University of Minnesota



Observations finales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Mali, U.N. Doc. E/C.12/1994/17 (1994).




COMITE DES DROITS ECONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS


EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES
CONFORMEMENT AUX ARTICLES 16 ET 17 DU PACTE

Observations finales du Comité des droits économiques,
sociaux et culturels

MALI

Le Comité a examiné la mise en oeuvre, par le Mali, du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels à sa 44ème séance, le 30 novembre 1994, et a adoptéà sa 44ème séance (onzième session), le 30 novembre 1994 les observations finales ci-après :

A. Examen de la mise en oeuvre du Pacte dans le cas d'Etats parties qui n'ont pas présenté de rapport

1. A sa septième session, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a décidé de procéder à l'examen de l'état de la mise en oeuvre du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels dans un certain nombre d'Etats parties qui, bien qu'ayant été priés à plusieurs reprises de le faire, ne se sont pas acquittés des obligations contractées en vertu des articles 16 et 17 du Pacte concernant la présentation de rapports.

2. Le système de présentation de rapports mis en place par le Pacte a pour objet de faire en sorte que les Etats parties fassent rapport à l'organe de suivi compétent, à savoir le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, et, par l'intermédiaire de ce dernier, au Conseil économique et social, sur les mesures qu'ils ont adoptées pour assurer le respect des droits reconnus dans le Pacte ainsi que sur les progrès accomplis et les difficultés rencontrées dans ce domaine. Outre qu'il constitue une violation du Pacte, tout manquement par un Etat partie à ses obligations en matière de présentation de rapports entrave gravement l'exécution, par le Comité, des tâches qui lui sont attribuées. En pareil cas, le Comité est néanmoins tenu de s'acquitter de son r_le d'organe de surveillance et doit le faire en se fondant sur tous les renseignements fiables auxquels il a accès.

3. Lorsqu'un gouvernement n'a fourni au Comité aucune information quant à la mesure dans laquelle il estime s'être acquitté des obligations qu'il a contractées en vertu du Pacte, le Comité doit fonder ses observations sur divers éléments provenant de sources tant intergouvernementales que non gouvernementales. Les premières fournissent principalement des renseignements statistiques et appliquent d'importants indicateurs économiques et sociaux, tandis que les renseignements recueillis dans les travaux universitaires pertinents, ou provenant des organisations non gouvernementales ou de la presse, ont tendance, par leur nature même, à être plus critiques à l'égard de la situation politique, économique et sociale des pays concernés. Dans des conditions normales, le dialogue constructif qui se déroule entre l'Etat partie qui présente son rapport et le Comité fournit l'occasion, pour le gouvernement concerné, de faire connaître sa position et de chercher à réfuter ces critiques et à convaincre le Comité de la conformité de ses orientations avec les prescriptions du Pacte. En ne soumettant pas de rapport et en ne se présentant pas lui-même devant le Comité, un gouvernement se prive de cette possibilité de rétablir les faits.

B. Introduction

4. Le Mali est partie au Pacte depuis le 3 janvier 1976, date de son entrée en vigueur. Depuis lors, il n'a pas présenté un seul rapport. Le Comité engage instamment le Gouvernement malien à s'acquitter aussit_t que possible de ses obligations en matière de présentation de rapports afin qu'il puisse être donné pleinement effet au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels dans l'intérêt du peuple malien. Le Comité souligne qu'il considère le manquement du Mali à ses obligations en matière de présentation de rapports, non seulement comme une violation du Pacte, mais aussi comme un grave obstacle à la bonne application de cet instrument.

C. Facteurs et difficultés entravant l'application du Pacte

5. Le Comité note que le manquement du Gouvernement malien aux obligations imposées par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ne peut pas être évalué sans tenir compte de la situation politique, économique et sociale actuelle dans le pays. A cet égard, le Comité est conscient que le Mali, pays enclavé, plut_t pauvre en ressources minières, privé d'une industrie organisée et sujet à de fréquentes sécheresses enregistre des revenus par habitant les plus faibles d'Afrique et du monde. Les effets négatifs de cette pauvreté sur l'aptitude du Mali à mettre effectivement en oeuvre les articles du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels sont exacerbés par :

a) le fait qu'un tiers environ de sa population continue de mener une vie nomade ou semi-nomade;

b) les conflits et les troubles ethniques;

c) le fait que 2 millions environ de Maliens d'âge actif vivent à l'étranger, migrants temporaires ou à long terme, surtout en Europe et dans les pays voisins.

Il faudrait relever toutefois qu'à la mi-mai, un accord a été conclu entre le gouvernement et les rebelles touareg. Il n'en demeure pas moins que, suite à une escalade de la violence, l'avenir de l'accord est très préoccupant.

D. Aspects positifs

6. Le Comité note que le Mali, en dépit des circonstances désastreuses qui viennent d'être décrites, est parvenu à revenir à une forme de gouvernement démocratique et possède à présent une Assemblée nationale multipartite et un pouvoir judiciaire indépendant. Pratiquement tous les groupes ethniques et linguistiques du Mali sont représentés à tous les niveaux de l'administration et de la société. Le Comité note également que la situation globale en matière de droits de l'homme au Mali continue à s'améliorer. Il est conscient des efforts déployés par le gouvernement pour libéraliser l'économie du pays et accueille avec satisfaction les mesures qu'il a prises pour intégrer les femmes au processus officiel de développement. Enfin, le Comité note l'existence d'un syndicalisme actif au Mali. Le droit de grève est reconnu dans la pratique.

E. Principaux sujets de préoccupation

7. Le Comité note qu'en dépit de la réaffirmation dans la nouvelle Constitution malienne de l'interdiction de toute discrimination, les femmes continuent à jouir de possibilités économiques et éducatives proportionnellement limitées. Ainsi, selon un rapport récent de l'ONU, les femmes maliennes ont un temps de scolarité qui représente seulement 29 % de celui des hommes. Le taux d'alphabétisation des adultes n'est chez les femmes que la moitié de ce qu'il est chez les hommes. Le Comité note également que les pratiques traditionnelles et la législation en vigueur désavantagent les femmes en matière de droits familiaux et de droit à la propriété.

8. A propos de l'article 6 du Pacte, le Comité note avec préoccupation qu'en dépit de l'interdiction du travail forcé dans la nouvelle Constitution la servitude pour dettes persiste dans les communautés du nord de Tombouctou où l'on extrait le sel. Il faut noter cependant que le nombre de personnes ainsi traitées a diminué et que le gouvernement a aidé à la réinsertion d'anciennes victimes.

9. A propos de l'article 7, le Comité note que si le Mali a un code du travail détaillé, la plupart des gens gagnent leur vie dans le secteur non structuré et ainsi, dans les faits, continuent à ne pas être protégés par cette législation. Faute d'inspecteurs, les dispositions légales sur la sécurité du travail demeurent insuffisamment appliquées.

10. Le Comité note également que le salaire minimum officiel est un des plus bas d'Afrique et qu'il a subi en plus les conséquences de la dévaluation récente du franc CFA.

11. En ce qui concerne l'article 10 du Pacte, le Comité se déclare préoccupé par le nombre d'enfants qui travaillent et ce, en violation de la législation, surtout dans le secteur non structuré de l'économie malienne. Le Comité est également préoccupé par les mauvais traitements réservés à nombre de femmes et par l'attention insuffisante que le gouvernement accorde à ce phénomène.

12. En ce qui concerne les droits reconnus à l'article 11 du Pacte, le Comité se déclare préoccupé par la nouvelle détérioration du niveau de vie de la population malienne suite à la dévaluation du franc CFA en janvier 1994. Le Comité est également préoccupé par la situation précaire de l'approvisionnement alimentaire au Mali, causée en partie par l'irrégularité des pluies, mais aussi par le mauvais fonctionnement du marché des produits agricoles. Selon des statistiques de l'UNICEF qui remontent à la fin des années 80, le taux de malnutrition varie de 6 à 25 et même 30 % en fonction de l'année et de la région.

13. En ce qui concerne le droit à la santé énoncé à l'article 12 du Pacte, le Comité s'inquiète de voir que les taux de mortalité infantile, juvénile et liée à la maternité au Mali comptent toujours parmi les plus élevés du monde. Ainsi, près d'un enfant sur cinq au-dessous de l'âge de cinq ans meurt chaque année. Environ 1 000 accouchements pour 100 000 naissances entraînent le décès de la mère. La diarrhée, le paludisme et les infections respiratoires aiguës, aggravés par la malnutrition, représentent à eux seuls plus de 40 % des décès. Le SIDA se répand rapidement. En ce qui concerne l'eau et l'assainissement, le taux moyen national d'accès à l'eau est d'environ 50 %, mais peut ne pas dépasser 4 % dans les régions d'abord difficile du nord du pays. Le taux global d'accès aux services d'assainissement est estimé à environ 15 %. La répartition géographique des services et du personnel de santé continue à pencher fortement en faveur des villes.

14. Le Comité exprime sa préoccupation profonde au sujet de la persistance au Mali de pratiques traditionnelles de mutilation génitale auxquelles, selon les avis d'experts, jusqu'à 75 % des filles et des femmes sont soumises. Bien que le gouvernement s'efforce, au moyen d'émissions de radio et de télévision, de décourager la circoncision féminine, la législation en vigueur depuis 30 ans et tendant à interdire de telles pratiques n'a jamais été appliquée.

15. En ce qui concerne le droit à l'éducation, reconnu à l'article 13 du Pacte, le Comité est préoccupé par le taux élevé d'analphabétisme (taux moyen d'analphabétisme parmi la population d'âge adulte : 68 %; 59 % pour les hommes et 76,1 % pour les femmes) au Mali. Il est également préoccupé par les progrès seulement modestes accomplis au Mali en matière de normes d'éducation pendant les 20 dernières années, et même par une régression au cours des dix dernières années. L'enseignement primaire de type classique ne semble toujours pas répondre aux besoins de la population malgré les efforts des pouvoirs publics. Le taux de scolarisation est l'un des plus faibles du monde. Seuls 15 % des enfants du groupe d'âge concerné (17 % des garçons et 14 % des filles) sont scolarisés au niveau primaire et ce taux tombe à seulement 7 % (10 % des garçons et 5 % des filles) au niveau secondaire. Beaucoup de jeunes poursuivent des études supérieures à l'étranger, principalement en France et au Sénégal. Les taux de redoublement et d'abandon scolaire sont très élevés; 7 % seulement des élèves achèvent le cycle primaire chaque année. La plus grande partie du budget de fonctionnement de l'éducation va aux salaires des enseignants. Cependant 20 % des enseignants ne sont pas à l'école, mais affectés à d'autres tâches.

F. Suggestions et recommandations

16. Le Comité prie instamment le gouvernement de n'épargner aucun effort pour que les mesures de libéralisation économique et d'ajustement structurel n'affectent pas les groupes les plus vulnérables de la société malienne.

17. Le Comité invite à nouveau le Gouvernement malien à participer activement à un dialogue constructif avec lui sur la manière de mieux satisfaire aux obligations découlant du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Il appelle l'attention de ce gouvernement sur le fait que le Pacte oblige juridiquement tous les Etats parties à présenter des rapports périodiques, et que le Mali manque à cette obligation depuis de nombreuses années.

18. Le Comité recommande que le Gouvernement malien utilise les services consultatifs du Centre des Nations Unies pour les droits de l'homme afin d'être en mesure de présenter aussit_t que possible un rapport complet sur la mise en oeuvre du Pacte, conformément aux directives générales révisées adoptées par le Comité en 1990 (E/C.12/1991/1), en mettant particulièrement l'accent sur les problèmes soulevés et les préoccupations exprimées dans les présentes observations finales.



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