University of Minnesota



Observations finales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Ukraine, U.N. Doc. E/C.12/1995/15 (1995).


 

COMITE DES DROITS ECONOMIQUES,
SOCIAUX ET CULTURELS


EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES
CONFORMEMENT AUX ARTICLES 16 ET 17 DU PACTE

Observations finales du Comité des droits économiques,
sociaux et culturels

UKRAINE


1. Le Comité a examiné le troisième rapport périodique de l'Ukraine (E/1994/104/Add.4) à ses 42ème, 44ème et 45ème séances, les 28 et 29 novembre 1995, et a adopté à sa 57ème séance le 7 décembre 1995 les observations finales suivantes :

A. Introduction

2. Le Comité accueille favorablement le troisième rapport périodique de l'Ukraine, le premier qu'il examine depuis que l'Etat partie est devenu indépendant en 1991. Le Comité note avec satisfaction que ce rapport est conforme aux Directives générales révisées pour l'élaboration des rapports et a été dûment complété par les réponses écrites qui ont été apportées à la liste des points à traiter. Il note en outre les réponses détaillées qui ont été données oralement à ses questions par la délégation ayant à sa tête le Ministre du travail de l'Ukraine. Le Comité remercie l'Etat partie de la franchise de ses réponses et de son empressement à fournir les informations complémentaires qu'il avait demandées.

B. Aspects positifs

3. Le Comité accueille avec satisfaction la législation adoptée ces dernières années, notamment la loi relative à la succession d'Etat, la loi relative à l'effet des accords internationaux sur le territoire ukrainien, la Déclaration des droits des nationalités de l'Ukraine, toutes adoptées en 1991, et la loi relative aux traités internationaux conclus par l'Ukraine, de 1993. En vertu de ces textes, les instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme auxquels l'Ukraine est partie font partie intégrante du droit national. Le Comité se réjouit de la récente création du Centre national pour les droits de l'homme, qui devrait opérer en étroite collaboration avec les organisations et institutions internationales s'occupant des droits de l'homme.

4. Le Comité note les progrès qui ont été accomplis en vue d'assurer une représentation adéquate des Tatars de Crimée dans le Parlement de la République autonome de Crimée, et les résultats modestes qui ont été obtenus s'agissant de leur réintégration dans la région.

5. En ce que concerne le droit à l'emploi, le Comité note avec satisfaction que, pour aider les chômeurs à trouver un nouvel emploi, le gouvernement a créé le Service national de l'emploi ayant pour tâche de leur dispenser conseils et formation, de même qu'une aide matérielle.

6. Le Comité se félicite de l'importance du crédit budgétaire alloué à la protection sociale. Il note avec satisfaction la législation relative à la sécurité sociale qui a été adoptée pour protéger les retraités, les enfants, les personnes handicapées ou dépendantes, et il note en outre que les mécanismes chargés de répartir les prestations ont été mis en place à temps pour aider les personnes nécessiteuses à préparer l'arrivée de l'hiver. Il se félicite que des aides spéciales soient versées pour subvenir aux besoins élémentaires des personnes démunies et pour permettre à certains groupes vulnérables de satisfaire à leurs obligations de paiement au titre des services communautaires et du logement. Il se félicite aussi que les personnes âgées continuent de bénéficier de services de transport gratuits et d'autres services sociaux spéciaux. En outre, il se réjouit de l'attention qui est accordée aux mères de jeunes enfants et aux mères célibataires.

7. Le Comité note les efforts que déploient le gouvernement et les institutions compétentes pour assurer des services de santé à tous et lutter contre les conséquences délétères de l'accident de la centrale nucléaire de Tchernobyl de 1986.

8. Le Comité constate avec satisfaction que l'Etat partie a dans l'ensemble réussi à préserver le caractère obligatoire et la gratuité de l'enseignement primaire. Il se félicite des efforts qui sont faits pour assurer la jouissance des droits culturels, et notamment de la proportion considérable du budget national qui est allouée à la culture.

9. Le Comité constate avec plaisir que le gouvernement utilise judicieusement l'aide internationale fournie pour pallier les graves répercussions de l'accident de Tchernobyl et pour surmonter les difficultés économiques actuelles.

C. Facteurs et difficultés entravant la mise en oeuvre du Pacte

10. Le Comité note que l'Etat partie traverse une période extrêmement turbulente de son existence par suite des profondes réformes politiques, économiques et sociales qu'il entreprend après s'être constitué en Etat indépendant. Les difficultés auxquelles il se heurte sont aggravées, dans certains secteurs, par le vide législatif qui existe dans bien des domaines. Le Comité note que les élections au Parlement n'ont pas été menées à bonne fin et qu'un nouveau projet de constitution n'a pas été adopté. En attendant qu'une nouvelle législation soit adoptée, nombre des lois qui étaient en vigueur en Ukraine, dans le cadre de l'ex-URSS, continuent de s'appliquer, sauf s'il apparaît qu'elles sont en contradiction directe avec les nouvelles lois ukrainiennes.

11. Le Comité note que le coût immédiat de la transition économique a été, au cours des dernières années, une forte chute de la production nationale, un déficit de la balance des paiements et une inflation incontrôlable. Il note à cet égard que l'Etat partie est hautement tributaire de l'étranger sur le plan énergétique. La hausse spectaculaire du prix des importations d'énergie depuis l'indépendance a provoqué une augmentation considérable de l'indice des prix intérieurs. Le Comité note aussi que les initiatives tendant à privatiser les entreprises publiques ont déjà eu pour effet d'accroître le chômage, alors que les réformes économiques n'en sont encore qu'à leurs tout premiers stades. Considérant l'expérience des autres pays de la région, le Comité se rend compte que pour l'Ukraine le passage à l'économie de marché prendra beaucoup de temps et nécessitera une transformation radicale des concepts et des comportements économiques et sociaux.

12. Par ailleurs, le Comité note qu'un grand nombre de personnes qui avaient été déportées dans différentes parties de l'ex-URSS retournent vers leur lieu d'origine en Ukraine, où elles cherchent un emploi et un toit. La recherche de solutions à ces problèmes grève encore plus lourdement les ressources dont dispose le gouvernement et devra recevoir tout particulièrement l'attention des autorités.

13. Enfin, il semble que le gouvernement n'ait pas été en mesure de mettre en place des mécanismes de collecte de données exhaustives. Le Comité note que les données démographiques qui lui ont été présentées datent du recensement de 1989, et il appelle l'attention du gouvernement sur le fait que ces données périmées ou insuffisantes ne sauraient constituer une bonne base de la politique des pouvoirs publics.

D. Principaux sujets de préoccupation

14. Le Comité exprime sa préoccupation devant la nette diminution du pouvoir d'achat de la grande majorité de la population et la baisse du niveau de vie qui en résulte, étant donné l'évolution défavorable, dans l'ensemble, de la situation économique en Ukraine.

15. Le Comité appelle l'attention sur les difficultés rencontrées par les membres de groupes minoritaires, dont les Tatars de Crimée, déportés il y a plusieurs décennies et qui retournent maintenant se réinstaller en Ukraine, sur la terre de leurs ancêtres. Le Comité estime qu'en ne réglant pas la question de la citoyenneté des Tatars de Crimée, l'Etat partie ne s'acquitte pas des obligations qu'il a contractées en vertu du Pacte. En particulier, il craint que le fait qu'ainsi ces personnes ne sont pas prises en considération dans certains indicateurs sociaux, par exemple ceux de l'emploi et de la pauvreté, les prive du plein exercice de leurs droits économiques, sociaux et culturels. A cet égard, le Comité rappelle les dispositions de l'article 2, qui stipule que les droits énoncés dans le Pacte doivent être exercés sans discrimination aucune fondée, entre autres, sur l'origine nationale ou sociale.

16. Le Comité est très inquiet de constater qu'il n'a pas été pris de mesures concrètes visant à créer de bonnes conditions de travail pour les femmes et à faire disparaître la discrimination à leur égard. Le Comité est inquiet aussi parce que le fait d'imposer aux hommes et aux femmes de prendre leur retraite à des âges différents risque d'avoir des effets discriminatoires, surtout dans un régime d'économie de marché où le niveau de vie de chacun et l'épanouissement professionnel sont largement tributaires de l'emploi. Sous cet angle, le débat qui se déroule actuellement dans le pays et dans le cadre duquel il est envisagé de préserver la distinction quant à l'âge de la retraite est préoccupant. Le Comité s'alarme de la violence dirigée contre les femmes, du niveau de qualification professionnelle généralement faible qui les caractérise et du fait que, par voie de conséquence, elles sont fortement représentées chez les travailleurs les moins bien rémunérés et chez les chômeurs. Le Comité estime que le Gouvernement ukrainien et l'ensemble des pouvoirs publics concernés n'ont pas fait tout ce qu'il fallait pour comprendre ce phénomène de discrimination et y faire face, ce qui impose de recueillir les données pertinentes et de les analyser, d'essayer d'éliminer le phénomène par des mesures législatives et par l'éducation et d'assurer protection aux victimes de cette discrimination et de cette violence dirigées contre les femmes.

17. Le Comité constate avec inquiétude que le nombre des branches d'activité et des secteurs d'emploi dans lesquels il est interdit de constituer des syndicats est excessivement élevé. L'interdiction vise en effet les travailleurs de l'aviation civile et des communications entre autres secteurs. Le Comité prend toutefois note du projet de loi qui limiterait les secteurs pour lesquels l'interdiction subsisterait à ceux dans lesquels l'arrêt de l'activité perturberait l'économie tout entière ou menacerait la sécurité nationale ou l'ordre public.

18. Le Comité déplore le manque de données sur la situation des enfants, en particulier des orphelins et de ceux qui souffrent de handicaps, ce qui peut rendre inefficaces les contrôles permettant de déterminer si les droits économiques, sociaux et culturels sont respectés en ce qui les concerne.

19. Le Comité note avec inquiétude que les services sociaux en place n'assurent pas comme il le faudrait un niveau de vie minimal aux catégories les plus vulnérables, c'est-à-dire principalement les titulaires d'une pension, les chômeurs, les handicapés et les non-citoyens.

20. Il convient de relever que le salaire minimum officiel se situe très en dessous du seuil de pauvreté officiel. Le Comité regrette en outre qu'il ne soit pas indiqué dans quelle mesure il est tenu compte de l'inflation dans le calcul du seuil de pauvreté et le calcul du montant des pensions ou du volume d'aide matérielle à fournir à ces groupes.

21. Le Comité rappelle que le respect du droit à l'éducation impose au gouvernement l'obligation d'assurer gratuitement l'enseignement primaire à tous, y compris aux enfants handicapés et aux enfants confiés à un foyer ou à une institution. Le Comité regrette l'absence de toute information concernant l'enseignement des droits de l'homme.

E. Suggestions et recommandations

22. Le Comité recommande que les instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme auxquels l'Ukraine est partie, dont le Pacte, soient désormais intégralement applicables par les tribunaux ukrainiens. A cette fin, il faudrait en particulier faire largement connaître ces instruments pour que le grand public ainsi que les fonctionnaires chargés de l'application des lois soient au courant des droits qui y sont définis.

23. Le Comité recommande au Gouvernement ukrainien de donner, dans son prochain rapport périodique, des détails sur le mandat et sur le fonctionnement du Centre national pour les droits de l'homme. Il faudrait notamment savoir si ce centre peut être saisi de plaintes individuelles concernant des violations des droits de l'homme et si son mandat s'étend à la protection et à la promotion des droits économiques, sociaux et culturels.

24. Le Comité recommande que soit régularisé aussi rapidement que possible le statut juridique des rapatriés appartenant à des minorités, en particulier celui des Tatars de Crimée. Il faudrait prendre immédiatement des mesures pour réintégrer intégralement ces rapatriés dans la région et leur garantir le droit au travail et le droit à un niveau de vie suffisant tels que ces droits sont définis à l'article 11 du Pacte. Le Comité recommande qu'il ne soit épargné aucun effort pour obtenir une aide internationale à cette fin.

25. Le Comité recommande l'adoption de mesures législatives destinées spécifiquement à interdire toute forme de discrimination fondée sur le sexe, ainsi que de mesures, y compris dans le cadre du système éducatif, visant à faire mieux connaître et mieux comprendre les droits fondamentaux des femmes. Il recommande en outre la mise en place d'institutions destinées à fournir protection et assistance aux victimes de la violence et de la discrimination.

26. Le Comité recommande au Gouvernement ukrainien de donner dans son prochain rapport des renseignements sur tout élément nouveau intéressant la nouvelle législation appelée à réglementer les droits syndicaux, y compris le droit de grève.

27. Le Comité demande instamment au Gouvernement ukrainien d'élaborer de façon détaillée, dans le cadre des travaux préparatoires de la Conférence des Nations Unies sur les établissements humains (Habitat II) de 1996, un plan d'action national concernant le logement et de le lui communiquer, avec des renseignements sur sa mise en oeuvre, en temps voulu pour pouvoir l'examiner avec le quatrième rapport périodique de l'Ukraine. Le Comité recommande à ce propos que ce prochain rapport donne aussi des détails relatifs à l'application de la loi de 1992 sur la privatisation du secteur public et de toute autre loi sur le logement qui pourrait avoir été promulguée entre-temps ainsi que des indications sur les effets de cette législation en ce qui concerne l'exercice du droit à un logement suffisant par la population ukrainienne.

28. Le Comité recommande au Gouvernement ukrainien de continuer à tirer tout le parti possible de l'assistance internationale pour la collecte et l'analyse de données en général qui comprendraient des données concernant les catégories les plus vulnérables, ainsi que pour les méthodes permettant de répondre à leurs besoins. Figurent dans ces catégories de personnes les titulaires d'une pension, les chômeurs, les enfants handicapés et ceux qui sont confiés à un foyer ou à une institution, les membres de groupes minoritaires rapatriés et les victimes de l'accident de la centrale de Tchernobyl. S'agissant de ce dernier groupe, le Comité demande instamment que les intéressés continuent de bénéficier d'une aide et de soins médicaux spéciaux et qu'il soit adopté de nouvelles mesures spéciales pour nettoyer l'environnement et évacuer les objets et produits consommables contaminés avec lesquels la population risque d'entrer en contact.

29. Le Comité recommande que des mesures soient prises pour incorporer l'enseignement des droits de l'homme à tous les programmes d'études, conformément aux buts et principes de la Décennie de l'enseignement des droits de l'homme, et que cet enseignement soit dispensé aux personnels chargés de l'application de la loi.

30. Le Comité estime que le Gouvernement ukrainien pourrait demander au Centre des Nations Unies pour les droits de l'homme d'évaluer les besoins d'aide qui se font sentir en Ukraine afin de pouvoir par la suite bénéficier des programmes d'assistance technique du Centre, en particulier pour le Centre national ukrainien des droits de l'homme.



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