University of Minnesota



Observations finales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Sri Lanka, U.N. Doc. E/C.12/1/Add.24 (1998).


 


COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES,
SOCIAUX ET CULTURELS


EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES
CONFORMÉMENT AUX ARTICLES 16 ET 17 DU PACTE

Observations finales du Comité des droits économiques,
sociaux et culturels

SRI LANKA


1. Le Comité a examiné le rapport initial de Sri Lanka sur l'application du Pacte (E/1990/5/Add.32) ainsi que les réponses écrites à la liste de points à traiter de sa 3ème à sa 5ème séances, tenues les 28 et 29 avril 1998, et a adopté à sa 25ème séance (dix-huitième session), tenue le 13 mai 1998 les observations finales ci-après.


A. Introduction

2. Le Comité accueille avec satisfaction la présentation du rapport initial de Sri Lanka qui se conforme dans l'ensemble aux directives qu'il a formulées sur la préparation des rapports et est heureux du dialogue franc et constructif qu'il a mené avec les représentants de l'État partie. Il est également satisfait des informations complémentaires présentées au cours de ce dialogue.


B. Aspects positifs

3. Le Comité note avec satisfaction que le Gouvernement sri-lankais a exprimé son désir de promouvoir chez ses ressortissants l'exercice des droits économiques, sociaux et culturels en dépit du conflit armé qui règne dans le pays et que de nombreux organismes internationaux coopèrent avec le Gouvernement sri-lankais pour apporter à ce pays une assistance humanitaire.

4. Le Comité note également avec satisfaction que malgré un revenu par habitant relativement faible, Sri Lanka a réalisé des progrès dans la couverture des services sociaux essentiels et assure notamment l'enseignement gratuit et obligatoire pour tous jusqu'à l'âge de 16 ans ainsi que la gratuité des soins médicaux, et qu'il fournit des subventions et des compléments alimentaires à certains groupes vulnérables. D'où un indicateur de développement humain qui, calculé selon les règles du PNUD, est désormais plus élevé par rapport à d'autres pays classés dans le même groupe de revenus.


C. Facteurs et difficultés entravant l'application du Pacte

5. Le Comité admet que le long et violent conflit que connaît le pays depuis 1983 a entravé la réalisation à Sri Lanka des droits économiques, sociaux et culturels. Ce conflit a provoqué de vastes déplacements internes de population, empêché les pouvoirs publics de fournir aux régions touchées les services essentiels et absorbé des ressources qui étaient destinées à des réalisations sociales et à des objectifs de développement.


D. Principaux sujets de préoccupation

Le conflit armé entre l'État et les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (LTTE)

6. Le Comité regrette que le dialogue engagé avec les représentants de l'État partie sur les causes profondes du conflit armé n'ait pas été concluant; l'absence, dans le rapport présenté, de statistiques sur le nord et l'est du pays ne peut que conforter le Comité dans l'idée que la discrimination dans l'exercice des droits économiques, sociaux et culturels des groupes ethniques demeure au coeur du conflit. Le Comité observe à cet égard avec inquiétude que le plan de paix du Gouvernement sri-lankais visant à accorder une certaine autonomie aux gouvernements régionaux par une réforme constitutionnelle n'a pas été mis en oeuvre. Quoique cela fasse plus de trois ans que ce plan a été présenté, le calendrier de sa mise en oeuvre et la date du référendum par lequel la population l'approuvera ou le rejettera ne sont toujours pas précisés.

7. Le Comité est très préoccupé par la situation des personnes déplacées du fait du conflit armé. Leur nombre est estimé à 800 000 et beaucoup d'entre elles vivent depuis 15 ans dans des abris provisoires, sans services d'assainissement de base, d'éducation et de soins de santé, manquant de nourriture et de vêtements. Des familles tamoules qui ont été contraintes par l'armée de quitter les villages de leurs ancêtres dans la région de Welioya seraient au nombre de ces personnes déplacées. Les résultats d'une enquête indépendante d'après laquelle l'incidence de la sous-alimentation chez les femmes et les enfants vivant dans ces abris provisoires atteindrait jusqu'à 70 % de ce groupe inquiétent vivement le Comité de même que des informations selon lesquelles, dans bien des cas, l'assistance alimentaire ne parviendrait pas à ceux auxquels elle est destinée.

Discrimination

8. Le Comité relève avec inquiétude que 85 000 Tamouls d'origine indienne vivant à Sri Lanka sont dans une situation précaire. Ils n'ont ni la nationalité indienne ni la nationalité sri-lankaise, n'ont pas accès aux services de base tels que l'enseignement et n'exercent pas les droits économiques, sociaux et culturels.

9. Le Comité note avec inquiétude l'existence de disparités entre le droit écrit et le droit coutumier. Dans le droit écrit, l'âge du mariage est fixé à 18 ans, mais le droit coutumier autorise le mariage de fillettes qui ont à peine 12 ans du moment que les parents y consentent. Le Comité estime que la pratique du mariage précoce a des effets préjudiciables sur le droit à la santé, le droit à l'éducation et le droit au travail, tout particulièrement en ce qui concerne les fillettes. Par ailleurs, le droit écrit prescrit en matière successorale l'égalité entre frères et soeurs, tandis que le droit coutumier pratique une discrimination à l'encontre de la femme mariée qui, à la différence de l'homme marié, ne peut hériter des biens de sa famille. En laissant le droit coutumier prévaloir sur le droit écrit dans ce domaine, le Gouvernement ne respecte pas l'obligation qui est la sienne de protéger les droits de la femme contre toute discrimination.

10. Le Comité note avec inquiétude que la législation en vigueur pratique une discrimination à l'égard des enfants nés hors mariage qui ne peuvent hériter que de leur mère. Cette législation viole les droits définis à l'article 10 du Pacte.

11. Le Comité se déclare, par ailleurs, profondément préoccupé par l'absence de mécanisme de lutte contre la discrimination dans le domaine de l'emploi à l'égard des femmes et des groupes minoritaires. Il note que si le recrutement, dans le secteur public, est soumis à un régime de quotas ethniques, rien n'est fait pour exclure la discrimination en ce qui concerne l'avancement dans le secteur public et l'emploi dans le secteur privé. En particulier, le principe de l'égalité de rémunération pour un travail de valeur égale n'est pas dûment respecté à Sri Lanka, notamment dans le secteur privé où la loi ne protège pas les femmes contre la discrimination en matière d'emploi.

Les femmes et les enfants

12. Le Comité déplore que le Gouvernement sri-lankais ne soit pas à même de mettre réellement en application sa législation sur le travail des enfants. On sait que des milliers d'enfants occupent un emploi à plein temps tandis que des milliers d'autres travaillent comme domestiques en milieu urbain où beaucoup d'entre eux sont maltraités, victimes de sévices sexuels et livrés à la prostitution. Le Comité est en outre profondément inquiet de l'exploitation sexuelle par des touristes étrangers d'enfants sri-lankais. Il regrette de ne pas disposer de renseignements détaillés sur l'ampleur du problème. Il déplore en outre que, dans son rapport, l'État partie ne donne pas suffisamment d'indications permettant d'apprécier le sérieux avec lequel il s'efforce de protéger les droits de ces enfants. Le Comité déplore, en particulier, que plus de 50 % des prostitués soient des enfants.

13. Le Comité note avec inquiétude le sort réservé à des centaines de milliers de femmes sri-lankaises qui travaillent à l'étranger comme domestiques, et dont un grand nombre sont sous-payées et traitées pratiquement comme des esclaves. Il regrette que le Gouvernement sri-lankais n'ait pas fait un réel effort pour évaluer les conséquences négatives de ce phénomène sur les enfants que le départ de leur mère laisse dans une situation particulièrement difficile et vulnérable et prendre les mesures qui s'imposent pour y remédier.

14. Le Comité note que Sri Lanka non seulement se classe au deuxième rang mondial pour le taux de suicide chez les jeunes mais que la toxicomanie et l'alcoolisme, la délinquance juvénile, la maltraitance à enfants, les troubles sexuels et la violence contre la femme au sein de la famille sont en augmentation. Il regrette vivement que le Gouvernement ait manqué aux obligations que lui imposent les articles 10 (relatif à la famille) et 12 du Pacte.

Le droit à un niveau de vie suffisant

15. Le Comité prend note avec une profonde préoccupation des informations émanant du PNUD selon lesquelles 22 % de la population sri-lankaise vit dans la pauvreté et beaucoup de femmes et d'enfants souffrent de malnutrition. Il prend également note avec beaucoup d'inquiétude des informations indiquant qu'il y a toujours une crise aigüe de logements décents et pénurie de matériaux de construction pour remettre en état les habitations qui doivent l'être. Il note en outre qu'il n'est communiqué aucune information récente sur les mesures prises par l'État pour s'acquitter des obligations qui lui incombent au titre de l'article 11 du Pacte.

Autres sujets de préoccupation

16. Le Comité note par ailleurs avec inquiétude que les efforts faits par le Gouvernement pour sensibiliser les Sri-lankaises à leurs droits ne semblent pas suffisants.

17. Le Comité craint que la Constitution ne reconnaisse pas expressément le droit de grève et impose de vagues restrictions au droit de constituer des syndicats avec pour conséquence que les travailleurs qui exercent ces droits se verraient arbitrairement pénalisés.

18. Le Comité note avec préoccupation que la politique actuelle consistant à laisser les conseils de fixation des salaires d'une branche spécifique déterminer les salaires minima ne protège pas les travailleurs des petites industries qui ne sont pas couvertes par ce système.

19. Le Comité se déclare préoccupé par le fait que la distinction qu'établit l'actuelle Constitution entre les "citoyens" et les "autres personnes" quant au droit à l'égalité n'a pas été supprimée du projet de constitution révisée actuellement soumis au Parlement.

20. Le Comité note avec inquiétude que la situation est incertaine en ce qui concerne les démolitions de maisons et les établissements humains illégaux à Sri Lanka.


E. Suggestions et recommandations

21. Le Comité est parfaitement conscient du coût humain et matériel que le conflit armé impose à Sri Lanka et de ses effets néfastes sur l'exercice des droits économiques, sociaux et culturels de tous à Sri Lanka. Avec l'espoir qu'une solution juste, rapide et pacifique mettra fin à la guerre, le Comité invite instamment le Gouvernement sri-lankais à négocier, avec le plus haut degré de priorité, l'acceptation par tous les intéressés du plan de paix proposé qui vise à transférer des compétences aux autorités régionales. Le Comité demande à l'État partie de donner dans son prochain rapport des informations détaillées sur la façon dont cette délégation d'autorité se répercutera sur l'exercice des droits économiques, sociaux et culturels dans tout le pays. Le Comité rappelle, à ce sujet, qu'il attache une grande importance à ce que les renseignements demandés soient désagrégés selon diverses catégories telles que le sexe, l'âge, l'appartenance ethnique et la nationalité pouvant contribuer à identifier les groupes vulnérables de la société. Le Comité demande que ces données lui soient communiquées dans le prochain rapport de l'État partie.

22. Le Comité recommande fermement au Gouvernement sri-lankais de mettre en place des mécanismes visant à faciliter l'acheminement de l'aide humanitaire, à exercer à cet égard un contrôle strict et à veiller à ce que cette aide parvienne bien à ceux auxquels elle est destinée. En particulier, le Comité prie instamment le Gouvernement sri-lankais de faire à nouveau appel à l'aide internationale pour reloger à titre permanent les personnes déplacées qui sont hébergées dans des abris "provisoires" depuis le début de la guerre, il y a 15 ans. Il est également recommandé au Gouvernement de faire à nouveau le point sur le programme d'aide alimentaire déjà en place dans les régions touchées par la guerre afin d'améliorer la qualité nutritionnelle des denrées fournies, notamment dans le cas des enfants, des femmes enceintes et des mères qui allaitent.

23. Le Comité prend acte du projet annoncé par le Gouvernement sri-lankais d'accorder la nationalité sri-lankaise aux 85 000 Tamouls apatrides qui résident sur le territoire sri-lankais. Il demande que, dans le prochain rapport périodique, le point soit fait sur ce problème.

24. Le Comité demande instamment à l'État partie de faire respecter l'âge minimum légal de 18 ans pour contracter mariage ainsi que les lois en matière de succession qui concernent les femmes, mettant ainsi définitivement un terme à des coutumes et traditions discriminatoires. Le Comité prie instamment aussi l'État partie d'abroger toutes les lois qui sont discriminatoires à l'égard des enfants nés hors mariage.

25. Le Comité recommande à l'État partie d'adopter la politique et de mettre en oeuvre les mesures qui s'imposent pour lutter contre la discrimination dans l'emploi qui s'exerce contre les femmes et les groupes minoritaires tant dans le secteur privé que dans le secteur public. Il faudrait s'assurer notamment que les hommes et les femmes jouissent sur un pied d'égalité du droit à une rémunération égale pour un travail de valeur égale.

26. Le Comité demande instamment au Gouvernement sri-lankais de mettre fermement en application sa législation sur le travail des enfants et de définir immédiatement un âge minimum légal d'accès à l'emploi dans toutes les branches d'activité qui soit conforme aux normes internationales. En ce qui concerne l'exploitation des enfants, le Comité recommande fortement aux autorités sri-lankaises de redoubler d'efforts pour identifier tous ceux qui sont coupables d'exploiter des enfants à des fins sexuelles et de les poursuivre en justice dans toute la mesure où le permet la loi. Le Comité encourage le Gouvernement sri-lankais à s'assurer la collaboration d'autres États pour poursuivre devant les tribunaux tous ceux qui exploitent des enfants à des fins sexuelles et l'engage à faire appel à l'aide internationale pour mettre en place des programmes de réinsertion sociale des enfants victimes de ce type d'exploitation.

27. Le Comité recommande par ailleurs vivement au Gouvernement sri-lankais d'analyser les conséquences pour les enfants de l'absence prolongée de leur mère quand celle-ci travaille à l'étranger, afin de sensibiliser la femme sri-lankaise à ce problème et de la décourager de quitter le pays pour travailler comme domestique à l'étranger dans des conditions souvent déplorables.

28. Le Comité demande en outre que soit présenté un rapport faisant le point sur les progrès accomplis par le Gouvernement pour résoudre les problèmes de la pauvreté, de la malnutrition et de la pénurie de logements convenables.

29. Le Comité reconnaît que la situation économique pousse beaucoup d'adultes à chercher un emploi à l'étranger mais note que la séparation des parents d'avec les enfants qui en résulte et en particulier des mères peut avoir des effets néfastes, en particulier pour les enfants. Il recommande d'étudier cette question afin de mieux cerner le problème et d'avoir une base permettant de prendre dans de tels cas des décisions mieux fondées.

30. Le Comité a pris note du fait qu'une équipe présidentielle spéciale a étudié le problème du suicide chez les jeunes et a formulé des recommandations en la matière. Il demande que le rapport de cette équipe et un suivi des mesures prises pour donner suite à ses recommandations figurent dans le prochain rapport que soumettra l'État partie.



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