Comité des droits de l'homme, Observations des Togo, U.N. Doc. CCPR/C/79/Add.36 (1994).

Distr.
GENERALE
CCPR/C/79/Add.36
10 août 1994
FRANCAIS
Original : ANGLAIS

COMITE DES DROITS DE L'HOMME
Cinquante et unième session
EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES
EN APPLICATION DE L'ARTICLE 40 DU PACTE

u>Observations du Comité des droits de l'homme

Togo


1. Le Comité a examiné le deuxième rapport périodique du Togo (CCPR/C/63/Add.2) de sa 1325ème à sa 1327ème séance, les 7 et 8 juillet 1994, et adopté A sa 1353ème séance (cinquante et unième session), le 27 juillet 1994.

GE.94-18437 (F) les observations suivantes :

A. Introduction

2. Le Comité remercie le Togo pour son rapport (CCPR/C/63/Add.2) et le document de base (HRI/CORE/1/Add.38) et se réjouit de voir que le Gouvernement togolais est disposé à poursuivre le dialogue avec le Comité. Il note toutefois avec regret que ce rapport, qui contient très peu d'informations sur les mesures constitutionnelles et juridiques visant à donner effet aux dispositions du Pacte, n'a pas été établi conformément aux directives du Comité concernant la forme et le contenu des rapports périodiques (CCPR/C/20/Rev.1); il se caractérise en particulier par le manque d'informations sur la pratique en matière de respect des droits de l'homme ainsi que sur les facteurs et difficultés entravant l'application des dispositions du Pacte. Le Comité remercie néanmoins la délégation togolaise de s'être efforcée de répondre à certaines des questions posées et d'avoir ainsi comblé, dans une certaine mesure, les lacunes du rapport.

B. Facteurs et difficultés entravant l'application du Pacte

3. Le Comité note que le Togo commence maintenant seulement à sortir d'une longue et terrible période de troubles intérieurs au cours desquels de graves violations des droits de l'homme se sont produites et que le processus de relèvement et de transition vers la démocratie qu'il a engagé est toujours en cours. La méconnaissance par les individus des droits qui leur sont reconnus par le Pacte et le Protocole facultatif les empêche de les exercer et contribue également au fait qu'ils ne disposent pas de recours en cas de violation de ces droits. Les vestiges de certaines traditions et coutumes constituent aussi un obstacle à l'application effective du Pacte, en particulier en ce qui concerne l'égalité entre les hommes et les femmes.

C. Aspects positifs

4. Le Comité se félicite de l'adoption d'une nouvelle constitution et de lois connexes qui reprennent un certain nombre des dispositions du Pacte et visent à instaurer un cadre juridique favorable à la promotion et à la protection des droits de l'homme ainsi que de la promulgation du nouveau Code électoral. Il prend note également de la création du Ministère des droits de l'homme, qui pourrait jouer un rôle important dans la coordination de la politique du gouvernement en matière de droits de l'homme.

D. Principaux sujets de préoccupation

5. Le Comité prend note avec préoccupation des troubles intérieurs qui ont eu lieu au Togo au cours de la période considérée et qui ont entraîné des violations graves et systématiques des droits garantis par le Pacte, particulièrement ceux qui sont énoncés aux articles 4, 6, 7, 9, 10 et 14. Il est préoccupé en particulier par le fait qu'en dépit du processus de transition vers la démocratie qui s'est engagé, l'Etat de droit n'a pas encore été rétabli au Togo et que des violations des droits de l'homme continuent à se produire. Il subsiste donc toujours un écart important entre les normes constitutionnelles et juridiques et leur application dans la pratique. Le Comité prend aussi note avec inquiétude à cet égard des multiples obstacles auxquels est confrontée la Commission nationale des droits de l'homme qui, malheureusement, ne fonctionne plus et qui n'est pas en mesure de contribuer à promouvoir le respect des droits de l'homme.

6. Le Comité déplore les nombreux cas d'exécution sommaire et arbitraire, de disparition forcée ou involontaire, de torture et de détention arbitraire ou illégale imputables à des membres de l'armée, des forces de sécurité ou d'autres forces de l'ordre au cours de la période considérée. Il est profondément préoccupé par le fait que ces violations n'ont donné lieu à aucune enquête, que les auteurs de ces actes n'ont été ni traduits en justice ni punis et que les victimes n'ont pas été indemnisées. Il note que le maintien des responsables de violations des droits de l'homme dans l'armée ou les forces de sécurité compromet gravement le processus de transition vers la démocratie.

7. Le Comité est préoccupé par le fait que les membres de l'armée sont presque exclusivement recrutés parmi un seul des groupes ethniques vivant au Togo, ce qui prive d'autres groupes de la possibilité d'être équitablement représentés au sein de l'armée. Cette situation, quelles qu'en soient les raisons historiques, ainsi que le manque apparent de contrôle total et réel des autorités civiles sur l'armée et les forces de sécurité, sont une cause particulière d'inquiétude.

8. Le Comité regrette que l'Etat partie n'ait pas encore entrepris toutes les réformes nécessaires pour éliminer les facteurs et les difficultés qui font obstacle à la mise en oeuvre du principe de l'égalité entre les hommes et les femmes et appliquer ainsi pleinement l'article 3 du Pacte. La traite des femmes dont des cas ont été signalés, l'effet de certaines coutumes et traditions ainsi que l'absence de mesures effectives de la part du gouvernement pour promouvoir l'égalité des sexes, constituent de graves sujets de préoccupation.

9. Le Comité regrette qu'il ait été dérogé à certains des droits énoncés dans le Pacte avec la proclamation de couvre-feux pendant la période de transition et que ces dérogations n'aient pas été signalées au Secrétaire général, conformément à l'article 4 du Pacte.

10. Le Comité est préoccupé par le nombre excessif de délits pour lesquels la législation togolaise prévoit la peine de mort, ce qui est contraire aux dispositions de l'article 6 du Pacte.

11. Le Comité note que la liberté d'expression n'est pas encore pleinement garantie au Togo compte tenu de la censure et du contrôle exercé par les autorités sur la presse, la radio et la télévision.

12. Le Comité note avec préoccupation que des conditions restrictives sont associées à l'exercice des droits énoncés aux articles 21 et 22 du Pacte; il déplore la sévérité avec laquelle ont été réprimées des manifestations pacifiques au cours de la période considérée et regrette que ces incidents, qui ont fait des victimes, n'aient pas donné lieu à des enquêtes approfondies.

13. Le Comité a de sérieuses réserves et préoccupations à exprimer au sujet du système électoral en vigueur ainsi que des conditions dans lesquelles se sont récemment déroulées les élections les plus importantes, ce qui ne permet pas de garantir pleinement la liberté de choix de tous les électeurs et le droit de tous les citoyens de prendre part à la direction des affaires publiques, comme le stipule l'article 25 du Pacte.

14. Un certain nombre de points demeurent préoccupants, notamment le fait de ne pas assurer l'application totale et effective du Pacte en ce qui concerne la jouissance du droit à un procès équitable et les droits des personnes privées de liberté.

E. Suggestions et recommandations

15. Le Comité invite instamment le gouvernement à poursuivre le processus de réconciliation nationale et à redonner confiance à tous les groupes ethniques.

16. Le Comité recommande à l'Etat partie de prendre les mesures appropriées pour traduire et pour diffuser le Pacte, afin que tous les habitants du Togo connaissent les droits qui leur sont garantis par ses dispositions.

17. Le Comité invite instamment le gouvernement à prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher les exécutions sommaires ou arbitraires, les disparitions forcées ou involontaires, la torture, les mauvais traitements et les détentions illégales ou arbitraires, et à faire en sorte qu'une enquête soit systématiquement menée sur chaque cas de violation de ce type afin de traduire en justice les personnes soupçonnées d'avoir commis de tels actes, que les coupables soient punis et que les victimes soient indemnisées.

18. Le Comité juge nécessaire que le gouvernement veille plus particulièrement à ce que l'armée et les forces de sécurité respectent les droits de l'homme. Des mesures énergiques devraient être prises pour que les personnes impliquées dans des violations des droits de l'homme ne puissent pas être réintégrées dans la police, l'armée ou les forces de sécurité. Des mesures urgentes devraient aussi être prises pour que les divers groupes ethniques qui composent la population togolaise, y compris les groupes minoritaires actuellement sous-représentés, soient équitablement représentés dans l'armée et pour que celle-ci reste soumise au contrôle du gouvernement civil élu.

19. Le Comité exhorte le gouvernement à prendre les mesures qui s'imposent pour assurer l'application effective de l'article 3 du Pacte et notamment à adopter des mesures administratives et éducatives visant à rompre avec les coutumes et les pratiques traditionnelles qui ont des effets néfastes sur le bien-être et le statut de la femme dans la société togolaise.

20. Le Comité invite instamment les autorités togolaises à réviser le Code pénal afin de réduire le nombre de délits pour lesquels la peine de mort peut être prononcée, en se conformant à l'article 6 du Pacte.

21. Le Comité insiste sur le fait que des mesures devraient être prises pour garantir l'application, dans les prisons et les centres de détention, de toutes les dispositions de l'article 10 du Pacte et de l'Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus. Les deux séries de dispositions devraient recevoir une plus large diffusion, en particulier parmi le personnel des forces armées, des forces de sécurité et de la police appelé à intervenir dans les arrestations et les détentions, et les membres du pouvoir judiciaire, lesquels devraient mieux les respecter.

22. Le Comité recommande au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour garantir l'indépendance et le bon fonctionnement du système judiciaire et pour doter les tribunaux en effectifs suffisants et qualifiés, conformément aux dispositions de l'article 14 du Pacte.

23. Tous les moyens devraient être mis en oeuvre, notamment en ce qui concerne la sécurité de ses membres et son financement, pour que la Commission nationale des droits de l'homme puisse reprendre ses activités conformément à ses statuts.

24. Le Comité recommande que les dispositions relatives à la censure et au contrôle exercés par les autorités sur la presse soient alignées sur les dispositions de l'article 19 du Pacte.

25. Tout devrait être fait pour que les élections se déroulent dans des conditions totalement conformes aux dispositions de l'article 25 du Pacte.

26. Le Comité recommande au Gouvernement togolais d'avoir recours aux services consultatifs et de coopération technique du Centre des Nations Unies pour les droits de l'homme pour surmonter quelques difficultés techniques qu'il rencontre dans l'application du Pacte, notamment pour établir le troisième rapport périodique conformément aux directives du Comité.