University of Minnesota



Conclusions du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Maroc, U.N. Doc. E/C.12/1994/5 (1994).


 


COMITE DES DROITS ECONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS


EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES
CONFORMEMENT AUX ARTICLES 16 ET 17 DU PACTE


Conclusions du Comité des droits économiques, sociaux et culturels


MAROC



1. Le Comité a examiné le rapport initial du Maroc (E/1990/5/Add.13) à ses 8ème, 9ème et 10ème séances, les 5, 6 et 10 mai 1994, et a adopté à ses 26ème et 27ème séances, les 19 et 20 mai 1994 les conclusions suivantes :


A. Introduction

2. Le Comité exprime sa satisfaction à l'Etat partie pour le rapport qu'il lui a présenté et pour les renseignements complémentaires qu'a fournis sa délégation en réponse aux questions posées et aux observations formulées.

B. Aspects positifs

3. Le Comité prend note avec satisfaction des renseignements fournis par le représentant de l'Etat partie sur l'adoption, en septembre 1992, du texte révisé de la Constitution et sur diverses mesures introduites par ce texte, notamment la création d'un conseil constitutionnel et d'un conseil économique et social.

4. Le Comité se félicite des mesures prises pour atténuer les effets des programmes d'ajustements structurels sur les secteurs les plus vulnérables de la société ainsi que de celles qu'a adoptées l'Etat partie pour résorber la pauvreté dans le pays. Il salue également les efforts faits pour améliorer l'exercice du droit à un logement suffisant.

5. Le Comité se réjouit des efforts déployés par l'Etat partie dans le domaine des services de santé, notamment pour réduire les taux de mortalité maternelle et infantile, ainsi que de l'adoption d'un plan national pour l'application de la Déclaration mondiale en faveur de la survie, de la protection et du développement de l'enfant.

6. Le Comité prend note de la hausse de la fréquentation scolaire, des efforts faits pour réduire l'analphabétisme et des mesures prises pour donner une formation professionnelle à ceux qui ont abandonné leurs études.

C. Facteurs et difficultés entravant la mise en oeuvre du Pacte

7. Le Comité relève que le processus de modernisation n'entraîne pas les mêmes effets pour tous les groupes ni pour tous les secteurs de la société et qu'il engendre de profondes disparités économiques, sociales et culturelles entre les secteurs traditionnel et moderne, entre les divers groupes de revenus, entre les zones urbaines et les zones rurales et entre les hommes et les femmes.

8. Il constate que des difficultés économiques - telles que la persistance de la pauvreté, un taux de ch_mage élevé et le service de la dette extérieure - ont entravé l'application du Pacte.

9. D'autres difficultés relevées par le Comité ont trait à la contradiction manifeste entre les obligations découlant du Pacte et les diverses dispositions relatives au statut du droit civil que régit le Code du statut personnel (mudawana), fondé en partie sur des préceptes religieux et relevant de la compétence du Roi. De l'avis du Comité, lorsqu'un Etat a ratifié le Pacte sans aucune réserve il est tenu de se conformer à toutes ses dispositions. Il ne peut donc invoquer aucune raison ou circonstance pour justifier la non-application d'un ou plusieurs articles du Pacte, à moins que ce soit conformément aux dispositions du Pacte et aux principes du droit international général.

D. Principaux sujets de préoccupation

10. Le Comité note avec préoccupation qu'au Sahara occidental le droit à l'autodétermination n'a pas été exercé en parfaite conformité avec les dispositions de l'article 1 du Pacte et selon les plans approuvés par le Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies. Il se déclare préoccupé par les conséquences négatives de la politique du Maroc au Sahara occidental sur la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels de la population concernée, en particulier du fait d'un transfert de populations.

11. Eu égard aux obligations découlant de l'article 2 - garantir que les droits qui sont énoncés dans le Pacte seront exercés sans discrimination aucune - le Comité s'inquiète du maintien, sur le territoire de l'Etat partie, d'une société à deux niveaux qui se caractérise par des disparités quant au degré de modernisation et de jouissance des droits économiques, sociaux et culturels, disparités qui touchent particulièrement les personnes qui vivent dans les zones rurales et qui se traduisent notamment par des différences marquées dans le taux de fréquentation scolaire. Selon le rapport présenté par l'Etat partie, le taux de fréquentation scolaire à l'école primaire est deux fois plus élevé dans les zones urbaines que dans les régions rurales.

12. Dans le même sens, le Comité se soucie de la mesure dans laquelle les femmes jouissent des droits énoncés dans le Pacte, en particulier dans les domaines visés aux articles 6 et 7, notamment l'égalité de rémunération pour un travail égal et les possibilités d'emploi, à l'article 10, en particulier le statut des femmes dans la famille, et à l'article 13, en particulier le droit à l'éducation. Tout en reconnaissant que certains progrès ont été réalisés à cet égard, le Comité est particulièrement préoccupé par les différences qui existent entre les hommes et les femmes en ce qui concerne le mariage et les liens familiaux.

13. Le Comité prend note des renseignements fournis par l'Etat partie sur un code du travail en préparation. Il note cependant que, selon des renseignements de l'OIT, cette préparation remonte à 1969. Il considère que ce projet devrait aboutir dans les plus brefs délais afin d'assurer une pleine protection des droits reconnus dans le Pacte.

14. Le Comité est également inquiet de constater que la législation et la réglementation du travail sont, pour une large part, méconnues ou ne sont pas appliquées dans les secteurs traditionnel et non structuré de l'économie, et que l'absence ou la présence limitée d'inspecteurs du travail dans ces secteurs a entravé l'application effective des dispositions relatives aux conditions de travail équitables et favorables, y compris l'hygiène et la sécurité sur le lieu du travail.

15. Le Comité est inquiet en ce qui concerne la pleine jouissance des droits syndicaux énoncés à l'article 8 du Pacte. A cet égard, il note avec préoccupation que, quoique la Constitution garantisse le droit d'association, le droit de former des syndicats, le droit de s'y affilier et le droit de grève, dans la pratique ces droits auraient été bafoués à plusieurs reprises. Le Comité a reçu, de diverses sources, des informations faisant état de cas concrets de limitations du droit de grève et de l'absence de protection réelle des travailleurs contre la discrimination liée au syndicalisme, y compris des licenciements arbitraires, des arrestations ou des voies de fait. A cet égard, les réponses du gouvernement à certaines questions posées par le Comité ne peuvent pas être jugées satisfaisantes. Aucune information n'a été fournie sur les incidents survenus aux entreprises Meknès, Dimaplast et Comanan. Le Comité est particulièrement préoccupé par l'absence de toute réponse au sujet des cas de deux syndicalistes, Abdelhaq Rouissi et Houcine El Manouzi, qui selon des sources non gouvernementales ont disparu en 1964 et en 1972, respectivement, et seraient toujours en vie mais détenus dans une prison secrète.

16. Le Comité est préoccupé par la discrimination dont sont victimes les enfants nés hors mariage, par la question des enfants au travail, qui n'ont souvent même pas atteint l'âge légal de 12 ans, et par la non-application des dispositions de la législation du travail qui protègent les enfants qui sont employés comme domestiques, qui travaillent dans l'agriculture ou dans les secteurs non structuré ou traditionnel. Il note également avec inquiétude que beaucoup de ces enfants ne jouissent pas pleinement de leur droit à l'éducation.

17. Le Comité est, en outre, préoccupé par le fait que les difficultés économiques ont entraîné une dégradation du niveau de vie de certaines couches de la population.

E. Suggestions et recommandations

18. Le Comité recommande l'adoption par l'Etat partie de nouvelles mesures visant à réduire les disparités actuelles entre les secteurs moderne et traditionnel de la société, en particulier entre les zones rurales et les zones urbaines. A son avis, un effort particulier devrait être fait pour résoudre le problème de la discrimination à l'encontre des femmes et veiller à ce qu'elles jouissent effectivement des droits inscrits dans le Pacte. Cet effort devrait porter tant sur des mesures législatives que sur des activités éducatives visant à balayer l'influence négative de certaines traditions et coutumes.

19. Le Comité appelle l'attention de l'Etat partie sur la nécessité de prendre de nouvelles mesures en faveur des secteurs vulnérables de la société touchés par les programmes d'ajustement structurel. Au nombre de ces mesures pourraient figurer notamment la mise en place d'un régime fiscal favorisant l'imp_t direct et progressif et l'extension du système de sécurité sociale aux catégories qui n'en bénéficient pas encore.

20. Le Comité recommande que l'Etat partie envisage d'adopter de nouvelles mesures en vue de réduire le taux élevé du ch_mage chez les jeunes.

21. Le Comité recommande que l'Etat partie envisage de prendre les mesures nécessaires pour que les infractions à la réglementation du travail et les atteintes aux libertés syndicales soient efficacement sanctionnées. Il suggère que l'Etat partie étudie attentivement les plaintes faisant état de violations de la réglementation du travail et des droits syndicaux et prenne des dispositions pour que les victimes de telles violations puissent obtenir réparation devant les tribunaux.

22. Le Comité recommande que des mesures urgentes soient prises pour protéger le droit des travailleurs de s'affilier au syndicat de leur choix et pour donner aux dirigeants syndicaux l'assurance qu'ils ne seront ni arrêtés, ni emprisonnés, ni arbitrairement licenciés. Dans le contexte des libertés syndicales, le Comité demande au gouvernement de répondre aux questions concrètes soulevées au paragraphe 15 ci-dessus, et en particulier de fournir des renseignements sur le sort des syndicalistes Abdelhaq Rouissi et Houcine El Manouzi, d'ici le 30 septembre 1994.

23. Le Comité recommande que des mesures soient prises pour prévenir et éliminer les attitudes discriminatoires ou les préjugés à l'encontre des enfants nés hors mariage et pour les protéger efficacement contre toute discrimination fondée sur la situation de leurs parents. Il encourage également les efforts actuellement déployés pour élever l'âge minimum d'admission à l'emploi et suggère que des mesures soient prises pour que les enfants qui travaillent, notamment dans le secteur non structuré et dans l'agriculture, bénéficient de la protection voulue au travail et jouissent réellement du droit à l'éducation.

24. Le Comité recommande d'accroître les efforts déployés dans le domaine de l'enseignement, en particulier dans les zones rurales les moins favorisées. Il faudrait également déployer des efforts en vue de réduire les disparités manifestes dans le taux de fréquentation scolaire entre les filles et les garçons.



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