University of Minnesota



Ivan Kitok c. Suèd
e, Communication No. 197/1985, U.N. Doc. CCPR/C/33/D/197/1985 (1988).



Comité des droits de l'homme

Trente-troisième session

CONSTATATIONS DU COMITE DES DROITS DE L'HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4
DE L'ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE
INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES
TRENTE-TROISIEME SESSION

concernant la

Communication No 197/1985



Presentée par : Ivan Kitok

Au nom de : l'auteur

Etat partie concerné: Suède

Date de la communication : 2 décembre 1985 (date de la première lettre)

Date de la décision de recevabilité : 25 mars 1987

Le Comité des droits de l'homme institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 27 juillet 1988;

Ayant achevé l'examen de la communication No 197/1985, présentée au Comité par Ivan Kitok en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques;

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif


1. L'auteur de la communication (lettre initiale du 2 décembre 1985 et lettres subséquentes des 5 et 12 novembre 1986) est Ivan Kitok, citoyen suédois d'origine ethnique sami , né en 1926 et representé par un avocat, qui prétend être victime de violations des articles premier et 27 du Pacte, du fait du Gouvernement suédois.

2.1 Ivan Kitok appartient à une famille sami qui se livre à l'élevage du renne depuis plus d'un siècle, et se fonde là-dessus pour affirmer avoir hérité de ses ancêtres le "droit civil" à pratiquer cet élevage, ainsi que les droits correspondants sur l'eau et les terres du village sami de Sorkaitum. Apparemment, l'exercice de ces droits lui a été refusé au motif qu'il aurait perdu la qualité de membre du village sami (" sameby", anciennement "lappby", ou village lapon), lequel, en vertu d'une loi suédoise de 1971, fonctionne comme un syndicat soumis à la règle excluant les non-membres : aux termes de cette loi, un non-membre ne peut exercer les droits des Sami sur les terres et sur l'eau.

2.2 La Couronne suédoise et le bailli des Lapons, désireux de réduire le nombre d'éleveurs de rennes, ont décidé que, si un Sami se livre à une autre occupation pendant trois ans, il perd son statut particulier et son nom est rayé du rôle du lappby, sur lequel il ne peut être réinscrit qu'avec une autorisation spéciale. De ce fait, la Couronne violerait arbitrairement les droits immémoriaux de la minorité sami, et Ivan Kitok serait victime de ce déni de droits.

2.3 Au sujet de l'epuisement des recours internes, Ivan Kitok déclare avoir cherché à obtenir réparation en s'adressant à toutes les juridictions existant en Suède, et précise que le Regeringsrätten (Cour suprême administrative de la Suède)a rejeté sa demande le 6 juin 1985, bien que deux juges minoritaires eussent eté d'avis de lui rendre son statut de membre du sameby.

2.4 Ivan Kitok affirme que la question n'a fait l'objet d'aucune autre procédure internationale d'enquête ou de règlement.

3. Aux termes de sa décision du 19 mars 1986, le Groupe de travail du Comité des droits de l'homme a, en vertu de l'article 91 du règlement intérieur provisoire, transmis la communication d'Ivan Kitok à 1'Etat partie intéressé, en demandant à celui-ci de lui soumettre tous renseignements et observations se rapportant à la question de la recevabilité de cette communication. Le Groupe de travail priait en outre l'Etat partie de lui fournir le texte des décisions administratives et judiciaires relatives à l'affaire, et notamment : a) la décision du 23 janvier 1981 du Lànsstyrelsen, Norrbottens Län (autorité administrative Compétente); b) l'arrêt du 17 mai 1983 du Kammarrätten (tribunal administratif d'appel); et c) l'arrêt du 6 juin 1985 du Regeringsrätten (Cour suprême administrative), y compris les opinions dissidentes jointes à cette dernière décision.

4.1 Par une communication du 12 septembre 1986, 1'Etat partie a fourni toutes les décisions administratives et judiciaires demandées, et présenté les observations suivantes :

"Ivan Kitok prétend qu'il y a eu violation des droits que lui confèrent les articles 1 et 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Au sujet de l'article 27, le Gouvernement suédois interprète la plainte d'Ivan Kitok comme signifiant que celui-ci aurait été empêché, par les lois de la Suède et par les décisions de la justice du pays, d'exercer ses 'droits à l'élevage du renne' et, par conséquent, son droit à la vie culturelle sami.

Pour ce qui est de la plainte relative à l'article premier du Pacte, 1'Etat partie fait observer qu'on ne voit pas bien si Ivan Kitok prétend que les Sami devraient avoir, en tant que peuple, le droit de disposer d'eux-mêmes, comme il est dit au paragraphe 1 de cet article, ou si sa plainte se ramène aux matières prévues au paragraphe 2 du même article, c'est-à-dire à l'affirmation que les Sami ont été privés, en tant que peuple, du droit de disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles. Or, comme la lecture des pièces présentées par Ivan Kitok lui-même suffit à le montrer, le problème des droits des Sami sur les eaux et les terres et les divers problèmes qui s'y rapportent sont d'une complexité infinie et n'ont cessé d'être un objet de discussions, de considérations et de décisions depuis que l'administration suédoise a commencé à s'intéresser aux régions du nord du pays, où vivent les Sami. Certaines des questions intéressant la population sami sont d'ailleurs en ce moment même examinées par la Commission suedoise des questions sami (samerättsutredningen), que le Gouvernement suédois a instituée en 1983. Le Gouvernement s'abstiendra donc pour le moment de toute autre observation sur cet aspect de la demande, et se contentera d'indiquer que, selon lui, les Sami ne constituent pas un "peuple" au sens que l'article premier du Pacte donne à ce terme [...]. Le Gouvernement suédois soutient donc que l'article premier n'est pas applicable en l'espèce, et que la plainte d'Ivan Kitok doit être déclarée irrecevable en vertu de l'article 3 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, comme étant incompatible
avec les dispositions de celui-ci."

4.2 Sur la question de la violation présumée de l'article 27, 1'Etat partie :

"admet que les Sami constituent une minorité ethnique dans le pays, et que les individus appartenant à cette minorité ont droit à la protection des droits énoncés à l'article 27 du Pacte. D'ailleurs, la Constitution suédoise va encore plus loin, que ce soit au quatrième paragraphe de l'article 2 du chapitre premier ('Les moyens des minorités ethniques, linguistiques ou religieuses de préserver et de développer une vie culturelle et sociale particulière doivent être développés') ou à l'article 15 du chapitre 2 ('Nul texte de loi ou de décret ne peut comporter de discrimination à l'égard d'un citoyen quelconque en raison de son appartenance à une minorité par la race, la couleur ou l'origine ethnique').

La question à examiner au sujet de l'article 27 est donc de savoir si la législation suédoise et les décisions des tribunaux suédois ont eu pour résultat de priver Ivan Kitok de son droit à l'élevage du renne, et, dans l'affirmative si cela signifie qu'il y a eu violation de
l'article 27 du Pacte. A cet égard, le Gouvernement suédois fera remarquer qu'Ivan Kitok lui-même a déclaré devant la justice suédoise que le seul problème qui se posait dans son cas était de savoir s'il existe, pour les autorités, des raisons spéciales de lui reconnaître le statut de membre du village sami de Sorkaitum en dépit du refus des membres de cette communauté [...].

Les lois adoptées au sujet de l'élevage du renne ont eu pour effet de diviser la population sami de la Suède en Sami éleveurs de rennes et Sami non éleveurs de rennes, distinction qui garde aujourd'hui toute son importance. L'élevage du renne est réservé aux Sami qui sont membres d'un village sami (sameby), entité à laquelle la loi suédoise reconnaît la qualité de personne morale. L'expression 'village sami' sera utilisée ci-après pour traduire le terme 'sameby'. Ces Sami, qui représentent aujourd'hui une population d'environ 2 500 personnes, jouissent aussi de certains autres droits, par exemple en matière de chasse et de pêche. Par contre, les textes en vigueur ne reconnaissent aucun droit spécial aux autres Sami (c'est-à-dire à la grande majorité de la population sami vivant en Suède, qui compte aujourd'hui entre 15 000 et 20 000 personnes). Pour ces autres Sami, la préservation de la culture sami a eté beaucoup plus difficile : la plupart d'entre eux sont aujourd'hui assimilés à la société suédoise, et ne vivent d'ailleurs pas dans la même région que les Sami éleveurs de rennes.

Les règles applicables à l'élevage du renne sont contenues dans la loi de 1971 sur l'elevage du renne, qui avait pour but d'améliorer les conditions de vie des Sami vivant principalement de cet élevage, et de protéger à l'avenir leur activité. Les familles se livrant à l'élevage du renne avaient en effet du mal à en vivre, et les travaux préparatoires de cette loi montrent que la rentabilité de cette activité était considérée comme une question d'importance générale, l'élevage du renne étant jugé nécessaire pour protéger et préserver la culture sami dans son ensemble [...].

Il convient de souligner que les membres des villages sami ont le droit de se servir, pour eux-mêmes et pour leurs rennes, des terres et des eaux appartenant à autrui, que ce droit s'applique de la même façon aux biens de l'Etat et aux biens des particuliers, et qu'il entraîne avec lui le droit de chasser et de pêcher dans une grande partie de la région en cause. Par rapport aux autres suédois, les Sami jouissent donc d'avantages considérables. Cependant, la région qui se prête à l'élevage limite le nombre total de rennes à quelque 300 000 têtes, et empêche de faire vivre plus de 2 500 Sami du revenu de cette activité et de leurs revenus complémentaires.

La loi de 1971 a eu pour effet de réorganiser les anciens villages sami, en les rassemblant au sein d'unités plus vastes. Les villages sami sont issus du siida, base initiale de la société, qui se composait d'une communauté de familles qui avaient longtemps vécu en passant selon les saisons d'un terrain de chasse et de pêche à un autre, avant d'apprendre à suivre et à exploiter les troupeaux de rennes selon leurs migrations.

Avant la loi de 1971, les Sami étaient organisés en communautés sami (lappbyar), et c'est la commission administrative du comté

(länsstyrelsen) qui accordait aux intéressés le statut de membre de ces communautés. Aux termes de la loi de 1971, ce sont maintenant les membres des villages sami qui prennent eux-mêmes cette décision.

Tout individu qui s'est vu refuser la qualité de membre d'un village sami peut en appeler devant la commission administrative du comté et, si celle-ci lui donne tort, s'adresser ensuite à la cour d'appel administrative (kammarrätten), puis à la cour suprême administrative (regeringsrätten).

Cependant, le refus opposé par les membres d'un village sami à une demande de ce genre ne peut être annulé que s'il existe des raisons spéciales de reconnaître à l'intéressé la qualité de membre du village (voir art. 12, par. 2, de la loi de 1971). De plus, l'étude des travaux préparatoires de la loi de 1971 montre que le droit des commissions administratives de comté de revenir sur la décision rendue par les membres d'un village sami doit être exercé de façon très restrictive. Il faut, par exemple, que l'élevage auquel le demandeur souhaite se livrer dans le cadre du village soit d'une utilité essentielle pour celui-ci et ne présente pas d'inconvénient pour ses autres membres, une considération importante à cet égard étant que la surface des pâturages reste constante et que l'apparition de nouveaux membres dans un village signifie un plus grand nombre de rennes.

Il semble que la cour suprême administrative n'ait rendu auparavant qu'un seul arrêt relatif à l'article 12 de la loi sur l'élevage du
renne. Encore les circonstances de cette affaire n'étaient-elles pas exactement les mêmes que dans le cas d'Ivan Kitok [...].


L'affaire portée en justice par Ivan Kitok porte sur les matières prévues à l'article 12, paragraphe 2, de la loi sur l'élevage du renne. La commission administrative de comté, puis les tribunaux, n'ont donc eu à se prononcer que sur la question de savoir s'il existait des raisons spéciales, au sens donné à ces mots dans la loi de 1971, de reconnaître au demandeur la qualité de membre du village sami en question. La commission administrative de comté a conclu a la négative, ainsi que la cour d'appel administrative et la cour suprême administrative dans la majoritéde ses membres [...].

Sur la question de la violation de l'article 27 du Pacte, il convient de tenir compte de ce qui suit. Il est vrai qu'Ivan Kitok s'est vu refuser le statut de membre du village sami de Sörkaitum, ce qui, normalement, l'aurait également privé de tout moyen de se livrer à l'élevage du renne. En l'occurrence, cependant, le conseil du village a décidé qu' Ivan Kitok, étant propriétaire de rennes domestiques, pourrait assister au marquage des jeunes rennes, à l'abattage des bêtes, au rassemblement des troupeaux et à la restitution des bêtes a leurs propriétaires, tout cela afin de sauvegarder ses intérêts en tant que propriétaire de rennes faisant partie de la société sami, sinon en tant que membre du village sami en question. De même, Ivan Kitok est autorisé à chasser et à pêcher librement sur les terres réservées à ce village. Ces faits ont également joué un rôle décisif dans les motifs sur lesquels est fondé l'arrêt de la cour suprême administrative.

Le Gouvernement suédois estime que, pratiquement, Ivan Kitok peut continuer à se livrer à l'élevage des rennes, même s'il ne peut exercer ce droit dans des conditions aussi favorables que les membres du village sami en question, et qu'on ne saurait dire par conséquent qu'il est empêché d'avoir sa 'propre vie culturelle'. Pour cette raison, le gouvernement maintient que la plainte d'Ivan Kitok doit êre déclarée irrecevable pour incompatibilité avec les dispositions de l'article 27 du Pacte."

4.3 Au cas où le Comité ne se prononcerait pas dans ce sens, 1, Etat Partie soutient ce qui suit :

"Ainsi qu'il ressort manifestement de son texte, la loi sur l'élevage du renne a pour but de protéger et de préserver la culture sami et l'élevage du renne en tant que tel. Le présent différend oppose moins Ivan Kitok en tant que Sami et l'Etat, que Kitok et d'autres Sami. Or, comme dans toute société où se produisent des différends, il importe de faire un choix entre, d'une part, l'intérêt général et, de l'autre, les intérêts particuliers, le problème étant ici que l'élevage du renne a des liens si étroits avec la culture sami qu'il faut y voir un élément de cette culture même.

En l'occurrence, on peut dire que la législation suédoise favorise la communauté sami afin de rendre l'élevage du renne économiquement possible aujourd'hui et dans les années à venir. Cependant, les pâturages utilisables pour cet élevage sont limités, et il n'est tout simplement pas possible de laisser tous les Sami s'y livrer sans compromettre cet objectif et sans risquer de mettre en danger l'élevage du renne en tant que tel.


On remarquera aussi que c'est au village sami qu'il incombe de décider d'admettre ou non tel ou tel individu en son sein : c'est seulement en cas de décision négative du village que la question peut être portée en justice.

L'article 27 du Pacte garantit le droit des personnes appartenant à une minorité d'avoir leur propre vie culturelle. Cependant, et sans que cela soit dit explicitement dans le texte, certaines restrictions à l'exercice de ce droit [. ..]doivent être considérées justifiées, dans la mesure où elles sont nécessaires, dans une société démocratique, pour préserver des intérêts publics d'importance vitale ou pour protéger les droits et libertés d'autrui. De l'avis du Gouvernement suédois, compte tenu des intérêts qui sont à la base de la loi sur l'élevage du renne et des conséquences très limitées qu'a l'application de cette loi sur les moyens qu'a Ivan Kitok d'avoir sa 'propre vie culturelle', la présente affaire, considérée dans toutes ces circonstances, ne fait apparaître aucune indication de violation de l'article 27 du Pacte.

Pour ces raisons, le gouvernement estime que
, au cas même où le Comité viendrait à conclure que la plainte d'Ivan Kitok entre dans le cadre de l'article 27, il n'y a pas eu de violation du Pacte. Cette plainte devrait donc être déclarée "irrecevable comme étant manifestement dénée de fondement".

5.1 Commentant ces observations de 1'Etat partie en vertu de l'article 91, Ivan Kitok soutient, dans des communications datées des 5 et 12 novembre 1986, que ses plaintes pour violation des articles premier et 27 du Pacte sont fondées.

5.2 Au sujet de l'article premier, Ivan Kitok affirme ce qui suit :

"Il faut voir dans les villages lapons d'autrefois, non pas des Etats, mais de petits royaumes, avec leurs frontières, leur gouvernement, et avec le droit de rester neutre en cas de guerre. Telle était la position de la Suède sous la dynastie des Vasa, énoncée dans les lettres royales de Gustave ler de 1526, 1543 et 1551, puis confirmée par Gustave Adolphe en 1615, et par un jugement royal daté de la même année et visant le village lapon de Suondavare [...].

La théorie en vigueur dans certains pays, d'après laquelle le souverain ou 1'Etat est le premier propriétaire de toutes les terres incluses dans les frontières du pays, n'existe pas en Suède. De plus, ce n'est qu'en 1751 que la frontière entre la Suède et la Norvège a été tracée dans les régions lapones. Par contre, la Suède connaît la notion de droits allodiaux, c'est-à-dire des droits fonciers antérieurs à l'apparition de 1'Etat. L'existence de ces droits est reconnue dans les travaux préparatoires au code suédois de 1734, qui s'appliquait également à certains territoires finlandais.


Le Gouvernement suédois dit avoir de la peine à interpréter la plainte d'Ivan Kitok relative à l'article premier du Pacte : la position d'Ivan Kitok est que, en vertu du paragraphe 1 de cet article, le peuple sami a le droit de disposer de lui-même [...]. La population sami dans le monde entier compte environ 65 000 personnes : 40 000 en Norvège, 20 000 en Suède, 4 000 à 5 000 en Finlande, et les autres en Union soviétique. On ne sait pas exactement combien sont les Sami suédois vivant sur leurs terres d'origine, entre la ligne de végétation et la frontière norvégienne, la Suède ayant refusé aux Sami le droit de se faire recenser. Si l'on prend comme hypothèse un chiffre de 5 000 personnes, cette population du 'Samiland suédois', devrait avoir le droit de disposer d'elle-même. Il ne faudrait pas que la présence de Sami dans d'autres pays diminuât le droit des Sami suédois à disposer d'eux-mêmes. Les Sami suédois ne sauraient avoir des droits moindres parce qu'il y a des Sami vivant dans d'autres pays [... J."

5.3 Au sujet de l'article 27 du Pacte, Ivan Kitok d&lare ce qui Suit
:

"La loi de 1928 était anticonstitutionnelle, et incompatible avec le droit international et avec le droit civil suédois. D'après cette loi, les individus qui n'étaient pas membres d'un sameby, comme Ivan Kitok, avaient le droit d'élever des rennes, de chasser et de pêcher, mais n'etaient pas habilités à exercer ces droits. N'y a-t-il pas quelque chose de singulier dans le texte d'une loi qui interdit à un individu d'exercer les droits civils qu'il possède ? En fait, le but recherché était de faire de la place pour les Sami qui avaient été déplacés vers le nord, en réduisant le nombre des Sami pouvant exercer les droits dont ils avaient hérité sur les terres et sur les eaux [...].


Le résultat est qu'il existe sur les terres d'origine des Sami, situées dans le nord de la Suède entre la ligne de végétation de 1973 et la frontière norvégienne, deux catégories de Sami. La première se compose de Sami à part entière, c'est-à-dire des individus faisant partie des villages sami. La seconde est celle des demi-Sami, c'est-à-dire des individus qui ne font pas partie des villages sami, bien que vivant dans cette région, et qui, quoique ayant des droits sur les terres et les eaux, sont empêchés par la loi d'exercer ces droits. Cette interdiction à l'égard des demi-Sami étant contraire au droit international et au droit interne, la loi de 1928-1971 est dénuée de validité et ne peut donc empêcher les demi-Sami d'exercer leur droit à l'élevaqe du renne, à la chasse et à la pêche. D'ailleurs, en réalité, les demi-Sami ont continué à exercer leurs droits de chasse et surtout de pêche, sans en avoir l'autorisation exigée aux termes de la loi. Cette pratique, courante dans les terres d'origine des Sami suédois, a conservé sa validité jusqu'à ce que la Cour suprême administrative de Suède eût rendu son arrêt du 6 juin 1985 dans l'affaire Ivan Kitok [...]. La position d'Ivan Kitok est qu'il est privé du droit d'avoir la vie culturelle des Sami au motif qu'il n'est qu'un demi-Sami, alors que les personnes qui font partie d'un village sami sont des Sami à part entière [...]. Le Gouvernement suédois a admis que l'élevage du renne est un élément essentiel de la culture sami. Lorsqu'il affirme à présent que la loi en vigueur ne donne pas de droits spéciaux à la majorité des Sami suédois, cela n'est pas vrai. Le Gouvernement ajoute : 'Pour ces autres Sami, la préservation de la culture sami a été beaucoup plus difficile : la plupart d'entre eux sont aujourd'hui assimilés à la societé suédoise, et ne vivent d'ailleurs pas dans la même région que les Sami éleveurs de rennes'. A cela, Ivan Kitok répond qu'il s'exprime au nom des 5 000 Sami environ qui vivent sur les terres d'origine des Sami suédois, et dont
2 000 seulement sont membres d'un sameby. L'institution du sameby [...] diminue d'année en année le nombre des Sami pratiquant 1'élevage du renne, qui n'est maintenant que de 2 000 personnes, membres actifs des sameby situés sur les terres d'origine des Sami suédois. Pour ce qui est des autres Sami, il semble que le Gouvernement suedois, en les disant assimilés, confirme par là même avoir violé l'article 27 du Pacte.


Pour le peuple sami, c'est la solidarité humaine (folksolidaritet) qui compte et non pas la solidarité professionnelle (näringssolidaritet), comme l'affirmaient les grands dirigeants sami tels que Gustaf Park ou Israel mong. Cependant, la Suède a fait tout ce qu'elle pouvait pour faire prédominer la solidarité professionnelle entre les Sami suédois, en les divisant entre Sami à part entière et demi-Sami [...]. Il est significatif que la Commission royale de 1964 ait voulu faire du village lapon un village de rennes (renby)et faire de celui-ci une association purement économique où les grands éleveurs auraient des droits de vote spéciaux. C'est d'ailleurs ce qui se passe dans le sameby actuel, où la possession de 100 rennes donne droit à une voix supplémentaire, la possession de 200 rennes à 2 voix, etc. C'est à cause de ce mode de scrutin qu'Ivan Kitok n'a pas été admis dans son lappby ancestral de Sorkaitum.

Parmi les 3 000 Sami environ qui vivent en Suède sur leurs terres d'origine et qui ont le droit d'élever des rennes bien que n'étant pas membres d'un sameby, quelques-uns seulement sont aujourd'hui intéressés par cet élevage. Mais il est très important, pour la préservation de la minorité ethno-linguistique sami, que ces Sami soient encouragés à se joindre aux sameby."

5.4 En conclusion, il est dit que l'auteur, en tant que demi-Sami, "ne peut avoir sa propre vie culturelle, ses droits d'élevage, de chasse et de pêche pouvant lui être ôtés en vertu d'un mode de scrutin antidémocratique, et il est forcé, en tant que demi-Sami, à payer chaque année au sameby de Sorkaitum une contribution de 4 000 à 5 000 couronnes suedoises, que le Sami à part entière n'est pas tenu de verser. Tel est le stigmate qui s'attache aux demi-Sami."


6.1 Avant d'examiner les affirmations contenues dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, selon l'article 87 de son règlement intérieur provisoire, décider si la communication est recevable conformément au Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité a noté que 1'Etat partie ne prétendait pas que la communication fût irrecevable en vertu de l'article 5, paragraphe 2, du Protocole facultatif. Pour ce qui est de l'alinéa a)de ce paragraphe, le Comité a observé que les plaintes d, Ivan Kitok ne faisaient pas et n'avaient pas fait l'objet d'une autre procédure internationale d'enquête ou de règlement. Pour ce qui est de l'alinea b), le Comité ne pouvait conclure, sur la base du dossier dont il était saisi, qu'il existait, dans les circonstances de l'espèce, des recours effectifs que l'auteur de la communication n'auraient pas épuisé.

6.3 En ce qui concerne la conclusion de 1'Etat partie d'après quoi la communication devrait être déclarée irrecevable pour incompatibilité avec l'article 3 du Protocole facultatif, ou pour étant "manifestement dénuée de fondement", le Comité a observé que l'auteur ne pouvait, en tant qu'individu, prétendre être victime d'une violation du droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes, tel que ce droit est proclamé à l'article premier du Pacte. Si, en effet, le Protocole facultatif prévoit une procédure de recours pour les individus dénonçant une violation de leurs droits, l'article premier du Pacte ne vise que les droits que possèdent les peuples en tant que tels. Cependant, pour ce qui a trait à l'article 27 du Pacte, le Comité a observé que l'auteur de la communication avait fait un effort raisonnable pour étayer les allégations selon lesquelles il serait victime d'une violation de son droit à bénéficier des mêmes droits que les autres membres de la communauté sami. Cela étant, les questions dont était saisi le Comité, et en particulier la question de la portée de l'article 27, devaient être jointes au fond.

6.4 Le Comité n'ignorait pas que l'auteur de la communication et l'Etat partie intéressé lui avaient déjà soumis des conclusions detaillées sur le fond de l'affaire. Au stade actuel, cependant, le Comité n'avait à se prononcer que sur une question de procédure, à savoir la recevabilité de la communication. Si 1'Etat en question souhaitait completer son premier exposé écrit dans un délai de six mois à compter de la date à laquelle la présente decision lui aurait été transmise, l'auteur de la communication aurait l'occasion de présenter des observations sur cet exposé complémentaire. S'il n'était pas reçu d'autres explications ou déclarations de 1'Etat partie en vertu de l'article 4, paragraphe 2, du Protocole facultatif, le Comité se prononcerait au fond à la lumière des pièces écrites que les parties lui avaient déjà soumises.

6.5 En conséquence, le Comite des droits de l'homme a décidé, le 25 mars 1987, que la communication était recevable dans la mesure où elle pouvait soulever certaines questions relevant de l'article 27 du Pacte et il a prié 1'Etat partie, au cas où il n'aurait pas l'intention de présenter de nouvelles observations, d'en informer le Comité le plus tôt possible pour que l'affaire puisse être réglée rapidement.

7. Par une note datée du 2 septembre 1987, l'Etat partie a informé le Comité qu'il n'avait pas l'intention de présenter de nouvelles observations. Il n'a pas eté reçu de nouvelles observations de l'auteur.

8. Le Comité des droits de l'homme a examiné la communication quant au fond compte tenu de toutes les informations dont il avait été saisi par les parties, conformement au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif. Les faits ne sont pas contestés.

9.1 Pour le Comité, il s'agit essentiellement de savoir si l'auteur de la communication est victime d'une violation de l'article 27 du Pacte parce que, comme il le prétend, il s'est vu arbitrairement refuser des drois immémoriaux accordés à la communauté sami et, en particulier, le statut de membre de la communauté sami et le droit de se livrer à l'élevage du renne. En décidant si l'auteur de la communication s'est vu ou non refuser le droit "d'avoir sa propre vie culturelle", comme il est stipule dans l'article 27 du Pacte, et si le paragraphe 2 de l'article 12 de la loi de 1971 sur l'élevage du renne, en vertu de laquelle le refus opposé par une communauté sami d'accorder le statut de membre de la communauté ne peut être annule que s'il existe des raisons spéciales de reconnaître à l'intéressé cette qualité de membre, viole ou non l'article 27 du Pacte, le Comité fonde ses conclusions sur les considérations suivantes.

9.2 La réglementation d'une activité économique est normalement du ressort de l' Etat et de lui seul. Toutefois si cette activité est un élément essentiel de la culture d'une communauté ethnique, son application à l'égard d'un individu peut relever de l'article 27 du Pacte qui stipule : "Dans les Etats où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d'avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d'employer leur propre langue."


9.3 Le Comité fait observer à cet egard que le droit d'avoir sa propre vie culturelle en commun avec les autres membres du groupe ne peut être défini dans l'abstrait mais doit être place dans son contexte. Le Comité est donc appelé a examiner les restrictions légales au droit d'une personne ethniquement sami à être membre d'un village sami.

9.4 En ce qui concerne l'argument de 1, Etat partie, selon
lequel le conflit en l'espèce se situe moins entre le demandeur en tant que Sami et l'Etat partie qu'entre celui-là et la communauté sami (voir le paragraphe 4.3 ci-dessus), le Comité fait observer que 1'Etat partie a engagé sa responsabilité en adoptant la loi sur l'élevage du renne de 1971, et c'est donc une mesure de 1'Etat qui a été contestée. Comme l'indique lui-même 1'Etat partie, l'appel de la décision de la communauté sami de refuser le statut de membre n'est recevable que s'il existe des raisons spéciales pour octroyer ce statut; l'Etat reconnaît en outre que le droit de la commission administrative de comté d'autoriser l'appel doit être exercé d'une manière très restrictive.

9.5 D'après 1'Etat partie, le but de la loi sur l'élevage du renne est de restreindre pour des raisons économiques et écologiques le nombre des éleveurs de rennes et d'assurer la protection et le bien-être de la minorité sami. Les deux parties reconnaissent la nécessité de prendre des mesures efficaces pour assurer l'avenir de l'élevage du renne et des moyens d'existence à ceux qui tirent l'essentiel de leurs revenus de cet elevage. La méthode choisie par 1'Etat partie pour assurer ces objectifs est de limiter aux membres des villages sami le droit de pratiquer l'élevage du renne. Le Comité considère que tous ces objectifs et que toutes ces mesures sont raisonnables et en conformite avec l'article 27 du Pacte.

9.6 Le Comité a néanmoins émis des doutes sérieux sur la question de savoir si certaines dispositions de la loi sur l'élevage du renne et leur application au demandeur sont compatibles avec l'article 27 du Pacte.

L'article 11 de la loi de 1971 stipule que : "Est membre d'une communauté sami : 1. Toute personne habilitée à se livrer à l'élevage du renne et participant à cet élevage dans les limites des pâturages communaux; 2. Toute personne habilitée à se livrer à l'élevage du renne, ayant participé à cet élevage dans les limites des pâturages du village, à titre d'occupation permanente et n'ayant pas eu d'autres activités économiques principales; 3. Toute personne habilitée à se livrer à l'élevage du
renne qui est le mari ou l'enfant d'un membre réunissant les conditions visées au paragraphe 1 ou 2 ci-dessus et qui vit avec ce membre, ou qui est le mari ou l'enfant survivant d'un membre décédé".

L'article 12 de ladite loi stipule que : "Toute communauté sami peut accepter comme membre une personne habilitée à se livrer à l'élevage du renne autre que les personnes visées à l'article 11, si cette personne se propose de se livrer à cet élevage avec ses propres rennes dans les limites des pâturages communaux. Si la qualité de membre est refusée à une personne qui en fait la demande, la Commission administrative de comté peut, pour des raisons spéciales, lui accorder cette qualité de membre."

9.7 On
peut donc constater que la loi prévoit pour la participation à la vie d'une minorité ethnique certains critères , aux termes desquels une personne ethniquement sami peut ne pas être considérée comme un Sami aux fins de la loi. Le Comité s'est demandé si le fait de ne pas tenir compte des critères objectifs pour définir l'appartenance à une minorite et l'application à M. Kitok des règles correspondantes, ne sont pas abusifs par rapport aux fins légitimes recherchées par la loi. Il a noté en outre que M. Kitok avait toujours conservé certains liens avec la communauté sami, ayant toujours vécu sur des terres sami et désirant s'adonner à nouveau à plein temps à l'élevage du renne dès qu'il sera, pour ce qui le concerne, en mesure de le faire sur le plan financier.

9.8 Pour résoudre ce problème, qui comporte un conflit apparent entre une législation qui semble protéger les droits d'une minorité dans son ensemble et son application à un membre individuel de cette minorité, le Comité s'est inspiré de l'argumentation qui a présidé à la décision prise dans l'affaire Lovelace (No 24/1977, Lovelace c. Canada), à savoir qu'une limitation des droits d'un individu appartenant à une minorité doit reposer sur une justification raisonnable et objective et faire la preuve de sa nécessité pour la survie et le bien-être de la minorité dans son ensemble. Après avoir soigneusement examiné tous les éléments de l'affaire, le Comité estime qu'il n'y a pas eu de violation par l'Etat partie de l'article 27. En l'occurrence, le Comité note que M. Kitok est autorisé, sans que ce soit considéré comme un droit, à élever et à faire paître ses rennes, à chasser et à pêcher.



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