pu envoyer cette dynamique de paix et le processus démocratique a pu être mené à son terme et le gouvernement militaire remplacé par un gouvernement civil.

Paradoxalement, tout en oeuvrant pour la paix, les organisations féminines n'ont pas pu à s'assurer une représentation sur les listes électorales. En dépit de leur engagement actif dans le processus de paix, la plupart des femmes n'étaient pas prêtes à participer aux élections en tant que candidates à des postes politiques. Ainsi, deux femmes seulement ont été élues au parlement et deux autres ont accédé à des postes ministériels, l'une chargée de la condition féminine et de l'enfant, et l'autre du tourisme et de la culture.

160. Les donneurs peuvent aussi fournir une aide aux groupes et réseaux de militants locaux et nationaux ou aux organisations religieuses qui oeuvrent en faveur de la paix entre les groupes en contribuant à la mise en place d'instances de discussion et de concertation afin d'encourager le dialogue entre les membres des communautés en conflit.

161. Le raisonnement sur lequel se fondent ces approches est que les relations constructives instaurées au plan personnel ou professionnel peuvent avoir un effet multiplicateur au niveau de la société dans son ensemble. Les potentiels régionaux de réseaux culturels et l'impact socioculturel et psychologique des activités culturelles représentent aussi des éléments de poids.

ii) Médiation et négociation

162. En renforçant les compétences en matière d'arbitrage, de médiation, de négociation et de réconciliation, les organismes de développement peuvent aider à augmenter les chances de faire reconnaître par les acteurs eux-mêmes l'opportunité et la légitimité des stratégies de prévention, de gestion et de règlement des conflits.

Encadré 11. Développement des capacités de consolidation de la paix et de réconciliation en Afrique du Sud

A l'époque de l'apartheid, lorsque la coopération inter-état était impossible les organismes de développement ont financé en Afrique du Sud, toute une gamme de projets mis sur pied par les ONG dans le but spécifique d'aider les sud-africains en exil et les militants anti-apartheid à se doter des capacités de négocier une transition pacifique et de participer comme citoyens à part entière à la vie d'un pays délivré de l'apartheid.

Ces projets comprenaient des séminaires de formation de dirigeants syndicaux, parmi lesquels des séminaires spécifiquement destinés aux femmes ; des formations dans les domaines de la gestion et de l'organisation ; la mise en place d'un vaste réseau de commissions jouissant d'une autorité reconnue pour surveiller l'activité politique et aider à maîtriser les risques de violence ; enfin, des activités visant à renforcer l'efficacité et la capacité institutionnelle des mouvements civiques.

Depuis la fin de l'apartheid, les programmes de formation et d'échanges à financement international s'adressant aux fonctionnaires et dirigeants de communautés continuent de les aider à développer leurs capacités de défendre sur la scène politique les intérêts qu'ils représentent, et à mieux connaître les structures et le fonctionnement des institutions. Ce genre d'activité n'est pas limité à l'Afrique du Sud : on en trouve des exemples en Asie du Sud, en Amérique centrale et ailleurs --souvent dans le cadre de programmes axés sur la bonne gestion des affaires publiques et le renforcement institutionnel.

163. Les programmes de formation doivent renforcer les compétences nécessaires dans le domaine de l'arbitrage, de la médiation, de la négociation et de la réconciliation et cultiver la capacité de participer à la restructuration de la société, de l'économie et des institutions politiques. Ils doivent être axés sur des groupes ou individus, en particulier des femmes en mesure de jouer des rôles déterminants dans l'évolution vers un avenir plus juste et plus équitable.

164. Les projets de développement qui portent sur des questions aussi concrètes que la gestion des ressources en terres ou en eau, la santé et les transports, peuvent aussi offrir de vastes perspectives de coopération intercommunautaire. En réunissant des spécialistes de groupes opposés pour ouvrir un dialogue sur leurs intérêts communs, ils peuvent aboutir à créer des conditions qui permettent aux parties de trouver des solutions communes à des problèmes et à des difficultés socio-économiques. Au-delà de leur effet concret sur le plan du développement, ces projets ont un effet plus général d'instauration d'un climat de confiance dans la société, en permettant aux différents groupes de mieux identifier leurs objectifs communs et en favorisant un développement véritablement participatif.

165. Les organismes de développement peuvent aussi aider les initiatives de développement expressément conçues pour faciliter la discussion et le dialogue entre les membres des communautés en conflit. Les projets de ce type encouragent des contacts constructifs entre l'individu et l'organisation communautaire dans les régions particulièrement exposées aux conflits, afin d'abattre des barrières sociales anciennes et de créer un contexte favorable à la consolidation de la paix. Ces projets peuvent souvent concerner des groupes vulnérables comme les enfants et les mères des deux côtés d'un conflit.

iii) Education et formation inter-culturelles

166. Dans le cadre du soutien à l'éducation et à des mécanismes alternatifs de résolution des différends, les organismes de développement ont un rôle crucial mais délicat à jouer pour favoriser des solutions non violentes aux conflits intergroupes et rompre le cercle vicieux des antagonismes d'ordre ethnique, culturel et sectaire. Ils peuvent notamment aider à l'établissement de programmes et de manuels impartiaux et contribuer ainsi à entretenir et à diffuser des valeurs communes telles que la tolérance et le pluralisme, ou fournir une aide spécifique pour soutenir des actions "d'éducation à la paix" destinées à mieux faire comprendre les origines et l'histoire des relations au sein de la société et à favoriser la coopération et la réconciliation entre groupes. Les moyens considérables que la coopération pour le développement affecte aujourd'hui à l'éducation dans de nombreux pays, doivent mettre les donneurs en bonne position pour jouer un rôle à cet égard.

167. L'impact qu'une scolarité perturbée peut avoir sur les enfants se trouvant témoins de brutalités et de la désagrégation des structures sociales et morales peut contribuer à accroître l'instabilité sociale. Cela peut nuire à l'apprentissage des mécanismes permettant de gérer les conflits sans avoir recours à la violence et de savoir comment entretenir des relations pacifiques au sein des communautés religieuses et ethniques, et donc renforcer les relations conflictuelles intergroupes héritées du passé.

c) Action en faveur de la liberté et de l'accessibilité de l'information

168. L'importance de la liberté de la presse pour encourager les tendances démocratiques et le respect des droits de l'homme et des droits civiques est incontestable. Inversement, la diffusion d'informations délibérément déformées ou tendancieuses peut alimenter les tensions dans des contextes politiquement et socialement instables. Les médias et les sources d'information ont des moyens exceptionnels d'influencer les populations dans les situations où il y a risque de conflit, et ils ont un rôle crucial à jouer pour encourager le dialogue dans les sociétés divisées. Les médias sous contrôle ont souvent été utilisés par les belligérants pour aiguiser la haine, diffuser la propagande et déformer les événements afin de renforcer leur position. En période de crise, la simplicité d'accès à une information libre, honnête et complète peut faire beaucoup pour apaiser les tensions.

169. Les tensions et les violences localisées sont souvent dues autant à une mauvaise information et à des malentendus qu'à des divergences réelles. Les circuits locaux de communication et d'accès à l'information sur les événements qui se passent ailleurs dans la société peuvent aider à empêcher ces malentendus à dégénérer en conflits violents. Par la diffusion de comptes rendus de la situation à la fois honnêtes (exposant les divers points de vue), exacts (ne se contentant pas de rapporter les événements mais aussi le contexte) et complets (expliquant les processus et objectifs qui sont à la base des positions prises), les médias peuvent contribuer à désamorcer les conflits potentiels.

170. Dans leur rôle d'éducation sociale, les médias peuvent, en assurant une couverture non partisane des faits, s'attaquer à de nombreux problèmes sociaux qui préoccupent leur public et aider à atténuer les tensions et à instaurer un climat de confiance entre les divers secteurs de la société. Souvent, les informations importantes ont trait à la santé, à l'alphabétisme, à l'agriculture et à l'environnement. Dans les zones de conflit, elles peuvent aussi être élargies à des questions comme le danger des mines antipersonnel, les traumatismes de la guerre, les conventions de Genève sur le traitement des prisonniers, des blessés et des civils, l'évolution des négociations de paix et le progrès des processus de démobilisation et la recherche des personnes disparues. Les médias indépendants peuvent se faire les porte-parole des défavorisés et servir d'instruments de surveillance et de moyens de responsabiliser les dirigeants vis-à-vis du public. Dans les processus de consolidation de la paix, ils peuvent aussi faire en sorte que chacun des adversaires entende les arguments de l'autre, ouvrant ainsi des voies de communication là où elles n'auraient guère d'autres chances d'exister.

171. Dans leurs efforts pour renforcer la capacité des médias en tant que moyens d'informer les acteurs sociaux et politiques, les bailleurs de fonds doivent tenir compte de l'identité du public ciblé et de ses traditions culturelles afin de décider du choix des médias et de la programmation des émissions en conséquence. Tout cela est particulièrement important dans les zones de conflit où il y a peu de chances qu'il existe sur le terrain des activités de soutien permettant de faciliter la compréhension et de donner plus de force aux messages. Faire participer la collectivité à la conception, à la planification et à l'exécution des activités permet de l'impliquer pleinement.

Encadré 12. Le rôle d'éducateur social des médias en Somalie Ecouter la radio fait partie du mode de vie en Somalie ; c'est donc un outil important pour essayer d'influer sur les attitudes et le comportement dans ce conflit notoirement complexe. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF) ont essayé de diffuser des messages humanitaires par le BBC Somali Language Service ; l'UNICEF a en outre financé la Radio Voice of Peace qui émet à partir d'Addis Abéba.

Lorsque le CICR et la section somali du BBC World Service ont commencé à diffuser un feuilleton de fiction insistant sur la nécessité de préserver les valeurs humanitaires en temps de guerre et explorant divers moyens de résoudre le conflit, les réactions ont été diverses. Certains auditeurs l'ont bien accueilli et ont apprécié le message de paix qu'apportait le feuilleton de la BBC. Mais une enquête du CICR a montré que d'autres y voyaient une intrigue montée par un des clans pour critiquer ses rivaux. C'est le choix des acteurs qui a posé un problème, car leurs accents trahissaient leur origine et le nom du village imaginaire, qui s'est révélé être un village réel, a encore ajouté à l'impression que le feuilleton n'était qu'une attaque déguisée d'un clan par un autre. Pour que les messages de paix aient une chance quelconque d'avoir du poids, il faudrait qu'ils soient perçus comme neutres et non partisans.

Cette histoire montre les pièges dans lesquels peut tomber ce type d'émission lorsqu'il s'adresse à une société divisée : les auditeurs somalis y sont très sensibles. Ils font tout à faire couramment la comparaison entre les émissions de la BBC en somali, en anglais et en swahili et lorsqu'il y a des divergences, ils soupçonnent une conspiration de la BBC. C'est symptomatique d'un phénomène auquel tous les mass média sont confrontés dans les zones de conflit : que ce soit du fait de leur engagement personnel ou de leurs souffrances, leurs auditeurs ont souvent perdu toute objectivité.

172. L'aide des donneurs peut porter sur les domaines suivants :

-le soutien à l'établissement ou la modification de lois concernant l'indépendance et la liberté de la presse (par exemple, des lois anti-diffamation) ;
-la formation des journalistes locaux quant à la manière de rendre compte des conflits, de façon à aider à assurer une couverture précise et de qualité ;
-la création et le maintien de systèmes de médias nationaux et locaux autonomes (voir indépendants, y compris des stations de radio communautaires ou rurales), et leur engagement à respecter des critères éthiques et déontologiques stricts, par un soutien technique et financier ;
-la couverture locale des événements par les médias internationaux lorsque sans cela elle ne serait pas financièrement viable ;
-les projets et programmes visant à aider les pouvoirs publics à comprendre et à favoriser le rôle des médias dans une société démocratique et à fournir à ces derniers une aide matérielle, financière et juridique pour poursuivre le même objectif.

173. Dans les pays où l'accès aux informations est limité ou restreint, ou leur contenu contrôlé par l'Etat ou par des groupes partisans, il peut être nécessaire de trouver des circuits officieux d'information et de communication et d'en assurer le soutien. Dans de telles situations, les donneurs, en coopération avec les médias internationaux, peuvent contribuer à soutenir des médias locaux persécutés.

174. Le soutien aux médias en tant que voies de communication entre des points de vue opposés doit être un processus continu : la formation des journalistes et producteurs locaux requiert un soutien suivi, surtout dans les conditions difficiles d'un conflit ; le soutien technique aux médias indépendants doit être lié à la formation dans les domaines éditorial, technique et de la gestion, afin d'élever la qualité des programmes. Ce soutien ne doit pas concerner uniquement les journalistes, mais aussi les directeurs de l'information, les gestionnaires et, lorsque c'est possible, les autorités politiques qui peuvent avoir la maîtrise en dernier ressort des flux d'information. Les programmes de formation destinés aux médias doivent veiller à une représentation équilibrée des hommes et des femmes, et la composition des effectifs des médias devrait aussi refléter cet équilibre.

175. Des efforts particuliers destinés à accroître la représentation des femmes dans la presse et les médias audio-visuels pourrait leur fournir des occasions de développer leurs capacités dans ces domaines et par là leur donner une visibilité et une influence politique accrues. La présence de femmes dans les médias d'information peut à la fois contribuer à leur donner des moyens d'expression et à assurer que les questions d'intérêt particulier aux femmes sont plus souvent mises en avant.

D. Orientation à l'intention des donneurs

176. Les donneurs doivent s'efforcer de contribuer au développement, au sein de l'Etat et de la société civile, de structures et de modes de fonctionnement propres à favoriser et à conforter la démocratisation. Cela implique notamment de renforcer la capacité de l'Etat de mettre en place des institutions politiques qui soient représentatives, justes et à l'écoute du citoyen et d'en assurer la pérennité. Pour faciliter la transition vers un système démocratique de gouvernement, les donneurs devront peut-être répondre à des demandes d'aide pour l'organisation, le déroulement et la surveillance des consultations électorales. La démocratisation peut aussi nécessiter de développer dans la société civile l'aptitude à s'exprimer par des voies non violentes et à utiliser ou à mettre en place les mécanismes nécessaires pour défendre ses intérêts sur la place publique.

177. Les organismes de développement disposent pour cela de compétences particulières et de réseaux dans les pays en développement, mais c'est une tâche qui exige aussi des relations de travail efficaces avec d'autres acteurs --dirigeants politiques et militaires du pays, diplomates, institutions financières internationales (IFIs) et forces de maintien de la paix.

178. Pour encourager la participation aux initiatives de consolidation de la paix et de prévention des conflits, il faut d'abord déterminer quels sont les éléments, aussi bien dans l'Etat que dans la société, qui peuvent y contribuer efficacement ou au contraire y faire obstacle. La coopération pour le développement doit chercher à renforcer les éléments constructifs tout en modérant les effets de ceux qui constituent un frein. Plus précisément, elle doit éviter de centraliser indûment l'aide au renforcement des institutions de l'Etat, si cela risque de les rendre plus indépendantes des groupes et structures au niveau local et par conséquent moins soucieuses d'établir un dialogue et une coopération.

179. Le renforcement des institutions publiques doit être adapté au contexte politique, économique, social, culturel et historique du pays considéré. Il peut évidemment s'inspirer entre autres des exemples et des expériences des pays donneurs mais, en fin de compte, les institutions adoptées dans un pays donné peuvent être très différentes par la forme sinon par la fonction.

180. Plus précisément, les Membres du CAD doivent continuer à soutenir des actions visant à :

-faire en sorte que les structures et organismes de l'Etat fonctionnent tous dans la transparence et l'ouverture, au profit de tous les membres de la société et notamment des minorités et des groupes marginalisés et vulnérables ;
-encourager une consultation et une participation active de la communauté à la formulation, à la mise en oeuvre et à l'évaluation de la politique publique ;
-assurer l'accès à des services et équipements efficaces et d'un coût raisonnable et leur répartition équitable entre toutes les communautés ;
-veiller à ce que le gouvernement dialogue avec le public, les organisations et les groupes d'intérêt sans exclusive, discrimination ni sectarisme ;
-faciliter l'initiation du public, notamment des femmes, au fonctionnement, aux politiques et aux projets du gouvernement ;
-veiller à ce que les personnels des administrations et des structures de l'Etat soient représentatifs des communautés qu'ils servent ;
-faire participer les agents de l'Etat à tous les niveaux de planification et de prise de décisions ; et enfin
-veiller à ce que les agents de la fonction publique bénéficient de la formation ou du recyclage nécessaires, pour avoir les compétences administratives, de communication et autres indispensables à la réalisation des objectifs précédents.

181. Dans les cas extrêmes, où l'Etat ou certaines de ses institutions opposeraient une résistance particulière à la réalisation de ces éléments-clés de la prévention des conflits et de la consolidation de la paix, les donneurs pourraient se voir obligés d'envisager l'utilisation sélective d'incitations et/ ou de désincitations pour l'octroi des crédits d'aide. De telles approches, malgré leurs limitations, pourraient dans certains cas décider les bénéficiaires à renforcer ces volets indispensables de leurs programmes nationaux de développement.

182. Le soutien au règlement des conflits doit avoir pour premier objectif de contribuer à la mise en place de capacités locales elles-mêmes durables. Les bailleurs de fonds ne peuvent jouer qu'un rôle d'accompagnement et doivent être aussi ouverts que possible aux besoins et aux priorités exprimés par la société elle-même, afin que les solutions soient durables.

183. Les interventions des organismes de développement en faveur du dialogue et de la négociation ne doivent pas chercher à imposer des solutions venant de l'extérieur. Les intervenants doivent constamment se discipliner de façon à aider à créer l'espace dans lequel les parties au conflit pourront elles-mêmes rechercher des solutions et travailler ensemble à instaurer la paix et une bonne gestion des affaires publiques.

184. L'aide doit se poursuive à moyen et à long terme, faute de quoi les individus et les groupes réunis pour gérer une crise dans l'urgence risquent de "retourner à leurs affaires" avant que les causes fondamentales de la crise aient été véritablement traitées.

185. Toutes les interventions visant à appuyer des mécanismes locaux de règlement des conflits -- qu'il s'agisse d'autorités traditionnelles ou de groupes modérés --doivent tenir le plus grand compte de la dynamique politique, sociale et économique qui sous-tend le conflit.

186. Les donneurs savent bien que les interventions visant à renforcer ou à soutenir les institutions de la société civile ne peuvent pas toujours à elles seules empêcher ou contenir le conflit dans l'immédiat. Il faut donc que, parallèlement à leur action de renforcement des éléments de la bonne gestion des affaires publiques qui peuvent être propices à la paix, les donneurs soutiennent de façon durable les efforts de consolidation de la paix et de réconciliation qui se déploient au niveau des communautés.

V. Aide au relèvement après un conflit : les priorités opérationnelles A. Vue d'ensemble

187. L'objectif de la reconstruction après un conflit n'est pas de restaurer les conditions d'avant la crise mais de jeter les fondations de la paix et d'un développement durable. Lorsque l'autorité civile s'est effondrée, la première priorité est de restaurer la crédibilité d'une administration légitime au niveau de l'Etat, considérée par les citoyens comme étant au service de tous les groupes et capable d'alléger les tensions qui persistent inévitablement après le conflit.

188. Certains systèmes et institutions ont pu par le passé contribuer à des inégalités économiques et sociales, et à alimenter le conflit. Les situations post conflictuelles offrent donc souvent des possibilités inhabituelles de réforme politique, économique et administrative. Les domaines où une réforme est souvent indispensable comprennent l'administration et le régime fonciers, le fonctionnement de l'appareil judiciaire et les systèmes de sécurité intérieure, etc.

189. Quelle que soit la phase du conflit, les donneurs doivent déployer tous leurs efforts pour appuyer l'émergence d'un consensus interne sur un ensemble d'orientations et de programmes appropriés reflétant le contexte économique, social et culturel du pays concerné. Les autorités nationales et locales ou des groupes y compris des représentants les parties en conflit doivent participer à l'élaboration de ces programmes, jetant ainsi les bases d'un processus de développement mené par les acteurs nationaux.

190. Dès l'ouverture d'un dialogue politique sur des questions aussi essentielles que la bonne gestion des affaires publiques ou la participation, tous les groupes, y compris les groupes marginalisés, doivent être encouragées à s'exprimer. La liberté d'association et l'encouragement des partis politiques doivent être impérativement au programme. La participation du public au processus de reconstruction politique ne peut exister que si les droits civiques et les droits de l'homme des intervenants sont garantis.

191. Sur le plan opérationnel, le soutien à la reconstruction au lendemain d'un conflit doit être axé en priorité sur le rétablissement de la sécurité intérieure et de l'Etat de droit, la légitimation des institutions, l'établissement de conditions propices à une croissance économique équilibrée et l'amélioration de la sécurité alimentaire et des services sociaux. Il peut aussi être nécessaire de réformer les forces de sécurité et les systèmes judiciaires, ou même d'aider à mettre sur pied des institutions nouvelles, lorsque les structures existantes sont perçues comme illégitimes par la société.

192. D'autres priorités concernent plus spécifiquement les besoins particuliers des pays qui sortent d'un conflit violent, à savoir la réintégration des réfugiés et des personnes déplacées, la démobilisation des combattants, l'élimination des mines terrestres, souvent condition sine qua non de la normalisation de toutes les activités économiques. Ces autres priorités sont décrites en détail plus loin.

B. Rétablir une capacité de gestion économique

a) Questions principales et besoins prioritaires

193. Les pays en situation de crise ou se relevant d'un conflit violent ont un besoin urgent de mobiliser des ressources financières tant à l'intérieur qu'à l'extérieur dans des circonstances exceptionnelles de pénurie. Manquant cruellement d'expérience en matière de gestion macro-économique, les autorités nouvellement en place doivent aussi faire face simultanément aux impératifs concurrents de la consolidation de la paix et du redressement économique. La nécessité de sauvegarder la paix civile, de remettre en état les infrastructures de base, de réformer les institutions publiques, de relancer l'économie et de créer des emplois, exerce une lourde ponction sur les ressources budgétaires. Dans le même temps, l'impératif de jeter les bases d'une économie équilibrée et stable, et de rétablir la confiance des investisseurs privés implique de maîtriser les tensions inflationnistes.

194. L'élaboration d'un cadre macro-économique sain --même rudimentaire --pour la reconstruction est donc une priorité. L'objectif doit être d'établir une estimation réaliste du coût des activités de reconstruction et des efforts de paix et de s'assurer qu'il est compatible avec les ressources probablement disponibles ainsi qu'avec la capacité d'absorption du pays. Cela contribuerait à réduire le risque de disparités entre les accords politiques conclus au cours des négociations de paix et les ressources financières disponibles pour les mettre en oeuvre et, par là même, à favoriser la stabilisation économique. Conçu comme un effort conjoint associant les autorités établies ou appelées à exercer le pouvoir et les principales parties impliquées dans le processus de paix, ce cadre macro-économique servirait également à garantir la bonne utilisation de l'aide fournie par les organisations officielles et non gouvernementales.

195. Immédiatement après un conflit, la politique économique d'un gouvernement doit essentiellement viser à faire en sorte que les dépenses prioritaires indispensables à l'établissement de la paix et à la reconstruction (notamment les sommes versées aux soldats démobilisés, la remise en état d'infrastructures essentielles détruites par la guerre et le maintien de services sociaux essentiels) soient programmées de façon compatible avec la nécessité de rétablir un environnement macro-économique stable (notamment par l'application de politiques budgétaires et monétaires appropriées, la normalisation des relations financières avec les créanciers y compris les institutions financières internationales).

196. Il est également essentiel que ces dépenses publiques soient explicitement prévues dans un budget compatible avec : i) l'aide budgétaire et l'aide-projet extérieures disponibles, dans les limites de l'aptitude du pays à assurer le service de sa dette (en prenant en compte que le financement des donneurs se tarira avec le temps) et, ii) un financement intérieur non inflationniste qui ne détourne pas les ressources nécessaires à la satisfaction des besoins en capitaux du secteur privé naissant.

b) Recommandations

197. La mobilisation et l'affectation de ressources financières pour la reconstruction peut être grandement facilitée par la préparation dans les plus bref délais par le gouvernement et l'organisme "chef de file" d'un cadre macro-économique de reconstruction, en vue de l'organisation de l'assistance technique et du soutien financier en concertation avec les autres institutions et organismes intéressés: Ce document pourrait être similaire à la note d'orientation établie pour les pays à faible revenu qui bénéficient d'une aide financière du FMI. Il devra toutefois être moins détaillé et s'inscrire dans un horizon temporel plus court. Lors de la préparation des programmes d'aide aux pays en crise, tous les donneurs et organismes concernés devraient s'attacher à :

-engager des discussions avec les parties en présence sur un cadre général d'action économique destiné à servir de guide à la formulation des efforts de reconstruction le plus rapidement possible au cours des négociations de paix;
-engager de vastes programmes de formation et d'assistance technique afin de développer les capacités nécessaires à l'élaboration des politiques économiques et à la gestion des finances publiques ; et notamment à l'établissement d'un budget.

Encadré 13. La gestion économique : besoins prioritaires en matière d'assistance technique Il se peut que les autorités mises en place de fraîche date, en particulier les instances issues d'un conflit violent, n'aient que peu ou pas d'expérience de l'action gouvernementale, d'où la nécessité de les former dans un certain nombre de domaines spécialisés de la gestion économique et des finances publiques. Il importe de restaurer le plus tôt possible la capacité d'appliquer une gestion économique de base. Lorsque le troc et l'économie informelle ont remplacé ou supplanté les transactions monétaires et celles ayant lieu sur les marchés officiels, les services de base dans le domaine des changes, du commerce et de la banque peuvent également devoir être remis sur pied. Les autorités nationales ont besoin d'assistance dans les domaines suivants :

Gestion des finances publiques Le contenu et les priorités de cette assistance peuvent inclure le rétablissement des capacités de préparation et d'exécution du budget, de collecte des informations nécessaires à l'imputation et au contrôle des dépenses, de suivi du recouvrement des recettes ainsi que de gestion de l'aide extérieure et de vérification de son utilisation.

Formulation de la politique monétaire et de la politique de change Les besoins en matière d'assistance technique peuvent notamment concerner :
i) la création d'une autorité monétaire ;
ii) la réouverture de la Banque centrale ;
iii) l'amorce d'une réforme monétaire ;
iv) le rétablissement de procédures comptables appropriées à la Banque centrale comme dans les banques commerciales ;
v) le renforcement de la capacité de la Banque centrale à assumer l'administration du système de paiements, les pratiques de gestion monétaire et la supervision des banques ; et
vi) la remise sur pied des mécanismes de collecte des informations économiques clés (prix, statistiques monétaires, dette publique, balance des paiements, etc.). Ces mécanismes – et la procédure budgétaire correspondante – sont essentiels pour assurer l'efficacité de l'aide.

Parmi les questions auxquelles une réponse rapide doit normalement être apportée, figurent généralement les suivantes :

a) Dans le domaine budgétaire :
-quelles sont les mesures susceptibles de produire rapidement des recettes et les dépenses ordinaires prioritaires nécessaires pour relancer l'économie et remettre sur pied les infrastructures et les services sociaux de base.

b) Dans le domaine monétaire :
-comment se procurer des devises ;
-quels instruments utiliser pour contrôler le crédit et les agrégats monétaires ;
-quelles conditions minimales imposer pour l'ouverture ou la réouverture des banques commerciales ;
-quelles banques mettre en liquidation ; et quelle réponse apporter au problème de l'indemnisation des déposants ;
-comment établir un programme financier reposant sur des règles simples pour chaque agrégat monétaire et prenant en compte les besoins financiers du gouvernement et du secteur privé, ainsi que l'objectif de contenir les pressions inflationnistes.

c) Dans le domaine des changes et du commerce international
-quel taux de change et quel régime commercial adopter ;
-quel type de contrôles des changes appliquer le cas échéant ;
-comment rétablir les mécanismes de commercialisation des exportations et assurer que les importateurs locaux aient accès aux moyens de paiement internationaux.

C. Domaines prioritaires de soutien

a) Rétablir la sécurité intérieure et l'Etat de droit

198. La sécurité des personnes et le respect des droits fondamentaux de l'être humain sont la clé de voûte de tout effort de stabilisation politique et économique. Il est capital de reconstruire des institutions crédibles non seulement à l'échelon central mais aussi à l'échelon local, car elles auront une influence déterminante sur l'ensemble de l'effort de reconstruction, depuis la remise en route des secteurs productifs de l'économie jusqu'à la collecte et à l'élimination des armes. Dans le cadre de leurs règles et procédures, et en concertation avec d'autres formes d'assistance, les agences de coopération pour le développement devront s'efforcer de soutenir ces objectifs.

199. Beaucoup d'éléments constitutifs d'un Etat de droit peuvent nécessiter une aide pour prendre toute leur efficacité . Ils comprennent:

i) la formation de la police, des avocats et des juges et,
ii) le renforcement des capacités de règlement des litiges civils en matière foncière.
b) Légitimer les institutions de l'Etat 200. Les accords de paix peuvent faire des élections nationales la priorité des priorités. De manière plus générale, la relégitimation et le renforcement des capacités des institutions politiques sont essentiels pour le rétablissement durable de la paix et à la justice. Si des élections sont importantes pour instaurer la légitimité politique, elles ne suffisent pas, en elles mêmes, à instaurer ou à maintenir la démocratie. Le processus de démocratisation doit se concevoir dans un contexte plus large de changement des relations non seulement au niveau du gouvernement et de l'Etat mais aussi à celui de la société civile.
c) Soutenir la réemergence de la société civile

201. La polarisation des relations sociales compte parmi les conséquences les plus dévastatrices des conflits violents. Des conditions d'insécurité contribuent à la création d'un climat de méfiance durable. Il est donc essentiel, pour soutenir la réconciliation nationale, d'aider à la reconstruction des liens et relations intercommunautaires, et d'appuyer la participation de la société civile à la vie politique nationale.

d) Améliorer la sécurité alimentaire et les services sociaux

202. Améliorer la sécurité alimentaire est fondamental pour toute stratégie de prévention systématique comme pour assurer, dans le prolongement de l'aide d'urgence, une préparation aux catastrophes et un développement durable. Cela comprend des efforts pour améliorer la productivité agricole et le fonctionnement des marchés et circuits de distribution ainsi que d'autres mesures propres à favoriser la stabilisation des prix à la production. La remise en route des services essentiels de santé, d'éducation, d'approvisionnement en eau et la reconstitution de moyens d'existence pour les femmes et les enfants sont aussi des priorités fondamentales.

e) Développer les capacités administratives

203. Quelle que soit l'urgence des autres besoins, le développement des capacités techniques et administratives des principales administrations ne saurait être différé sans compromettre la durabilité du

processus de reconstruction. Lorsque l'insuffisance de personnel qualifié est critique, il se peut que les donneurs soient obligés de mettre à la disposition des pouvoirs publics du personnel détaché pour une courte durée. Comme le montre l'exemple de divers programmes parrainés par les Nations Unies, il est possible aussi de mobiliser, grâce à des incitations spéciales, des membres de la diaspora en exil.

D. Réintégration des populations déracinées

a) Principes et considérations à prendre en compte

204. Les déplacements de personnes contre leur gré sont un signe indubitable de conflit au sein de la société, d'insécurité sociale et de l'incapacité du gouvernement de protéger les citoyens. A l'inverse, le rétablissement de l'Etat de droit, le respect des droits de l'homme et la restauration des conditions de la paix et de la sécurité civile peuvent aider à encourager le retour, dans la dignité, et la réintégration réussis des réfugiés, des personnes déplacées et des anciens combattants démobilisés.

205. La présence de nombreux réfugiés fait également peser sur les pays voisins hôtes une charge économique et sociale qui peut être source de déstabilisation politique. Le retour dans la sécurité et en bon ordre des réfugiés dans leur pays d'origine, lorsque la situation le permet peut favoriser la sauvegarde de la stabilité politique dans la région.

206. La réintégration constitue souvent le premier pas vers la réconciliation nationale. Il doit s'inscrire dans un cadre juridique offrant des garanties juridiques aux anciens combattants et réfugiés rapatriés. Les personnes déplacées doivent également être assurées de ne pas être victimes de mesures punitives ou discriminatoires à leur retour. Les besoins spécifiques des populations déracinées doivent être explicitement pris en compte dans les négociations de paix afin que les accords officiels englobent des stratégies de réintégration et de démobilisation. La responsabilité qui incombe aux Etats de protéger leurs citoyens, qu'il s'agisse de réfugiés rapatriés ou d'autres groupes touchés par la guerre, est une considération essentielle.

207. Outre la restauration d'une sécurité minimale, les priorités de la réintégration incluent l'accès aux ressources en eau et à l'assainissement, des intrants agricoles y compris des crédits pour améliorer la production vivrière, des infrastructures de transport et de communication, des services sociaux, notamment de santé et d'éducation, ainsi qu'une aide à l'établissement de documents juridiques et d'état-civil. A cet égard, il est essentiel que la formulation des budgets de dépenses publiques tant au niveau national que local, prenne clairement en compte les coûts récurrents de services publics essentiels, tels les salaires des professeurs et personnels médicaux requis pendant la phase de réintégration. La question du règlement des litiges en matière de droits fonciers doit également être traitée au plus tôt.

208. Le processus de réintégration ne peut être engagé avant que les zones sûres ou à faible risque aient été identifiées Les mesures d'identification, de déminage et de signalisation des zones minées constituent une des grandes priorités dans ce contexte. En outre, il faut garder à l'esprit que le processus de rapatriement ne peut être viable à long terme que s'il est soutenu et consolidé par des programmes plus larges de développement. Il importe donc d'établir au plus tôt des liens opérationnels entre ces deux types de programmes.

b) Programmes de reconstruction et de réintégration au niveau local

209. Des programmes locaux de relèvement et de réinsertion ont été élaborés pour faciliter la réintégration des populations déracinées. Mis en oeuvre au niveau des communes, des districts et des provinces, ils se concentrent sur le renforcement de la capacité des collectivités d'accueil à intégrer de nouveaux résidents. En associant secours d'urgence et stratégies de développement, ils contribuent à atténuer les dommages économiques causés par la guerre et à promouvoir la réconciliation sociale au niveau local.

210. Ces programmes s'appuient sur l'initiative locale et répondent à des priorités déterminées localement avec la participation de la société civile, des ONG, des syndicats et des entreprises privées ayant une implantation locale. Ils favorisent l'autonomie locale et contribuent à activer le potentiel d'auto-assistance des populations intéressées. Ils permettent d'intégrer des activités allant de la prestation de services sociaux essentiels à l'assistance juridique dans le domaine de l'établissement de documents d'état-civil et de l'enregistrement des titres de propriété foncière, en passant par la reconstruction des infrastructures matérielles. De tels programmes ont été mis en oeuvre dans un certain nombre de pays déchirés par la guerre en Amérique centrale, en Asie et en Afrique.

i) Principales caractéristiques des programmes

211. Orientation géographique : Le choix de zones géographiques spécifiques pour la mise en oeuvre de tels programmes permet d'éviter les distinctions entre différentes fractions de la population et de répondre sans discrimination aux besoins des personnes déplacées, des réfugiés, des anciens combattants et des autres victimes de la guerre. Les programmes facilitent également la participation de populations vulnérables aux initiatives de développement local, veillant à maintenir un équilibre entre les intérêts des groupes les plus actifs et organisés et ceux qui le sont moins. Cela peut contribuer à soutenir concrètement des stratégies plus larges visant à promouvoir la consolidation de la paix et la solidarité sociale. C'est indispensable pour éviter de nouvelles iniquités et de nouvelles tensions dans la collectivité. Les zones choisies pour la mise en oeuvre de ce type de programme sont celles où le processus de paix est le plus fragile et où l'exclusion sociale est la plus aiguë ou dans lesquelles un grand nombre de personnes déplacées doivent se réinstaller.

212. Enclenchement de la réconciliation : Ces programmes visent à offrir une forte incitation à une véritable réconciliation. Ils fournissent des ressources financières et une assistance technique à des groupes de population qui – quelle que soit leur appartenance politique et leur place dans la société – veulent travailler ensemble. S'il faut beaucoup de temps et de longues négociations pour renforcer la participation et la prise de décision au niveau local, la réaction des populations intéressées a généralement été positive.

213. Gestion décentralisée : La planification et la gestion des programmes relèvent des représentants de la société civile locale réunis à cet effet. Ils ont la responsabilité de formuler et mettre en oeuvre les plans d'investissement de première priorité, de trouver des sources de financement et d'établir les mécanismes de recouvrement des coûts. Les structures socio-économiques sont ainsi revitalisées dans des conditions compatibles avec les traditions et la culture locales.

214. Liaison étroite entre les initiatives locales et nationales : Un autre objectif central de ces programmes est d'établir des liens étroits entre les institutions locales et leurs homologues au niveau provincial et national afin d'assurer la cohérence des stratégies adoptées. La viabilité à long terme des systèmes administratifs mis en place au niveau local dépend de leur intégration à ceux qui existent au niveau national. Dans certains cas, le renforcement des institutions dans le cadre d'un programme de reconstruction locale a ouvert des possibilités de réformes plus générales, certains des systèmes de gestion des affaires publiques mis en place au niveau local étant par la suite transposés ailleurs.

215. Stratégies intégrées de réhabilitation économique et sociale : La reconstitution du tissu social des zones cibles exige la revitalisation de l'activité économique et la reconstruction des infrastructures de base détruites par la guerre. Cela peut se faire en partie grâce à des travaux publics à forte intensité de main-d'oeuvre ou des programmes "vivres contre travail". La fourniture des services sociaux et la reconstruction du patrimoine de la communauté rendent les avantages de la paix et de la réconciliation plus tangibles. L'amélioration des conditions de vie, des perspectives d'emploi et des possibilités de formation aide à créer un environnement tel que les individus ont le sentiment d'avoir réellement intérêt à soutenir le processus de paix. Pour que le développement soit durable, il est essentiel que les hommes et femmes habitant des zones dévastées par la guerre passent du statut de victimes à celui de bénéficiaires, puis d'acteurs à part entière.

ii) Principales composantes des programmes

216. Plusieurs activités distinctes peuvent être menées à bien simultanément dans le cadre d'une gestion intégrée :

217. La protection des droits de l'homme : Il s'agit notamment de créer ou de renforcer des mécanismes visant à protéger les droits de l'homme et les droits civiques et à rétablir la confiance des citoyens à l'égard du système juridique et leur accès à la justice. C'est là un important élément des efforts pour combattre l'exclusion sociale et favoriser l'insertion des groupes de population marginalisés dans la vie économique et sociale.

218. La santé : Il s'agit notamment de mettre en place des systèmes de santé au niveau local conformément à une stratégie de décentralisation des services et des soins de santé primaires. Les services de santé ne se limitent pas à la prévention et au traitement des maladies mais couvrent également le bien-être social et collectif. L'efficacité des activités entreprises dans ce domaine exige la collaboration de l'Etat, ainsi que des collectivités et ONG locales.

219. L'éducation : Il s'agit notamment d'instituer des systèmes locaux d'éducation permettant de mettre la gestion des infrastructures et des services éducatifs en accord avec les principes admis de coexistence pacifique des différentes communautés et de respect des différences culturelles.

220. L'appareil productif : Il s'agit notamment de fournir aux paysans des intrants et une aide à la commercialisation et de créer des organismes de développement économique local ou de mettre en place des mesures d'assistance technique ou de soutien financier aux entrepreneurs.

221. L'infrastructure matérielle : Il s'agit de reconstruire les routes, les réseaux d'irrigation, les systèmes d'approvisionnement en eau potable, les écoles, les centres de soins, des logements d'un confort minimal, des réseaux d'assainissement et des latrines. Ces activités sont généralement menées à bien par des ONG, des PME, des coopératives et des associations locales.

222. La réhabilitation de l'environnement : Il s'agit d'établir des mécanismes de planification de l'utilisation des terres permettant d'identifier et d'évaluer les différentes pratiques agricoles et les différents modes d'exploitation envisageables et de mettre en oeuvre des programmes de portée locale pour remettre en état les bassins versants et protéger les zones écologiquement fragiles.

c) Quelques enseignements de l'expérience

223. La réussite du processus de reconstruction au lendemain d'un conflit dépend pour beaucoup de la participation des réfugiés et des personnes déplacées à leur retour, car ils représentent souvent des factions qui se sont opposées au gouvernement durant le conflit. L'aide au lendemain d'un conflit doit en tenir compte.

224. La conduite des parties en guerre pendant le conflit, et en particulier le comportement des combattants à l'égard des populations civiles, détermine les chances de réconciliation et de l'instauration d'une paix durable. La mise en place de mécanismes permettant de faire la lumière sur les violations des droits de l'homme et de poursuivre en justice les individus accusés de crimes de guerre, y compris le viol, peut être une partie intégrante d'un processus de réconciliation nationale viable. Les conséquences sociales, psychologiques et matérielles de la violence doivent également être prises en compte dans les programmes de réintégration.

225. Dans certains cas, les parties en conflit prennent délibérément les populations civiles pour cible d'actes de violence dans le cadre d'une stratégie politique. En conséquence, la situation des personnes déplacées dans leur propre pays peut être bien plus précaire que celle des réfugiés, qui ont bénéficié de la protection internationale et du minimum vital. D'autre part, les besoins des populations déplacées qui reviennent ne sont pas nécessairement plus grands que ceux des populations locales restées chez elles pendant toute la durée des troubles. Dans ces situations les efforts pour satisfaire les besoins des personnes de retour doivent aussi répondre à ceux de la population locale.

226. Bien qu'on ne puisse être certain que les personnes de retour veuillent nécessairement se réinstaller dans leur région d'origine ou revenir à leur ancienne activité, les études portant sur les problèmes auxquels sont confrontés les rapatriés montrent l'importance capitale de l'accès aux terres agricoles et la valeur de la solidarité de la parenté dans la phase initiale de réinstallation. Parmi les rapatriés, seule une minorité peut mettre à profit les nouvelles compétences acquises en exil, et beaucoup sont obligés de retourner à la terre.

227. L'expérience des nombreux programmes de rapatriement et de réinsertion de réfugiés montre qu'une grande partie des ressources de l'aide disponible a souvent été allouée aux opérations de rapatriement. La réinsertion vient au second plan. Or, on s'aperçoit de plus en plus que la réinsertion des rapatriés est la partie la plus complexe du processus et celle qui exige le plus de moyens. Il importe en outre de synchroniser les programmes de réinsertion avec le retour des réfugiés et d'éviter un hiatus prolongé entre le rapatriement et l'aide à la réinstallation.

d) Acteurs et partenariats

228. Dans le cadre de son mandat qui inclut la protection, le travail de préparation de la réinsertion des réfugiés est en général entrepris par le HCR dans le cadre des opérations de rapatriement, avec le lancement de projets d'effet immédiat visant à aider les collectivités à accueillir les rapatriés. En règle générale, les ONG nationales et internationales sont associées à ces opérations en tant que partenaires de l'exécution des programmes du HCR.

229. Souvent, l'aide initiale au retour se prolonge par des programmes plus vastes tels que les programmes de relèvement et de réinsertion au niveau local parrainés par le PNUD et l'UNOPS (le bureau des services d'appui aux projets des Nations Unies), dont la structure de gestion décentralisée sert aux diverses activités menées par des autres agences spécialisées des Nations Unies, les autorités locales ou par des ONG.

e) Meilleures pratiques recensées

230. Avant le rapatriement, il convient de procéder à une évaluation pour vérifier si les voies d'accès, les terres agricoles et les sites de retour sont libres de mines terrestres et, lorsque c'est nécessaire, affecter des crédits à des programmes de signalisation des zones minées et de déminage.

231. Les programmes de réinsertion des personnes déplacées, en particulier lorsqu'il s'agit de programmes de portée locale, exigent une parfaite connaissance des besoins pour déterminer de façon réaliste la nature et l'ampleur de l'action nécessaire. Cela nécessite une analyse approfondie de la situation politique, économique et sociale, de l'état des infrastructures et des conditions de sécurité immédiatement après le conflit, analyse qui doit être effectuée, au plus tôt, avant que l'aide humanitaire prenne fin.

232. L'aide ne doit pas être ciblée sur des groupes particuliers de bénéficiaires. Pour qu'elle contribue à la réconciliation sociale, elle doit bénéficier de façon visible à l'ensemble de la population locale et offrir des avantages à tous ceux qui résident dans les zones où des populations déracinées doivent se réinstaller, qu'elles aient été déplacées à l'extérieur ou à l'intérieur du pays, qu'elles aient participé au conflit en qualité de combattants, ou qu'elles soient restées chez elles pendant les hostilités. Les programmes doivent être aussi décentralisés que possible et viser à promouvoir la coopération au sein des communautés victimes du conflit comme entre elles, ainsi qu'à assurer au niveau local la détermination des besoins prioritaires et des moyens d'y faire face.

f) Orientations à l'intention des donneurs

233. L'importance des moyens nécessaires pour organiser le rapatriement des réfugiés peut parfois masquer les besoins et les difficultés considérables qu'implique ensuite la réinsertion aussi bien des réfugiés que des personnes déplacées à l'intérieur du pays. La réinsertion est un processus long et complexe qui demande autant de préparation et de soutien, que le rapatriement ou le transfert lui-même.

234. Les institutions des Nations Unies directement impliquées dans l'effort de réinsertion faisant appel à des contributions volontaires des bailleurs de fonds, il est important que les engagements correspondants soient définis suffisamment longtemps avant l'opération de rapatriement pour que ces organismes puissent mettre en place les structures administratives nécessaires pour assurer les opérations de réinsertion à plus long terme. En effet, un hiatus dans l'acheminement de l'aide après le retour, risque de compromettre gravement l'efficacité des programmes.

235. Dès le début des opérations, il est nécessaire d'établir des liens stratégiques et opérationnels entre l'aide initiale à la réintégration et les programmes plus larges de développement. Cela est nécessaire pour assurer le retrait progressif de l'aide humanitaire.

E. Démobilisation et réinsertion sociale des anciens combattants

a) Principes et considérations à prendre en compte

236. La réussite de la démobilisation et du retour des anciens combattants à la vie civile est une condition essentielle de la stabilité politique et de la reconstruction des sociétés déchirées par la guerre. Elle

est souvent au lendemain d'un conflit une première priorité pour les gouvernements et ceux-ci font appel à l'aide internationale pour divers aspects des programmes de démobilisation.

Encadré 14. L'opération "Flamme de la paix" au Mali Après des années de troubles et de violences dans le nord du pays, les négociations entre le gouvernement du Mali et les dirigeants de la rébellion touarègue se sont soldées par la conclusion, en 1992, d'un accord de paix (le "Pacte national"). L'amorce de réconciliation et de démobilisation a toutefois été de courte durée, le gouvernement du Mali ayant rencontré de graves difficultés pour gérer le programme convenu de démobilisation et de réinsertion et pour apporter au Nord l'assistance économique promise.

Certains éléments du mouvement touareg ont fait sécession avec l'organisme central de coordination du Pacte national et de nombreux anciens combattants touareg, qui avaient été intégrés dans l'armée nationale, sont retournés à la rébellion. Des combats sporadiques ont éclaté entre les forces gouvernementales et les milices, les rapines et les opérations de contrebande se sont multipliées, et la sécurité s'est détériorée au point d'empêcher la mise en oeuvre de nombreux programmes de développement dans le nord du Mali. L'ampleur du stock d'armes en circulation, en sapant les efforts de démobilisation, a manifestement contribué à cette dégradation des conditions de sécurité.

En octobre 1993, le Président du Mali a créé un précédent en sollicitant l'aide du Secrétaire général des Nations Unies pour une opération de saisie et d'élimination des armes de petit calibre détenues illicitement. Une mission consultative s'est rendue au Mali pour évaluer la situation et est parvenue à la conclusion que les conditions de sécurité étaient telles dans ce pays qu'elles gênaient la mise en oeuvre des programmes de démobilisation et de réinsertion, et le retour des réfugiés, et empêchaient de ce fait toute avancée du développement économique et social. La mission a donc proposé l'adoption d'une stratégie axée avant tout sur la sécurité pour remédier à ce problème, laquelle impliquait une aide extérieure pour mettre en place des programmes de renforcement des capacités dans la police et les autres forces chargées de la sécurité intérieure, une intensification des contrôles aux frontières et d'autres mesures encore. Le gouvernement du Mali s'est rallié à cette stratégie et a élaboré, dans le cadre du Pacte national, un programme d'urgence prévoyant, outre des mesures de démobilisation et des projets de développement, la mise en place d'un nouveau système renforcé de sécurité et des dispositions propres à favoriser la réintégration des soldats démobilisés dans la vie civile et dans les structures administratives.

Le PNUD a accepté d'appuyer ce programme sous réserve que des experts des Nations Unies approuvent les plans concernant le système de sécurité et assurent le suivi de leur mise en oeuvre, et il a apporté son soutien au programme d'urgence de réintégration et de construction de la paix. En mars 1996 a été organisée à Tombouctou une grande manifestation, lors de laquelle les anciens combattants des milices et de la rébellion touareg ont restitué leurs armes qui ont ensuite été jetées dans un immense brasier sous les yeux d'inspecteurs envoyés par les Nations Unies. Outre qu'elle a permis l'élimination d'une énorme quantité d'armes légères, cette "Flamme de la paix" a largement contribué, par sa signification politique et symbolique, au processus de paix.

Le gouvernement du Mali a également créé une Commission nationale chargée de coordonner les efforts entrepris pour lutter contre l'extension de la détention, licite ou illicite, d'armes légères. Un code de conduite régissant les relations entre civils et militaires a par ailleurs été élaboré, exercice auquel ont participé des représentants de l'armée, de la police, des autorités civiles, du parlement et de divers segments de la société civile ainsi que des experts des Nations Unies. Cela a permis notamment de donner des orientations pour renforcer les garanties quant à la bonne utilisation de l'aide fournie pour le rétablissement de la sécurité. Malgré ces avancées, le processus de paix engagé à la suite des conflits demeure fragile, compte tenu du fait que de nombreuses armes légères continuent à circuler et de la médiocrité des conditions intérieures de sécurité.

237. Là où la démobilisation n'a pas été bien conduite, on a pu voir des troupes qui ne percevaient plus leur solde ou qui n'étaient plus encadrées, se transformer en bandes de pillards, s'attaquant aux villageois et à la circulation routière, ou se remobiliser pour fomenter des insurrections contre le régime en place. Outre ses effets sur la stabilité politique, l'insécurité qui en résulte peut avoir des répercussions dévastatrices sur l'activité économique. Le problème est d'élaborer des programmes de démobilisation efficaces par rapport à leur coût et qui soient satisfaisants pour les anciens combattants eux-mêmes.

238. La situation politique dans les pays voisins peut avoir une incidence majeure sur le succès et la crédibilité des efforts de démobilisation nationaux, qui doivent donc être replacés dans le contexte plus large des relations politiques et militaires au niveau régional.

239. La fourniture d'une aide à la réinsertion des anciens combattants pose aux donneurs deux problèmes particuliers:

-En premier lieu, certains d'entre eux peuvent être confrontés à certaines restrictions juridiques en ce qui concerne la fourniture d'une aide financière à des organisations militaires, même à des fins de démobilisation et de libération.
-En second lieu, le risque toujours présent d'une reprise des hostilités peut faire beaucoup hésiter à financer des programmes d'aide à la démobilisation.

240. Dans le même temps, la réalisation d'un accord sur la démobilisation peut elle-même être facilitée par la connaissance du fait que des programmes ont été mis en place pour venir en aide aux combattants démobilisés. Une fois l'accord conclu, sa mise en oeuvre doit suivre rapidement pour réduire le risque d'une reprise du conflit. Il faut un certain temps pour préparer ce genre de programmes. La décision de les soutenir ne peut attendre la conclusion d'accords de paix et doit être basée sur une évaluation de la probabilité d'un aboutissement des négociations politiques.

b) Besoins et domaines de coopération

i) Cantonnement et libération

241. En général, la démobilisation commence par le regroupement des anciens combattants dans des cantonnements où ils rendent leurs armes et leurs uniformes et attendent leur libération. La période de cantonnement souvent supervisée par des observateurs militaires des Nations Unies, sert l'objectif essentiel de la sécurité, à savoir recenser les combattants et leurs armes et établir entre les parties en guerre une confiance mutuelle quant au respect des termes d'un accord de paix négocié.

242. Les besoins des troupes cantonnées, à savoir des vivres, de l'eau, un abri, des installations sanitaires, des soins de santé élémentaires, et autres besoins fondamentaux peuvent être faciles à satisfaire. Cependant, le gouvernement, qui est déjà souvent en retard dans le paiement des soldes, peut avoir besoin d'aide pour couvrir les coûts qu'ils entraînent.

243. Bien que tout soit fait pour que la période de cantonnement soit aussi courte que possible afin de réduire les risques de désordres, le contexte politique dans lequel a lieu la démobilisation est extrêmement imprévisible et la durée effective du cantonnement peut être difficile à estimer à l'avance. Si la période de cantonnement se prolonge, les besoins des soldats regroupés dans les camps, qui sont souvent rejoints par leurs familles, peuvent augmenter considérablement, et nécessiter la mise en place de nouveaux équipements, notamment de sports et de loisirs.

244. Cela dit, la période de cantonnement permet aussi de déterminer le nombre de combattants à démobiliser et d'effectuer des enquêtes détaillées sur leurs compétences, leur situation sociale, leurs intentions, ainsi que leurs attentes, ce qui facilite l'élaboration des programmes de réinsertion. Il est possible aussi de donner aux anciens combattants et aux personnes à leur charge une première idée de ce à quoi ils doivent s'attendre dans la vie civile ainsi qu'une orientation et une formation professionnelles.

Encadré 15. Les enfants soldats Selon une récente étude des Nations Unies intitulée "L'impact des conflits armés sur les enfants", depuis 30 ans les Etats et les armées rebelles à travers le monde ont recruté des dizaines de milliers d'enfants, la plupart du temps des adolescents de moins de 18 ans, mais aussi des enfants de 10 ans, voire moins encore. Ils sont généralement originaires de familles pauvres et en sont souvent séparés de force pour être mobilisés. Principales victimes des bouleversements sociaux et de la violence, les enfants deviennent ainsi eux-mêmes les auteurs de violences.

Les armées cherchent toujours à masquer la présence d'enfants dans leurs rangs. C'est pourquoi les accords de paix ne prévoient rien pour cette catégorie d'anciens combattants, malgré tout ce que leur doit la société pour les avoir privés à un âge critique des chances d'un développement émotionnel et intellectuel normal.

Les mesures particulières nécessaires pour démobiliser les enfants et les réinsérer dans la société sont presque prises par raccroc. La première priorité est d'essayer de les rendre à leurs familles, si on peut en retrouver la trace, et de localiser leur collectivité d'origine. L'achèvement de leur scolarité primaire est aussi une priorité et, dans la mesure où les enfants soldats ne pourraient pas être intégrés dans les classes normales, il faudrait en organiser de spéciales. En grandissant, les enfants soldats risquent d'avoir assimilé l'idée que la violence paie et une véritable reconversion qui leur donne des qualifications professionnelles fait partie d'un processus de sevrage qui comporte une aide psychologique et une réadaptation.

Comme dans bien d'autres situations, les solutions les meilleures sont préventives. Cela peut aller d'une coopération avec les gouvernements pour qu'ils adoptent et ratifient les dispositions du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant, qui concerne la situation des enfants dans les conflits armés, à l'instruction des plaintes ou à la négociation avec les groupes rebelles d'accords interdisant le recrutement d'enfants soit comme combattants soit pour des fonctions militaires de soutien.

ii) Réinsertion et réintégration

245. La libération effective des anciens combattants est généralement subordonnée à la bonne application d'autres éléments des accords de paix. En quittant le cantonnement, les anciens combattants sont souvent dispersés et ramenés dans leur district d'origine. A leur arrivée, il faut les mettre en rapport avec les représentants de l'administration locale et avec les ONG présentes localement.

246. L'aide initiale à la réinsertion prend d'ordinaire la forme d'allocations destinées à aider à la satisfaction des besoins essentiels des anciens combattants – logement, soins médicaux, vivres, habillement, etc. – pendant une période allant de plusieurs mois à deux ans. Il peut s'agir de versements en espèces, de bons ou de transferts en nature ; une autre fonction importante de cette aide transitoire est d'alléger le poids que représentent les anciens combattants et les personnes à leur charge pour les communautés qui les accueillent. La composition de l'aide à la réinsertion doit tenir compte de l'environnement culturel et des modes de subsistance locaux.

247. Si le versement d'allocations permet la plus grande souplesse au moindre coût, le choix du mécanisme d'aide à la réinsertion et à la réintégration dépend de la situation locale, et notamment de la présence d'agences bancaires locales. Lorsque l'aide est fournie sous forme d'allocations, il est généralement préférable qu'elles soient versées en plusieurs fois, avec possibilité d'obtenir des avances pour investissement, plutôt qu'en une seule.

Encadré 16. Démobilisation et réinsertion en Ouganda et en Ethiopie Historique En 1992, le gouvernement de l'Ouganda a annoncé la démobilisation et la réintégration dans la société civile d'environ 50 000 soldats. Une Commission d'aide aux anciens combattants ougandais a été créée à cet effet. En Ethiopie, après plusieurs décennies de conflit armé, le gouvernement s'est trouvé confronté à la nécessité de fournir une aide à 3.5 millions de personnes déracinées : anciens combattants et leurs familles, personnes déplacées et rapatriées. Les anciens combattants démobilisés étaient considérés comme présentant un risque potentiel pour la sécurité, étant donné leur expérience militaire et les mentalités de "hors-la-loi" acquises après de nombreuses années de combat. Un programme à long terme initié par le gouvernement éthiopien a apporté une aide à la réinsertion des anciens combattants.

En Ouganda, l'objectif d'ensemble est de réinsérer les anciens combattants en créant des possibilités d'emploi dans leurs collectivités d'origine. Il s'agit pour cela de créer de petites entreprises ougandaises autonomes, dans le secteur de l'entretien des routes. L'ouverture de possibilités d'emploi de ce type doit faciliter la réintégration sociale des anciens combattants et leur acceptation par la collectivité. Le programme vise aussi à leur donner de nouvelles qualifications ainsi qu'à leurs familles.

En Ethiopie, l'objectif essentiel est de créer des emplois et des activités génératrices de revenu, en coopération avec les ONG et les administrations locales et régionales. Un "fonds ouvert" et créé à cette fin, pour aider les ONG, les associations locales et les groupes d'auto-assistance de base à entreprendre des initiatives de réinsertion. Ces initiatives sont de divers types : vivres contre travail, travail rémunéré, fourniture d'intrants agricoles et formation. Le projet vise aussi à renforcer les structures économiques locales détruites par la guerre.

Quelques leçons de l'expérience En Ouganda, la stratégie consistant à aider à insérer les anciens combattants dans la société locale en les employant dans le secteur de la reconstruction et de l'entretien des routes s'est révélée positive, bien que le taux de participation des anciens combattants soit resté inférieur à 50 pour cent. En Ethiopie, les résultats obtenus ont montré que la réinsertion des anciens combattants grâce à des offres d'emploi à court terme était de nature à faciliter la compréhension et la réconciliation.

Cette expérience permet de tirer quelques enseignements généraux :

--La délivrance d'un certificat de démobilisation non transférable : i) garantit que les anciens combattants ont accès à leurs prestations et, ii) réduit le risque d'erreurs de ciblage. La fourniture permanente d'informations aux bénéficiaires sur les possibilités, les limitations et les procédures favorisent beaucoup la réinsertion.

--Il convient que les anciens combattants et leurs conjoints participent à la conception des aides. Les dons en nature doivent correspondre à leurs besoins spécifiques ; l'aide financière ne doit pas être versée en une fois mais par acomptes et une partie de l'allocation doit aller directement aux femmes

--L'accès à la terre et au crédit est indispensable à la réinsertion des différents groupes dans la société. Les mécanismes de micro-crédit ont leur importance, mais ils doivent être complétés par des conseils professionnels afin de garantir une utilisation efficace des sommes mises à disposition.

--Une coordination centrale par un organisme temporaire, avec décentralisation de l'exécution auprès des collectivités, représente un dispositif institutionnel efficace. Les bureaux de terrain permettent : i) aux bénéficiaires d'avoir plus facilement accès aux prestations du programme et, ii) au gouvernement de mieux adapter le programme aux besoins locaux.

248. Il est cependant essentiel que cette aide ne soit pas perçue comme un droit devant durer indéfiniment. La date où elle prendra fin doit être clairement indiquée aux anciens combattants dès le moment de leur démobilisation. Des dispositions spéciales doivent cependant être prévues pour l'octroi d'une aide à long terme aux anciens combattants gravement handicapés.

249. Bien que le soutien à la réintégration se concentre généralement sur les anciens combattants, il ne faut jamais perdre de vue le fait que de nombreuses autres catégories de personnes se trouvent confrontées à des difficultés énormes lors de leur réintégration au sein de groupes familiaux ou villageois au terme de conflits armés. Il s'agit en particulier de mères célibataires, de victimes de viol ou de filles et femmes qui ont dû avoir recours à la prostitution pour survivre. Dans les sociétés traditionnelles, ces personnes ont en particulier beaucoup de mal à se faire accepter à leur retour. Il arrive aussi que dans certaines sociétés les familles rejettent leurs filles célibataires. La réintégration dans les situations de ce genre doit faire l'objet de mesures particulières, allant de l'assistance socio-psychologique, tant pour les victimes de l'exclusion que pour leurs familles, à la formation dans des domaines tels que la nutrition, le soin des enfants et l'éducation élémentaire.

c) Quelques enseignements de l'expérience

250. Les anciens combattants ont souvent le sentiment qu'ils méritent une attention particulière car ils ont consenti de grands sacrifices personnels pour le pays et ont enduré l'essentiel des souffrances causées par la guerre. Leur capacité de casser le processus de paix justifie d'ailleurs qu'on leur accorde une attention particulière. La situation politique peut donc imposer de fournir une aide hors de proportions aux anciens combattants, même si c'est en contradiction avec les principes humanitaires et d'équité généralement reconnus. Résoudre ce dilemme nécessite beaucoup de pragmatisme et de sens politique.

251. Dans le même temps, les anciens combattants les moins gradés issus de l'armée ou des forces rebelles peuvent souvent constituer une catégorie sociale vulnérable partageant un grand nombre de caractéristiques avec les autres personnes déracinées par le conflit. Du fait qu'ils ont été enrôlés très jeunes, un grand nombre d'entre eux n'ont qu'un très faible niveau d'instruction, guère de compétences utilisables dans le civil, et peu ou pas du tout d'expérience sur le marché du travail. Qui plus est, beaucoup souffrent de handicaps physiques et psychologiques. Le ressentiment à l'égard des anciens combattants, qui sont souvent tenus pour responsables des destructions en temps de guerre, est également un obstacle à leur réinsertion dans la société civile.

252. Le retour des anciens combattants à la vie civile a d'ordinaire lieu dans un contexte de stagnation économique, où les perspectives d'emploi sont rares et les possibilités de création d'entreprise limitées. Dans ces conditions, le risque est élevé de voir les soldats démobilisés tomber dans la délinquance. Les indemnités de démobilisation ne sont qu'à court terme et doivent être complétées par des programmes plus vastes de redressement économique. A long terme, en effet, seule la reprise de la croissance économique peut leur ouvrir des possibilités de réinsertion économique et sociale.

253. L'expérience a montré que les primes de démobilisation ne peuvent à elles seules suffire à assurer la réintégration en douceur des anciens combattants dans la vie civile. Une aide spéciale en matière de formation professionnelle, de validation des qualifications et de recherche d'emploi est également nécessaire. Afin de réduire au minimum le risque de polarisation de la société, les programmes de réinsertion doivent en outre être axés sur les collectivités d'accueil, dans le cadre des programmes plus vastes destinés à assister l'ensemble des populations touchées par la guerre.

Encadré 17. Faut-il verser une prime pour la restitution des fusils ? Dans la plupart des cas où il a été décidé de désarmer les forces régulières ou les guérillas, on propose souvent que les armes qui n'ont pas été rendues à la démobilisation soient récupérées moyennant le versement d'une prime pour chaque arme rendue.

Des programmes de rachat d'armes de ce genre ont été essayés dans divers cas. L'expérience montre qu'ils sont rarement applicables à l'échelle du pays ou à grande échelle. Tout d'abord, il est pratiquement impossible de fixer un "prix du marché" d'application générale pour les armes, ou un prix qui ait des chances de satisfaire tous les anciens combattants et détenteurs d'armes. Le prix d'une arme est relatif et dépend de trop de facteurs, depuis sa possibilité d'emploi par un individu à des fins criminelles jusqu'à la vente systématique et à la contrebande d'armes à destination d'un mouvement insurrectionnel dans un pays voisin. Les programmes de rachat d'armes créent une demande et peuvent être submergés par une offre à la mesure des stock d'armes accumulés au cours des années de guerre. Des efforts plus larges, reflétant les cultures locales sont nécessaires pour encourager le désarmement volontaire, lorsque les conditions de sécurité s'améliorent.

L'offre d'un paiement en échange des armes rendues a bien fonctionné dans des cadres plus limités, lorsque la population est tout à fait en faveur de ce type d'opération, ou lorsque l'opération peut être gérée par une organisation non gouvernementale ou une église de façon relativement indépendante des influences extérieures qui s'exercent sur les individus pour qu'ils se débarrassent de leurs armes ou au contraire les conservent.

d) Dispositifs institutionnels 254. La conception des programmes de démobilisation exige une étroite coopération entre les nombreux acteurs impliqués, et ce dans les plus brefs délais. Les structures militaires doivent identifier aussi précisément que possible le nombre et le grade des combattants à démobiliser et parvenir à un accord avec le gouvernement sur un ensemble d'allocations de démobilisation compatible avec les contraintes budgétaires. Les donneurs doivent se mettre d'accord avec le gouvernement sur les modalités de la démobilisation et sur le volume d'aide qu'ils sont en mesure d'apporter. Les ONG, qui jouent souvent un rôle important dans la mise en oeuvre de ces programmes, doivent également être associées au processus de planification. Ces programmes doivent aussi tenir compte des attentes des soldats démobilisés, ainsi que du point de vue des communautés dans lesquelles ils vont retourner.

255. L'expérience montre que la mise en place d'une commission mixte civile para-gouvernementale est un bon moyen d'assurer le pilotage du processus de démobilisation et de réintégration en même temps que la coordination au sein de la communauté des donneurs. Les anciens combattants ont aussi besoin d'une organisation qui les représente et défende leurs droits. L'objectif premier doit cependant être d'aider les anciens combattants et non de créer une structure administrative complexe.

256. Les programmes de démobilisation et de réintégration doivent comporter un autre élément essentiel, à savoir une capacité effective de suivi et d'évaluation permettant d'y apporter les ajustements nécessaires pour les rendre aussi efficaces que possible pour les bénéficiaires.

257. Lorsque la démobilisation s'inscrit dans le cadre d'un processus de paix supervisé par les Nations Unies, une mission de maintien de la paix peut être chargée de la coordination de l'aide entre les donneurs. Dans les autres cas, il est souhaitable de désigner à cet effet un organisme bilatéral ou multilatéral chef de file.

258. Parallèlement aux programmes de démobilisation, il est important de mettre en place des moyens de réduire la quantité d'armes en circulation et de gérer la destruction d'armes "excédentaires". En outre, l'une des priorités est souvent de renforcer les capacités de contrôle des frontières afin, entre autres, de contrôler et limiter tant les importations illicites d'armes que leur exportations vers d'autres régions en proie à des tension ou à des conflits.

e) Meilleures pratiques recensées 259. La réinsertion/ réintégration est un problème qui touche toute la famille : l'aide quelle qu'elle soit ne doit pas s'adresser uniquement aux soldats mais aussi aux personnes à leur charge. Les programmes qui ne tiennent pas compte du fait qu'un grand nombre d'anciens combattants ont beaucoup de personnes à charge ne peuvent répondre à tous leurs besoins et risquent de retarder leur réintégration dans la société.

260. La réinsertion/ réintégration est également un problème qui touche l'ensemble de la communauté : la réintégration des anciens combattants est d'autant plus rapide qu'ils bénéficient d'un soutien plus important de la communauté. Dans la mesure où la famille élargie est un soutien important pour les soldats récemment démobilisés, les anciens combattants doivent être encouragés à élire domicile là où résident des membres de leur famille. Il est cependant souhaitable de procéder, au cours de la phase de planification, à une enquête par sondage auprès des communautés afin de s'assurer de leur attitude à l'égard des anciens combattants et de leur aptitude à les aider. Là où c'est possible, des efforts doivent être entrepris pour sensibiliser les dirigeants aux problèmes auxquels sont confrontés les anciens combattants et leurs familles et les informer de la façon dont les communautés locales peuvent leur faciliter le passage à la vie civile. Les programmes de reconstruction à l'échelon local peuvent être un moyen d'aider les collectivités qui accueillent un grand nombre d'anciens soldats.

261. Les programmes doivent tenir compte des besoins des groupes de population particulièrement vulnérables. Les handicapés, les malades chroniques, les enfants soldats et les femmes comptent parmi ceux qui exigent la plus grande attention. Les femmes soldats et les veuves de guerre sont souvent confrontées à de graves difficultés économiques et sociales et peuvent nécessiter une aide particulière.

f) Orientations à l'intention des donneurs 262. Compte tenu de leur caractère éminemment politique, les programmes de démobilisation sont très sujets à des retards et à des modifications. Les soldats peuvent devoir rester dans les zones de regroupement beaucoup plus longtemps que prévu. Lorsqu'à l'issue du conflit aucun vainqueur ne s'est clairement imposé, les pressions politiques en faveur d'une modification du contenu des enveloppes de prestations et des conditions à remplir pour en bénéficier sont particulièrement fortes. Malgré ces difficultés, les programmes de démobilisation doivent être établis très tôt afin qu'ils répondent à l'évolution de la situation politique sans retarder la mise en oeuvre du processus de paix.

263. Les accords de paix devraient explicitement prévoir la mise en oeuvre de programmes de démobilisation. La planification de la démobilisation et de la réintégration doit par conséquent commencer bien avant que les troupes entrent dans les zones de regroupement et tenir compte le plus possible des risques d'imprévus et de retard. Il est également essentiel de disposer de ressources mobilisables rapidement et avec souplesse.

264. Les programmes doivent, dans toute la mesure du possible, s'appuyer sur des enquêtes effectives sur les profils de compétences et les aspirations professionnelles des soldats, et prévoir les possibilités d'emploi de formation correspondantes dans les collectivités où ils doivent retourner. Il convient également d'examiner les possibilités d'adapter les programmes existants pour répondre aux besoins des anciens combattants.

265. Les gouvernements qui sortent de longues périodes de guerre civile peuvent être très désireux de consolider leur pouvoir, de récompenser leurs fidèles partisans et de renforcer leur attachement en leur promettant des avantages qu'ils ne sont pas en mesure de fournir. Le non respect de promesses faites aux anciens combattants risque de susciter un mécontentement social. Les donneurs doivent aider les gouvernements à élaborer des programmes réalisables et financièrement viables.

F. Elimination des mines terrestres a) Principes et considérations à prendre en compte 266. Peu de conséquences des conflits de ces dernières décennies sont plus traumatisantes que les mutilations et les morts provoquées par les mines terrestres. Elles sont souvent posées au hasard, sans s'occuper du fait que la grande majorité des victimes sont des civils innocents en quête de leur subsistance. Bien qu'elles soient une arme de guerre, les mines terrestres demeurent une menace bien après la fin du conflit violent.

267. La menace omniprésente et imprévisible que représentent les mines demeurées en place est un obstacle majeur à la reprise d'une vie normale et au développement économique, social et politique. Les souffrances humaines causées par les mines terrestres sont une source de préoccupation croissante pour la communauté internationale depuis dix ans. Face aux conséquences d'une série de guerres civiles, les organisations humanitaires sont confrontées à deux problèmes majeurs :

-A court terme, d'importantes ressources sont nécessaires pour venir en aide aux blessés qui ont besoin de soins médicaux et de rééducation.

-A long terme, la localisation et l'enlèvement des mines terrestres sur l'ensemble du territoire en cause exigeront des efforts et des moyens considérables, probablement pendant des décennies, et détourneront de maigres ressources qui auraient pu être consacrées à la reconstruction et au développement.

268. La question essentielle à résoudre a déjà été définie et débattue au sein des instances internationales : l'utilité militaire des mines terrestres, et en particulier des mines antipersonnel, l'emporte-t- elle sur les dommages corporels involontaires qu'elles infligent inévitablement aux populations civiles ? Les négociations n'ont pas à ce jour abouti à une conclusion définitive sur le champ d'application, les questions de transfert et de vérification, non plus que sur certains points techniques et économiques relatifs à la production et à l'utilisation des mines.

269. De plus en plus de pays sont désormais d'avis qu'il est indispensable de réglementer la production, le commerce et l'utilisation des mines terrestres. L'Assemblée générale des Nations Unies a à maintes reprises appelé à un moratoire des exportations de mines terrestres antipersonnel, et le Secrétaire général a énergiquement plaidé en faveur d'une interdiction totale de ces mines. Parallèlement, le processus d'Ottawa vise à un accord sur une interdiction totale pour décembre 1997.

b) Besoins et domaines de coopération 270. Pendant et après un conflit, l'enlèvement des mines terrestres constitue fréquemment une priorité immédiate. Le déminage et la sensibilisation à la menace que représentent les mines sont directement liés aux actions d'urgence, en raison de la nécessité immédiate de sauver des vies, d'assurer l'accès par voie de surface aux points de distribution des secours et de garantir la sécurité de circulation et de réintégration des personnes déplacées.

271. Le déminage est également un préalable essentiel à la reprise de l'activité économique. Il est lié à la transition de la phase des secours d'urgence à celle du développement et à la normalisation progressive de tous les aspects de la vie nationale.

Encadré 18. Coûts comparés du minage et du déminage Les mines sont extrêmement bon marché à produire et à mettre en place mais difficiles et donc chères à localiser et à enlever. Le coût moyen de production d'une mine est de 10 à 20 dollars environ, alors que les coûts directs et indirects du déminage sont de 300 à 1 000 dollars par mine. On estime que le coût d'enlèvement de toutes les mines posées dans le monde pourrait se situer entre 33 et 85 milliards de dollars.

Pendant ce temps, le problème ne cesse de s'aggraver, la pose de mines terrestres se poursuivant à un rythme plus rapide que leur enlèvement. On estime à plus de 2 millions le nombre de mines posées en moyenne chaque année alors que les opérations de déminage ne permettent d'en enlever qu'environ 100 000.

272. La première chose à faire est de déterminer l'ampleur du problème des mines terrestres dans le pays concerné en procédant à des relevés d'urgence destinés à fournir des informations de base. Des relevés précis sont ensuite nécessaires, car il est indispensable de localiser les champs de mine et les tronçons de route minés afin de déterminer les priorités et l'ordre dans lequel ces zones doivent être déminées. Les caractéristiques physiques de ces zones et la densité des mines sont importantes pour le choix des techniques de déminage à utiliser.

273. La formation de personnel national de déminage est également une priorité. Quelle que soit la technique finalement appliquée dans les opérations de déminage, il est nécessaire de disposer d'un corps de spécialistes formés au déminage manuel et de personnel d'encadrement possédant une expérience pratique. Il est la plupart du temps possible de recruter des volontaires dans les rangs de l'armée et le déminage peut ainsi fournir des emplois aux militaires démobilisés. Les enfants et les femmes qui de par leurs activités agricoles et de ramassage du bois de feu sont particulièrement vulnérables aux mines, doivent être ciblés en priorité dans les programmes de sensibilisation au danger des mines. Outre l'amélioration de la sécurité, de tels programmes peuvent également fournir aux femmes, qui exercent traditionnellement une fonction éducatrice dans la société, des opportunités économiques et leur permettre de renforcer leur statut dans la société.

274. Des enquêtes préliminaires sur l'ampleur du problème des mines et sur la formation de personnel national de déminage sont fréquemment entreprises pendant les opérations de maintien de la paix. Pour ce qui est du déminage, un principe fondamental des missions de maintien de la paix veut que l'enlèvement des mines relève de la responsabilité des organismes et du personnel nationaux. Mis à part le signalement de l'existence des champs de mine, les contingents étrangers n'assurent en principe pas eux-mêmes le marquage des périmètres minés ou la neutralisation des mines. Ils peuvent toutefois facilement fournir des instructeurs et mettre en place des centres temporaires de formation du personnel national aux bases théoriques et pratiques du déminage.

275. Le choix et la formation du personnel d'encadrement doivent être effectués avec grand soin car les gestionnaires et les responsables du déminage jouent un rôle opérationnel clé. Une expérience pratique de l'encadrement de ce type d'opérations est essentielle et des dispositions spéciales doivent être prises pour que les unités de maintien de la paix permettent aux nationaux d'acquérir une expérience en la matière dans des conditions opérationnelles. En général, les ONG spécialisées dans le déminage se sont montrées capable de mettre en place rapidement et avec efficience des programmes de formation et de déminage. Cependant, leur capacité d'intervention ne leur permet généralement pas de mener ces activités à une échelle qui soit à la mesure du problème

Encadré 19. Munitions non explosées Dans la plupart des pays où des mines terrestres ont été posées, on trouve aussi un grand nombre de munitions d'infanterie et d'artillerie et de bombes non explosées. Comme les mines terrestres, les munitions non explosées constituent une menace pour toute personne qui les déplacerait délibérément ou accidentellement ou qui essaierait de les récupérer ou de jouer avec.

La neutralisation des munitions non explosées exige des techniques différentes de celles utilisées pour le déminage, bien que la plupart des types de munitions d'infanterie et d'artillerie puissent généralement être manipulées par le personnel chargé du déminage. Quoi qu'il en soit, les risques causés par les munitions non explosées persistent dans beaucoup des pays qui ont participé aux deux guerres mondiales, et ce sont généralement des unités spécialisées de l'armée ou de la police qui se chargent de les enlever.

276. Une fois engagées les opérations de déminage, les principaux besoins consistent d'abord à déterminer comment instaurer une base institutionnelle durable pour toutes les activités en rapport avec les mines et en second lieu comment financer à long terme les opérations de déminage. Le déminage de tout un pays est immanquablement une opération coûteuse, et le plus souvent aucun délai ne peut être fixé pour atteindre cet objectif.

c) Quelques enseignements de l'expérience 277. L'aide internationale a axé ses efforts sur la création d'une capacité locale faisant appel à des méthodes manuelles qui se caractérisent par une forte intensité de main-d'oeuvre et sont lentes à donner des résultats. Cela est en partie dû au fait que les techniques plus rapides de déminage militaire, conçues pour ouvrir des brèches dans les défenses de l'ennemi, n'ont pas encore été adaptées aux besoins civils, et que des essais complémentaires sont nécessaires pour déterminer dans quelles conditions on peut avoir avantage à les utiliser.

278. Bien évidemment, étant donné que les mines terrestres font tous les jours de nouveaux blessés et de nouveaux morts, des pressions considérables s'exercent pour que l'on intervienne d'urgence. C'est pourquoi l'examen des aspects institutionnels des opérations de déminage, essentiels pour en assurer la durabilité, est trop souvent négligé ou remis à plus tard.

279. Les pressions qui s'exercent pour que des programmes de déminage soient entrepris rapidement accroissent le risque d'une préparation insuffisante. Si l'ampleur du problème n'est pas évaluée correctement, et si les lieux de concentration de mines ne sont pas préalablement bien identifiés, le choix de la technique de déminage peut être inadapté. Une plus grande attention doit être accordée à la productivité et à l'efficacité par rapport aux coûts des opérations de déminage. L'exploration manuelle mètre carré par mètre carré, qui est une tâche de longue haleine, peut être complétée par d'autres techniques là où la densité des mines est faible et où les conditions topographiques le permettent.

280. Avec le temps, une fois créée une capacité nationale d'enlèvement des mines, la dimension socio-économique du déminage doit faire l'objet d'une attention accrue. Les objectifs humanitaires du déminage sont intimement liés au développement, en raison des conséquences pour les transports, la production agricole, le secteur de la santé et les services sociaux. Les questions d'utilisation des terres et le choix des collectivités bénéficiaires en font apparaître la dimension politique. Il est par conséquent essentiel que les mécanismes mis en place pour traiter et approuver les demandes de déminage comportent un système transparent d'évaluation des priorités.

d) Partenariats et acteurs 281. Les ONG et les organisations humanitaires ont été les premières à affronter les problèmes posés par les mines terrestres. Très tôt, les sociétés de la Croix-Rouge et les ONG ont pris en charge la rééducation des handicapés victimes des mines terrestres. En créant des centres d'orthopédie et des ateliers de fabrication de prothèses, elles ont apporté une contribution importante aux soins de santé dans de nombreux pays. Ces activités ont conduit plusieurs ONG à élargir leur champ d'action et à se spécialiser également dans la mise en oeuvre de programmes préventifs de sensibilisation à la menace que représentent les mines, dans la signalisation des champs de mine et dans le déminage.

282. Au sein du système des Nations Unies, le Département des Affaires humanitaires a été nommé comme le centre nerveux des activités de déminage. Il a joué un rôle déterminant dans l'organisation des programmes et dans le suivi des activités de formation entreprises dans le cadre des opérations de maintien de la paix. Il a constitué pour cela un groupe de déminage et créé un fonds d'affectation spéciale destiné à procurer des ressources permettant d'engager rapidement des opérations de déminage qui auraient risqué d'être reportées à plus tard faute de crédits immédiatement disponibles. Le Département des Affaires humanitaires met par ailleurs actuellement en place des moyens internes de conseil sur toutes les questions relatives aux mines terrestres et notamment sur le choix des techniques de déminage en fonction des divers facteurs qui influent sur leur rapport coût/ efficacité et leur productivité.

283. La coopération dans le domaine du déminage se caractérise par la contribution des établissements de défense de plusieurs pays donneurs. Celle-ci fait généralement suite à une participation aux opérations de maintien de la paix ; les pays qui y ont contribué continuent à détacher du personnel militaire pour répondre aux besoins d'assistance technique des organismes nationaux de déminage, puisant en partie pour cela dans leurs budgets de défense.

284. Chacun dans son domaine, le HCR, le PAM et l'UNICEF contribuent directement en apportant un soutien financier aux programmes de déminage et de sensibilisation à la menace que représentent les mines. L'UNESCO a mis en place les compétences voulues pour promouvoir l'action de sensibilisation. En règle générale, le PNUD et le Bureau des services des projets des Nations Unies sont appelés à apporter leur concours au renforcement des institutions. Ils fournissent à cet effet une aide en matière de gestion générale de la conduite des opérations de déminage et veillent à ce que les ressources affectées à l'enlèvement des mines terrestres servent également les objectifs socio-économiques.

285. Le PNUD complète le Département des Affaires humanitaires en assurant la poursuite des opérations de déminage au-delà du stade de l'urgence. Ne disposant que de peu de ressources propres susceptibles d'être consacrées à ces opérations, le PNUD doit réunir des moyens de financement fournis par plusieurs donneurs à travers des fonds d'affectation spéciale ou d'accords de partage des coûts. Même lorsque les donneurs bilatéraux préfèrent apporter une aide en nature, le PNUD joue un rôle de coordination générale et structure les contributions de telle sorte qu'elles se renforcent mutuellement.

e) Meilleures pratiques recensées 286. Les donneurs ont en particulier intérêt à soutenir : -la réalisation à un stade précoce de relevés détaillés de la présence des mines afin de déterminer l'ampleur des opérations futures et d'examiner les différentes techniques de déminage envisageables ; -le lancement immédiat d'opérations de déminage, en faisant appel à des ONG spécialisées et en leur donnant les moyens d'équiper et de déployer des démineurs ;

-la création dans les plus brefs délais d'une capacité nationale de déminage ; -la mise en place par les gouvernements, pour le long terme, de dispositifs institutionnels intégrant les systèmes d'information et de vérification, les activités de sensibilisation au danger des mines et les opérations de signalisation des champs de mines et de déminage ; -la mise en oeuvre de la stratégie de déminage du gouvernement, y compris les mesures visant à assurer sa compatibilité avec les plans nationaux de développement économique et social, ainsi qu'avec les objectifs humanitaires ; -les activités déployées par les organisations non gouvernementales pour soigner les victimes des mines terrestres, notamment dans le domaine de la rééducation post-traumatique et de la formation à des métiers productifs.

f) Orientations à l'intention des donneurs 287. Là où des mines ont été déployées à grande échelle, les mesures curatives sont coûteuses et longues à mettre en oeuvre. Un engagement à long terme de la part des donneurs est nécessaire pour soutenir les efforts menés par les pays victimes pour débarrasser leur territoire de ces mines.

288. Les contributions financières aux opérations de déminage peuvent prendre diverses formes : i) dons en espèces au fonds d'affectation spéciale volontaire du Secrétaire Général pour l'aide au déminage dont la gestion est assurée par le Département des Affaires humanitaires ; ii) aide à la mise en place pour les Nations Unies de moyens de réserve permettant d'assurer en urgence des missions de relevé et l'envoi de formateurs, de gestionnaires et de matériel de déminage ; et iii) contribution à des fonds d'affectation spéciale ou à des arrangements de partage des coûts destinés à financer les opérations nationales de déminage.

289. Les essais indiquent que l'application de nouvelles techniques pourraient offrir des possibilités considérables. Une intensification des efforts de recherche destinés à affiner les méthodes actuelles de détection et à permettre un déminage plus efficace pourrait accélérer sensiblement les opérations de déminage, ce qui présenterait des avantages incalculables du point de vue des coûts économiques et sociaux.

VI. Approches régionales de prévention des conflits et de construction de la paix A. Principes et approches 290. L'accroissement des conflits violents internes au cours des dernières années ne fait pas qu'aggraver les problèmes socio-économiques, environnementaux et de développement, il créé aussi des risques d'instabilité régionale. Les flux de réfugiés, en particulier, soulignent la nécessité d'aborder les questions telles que le nationalisme ethnique transfrontière, la dégradation de l'environnement et la pénurie de ressources dans une perspective et un cadre régional. L'attention accrue portée aux conflits internes ne doit pas conduire à ignorer que des conflits inter-états persistent dans certaines régions, exigeant de meilleures réponses de la part de la communauté internationale.

291. La prévention des conflits suppose souvent de s'attaquer à des problèmes de portée nationale mais aussi régionale. L'un des défis auxquels se trouvent confrontés les initiatives externes provient du fait que l'Etat a traditionnellement été considéré comme l'expression exclusive de l'unité politique souveraine et le gardien de sa sécurité. La plupart des organisations internationales et bilatérales sont organisées pour mener les efforts d'aide au niveau des Etats. Ainsi, elles n'ont que des moyens limités de s'attaquer de façon efficace aux aspects régionaux des conflits tant en ce qui concerne leurs causes que leur conséquences

292. Le sentiment de méfiance envers les initiatives extérieures peut-être particulièrement fort dans des situations de conflit violent. Les gouvernements post-coloniaux peuvent en effet avoir des raisons particulières de résister à toute forme d'assistance de la part de communauté internationale qui pourrait sembler mettre en cause leur souveraineté et leur intégrité territoriale en tant qu'Etats indépendants. Ce blocage peut représenter un obstacle majeur à une action rapide et efficace des Nations Unies et d'autres acteurs non régionaux. C'est peut-être ce qui justifie le plus de privilégier des approches régionales des conflits et de la paix.

293. Le fait que les conflits internes entraînent presque inévitablement l'instabilité à l'échelon régional signifie que, pour être efficaces, les stratégies d'intervention dans les situations de conflit devront être coordonnées à l'échelon régional et se fonder sur des principes décidés et acceptés d'un commun accord. L'élaboration de cet ensemble de principes communs est la première priorité. Ces principes doivent consacrer la volonté des Etats membres de respecter les normes existantes telles qu'elles sont définies par les Nations Unies et le droit international, en s'appuyant sur les instruments régionaux existants

294. La fin de la guerre froide a d'ailleurs permis aux Nations Unies de réaffirmer sa Charte en privilégiant les organisations et arrangements régionaux en tant que moyen de prévenir et gérer les conflits et les phases de transition qui leur font suite. Parallèlement à cela on a pu observer une multiplicité d'initiatives institutionnelles et de réformes des mandats de diverses organisations régionales, qui témoigne de l'évolution des structures régionales de dialogue et de coopération pour la sécurité. L'Organisation des Etats américains (OEA) et l'Organisation de l'unité africaine (OUA) en particulier ont démontré une détermination renouvelée à essayer de traiter les conflits internes et le développement démocratique.

B. Dimension régionale des conflits a) Les conflits inter-états et l'instabilité régionale 295. Beaucoup de tensions intergroupes et d'inégalités structurelles graves qui --conjuguées à une carence de mécanismes politiques efficaces peuvent conduire à des conflits internes violents --pourraient être résolues par des initiatives au niveau régional. La participation politique, la décentralisation et le partage des pouvoirs, des garanties constitutionnelles et juridiques et la réforme du rôle des forces armées sont autant de questions essentielles qui ont une dimension régionale. Dans le domaine économique, la reconstruction à long terme peut être mieux assurée par des mesures concrètes d'intégration régionale des marchés. En outre, l'harmonisation au niveau régional des normes et pratiques en matière de droits de l'homme (notamment en ce qui concerne les minorités) peut contribuer pour beaucoup à la stabilité et réduire les risques de soutien extérieur à d'éventuelles rébellions.

Encadré 20. Réponses aux initiatives locales – Contrôle des armes en Afrique de l'Ouest Tant de par leurs causes que leurs conséquences, qu'il s'agisse de déplacements de réfugiés en grand nombres, de trafic d'armes, ou de la montée du banditisme, parfois suite à des programmes de démobilisation mal conduits, les problèmes d'insécurité interne dépassent très souvent les frontières nationales, et appelle à une coopération régionale. Ainsi, un groupe de pays d'Afrique de l'Ouest comprenant le Mali, le Burkina Faso, le Tchad, la Cote d'Ivoire, la Mauritanie, le Niger, le Sénégal ont cherché depuis 1994 à développer leur coopération dans les domaine de la sécurité et de la construction de la paix. Les domaines spécifiques de coopération comprennent notamment l'harmonisation des réglementations nationales relatives à l'importation ou la vente d'armes et de munitions, et le renforcement de la coopération entre les services de police et forces armées des différents pays concernés, afin de mieux lutter contre le banditisme et le trafic d'armes.

Suite à des initiatives prometteuses menées au Mali, où des stratégies ont été spécialement conçues pour s'attaquer au problème de l'insécurité en vue de consolider la paix, et le développement, des tentatives similaires sont mises en oeuvre dans d'autres pays de la région. En novembre 1996, des représentants des gouvernements et d'organisations régionales ainsi que des experts indépendants se sont réunis à Bamako sous l'égide du PNUD et de l'Institut des Nations Unies pour la Recherche sur le Désarmement (UNIDIR) pour étudier les possibilités de coopération sous-régionale dans le domaine de la sécurité. Parmi les approches prometteuses examinées on peut citer: une meilleure coordination des mesures volontaires de contrôle des importations d'armes, l'adoption de codes de bonne conduite régissant les relations entre civiles et militaires, le renforcement et l'harmonisation des réglementations relatives à la circulation et à la possession d'armes à feu, la création d'un registre infra régional pour le recensement des armes aux frontières, et le renforcement de la coopération pour les contrôles.

296. Les problèmes en jeu dans un conflit interne prolongé sont généralement plus importants pour les pays voisins que pour la communauté internationale en général. Les acteurs régionaux peuvent souvent, mais pas toujours, non seulement s'intéresser plus directement aux possibilités d'intervention extérieure efficace mais aussi en avoir une appréciation plus nuancée. La communauté internationale a appris, par expérience, que c'est souvent l'organisation ou le groupement régional qui peut être le mieux placé pour organiser une action multilatérale de prévention d'un conflit interne.

297. Les approches régionales (qu'il s'agisse de groupes de contact plurilatéraux ou d'organisations régionales) offrent l'avantage de permettre de résoudre le problème de la souveraineté en engageant effectivement les Etats dans un processus à la fois supranational et localisé. Un gouvernement qui est membre d'une organisation régionale a des chances de se sentir moins menacé par un processus régional d'intervention et d'engagement coordonné par cette organisation que par l'intervention d'acteurs non régionaux. Ce type d'approche permet aussi une contribution créative des puissances moyennes régionales au dialogue. Cela correspond à l'approche dite « sud-sud », en vertu de laquelle les pays voisins coopèrent et apportent leur appui à la consolidation de la paix, à la reconstruction et à la mise en oeuvre des réformes. Il faut toutefois reconnaître que l'impartialité des organisations régionales ou des pays voisins est parfois discutable. Lorsque que se déroulent des luttes pour le pouvoir régional ou que les craintes d'influences hégémoniques sont fortes, les institutions internationales peuvent s'avérer de meilleurs instruments pour apporter des réponses et un soutien de la communauté internationale.

298. La consolidation de la paix et la prévention des conflits doivent pouvoir perdurer une fois que le soutien extérieur des donneurs a pris fin ou est redevenu un soutien ordinaire au développement. Cela pose l'importante question de « l'appropriation » par les pays en cause de ces processus, de leur enracinement dans des approches locales/ régionales de la prévention et de la gestion des conflits, et du rôle que doivent jouer par la suite les organisations locales et régionales dans la mise au point et l'exécution des programmes. En fondant ces programmes sur des approches régionales, les donneurs auront probablement plus de chances d'assurer plus efficacement leur viabilité à long terme et leur compatibilité avec les normes régionales. Les protagonistes du conflit seront davantage incités à poursuivre un processus qui répond à leurs intérêts et à leurs préoccupations.

b) L'impact des populations de réfugiés sur les pays d'accueil 299. Abstraction faite de leurs répercussions politiques à l'échelle régionale, les mouvements massifs de réfugiés ont d'importantes retombées sociales et économiques dans les pays hôtes. Dès leur arrivée, les besoins des réfugiés en ressources et biens dont l'offre est limitée, qu'il s'agisse de terres, d'eau, de bois de chauffage, de logements ou de vivres, entrent en concurrence avec ceux des ressortissants nationaux. Leur présence soumet inévitablement les aménités locales à de lourdes ponctions, obligeant les autorités du pays d'accueil à détourner des sources d'énergie et des ressources de leurs efforts de développement.

300. A maints égards, les afflux de réfugiés en grand nombre constituent donc un obstacle supplémentaire au développement des pays hôtes. Leurs retombées directes et indirectes peuvent se faire sentir longtemps encore après que les réfugiés sont retournés dans leur pays d'origine. Par exemple, les dommages causés à l'environnement par un afflux soudain et inattendu de population démunies sont souvent dévastateurs. Les problèmes induits par la consommation de bois pour le chauffage et la construction d'abris dans des zones à l'écosystème déjà fragile, sont particulièrement graves.

301. La présence de réfugiés n'a pas que des retombées négatives pour les régions d'accueil ; elle génère en effet souvent diverses sortes d'activités économiques, de même que des possibilités d'échanges, d'emploi et de revenu, qui sont autant d'avantages pour les populations locales. Dans l'ensemble toutefois, ces aspects positifs compensent rarement les conséquences dommageables découlant de la présence de réfugiés en grand nombre et sur de longues périodes.

302. Lorsque les réfugiés appartiennent au même groupe culturel et linguistique que la population locale, leur situation suscitent souvent une vague de sympathie. Lorsque les liens sont plus lâches, il n'est pas rare que naissent des frictions et des jalousies. La population locale, surtout si elle est pauvre, est souvent mécontente de voir les réfugiés recevoir des soins et des services dont elle ne bénéficie pas elle-même. C'est pourquoi les organismes d'aide doivent s'employer à promouvoir l'égalité de traitement pour les résidents des zones d'accueil, particulièrement dans des domaines comme l'éducation et la santé.

303. Il est de plus en plus reconnu que le fait d'accorder asile à des réfugiés impose un lourd tribut aux pays hôtes, lesquels appartiennent souvent à la catégorie des pays les moins avancés. Si, jusqu'à présent, la réaction des donneurs a été variable, la communauté internationale se préoccupe désormais davantage d'aider à atténuer les effets néfastes de la présence de réfugiés, surtout lorsque celle-ci tend à se prolonger.

304. Le plus souvent, le fait qu'un pays accorde le droit d'asile n'implique pas que la présence de réfugiés sur son territoire n'est pas source de tensions politiques pouvant affecter les relations entre les pays de la région. En conséquence, les problèmes soulevés par le droit d'asile et le rapatriement des réfugiés ont un caractère éminemment régional et ne peuvent souvent trouver de solution que dans le cadre d'un dispositif politique régional.

Encadré 21. Fournir des moyens d'existence aux réfugiés afghans dans les zones d'accueil au Pakistan Plus de trois millions de réfugiés afghans, accompagnés d'autant de têtes de bétail, ont afflué au Pakistan pour échapper à la guerre qui sévissait dans leur pays d'origine. Leurs besoins quotidiens (en bois de chauffage, eau, foin pour le bétail, etc.) ont causé de graves dommages au milieu naturel, notamment aux pâturages et aux zones forestières, déjà soumis à de fortes pressions, et leur présence en aussi grand nombre a conduit à un engorgement des infrastructures rurales locales.

Le programme Income Generating Project for Refugee Areas (IGPRA), mis au point en 1984 par le HCR et le Gouvernement et administré conjointement avec la Banque mondiale, a mis l'accent sur les besoins économiques des réfugiés et les problèmes environnementaux liés à la présence des réfugiés.

Les principaux objectifs de l'IGPRA étaient, entre autres, de : --créer des emplois et générer des revenus, principalement pour les réfugiés afghans et pour les communautés locales au travers de projets ruraux à forte intensité de main-d'oeuvre ; --de réparer une partie des dommages physiques causés par les réfugiés et leur bétail aux infrastructures et à l'environnement; et créer des infrastructures durables pour le pays d'accueil ; ---former sur le tas les réfugiés afghans pour leur réinsertion future dans leur pays.

Ces projets étaient principalement divisés en trois secteurs :

--la reforestation et la conservation des sols (productions de plantules, plantations sur des terres très dégradées, etc.); --la gestion des bassins versants, l'irrigation, le drainage et la protection contre les inondations ; --l'amélioration des infrastructures routières.

Sur plus d'une décennie, prés de 300 sous-projects ont été mis en oeuvre, financés par un fonds commun mis en place par plusieurs membres du CAD administré par la Banque mondiale. Le coût total de ces projets s'est élevé à plus de 86 millions de dollars E. U. Le programme a eu de nombreux effets positifs durables pour le pays hôte, sous forme de réduction des pertes de terre fertiles, de réduction de la pression sur les forêts restantes, et de réduction de l'érosion des sols et des dégâts causés par les inondations, etc.). De plus, les nouvelles routes améliorées ont permis l'accès à des zones isolées et les opportunités d'échanges marchands ont augmenté.

C. Meilleures pratiques recensées a) Mécanismes régionaux pour la prévention des conflits et la construction de la paix 305. Les principes de la sécurité régionale doivent reposer sur les principaux éléments de la sécurité humaine en général. État de droit, justice sociale, développement équitable et durable, protection des droits fondamentaux de l'être humain, démocratisation et dialogue et réconciliation entre les groupes. A cet égard, les donneurs doivent s'efforcer d'aider les organisations régionales à faire respecter les principes et les engagements internationaux établis. En même temps, ils doivent encourager les organisations régionales à adopter des politiques de prévention des conflits et de consolidation de la paix et orienter leur efforts de renforcement des capacités des organisations régionales de façon qu'elles puissent assurer la liaison entre la communauté internationale et les Etats de la région. Les moyens techniques et financiers déterminent souvent les activités que les organisations régionales peuvent entreprendre. Les donneurs peuvent leur fournir des compétences techniques dans de nombreux domaines y compris la communication et la logistique.

306. Les organismes de développement doivent aussi envisager d'assurer un soutien dans d'autres régions où il existe encore peu de dispositifs efficaces pour la prévention des conflits et la consolidation de la paix au niveau régional, comme l'Asie du nord-est et l'Asie du sud. Les nouveaux arrangements régionaux comme l'Association de Coopération Régionale Sud-Asiatique (SAARC), qui se concentrent sur des questions relatives à la coopération économique et commerciale, pourraient être encouragés à élargir leur champ à d'autres questions concernant la sécurité régionale ou sous-régionale, telles le droit des minorités, la distribution des ressources et l'instauration de la confiance sur le plan militaire.

307. Les organismes donneurs peuvent aussi apporter un soutien financier et technique aux ONG régionales et locales qui travaillent à mettre au point des stratégies régionales communes en matière de conflit et de sécurité. Une attention particulière doit être portée à l'amélioration des capacités des organisations féminines nationales et locales, afin d'établir des réseaux régionaux de soutien au dialogue et à la réconciliation. Soutenues par la communauté des donneurs, les organisations régionales doivent aussi être incitées à coopérer de façon systématique avec les ONG régionales et locales.

b) Gestion des ressources naturelles communes et prévention des conflits 308. Une compétition accrue pour l'accès à des ressources naturelles communes, telle la terre ou l'eau peut inciter les groupes les plus puissants à s'en réserver l'usage exclusif, provoquant l'émigration des groupes marginaux ou vulnérables, vers des zones moins habitables et souvent écologiquement fragiles. Ce genre de phénomène peut contribuer à accentuer les pressions sur l'environnement et les risques de tensions sociales. Dans certains cas, l'insuffisance de ressources renouvelables, telles que les terres cultivables, les forêts ou l'eau, peut provoquer des troubles civils à l'échelon communautaire ou national et être source de suspicions et de tensions entre pays.

309. Pour régler les problèmes posés par la gestion des ressources naturelles communes à une région, il est souvent indispensable de mettre en place un système de cogestion des ressources. Un tel système devra être adapté aux caractéristiques de la région concernée, mais il peut encourager la gestion à long terme des ressources, par des méthodes fondées sur une coopération de tous les intéressés afin de réduire les risques de conflit. D'une manière générale, plus solide sera l'assise du système de cogestion des ressources --du point de vue de sa neutralité par rapport aux intérêts des diverses parties --mieux il sera en mesure de contribuer au règlement des différends.

310. Tout en tenant compte de façon réaliste des intérêts et moyens d'influence respectifs des parties en présence, un solide système de cogestion des ressources exploite les idées novatrices et les connaissances scientifiques pour cerner les problèmes et proposer des solutions. Il utilise ses compétences en matière de négociation pour influer sur la façon dont les problèmes sont définis et abordés, de manière à servir les intérêts de toutes les parties en présence. Il peut ainsi mettre au point, au nom de ces dernières, des moyens efficaces d'aboutir à des solutions qui recueillent l'assentiment général. Les systèmes de cogestion des ressources peuvent aussi aider les décideurs nationaux à mieux appréhender dans quels domaines une intervention se révélera la plus productive; permettre la collecte et la diffusion de données utiles et contribuer à affiner les méthodes et les théories sur lesquelles s'appuient les décideurs pour cerner les causes des problèmes de développement.

311. Le plus important est que la gestion des ressources se fonde de plus en plus sur des observations rationnelles concernant l'évolution de la qualité et du volume des ressources disponibles. Lorsque les parties en présence échangent les résultats de leurs recherches, cela contribue souvent à atténuer les tensions et à faire prendre conscience de l'universalité du problème rencontré et du fait que sa solution passe par une coopération pour le développement et non par un conflit.

312. Les donneurs peuvent apporter leur soutien dans de nombreux domaines, et notamment: -le transfert de connaissances et de compétence, y compris dans les domaines de la formulation des politiques, de la planification et de l'établissement de procédures institutionnelles de prise des décisions; -le transfert de technologie; -le développement des capacités dans le domaine de l'environnement; et

-la facilitation, la médiation et la coordination. D. Orientations à l'intention des donneurs 313. Les pays voisins sont souvent à la fois très désireux et particulièrement bien placés pour contribuer à la mise en oeuvre et à la réussite de programmes de consolidation de la paix et de reconstruction. La capacité d'apporter une assistance technique et une formation appropriée, la confrontation des expériences de réforme et la connaissance intime des problèmes et des communautés de la région sont autant d'éléments qui militent en faveur d'un engagement plus poussé des autres pays de cette région, pour autant qu'ils puissent intervenir en l'absence de tout parti pris.

314. L'absence de véritable mécanismes de dialogue entre l'Etat et les différents acteurs du pays est un problème difficile à résoudre pour les Etats et les organismes donneurs, alors que c'est peut-être la question centrale pour une prévention efficace. Les organisations non gouvernementales régionales et locales et les organisations communautaires (parmi lesquelles les groupes de femmes qui militent pour la paix) peuvent souvent offrir des perspectives intéressantes à cet égard. Les organismes donneurs et les organisations régionales doivent s'employer à identifier les principales ONG régionales qui pourraient servir d'intermédiaires et assurer la coordination de la fourniture sur le terrain, par les ONG locales, d'une aide en faveur de la paix. Une stratégie régionale intégrée pourrait donc comporter une double approche, le travail se faisant à la fois avec les organisations et groupes régionaux à l'échelon supranational, et avec les ONG régionales et locales à l'échelon infra-national.

315. Les donneurs doivent encourager les initiatives visant à une plus grande coopération et intégration économique régionales, car, outre l'expansion des gains économiques locaux, cela favoriserait la confiance mutuelle et la coopération. Encourager la coopération « sud-sud » sur des aspects fonctionnels particuliers de secteurs spécifiques pourrait être un moyen d'instaurer le dialogue régional et de développer une conception commune des intérêts mutuels.

316. Les organes sous-régionaux constitués pour s'occuper de problèmes fonctionnels comme les échanges ou la gestion des ressources peuvent parfois servir de base pour aborder les problèmes de tensions et conflits régionaux. Ces moyens plus indirects de contribuer à la prévention des conflits et à la consolidation de la paix peuvent s'avérer efficaces, particulièrement sur le long terme. Les donneurs doivent aussi appuyer la création de mécanismes de prise de décision inter-états comportant un dispositif exprès de règlement des litiges.

317. Il est rare que les stocks et les flux de ressources naturelles soient confinés à un territoire et ne débordent pas les frontières nationales et l'expérience récente met en évidence la nécessité de revenir sur la pratique consistant à en confier le contrôle administratif exclusif à des institutions nationales. Les donneurs doivent encourager et faciliter la mise en place de systèmes de cogestion des ressources qui deviendront une matérialisation formelle du réseau de relations bilatérales unissant des pays voisins, Pour fonctionner efficacement, un système de cogestion des ressources doit avoir le pouvoir de faire appliquer un plan de gestion et donc bénéficier des moyens techniques et opérationnels nécessaires pour garantir sa crédibilité aux yeux des états qui y participent.

Encadré 22. La région du Mékong --Risques de conflits et potentiel de coopération Les ressources du bassin du Mékong étant de plus en plus exploitées pour promouvoir les objectifs économiques des états riverains --Thaïlande, Vietnam, Laos, Cambodge et Chine --le risque de divergences et de conflits d'intérêts constitue une menace pour la stabilité dans la région.

Les disparités considérables de dimension et de puissance des Etats, qui suscitent parmi les plus petits pays une certaine crainte d'être dominés par les plus grandes puissances, et un enthousiasme inégal pour une exploitation rapide des ressources de la région, peuvent créer des risques de tensions dans une région déjà déchirée par la guerre pendant la plus grande partie de ce siècle.

L'évolution de la situation politique et économique dans le bassin du Mékong appelle des approches nouvelles et souples de la gestion des ressources et des stratégies qui permettraient d'assurer une mise en valeur au profit de tous et l'existence de mécanismes efficaces de règlement des litiges entre les pays.

La Commission du Mékong est bien placée pour veiller à ce que cette exploitation se fasse d'une manière équitable et durable. La structure de cette organisation et la volonté de coopérer qui y préside lui donne la possibilité d'assumer un rôle pratique et une autorité morale considérables dans la gestion des affaires régionales en Asie du sud-est.

En même temps que les tensions diminuent entre les Etats, les occasions de conflit entre des groupes d'intérêt sur des questions d'environnement ou d'utilisation et de distribution des ressources risquent de se multiplier, pour divers motifs :

-tensions ethniques découlant des modes d'utilisation des ressources --notamment entre les cultivateurs itinérants et les autres utilisateurs;

-tensions inter-régionales créées en particulier par les disparités de revenus et les conflits entre les besoins des différentes régions d'un pays, souvent aggravés par l'accès ou le manque d'accès aux ressources du fleuve; -divisions sociales qui apparaissent souvent lorsque la propriété des ressources est mal définie; -mise en question des intérêts de la majorité résultant de la démocratisation et de la libéralisation socio-politique, avec l'émergence de nouvelles ONG et de nouveaux groupes d'intérêt qui entretiennent souvent des liens transfrontières. Ces nouveaux foyers de tension et d'insécurité appellent de nouveaux types d'approches de la coopération, du règlement des conflits et de la paix dans la région du Mékong et au-delà. Considérer les choses uniquement du point de vue des états-nations n'est peut-être pas l'approche la plus efficace, du moins dans certains théâtres de conflit.

318. Les approches régionales de la réforme des forces armées et du secteur de la sécurité devraient, le plus possible s'appuyer sur les compétences acquises par d'autres partenaires régionaux dans des domaines comme la démobilisation et la réinsertion. Elles peuvent consister à organiser des échanges intra-régionaux d'officiers des forces armées et de la police afin de dégager des enseignements des expériences menées pour accroître leur professionnalisme et renforcer le contrôle exercé par le pouvoir civil.

319. Il faut toutefois reconnaître que, si elles ont un certain potentiel, beaucoup d'organisations régionales du monde en développement souffrent de certaines limitations : elles ont souvent peu de moyens, financiers ou autres, et une capacité institutionnelle ou administrative insuffisante pour mettre en place des mécanismes globaux et intégrés de prévention des conflits et de consolidation de la paix. Cela dit des arrangements régionaux ad hoc peuvent aussi être un moyen efficace de prévenir les conflits mais cela suppose cependant que l'objectif ultime visé par l'approche régionale préconisée est la prévention des conflits et non la création d'institutions en soi. Ce qui importe, c'est de soutenir l'instrument le plus efficace pour résoudre le conflit, qu'il s'agisse d'une organisation intergouvernementale officielle, d'une ONG, d'un groupement ad hoc ou d'une autre solution.

320. Les impératifs de la coordination, l'échange d'information et le rôle d'agence ou de donneur chef de file s'appliquent tout autant aux approches régionales qu'aux situations nationales. La coordination peut beaucoup aider les organisations ou groupes régionaux à déterminer les priorités des programmes et faciliter l'élaboration (avec certaines ONG, institutions financières internationales et organismes donneurs bilatéraux), des grandes orientations à suivre pour assurer l'efficacité de l'aide aussi bien en termes de prévention des conflits et de consolidation de la paix que de développement. Cette coordination entre donneurs qui est indispensable impliquera souvent, de subordonner les objectifs nationaux aux intérêts régionaux communs. Dans certains cas, les banques régionales de développement pourraient servir d'instances pour la coordination des stratégies régionales intégrées et en même temps lancer des programmes visant à renforcer les capacités régionales. Les donneurs pourraient en outre encourager l'échange de compétences et de données d'expérience, non seulement entre les Etats et les groupes non gouvernementaux d'une même région, mais aussi entre différentes organisations régionales.


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