University of Minnesota



Observations finales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Nigéria, U.N. Doc. E/C.12/1/Add.23 (1998).


COMITE DES DROITS ECONOMIQUES,
SOCIAUX ET CULTURELS


EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES
CONFORMEMENT AUX ARTICLES 16 ET 17 DU PACTE


Observations finales du Comité des droits économiques,
sociaux et culturels


Nigéria

1. Le Comité a examiné le rapport initial du Nigéria (E/1990/5/Add.31) à ses 6ème à 9ème séances, tenues du 29 avril au 1er mai 1998, et il a adopté à ses 22ème à 24ème séances (dix-huitième session), le 13 mai 1998 les observations finales suivantes :


A. Introduction

2. Le Comité se félicite de la présentation du rapport initial du Nigéria ainsi que de la présence d'une délégation nigériane composée de membres de la Mission permanente du Nigéria à Genève. Le Comité regrette d'une part, qu'aucune délégation d'experts ne soit venue de la capitale et d'autre part, que le rapport initial du Nigéria ne soit pas conforme aux directives générales qu'il a établies et que les renseignements supplémentaires demandés aient été reçus trop tard pour pouvoir être traduits à temps. En outre, la délégation nigériane a reconnu qu'elle ne disposait pas des renseignements factuels détaillés et à jour et des statistiques requises pour répondre de façon satisfaisante à la liste des points soumise par le Comité au Gouvernement nigérian 11 mois auparavant. Les informations supplémentaires que la délégation avait promis d'envoyer au cours du dialogue n'ont jamais été reçues.

B. Facteurs et difficultés entravant la mise en oeuvre des droits économiques, sociaux et culturels

3. La jouissance des droits économiques, sociaux et culturels est entravée par l'absence d'état de droit, l'existence au Nigéria de gouvernements militaires, la suspension de la Constitution au profit d'un mode de gouvernement par voie de décrets militaires et le recours simultané à l'intimidation, ainsi que par les effets négatifs de la corruption généralisée sur le fonctionnement des institutions gouvernementales.

4. Le peuple nigérian est privé de la protection judiciaire nécessaire au respect de ses droits de l'homme parce que l'autorité du pouvoir judiciaire est minée par les clauses excluant tout recours judiciaire qui sont attachées à de nombreux décrets militaires ainsi que par le refus du gouvernement militaire d'appliquer les décisions des tribunaux.

5. L'attitude négative du Gouvernement nigérian à l'égard de la promotion et de la protection des droits de l'homme en général et des droits économiques, sociaux et culturels en particulier, apparaît également dans son refus de coopérer avec les mécanismes établis par les Nations Unies dans le domaine des droits de l'homme, en particulier avec le Rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme et la Mission d'enquête du Secrétaire général.

C. Aspects positifs

6. Le Comité se félicite de la création de la Commission nigériane des droits de l'homme tout en notant que ses pouvoirs et son indépendance ont fait l'objet de critiques. La Commission a fait des recommandations salutaires dans le domaine des droits de l'homme, elle a recommandé notamment la création de comités chargés d'inspecter les prisons. Mais bon nombre de ses recommandations n'ont pas été suivies.

7. Le Comité se félicite également de la création d'un ministère des affaires féminines qui est à présent responsable de la protection des femmes et des enfants. De légers progrès ont été faits dans la participation des femmes au processus politique. Le Cabinet actuel comprend trois femmes.

8. Il accueille aussi avec satisfaction la création d'un comité national pour la mise en oeuvre des droits de l'enfant et l'établissement d'un plan national d'action en faveur de l'enfance.

9. Le Comité note que la délégation a indiqué qu'une plus grande attention a été accordée aux secteurs de l'éducation et de la santé et qu'il y a eu une augmentation sensible des crédits alloués à l'infrastructure, à la santé et à l'éducation.


D. Principaux sujets de préoccupation

10. Le Comité note avec regret que le Rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme, comme indiqué dans son rapport (E/CN.4/1998/62), n'a pas été autorisé à se rendre dans le pays et que le Gouvernement nigérian n'a pas tenu compte des appels lancés et des préoccupations exprimées par la Mission d'enquête du Secrétaire général, des décisions de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples et des déclarations de la Commission nigériane des droits de l'homme, non plus que de celles du Groupe d'action ministériel du Commonwealth et de l'Organisation internationale du Travail.

11. Le Comité note avec regret que les autorités nigérianes ont jugé bon d'expulser environ 500 000 Tchadiens et d'autres travailleurs dans des circonstances inhumaines et indignes, y compris des personnes possédant des permis de résidence qui étaient légalement établies depuis de nombreuses années au Nigéria et avaient participé et contribué au système de sécurité sociale. Aucune indemnisation appropriée n'aurait été accordée à la majorité d'entre eux.

12. Compte tenu de ce qui précède et des éléments d'information contenus dans le rapport du Rapporteur spécial de la Commission et dans la résolution 1998/64 sur la situation des droits de l'homme au Nigéria, adoptée par cette dernière le 21 avril 1998, ainsi que dans les nombreux autres rapports d'organisations internationales indépendantes et d'organisations non gouvernementales (qui ont tous été mis à la disposition de la délégation nigériane avant et pendant le dialogue), le Comité conclut que l'état de droit n'existe pas au Nigéria, ce qui se traduit par des violations massives des droits économiques, sociaux et culturels sous tous leurs aspects et dans tous les domaines.

13. Le Comité est préoccupé par le pourcentage élevé de ch_mage et de sous-emploi parmi les travailleurs nigérians, en particulier les travailleurs agricoles, du fait que le secteur agricole a été négligé. Cette situation a poussé les travailleurs agricoles à quitter en masse les campagnes pour chercher du travail dans les villes, où ils vivent dans la pauvreté et dans des conditions dégradantes.

14. Le Comité exprime sa préoccupation devant la discrimination dont les femmes sont victimes dans le domaine du travail, en particulier en ce qui concerne l'accès à l'emploi, l'avancement et l'égalité de salaire pour un travail égal.

15. Le Comité note avec préoccupation que les conseils exécutifs de trois syndicats, Nigeria Labour Congress (NLC), National Union of Petroleum and Natural Gas Workers (NUPENG) et Petroleum and Natural Gas Senior Association (PENGASSAN), ont été dissous en 1994 par décret militaire et que ces syndicats sont dirigés depuis par des administrateurs militaires nommés par le Gouvernement. Le Comité note également avec inquiétude que le gouvernement militaire a aussi ramené de 42 à 29 le nombre de syndicats et a empêché les syndicats de s'associer à des fédérations syndicales internationales. En dépit des recommandations répétées de l'OIT, les violations persistent. Le Comité regrette à cet égard que le Gouvernement nigérian ait refusé de recevoir une mission de contacts directs de l'OIT pour examiner ces questions.

16. Le Comité est extrêmement préoccupé par le sort du Secrétaire général du NUPENG, Frank Kokori, et du Secrétaire général du PENGASSAN, Milton Dabibi, qui sont détenus depuis quatre ans et deux ans respectivement, sans inculpation ni jugement. La délégation nigériane n'a pu expliquer pourquoi ils n'avaient pas encore été inculpés ni jugés à ce jour.

17. Le Comité constate avec une profonde inquiétude des violations répétées du droit de grève, les actions syndicales des travailleurs réclamant des salaires plus élevés ayant été réprimées par le Gouvernement qui a invoqué à cette fin le prétexte de la sécurité de l'Etat.

18. Le Comité est préoccupé par la politique de compression des dépenses affichée par le Gouvernement qui s'est traduite par le licenciement sans indemnités de 200 000 fonctionnaires. Il note avec préoccupation qu'en 1997, le Gouverneur militaire de l'Etat de Kaduna a, par voie de décret, licencié 22 000 employés de la fonction publique de cet Etat qui s'étaient mis en grève.

19. Le Comité n'est pas satisfait non plus de l'application du système de sécurité sociale qu'il juge insuffisant. La délégation a indiqué que le Gouvernement nigérian ne s'ingérait pas dans le secteur privé, où la plupart des travailleurs sont maintenant employés. Il n'a été fourni aucune statistique ni aucune autre information permettant de savoir dans quelle mesure les employés du secteur privé jouissent de leur droit à la sécurité sociale. On ne possède pas non plus de statistiques indiquant si le Gouvernement a tenté d'étendre la couverture sociale à la majorité des pauvres sans emploi. Le Nigerian Insurance Trust Fund ne couvre pas tous ceux qui sont dans le besoin. Dans le secteur privé, les prestations de sécurité sociale sont accordées facultativement, selon le bon vouloir des employeurs.

20. Le Comité déplore que le Gouvernement nigérian n'ait rien fait pour abolir la pratique des mutilations génitales féminines, qui est incompatible avec les droits des femmes, en particulier leur droit à la santé. Selon l'UNICEF, les mutilations génitales sont pratiquées sur environ 50 % des femmes au Nigéria.

21. Le Comité condamne le maintien de dispositions législatives autorisant les maris à battre ("corriger") leur femme.

22. Le Comité note avec préoccupation que la polygamie, pratique très souvent incompatible avec les droits économiques, sociaux et culturels des femmes, est très répandue au Nigéria.

23. Le Comité est profondément préoccupé par le nombre croissant de femmes et de jeunes filles sans abri, contraintes de dormir dans la rue où elles sont exposées au viol et à d'autres formes de violence.

24. Les enfants ne sont pas beaucoup mieux lotis. Beaucoup recourent à la prostitution pour se nourrir. Le taux des abandons scolaires dans l'enseignement primaire est de plus de 20 %. On estime que 12 millions d'enfants occupent un emploi quelconque. Quatre-vingt pour cent ou plus de ceux qui vont à l'école s'entassent dans des salles de classe délabrées, conçues à l'origine pour accueillir 40 élèves au maximum. Ils sont les premiers à subir les conséquences des divorces. La loi nigériane ne garantit pas l'égalité de traitement entre les enfants légitimes et les enfants illégitimes. La malnutrition des enfants est un phénomène particulièrement inquiétant. Près de 30 % des enfants nigérians souffrent des conséquences néfastes de la malnutrition. Selon l'UNICEF, toutes les données disponibles prouvent que la faim et la malnutrition sont largement répandues au Nigéria.

25. Le Comité est extrêmement troublé de voir que 21 % de la population vit au Nigéria au-dessous du seuil de pauvreté en dépit des riches ressources naturelles du pays. Il note également avec inquiétude qu'en raison d'une mauvaise gestion économique et administrative, de la corruption, de l'inflation galopante et de la dévaluation rapide du naira, le Nigéria fait partie à présent des 20 pays les plus pauvres du monde.

26. Selon des estimations de la Banque mondiale, au moins 17 millions de Nigérians dont beaucoup sont des enfants, sont mal nourris. L'écart s'élargit entre le taux (de plus en plus élevé) d'accroissement de la population et de la demande alimentaire d'une part, et le taux (de plus en plus bas) de la production alimentaire, d'autre part. Le Nigéria est donc devenu en chiffres nets, importateur de produits alimentaires après avoir été exportateur.

27. Le Comité prend note avec consternation du grand nombre de personnes sans abri et de l'existence d'un grave problème de logement au Nigéria où les logements décents sont rares et relativement chers. Les pauvres des villes, en particulier les femmes et les enfants, sont forcés de vivre dans des abris de fortune dans des conditions lamentables et dégradantes, qui mettent en danger leur santé physique et mentale. Environ 50 % des habitants des villes disposent d'eau courante salubre contre 30 % seulement des habitants des campagnes. En général, 39 % seulement de la population au Nigéria a accès à de l'eau saine.

28. Le Comité note avec préoccupation que l'insuffisance du financement des services de santé et leur mauvaise gestion ont entraîné, au cours des dix dernières années, une détérioration rapide des infrastructures sanitaires dans les h_pitaux. Les dépenses d'investissement consacrées aux services de santé et aux services sociaux dans le budget de 1996 ont été de 1,7 milliard de naira, soit 3,5 % seulement du montant total des dépenses d'investissement consacrées aux ministères fédéraux. Il arrive fréquemment que les malades hospitalisés doivent non seulement acheter leurs médicaments mais également fournir des aiguilles hypodermiques, des seringues et du fil de suture, en plus du prix de leur lit. C'est pourquoi de nombreux médecins nigérians ont choisi d'émigrer.

29. Le Comité est alarmé par l'ampleur des dommages à l'environnement et à la qualité de la vie causés par les activités de prospection pétrolière dans les régions, notamment la région ogoni où l'on a découvert et extrait du pétrole sans tenir aucun compte de la santé et du bien-être des habitants et de leur environnement.

30. Le Comité regrette que les crédits alloués par l'Etat dans le domaine social et dans celui de la santé diminuent constamment et que les autorités aient rétabli les droits de scolarité dans l'enseignement primaire dans certains Etats et aient imposé des contributions hospitalières qui n'existaient pas auparavant.

31. Les écoliers doivent souvent apporter de chez eux à l'école leur bureau et leur chaise. L'UNICEF signale que le nombre d'enfants d'âge scolaire qui fréquentent l'école a sensiblement baissé car les parents ne peuvent plus payer les nouveaux droits de scolarité plus élevés imposés aux élèves de l'enseignement primaire et secondaire. La mauvaise qualité actuelle de l'éducation est due en partie au fait que les enseignants ne s'intéressent guère à leur travail parce qu'ils sont mal payés, d'où des grèves incessantes et des fermetures d'écoles.

32. Les frais d'études dans l'enseignement supérieur ont augmenté de façon spectaculaire en 1997 et dans certaines universités, en particulier dans le sud du Nigéria, les étudiants ont dû payer des droits dix fois plus élevés que d'autres étudiants. En outre, les campus satellites ont été obligés de fermer sans raison particulière.

33. Les intellectuels, les journalistes, les professeurs d'université et les étudiants sont la cible favorite de la politique de répression des autorités militaires, qui les persécutent sous prétexte qu'ils constituent l'opposition politique la plus bruyante et la plus dangereuse. L'un des principaux campus universitaires a été placé sous la garde des militaires. Les universités ont été fermées à plusieurs reprises pendant de longues périodes. Il y a aussi un exode des compétences universitaires dû à l'instabilité qui règne dans les domaines politique et universitaire ainsi qu'au traitement extrêmement bas des professeurs d'université.

E. Suggestions et recommandations

34. La restauration de la démocratie et de l'état de droit est une condition indispensable à l'application du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels au Nigéria. L'élimination de la pratique qui consiste à gouverner par décret militaire et le renforcement de l'autorité du pouvoir judiciaire et de la Commission des droits de l'homme sont les premières mesures que le régime doit prendre s'il veut faire croire à son intention de rétablir une démocratie civile.

35. Le Comité invite instamment le Gouvernement nigérian à ouvrir ses portes aux organes de l'ONU, aux institutions spécialisées ainsi qu'à d'autres organisations internationales et à engager avec eux un dialogue constructif et transparent. C'est une mesure nécessaire s'il veut les convaincre qu'il a véritablement l'intention de s'acquitter de ses obligations en matière de droits de l'homme, y compris celles que lui impose le Pacte.

36. Le Comité demande au Gouvernement nigérian de rétablir un système politique démocratique et le respect du droit, condition essentielle à la mise en place d'un système de gouvernement qui favorise le plein respect des droits économiques, sociaux et culturels. Il faudrait également rétablir de toute urgence le respect des libertés syndicales et de la liberté de l'enseignement.

37. Le Comité engage vivement le Gouvernement à libérer les dirigeants et les membres de syndicats, notamment ceux dont les noms sont cités au paragraphe 16 ci-dessus et qui sont emprisonnés depuis des années sans inculpation ni jugement. Les conditions de détention devraient être moins dures et les détenus politiques devraient être libérés et graciés. Les droits des syndicats devraient être rétablis et respectés.

38. Il faudrait respecter les droits des minorités et des communautés ethniques - notamment ceux du peuple ogoni - et leur accorder pleinement réparation pour toutes les violations des droits énoncés dans le Pacte dont ils ont été victimes.

39. Le Comité invite le Gouvernement à éliminer et à prévenir, en droit et dans la pratique, toutes les formes de violence et de discrimination sociales, économiques et physiques contre les femmes et les enfants, en particulier la pratique dégradante et dangereuse qui n'a pas cessé de la mutilation génitale des femmes.

40. De même, le Gouvernement nigérian devrait promulguer une législation et assurer par tous les moyens appropriés la protection des enfants contre les nombreuses conséquences négatives découlant du travail des enfants, des abandons scolaires, de la malnutrition et de la discrimination contre les enfants nés hors mariage.

41. Le Gouvernement nigérian devrait prendre des mesures pour atteindre les objectifs qu'il a acceptés dans le cadre de la campagne : L'éducation pour tous d'ici à l'an 2000 et devrait faire respecter le droit à l'enseignement primaire obligatoire et gratuit.

42. Le Comité demande instamment au Gouvernement nigérian de mettre fin immédiatement aux expulsions massives et arbitraires et de prendre les mesures qui seront nécessaires pour améliorer le sort de ceux qui font l'objet d'expulsions arbitraires ou qui sont trop pauvres pour avoir un logement décent. Vu l'extrême pénurie de logements, le Gouvernement devrait faire des efforts soutenus pour lutter contre cette grave situation et consacrer à cette lutte suffisamment de ressources.

43. Le Comité recommande qu'un dialogue positif et plus ouvert soit engagé et maintenu entre lui-même et le Gouvernement nigérian. Il n'est pas nécessaire d'attendre pour ce faire le prochain rapport du Nigéria qui doit être présenté dans cinq ans : le Comité demande au Gouvernement de lui soumettre un deuxième rapport périodique d'ensemble établi conformément à ses directives, d'ici le 1er janvier 2000.

44. Le Comité invite instamment l'Etat partie à diffuser largement les présentes observations finales.



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