University of Minnesota



Observations finales du Comité des droits de l'homme, Dominican Republic, U.N. Doc. CCPR/CO/71/DOM (2001).


 

 


Convention Abbreviation: CCPR
COMITÉ DES DROITS DE L'HOMME


EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES
EN VERTU DE L'ARTICLE 40 DU PACTE


Observations finales du Comité des droits de l'homme

République dominicaine


1. Le Comité a examiné le quatrième rapport périodique de la République dominicaine (CCPR/C/DOM/99/3) à ses 1906ème et 1907ème séances, le 23 mars 2001, et a adopté à sa 1921ème séance (soixante et onzième session), le 3 avril 2001, les observations ci-après.
A. Introduction
2. Le Comité se félicite de la présentation du quatrième rapport périodique de la République dominicaine et de l'occasion qui lui a été offerte de continuer à étudier la situation des droits de l'homme avec l'État partie par l'entremise d'une délégation constituée de fonctionnaires provenant de divers services gouvernementaux. Le Comité note toutefois avec préoccupation que les informations fournies dans le rapport sont à bien des égards incomplètes, qu'il n'a pas été tenu compte de recommandations importantes formulées à l'issue de l'examen du rapport précédent et que les directives du Comité concernant l'établissement des rapports n'ont pas été suivies. Le Comité aurait souhaité que l'État partie procède à une évaluation plus approfondie des lacunes de la législation en vigueur ainsi que des facteurs et des difficultés qui ont pesé sur l'application du Pacte. Toutefois, le Comité sait gré à la délégation d'avoir fourni des informations supplémentaires actualisées en réponse aux questions posées par ses membres.
B. Aspects positifs
3. Le Comité se félicite que sa recommandation visant à réviser la Constitution de la République dominicaine ait été suivie et qu'un nouveau texte ait été adopté et promulgué le 14 août 1994. Le Comité note qu'ont été supprimées dans la nouvelle Constitution des clauses qui étaient incompatibles avec le Pacte, notamment celles relatives à la condamnation à l'exil et à la réciprocité en matière de protection des droits fondamentaux des étrangers.

4. De même, le Comité se félicite de l'information selon laquelle l'État partie a abrogé le décret-loi No 233-91 à l'origine de la déportation en masse de travailleurs haïtiens, en particulier ceux âgés de moins de 16 ans et de plus de 60 ans, ce qui constituait une violation grave de divers articles du Pacte, comme il est indiqué dans les observations finales sur le rapport précédent.

5. Le Comité accueille en outre avec satisfaction la création, en vertu de la Constitution, du Conseil de la magistrature, qui est chargé de nommer les membres de la Cour suprême, et la création, en vertu de la loi, du poste de défenseur du peuple.


C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations
6. Le Comité constate qu'aux termes de l'article 3 de la Constitution en vigueur, l'État partie reconnaît et applique les normes du droit international auxquelles il a souscrit, et que, cela étant le cas du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, celui-ci a rang constitutionnel. Il note cependant que, d'une manière générale, l'application du Pacte n'a guère progressé depuis l'examen du troisième rapport périodique. Il existe notamment un ensemble significatif de lois qui ne sont pas conformes au Pacte, alors que celui-ci est hiérarchiquement supérieur et que la République dominicaine y a adhéré il y a plus de 21 ans.

7. Le Comité déplore l'absence d'informations claires sur l'application du Pacte en République dominicaine et sur l'application des décisions du Comité relatives au Protocole facultatif, et en particulier le manque de clarté de la réponse fournie à propos de la communication No 449/1991 (Mojica c. la République dominicaine).

L'État partie devra fournir au Comité ces informations (art. 2).

8. Le Comité note avec une vive préoccupation l'information donnée par la délégation selon laquelle, en 2000, 229 personnes sont décédées de mort violente aux mains des forces de police, et le fait que, selon d'autres sources, ce nombre serait encore plus élevé. Le Comité a également pris note avec la même inquiétude des plaintes relatives à des exécutions extrajudiciaires de détenus placés sous la garde de l'État partie dans les lieux de détention administrés par lui, ainsi que des cas de personnes tuées par la police nationale, les forces armées et la Direction nationale pour la lutte contre les drogues, suite à l'utilisation excessive de la force, et de l'apparente impunité dont bénéficieraient leurs auteurs.

L'État partie doit prendre d'urgence des mesures pour faire respecter l'article 6 du Pacte et veiller à ce que les responsables de violations du droit à la vie garanti par ledit article soient poursuivis et punis et à ce que les conséquences de tels actes fassent l'objet de réparation.

9. Le Comité note avec regret que, bien qu'interdite par la Constitution (art. 8, par.1), la torture, selon des allégations sérieuses, est généralisée et se pratique même dans les prisons, qu'elle n'est pas visée sous toutes ses formes dans la loi et qu'il n'existe pas d'organe indépendant chargé d'enquêter sur les nombreuses allégations d'actes de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est également préoccupant que les plaintes concernant des actes de torture n'aient pas fait l'objet d'enquêtes, que dans la plupart des cas les responsables de ces actes n'aient pas été traduits en justice et que les victimes ou leur famille n'aient pas été indemnisées.

L'État partie doit prendre d'urgence des dispositions pour faire appliquer pleinement l'article 7 du Pacte et pour faire mener des enquêtes sur ses violations afin que les responsables soient jugés et punis par les tribunaux ordinaires et que les conséquences de ces actes fassent l'objet de réparation.

10. Le Comité déplore que la police nationale dispose d'un organe judiciaire propre, distinct de celui mis en place par la Constitution pour juger les fautes et les délits commis par ses membres, ce qui est incompatible avec le principe de l'égalité devant la loi protégé par les articles 14 et 26 et le paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte. De même, il note que la police, bien qu'étant un corps civil qui relève juridiquement du Secrétariat d'État à l'intérieur et à la police, est dans la pratique soumise à l'autorité et la discipline militaires, au point qu'elle a à sa tête un général des forces armées en service actif.

L'État partie doit faire en sorte que la compétence des tribunaux chargés de juger les membres des forces de police se limite aux infractions disciplinaires des policiers, et que la compétence actuelle de ces tribunaux pour juger des policiers accusés de délits de droit commun soit transférée aux juridictions civiles ordinaires.

11. Malgré l'augmentation du nombre de tribunaux, le Comité constate que le fort pourcentage de prisonniers en détention provisoire observé dans le troisième rapport s'est accru. Ainsi, un grand nombre de personnes accusées de délits demeurent en détention provisoire en attente d'un procès, ce qui est contraire au paragraphe 3 de l'article 9 et au paragraphe 2 de l'article 14 du Pacte.

L'État partie doit immédiatement procéder à une réforme de la loi afin que la détention provisoire soit l'exception et non la règle et qu'il n'y soit recouru qu'en cas d'absolue nécessité. De même, il doit fournir des statistiques sur le nombre de personnes en détention provisoire ainsi que sur les registres de prisonniers.

12. Le pouvoir de mettre au secret des détenus continue d'être une source de profonde préoccupation.

L'État partie doit réviser la loi en la matière pour faire en sorte que la mise au secret ne viole pas les dispositions des articles 7, 9 et 10 du Pacte.

13. Le Comité relève avec une profonde préoccupation au paragraphe 78 du rapport que les demandes d'habeas corpus ne parviennent aux juges que plusieurs semaines, voire plusieurs mois, après avoir été déposées. Cela est contraire au paragraphe 4 de l'article 9 du Pacte.

L'État partie doit sans tarder prendre des mesures pour que les tribunaux puissent se prononcer le plus rapidement possible sur la légalité des détentions.

14. Le Comité constate avec une vive inquiétude que, malgré la construction de quelques prisons et le réaménagement de certaines d'entre elles, les conditions dans les lieux de détention, loin de s'améliorer, se sont dégradées par suite de l'augmentation du nombre de prisonniers, du surpeuplement considérable, des conditions d'hygiène déplorables, de l'absence de séparation entre les mineurs et les adultes et les hommes et les femmes et de l'existence de cachots sans aucun éclairage, sans fenêtre et sans ventilation.

L'État partie doit mettre en place des mécanismes institutionnels ayant pour tâche de surveiller les conditions dans les prisons, en vue de donner effet à l'article 10 du Pacte, et d'enquêter sur les plaintes des détenus. Le Comité recommande aussi que le programme prévu de rénovation des prisons soit mis à exécution le plus rapidement possible.

15. Le Comité déplore le fait que les prisons sont placées sous la surveillance de la police et de l'armée parce qu'il n'existe pas de corps de gardiens de prison, bien que des cours de formation à cette fonction existent déjà.

Pour donner effet à l'article 10 du Pacte, l'État partie doit créer le plus rapidement possible un corps de gardiens de prison, indépendant de la police judiciaire et des forces armées, qui appliquera l'Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus et sera sensibilisé aux questions de droits de l'homme.

16. Le Comité est fort préoccupé par les informations qui ne cessent de lui parvenir concernant les expulsions massives de personnes d'origine haïtienne, même lorsqu'il s'agit de ressortissants dominicains. De même, le Comité considère que les expulsions massives d'étrangers sont contraires au Pacte, car, dans ces cas-là, il n'est pas tenu compte par exemple de la situation des personnes dont la République dominicaine est réputée être le propre pays, au sens du paragraphe 4 de l'article 12; ne sont pas non plus pris en compte les cas dans lesquels l'expulsion pourrait porter atteinte à l'article 7 si la personne expulsée risque d'être soumise à un traitement cruel, inhumain ou dégradant, ni les cas dans lesquels la question de la légalité du séjour de la personne est en cause et doit être réglée suivant une procédure conforme à l'article 13 du Pacte.

L'État partie doit garantir à tout citoyen dominicain le droit de ne pas être expulsé du pays et assurer à toute personne faisant l'objet d'un ordre d'expulsion les garanties prévues par le Pacte.

17. Le Comité se préoccupe de la situation des Haïtiens qui vivent ou travaillent en République dominicaine et ne bénéficient d'aucune protection contre des violations des droits fondamentaux aussi graves que l'assignation à des travaux forcés et les traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il s'inquiète également des conditions de vie et de travail des Haïtiens et des pratiques tolérées qui restreignent leur liberté de mouvement.

L'État partie doit s'occuper en priorité des conditions de vie et de travail des travailleurs haïtiens, et faire en sorte que ceux-ci jouissent des droits et garanties prévus aux articles 8, 17 et 22 du Pacte.

18. L'abus du statut juridique d'immigrant de passage qui, d'après les renseignements fournis, peut être un individu né en République dominicaine de parents nés eux-mêmes dans ce pays sans pour autant être considérés comme étant citoyens dominicains préoccupe le Comité.

L'État partie doit régulariser la situation de toutes les personnes qui résident en République dominicaine et leur reconnaître les droits visés à l'article 12 du Pacte.

19. Le Comité constate avec plaisir que les femmes participent aux affaires publiques à un niveau élevé, mais déplore plusieurs aspects peu satisfaisants de la situation des femmes, en ce sens notamment qu'elles ne bénéficient pas de l'égalité juridique et de l'égalité des chances en matière de travail, que leur participation sur le plan des affaires publiques et sur le plan de la vie privée est limitée et qu'elles demeurent exposées aux violences au sein de la famille. Le Comité n'a pu examiner de manière approfondie la situation des femmes dans la société dominicaine, car il ne disposait pas de renseignements suffisants, mais reconnaît que la création et le travail effectué par le Bureau chargé d'assurer la promotion de la femme sont un élément positif dans la lutte contre la violence domestique et contre les violations et les sévices sexuels dont sont victimes un grand nombre de femmes. De même, le Comité, faute d'informations, n'a pas pu apprécier le phénomène de la traite des femmes.

Pour donner au Comité les moyens d'évaluer correctement la mise en œuvre des articles 3, 25 et 26 du Pacte, l'État partie doit lui fournir les informations nécessaires; il doit en outre respecter et garantir tous les droits des femmes et, à cette fin, apporter l'appui nécessaire au Bureau chargé d'assurer la promotion de la femme afin de lui permettre de s'acquitter de sa tâche.

20. Le Comité déplore l'absence de renseignements touchant la protection des droits des personnes appartenant à des minorités ethniques, religieuses et linguistiques dans la République dominicaine car il juge insuffisantes les explications fournies par la délégation dominicaine selon lesquelles les minorités sont si enracinées dans la culture dominicaine qu'on ne saurait les considérer comme telles.

L'État partie doit fournir au Comité les renseignements pertinents concernant la mise en œuvre de l'article 27 du Pacte.

21. Le Comité prend note du fait que, contrairement à ce qu'exigerait l'application légitime de l'article 18 du Pacte, la législation dominicaine ne prévoit pas le statut d'objecteur de conscience pour les personnes astreintes au service militaire.

L'État partie doit veiller à ce que les personnes astreintes au service militaire puissent invoquer l'objection de conscience, et effectuer un service de remplacement non discriminatoire.

22. Le Comité prend note de l'existence d'un délit d'outrage à l'autorité, qu'il considère comme contraire à l'article 19 du Pacte.

L'État partie doit supprimer ce délit.

23. L'État partie a l'obligation de diffuser largement son quatrième rapport périodique et les présentes observations finales.

24. En vertu du paragraphe 5 de l'article 70 du Règlement intérieur du Comité, l'État partie devra fournir dans un délai d'un an des renseignements sur les mesures qu'il aura prises à la lumière des recommandations du Comité concernant les disparitions et les exécutions judiciaires (par. 8 des présentes observations), la pratique de la torture et le recours abusif à la force de la part de la police et autres forces de sécurité (par. 9), la garde à vue et la détention dans l'attente du prononcé d'une peine définitive (par. 11, 12 et 13), les conditions de détention dans les prisons (par. 14 et 15) et la situation des Haïtiens (par. 16, 17 et 18). Le Comité souhaite que la République dominicaine fournisse les renseignements concernant les autres recommandations dans son prochain rapport périodique, qui doit être présenté avant le 1er avril 2005.



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