University of Minnesota



Observations finales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Allemagne, U.N. Doc. E/C.12/1/Add.68 (2001).




COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES,
SOCIAUX ET CULTURELS
Vingt-sixième session (extraordinaire)
13-31 août 2001

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES
CONFORMÉMENT AUX ARTICLES 16 ET 17 DU PACTE

Observations finales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels

Allemagne


1. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a examiné le quatrième rapport périodique de l'Allemagne sur l'application du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (E/C.12/4/Add.3) à ses 48e et 49e séances, tenues le 24 août 2001 (E/C.12/2001/SR.48 et 49). À sa 58e séance (E/C.12/2001/SR.58), le 31 août 2001, il a adopté les observations finales ci-après.

A. Introduction

2. Le Comité accueille avec intérêt le quatrième rapport périodique de l'État partie, qui suit de façon générale les directives du Comité.

3. Le Comité prend note avec satisfaction de la grande qualité des réponses écrites et orales circonstanciées fournies par l'État partie et du dialogue ouvert, franc et constructif engagé avec la délégation de l'État partie, composée de représentants experts dans les domaines en relation avec le Pacte.


B. Aspects positifs

4. Le Comité constate qu'à l'heure actuelle l'État partie s'emploie activement à promouvoir les droits économiques, sociaux et culturels à l'échelon tant national qu'international. Le Comité se félicite en particulier des initiatives prises récemment pour promouvoir ces droits, telles que la consultation sur le droit à l'alimentation organisée par l'État partie à Bonn en mars 2001, les efforts déployés par l'État partie à la Commission des droits de l'homme en vue de créer un poste de rapporteur spécial sur le logement convenable en tant qu'élément du droit à un niveau de vie suffisant et du réexamen par l'État partie de sa position sur le projet de protocole facultatif se rapportant au Pacte, auquel il est à présent plus favorable.

5. Le Comité prend acte des efforts accomplis par l'État partie pour combattre le racisme et la xénophobie, en particulier de la création par le Gouvernement fédéral de l'Alliance pour la démocratie et la tolérance contre l'extrémisme et la xénophobie.

6. Le Comité note avec satisfaction que l'État partie a associé un groupe d'ONG (le World Forum for Social Development) à l'élaboration de son rapport, conformément à une recommandation formulée par le Comité en 1998 (E/C.12/1/Add.29, par. 39).

7. Le Comité note également avec satisfaction que l'État partie est engagé dans la coopération internationale et fournit une aide au développement, dans un cadre tant bilatéral que multilatéral, aux fins de la lutte contre la pauvreté et de la promotion des droits économiques, sociaux et culturels.

8. Le Comité se félicite vivement de la création de la Commission parlementaire indépendante des droits de l'homme et des affaires humanitaires, en 2000, et de l'Institut national allemand des droits de l'homme, en 2001.

9. Le Comité prend acte avec satisfaction des efforts entrepris par l'État partie depuis la réunification, en 1990, en vue d'éliminer les écarts de niveau de vie entre les nouveaux et les anciens Länder.

10. Le Comité se félicite de la révision de la législation et de la politique de l'État partie en matière de naturalisation, qui rend désormais plus facile l'acquisition de la nationalité allemande.

11. Le Comité prend note des progrès accomplis par l'État partie en matière de lutte contre l'exploitation sexuelle à des fins commerciales, en particulier des mineurs.


C. Principaux sujets de préoccupation

12. Tout en se félicitant de la récente création de l'Institut national allemand des droits de l'homme, le Comité note que cet organe paraît avoir des attributions limitées à la recherche, à l'éducation et à la fourniture d'avis consultatifs et qu'il n'est pas doté des pouvoirs qui sont souvent associés aux institutions nationales des droits de l'homme, notamment celui d'instruire des plaintes, de mener des enquêtes nationales et de formuler des recommandations à l'intention des employeurs et d'autres acteurs. Ces limitations sont d'autant plus regrettables dans l'optique du Pacte, que les droits économiques, sociaux et culturels bénéficient dans l'État partie d'une attention et d'une protection moindres que les droits civils et politiques.

13. Le Comité exprime à nouveau sa préoccupation devant l'absence de décisions de justice faisant référence au Pacte et à ses dispositions, comme il ressort des réponses écrites de l'État partie à la liste des points à traiter et comme l'a confirmé la délégation dans le dialogue qu'elle a eu avec le Comité. Le Comité note avec préoccupation que l'État partie n'assure pas aux juges une formation suffisante dans le domaine des droits de l'homme, en particulier des droits garantis par le Pacte. Un manque de formation analogue dans le domaine des droits de l'homme est également perceptible en ce qui concerne les procureurs et les autres acteurs responsables de l'application du Pacte.

14. Le Comité est préoccupé par l'absence de système général et cohérent propre à garantir la prise en considération du Pacte lors de l'élaboration et de la mise en œuvre de toutes les lois et politiques relatives aux droits économiques, sociaux et culturels.

15. Le Comité regrette qu'en 1998 l'État partie n'ait, selon le PNUD, consacré que 0,26 % de son PNB à l'aide publique au développement (APD), chiffre bien inférieur à l'objectif de 0,7 % fixé par l'ONU.

16. Le Comité est préoccupé par la longueur indue des délais d'examen des demandes d'asile, qui tend à restreindre l'exercice par les demandeurs d'asile et les personnes à leur charge des droits économiques, sociaux et culturels consacrés par le Pacte.

17. Le Comité constate avec préoccupation qu'en dépit des efforts considérables déployés par l'État partie pour résorber le fossé entre les nouveaux et les anciens Länder, des disparités marquées subsistent, en particulier dans le niveau de vie, généralement inférieur dans les nouveaux Länder alors que le taux de chômage y est plus élevé et que les traitements des fonctionnaires y sont plus bas.

18. Le Comité note avec préoccupation que le taux de chômage reste élevé dans l'État partie, en particulier chez les jeunes. Le problème du chômage des jeunes est particulièrement grave dans les nouveaux Länder, ce qui poussent ces jeunes à migrer vers les anciens Länder. Le Comité est en particulier préoccupé par l'inadaptation à leurs besoins des programmes de formation professionnelle à l'intention des jeunes.

19. Comme l'OIT, le Comité est préoccupé par les obstacles auxquels les femmes continuent de se heurter, dans la société allemande, en termes de promotion professionnelle et d'égalité de rémunération pour un travail de valeur égale, dans le secteur tant public que privé, et, en particulier, dans les organismes fédéraux et les instituts universitaires, malgré les efforts déployés par l'État partie pour donner une nouvelle impulsion à la participation égale des femmes au marché du travail.

20. Le Comité s'inquiète que l'État partie n'ait pas véritablement réglé la question des travailleurs en situation irrégulière employés dans «l'économie souterraine» – tels que les domestiques et les employés de l'hôtellerie et la restauration, de l'agriculture, des petites industries, des entreprises de nettoyage ou du bâtiment – qui ne jouissent d'aucun droit ni d'aucune protection et ne sont payés ni régulièrement ni suffisamment.

21. Le Comité est préoccupé du fait que des détenus qui travaillent pour des compagnies privées puissent le faire sans avoir exprimé leur consentement préalable.

22. Le Comité constate de nouveau avec préoccupation, à l'instar du Comité des droits de l'homme et de la Commission d'experts de l'OIT, que l'interdiction de faire grève imposée par l'État partie aux agents de la fonction publique – à l'exception des agents des services publics ne fournissant pas de services essentiels – comme les juges, les Beamte et les enseignants, constitue une restriction des activités des syndicats allant au-delà de la portée du paragraphe 2 de l'article 8 du Pacte. Le Comité ne partage pas l'opinion de l'État partie selon laquelle «Faire grève serait incompatible avec cette obligation de loyauté et en contradiction avec la notion de service public» (E/C.12/4/Add.3, par. 82) car cette interprétation de la «fonction publique» au sens du paragraphe 2 de l'article 8 du Pacte est plus large que celle qu'en donnent le Comité, l'OIT (Convention no 98) et la Cour européenne de justice.

23. Le Comité craint que la réforme de la sécurité sociale à laquelle il a été procédé et la réforme du système des retraites en cours dans l'État partie ne prennent pas suffisamment en compte les besoins des familles, des femmes, des personnes âgées et des groupes les plus défavorisés de la société. Il relève que la Cour constitutionnelle fédérale a récemment estimé que le projet de réforme du système des retraites à l'étude risquait d'être discriminatoire pour les familles.

24. Le Comité est très préoccupé par les conditions d'accueil inhumaines des patients dans les centres de long séjour imputables aux carences structurelles affectant ce secteur, comme l'a confirmé le Service médical des associations nationales des assurances santé (MDS).

25. Le Comité craint que les victimes du trafic d'êtres humains, en particulier les femmes, soient doublement victimes vu que les policiers, les juges et les procureurs ne sont pas sensibilisés à ce problème, que la prise en charge des victimes est inadaptée et qu'elles sont exposées à divers risques et dangers après leur expulsion vers leur pays d'origine.

26. Le Comité est préoccupé par le manque de structures d'accueil de jour des enfants, qui constitue un obstacle à la participation égale des femmes au marché du travail ainsi qu'à l'action menée par l'État partie pour promouvoir l'égalité entre les sexes.

27. Le Comité constate à nouveau avec préoccupation que l'État partie ne s'est toujours pas doté d'une définition de la pauvreté ni d'un seuil de pauvreté applicable à son territoire. Il relève avec une préoccupation particulière que l'aide fournie aux pauvres et aux exclus – tels que parents isolés, étudiants et retraités handicapés – dans le cadre de la loi fédérale sur l'aide sociale n'assure pas un niveau de vie décent.

28. Le Comité exprime, comme dans ses observations finales de 1998, sa préoccupation face à l'augmentation du nombre des sans-abri en Allemagne et à leur sort.

29. Le Comité note avec préoccupation que plusieurs Länder ont abandonné le principe de la gratuité de l'enseignement supérieur, en imposant le paiement de droits qui, dans certains cas, servent à couvrir les dépenses administratives des Länder et non les dépenses des universités.


E. Suggestions et recommandations

30. Étant donné le caractère limité des attributions et pouvoirs de l'Institut national allemand des droits de l'homme, le Comité recommande à l'État partie de prendre des mesures, soit pour renforcer ces attributions et pouvoirs, soit pour créer une institution distincte des droits de l'homme ayant des attributions et des pouvoirs étendus, tels que ceux qui sont énoncés au paragraphe 12. Dans l'intervalle, le Comité recommande que l'Institut, conformément à ses attributions et pouvoirs actuels: porte la même attention aux droits économiques, sociaux et culturels qu'aux droits civils et politiques; organise des programmes de sensibilisation aux droits économiques, sociaux et culturels, en particulier à l'intention des agents de l'État, des avocats et des membres du corps judiciaire; accorde une attention particulière à la relation entre les droits de l'homme et la coopération internationale; se voit confier la responsabilité d'élaborer un plan d'action pour tous les droits de l'homme, comme préconisé dans la deuxième partie (par. 71) de la Déclaration et du Programme d'action de Vienne.

31. Le Comité encourage l'État partie, en sa qualité de membre d'institutions financières internationales, en particulier du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, à faire tout son possible pour assurer la conformité de leurs politiques et décisions aux obligations des États parties au Pacte, en particulier celles énoncées au paragraphe 1 de l'article 2 et aux articles 11, 15, 22 et 23 concernant la coopération et l'assistance internationales.

32. Le Comité suggère que l'État partie revoie et consolide ses arrangements institutionnels au sein de l'administration publique afin d'assurer la prise en considération des obligations lui incombant en vertu du Pacte dès le premier stade de l'élaboration de sa législation nationale et de sa politique dans des domaines en rapport avec la sécurité et l'aide sociales, le logement, la santé et l'éducation. L' État partie est en outre encouragé à introduire, sur le modèle des études d'impact environnemental, des «études d'impact sur les droits de l'homme» pour faire en sorte que les dispositions du Pacte fassent l'objet de l'attention voulue dans tous les processus de formulation des politiques et de prise des décisions d'ordre législatif et administratif.

33. Le Comité exhorte l'État partie à accroître régulièrement la part de son PNB allant à l'APD pour atteindre l'objectif de 0,7 % fixé par l'ONU.

34. Le Comité recommande à l'État partie d'accélérer l'examen des demandes d'asile dans le souci de ne pas restreindre l'exercice par les demandeurs de leurs droits économiques, sociaux et culturels.

35. Le Comité encourage l'État partie à continuer de prendre des mesures visant à résorber l'écart entre les nouveaux et les anciens Länder en termes de niveau de vie, d'emploi et de traitements des fonctionnaires.

36. Le Comité recommande à l'État partie de prendre immédiatement les mesures nécessaires pour prolonger l'action contre le fort taux de chômage, spécialement chez les jeunes et en particulier dans les Länder les plus touchés. Le Comité recommande également à l'État partie de prendre des mesures tendant à inciter les jeunes à rester dans leur région et à y travailler.

37. Le Comité recommande à l'État partie de continuer à prendre les mesures voulues, y compris d'ordre législatif et administratif, pour assurer aux femmes une participation entière et sur un pied d'égalité au marché du travail, en particulier en termes de promotion à des postes plus élevés et d'égalité de rémunération pour un travail de valeur égale.

38. Le Comité recommande vivement à l'État partie de prendre les mesures législatives et administratives nécessaires pour obliger les employeurs à respecter la législation du travail et à déclarer les personnes qu'ils emploient, afin de réduire le nombre de travailleurs en situation irrégulière qui ne bénéficient pas même d'un minimum de protection de leur droit à la sécurité sociale et à la santé.

39. Le Comité recommande à l'État partie de veiller à ce que les détenus ne travaillent pour des compagnies privées qu'une fois recueilli leur consentement préalable.

40. Le Comité recommande à nouveau à l'État partie de faire en sorte que les fonctionnaires n'assurant pas des services essentiels se voient reconnaître le droit de faire grève, conformément à l'article 8 du Pacte.

41. Le Comité invite instamment l'État partie à veiller à ce que le système réformé de sécurité sociale et la réforme en cours du système de pensions prennent en compte la situation et les besoins des groupes défavorisés et vulnérables de la société. En particulier, le Comité l'invite instamment à résoudre les problèmes posés par la mise en application du système d'assurance soins de longue durée et à remédier aux carences en la matière. Il le prie de fournir dans son prochain rapport périodique des informations détaillées sur le fonctionnement du système révisé de sécurité sociale.

42. Le Comité invite instamment l'État partie à adopter des mesures urgentes pour améliorer la situation des patients dans les centres de long séjour.

43. Le Comité recommande vivement à l'État partie de mettre en place des programmes de formation à l'intention des personnes appelées à s'occuper des victimes du trafic d'êtres humains, afin de les sensibiliser aux besoins de ces victimes, d'offrir à ces dernières une meilleure protection et une prise en charge adaptée, et de veiller à ce qu'elles puissent obtenir réparation devant les tribunaux.

44. Le Comité recommande à l'État partie d'accroître l'offre en structures d'accueil de jour des enfants, en particulier dans les Länder occidentaux.

45. Le Comité invite instamment l'État partie à déterminer un seuil de pauvreté pour son territoire, en prenant en compte les paramètres utilisés par lui dans son premier rapport sur la pauvreté et la prospérité ainsi que les définitions internationales de la pauvreté, y compris celle figurant dans la Déclaration sur la pauvreté adoptée par le Comité. Il l'exhorte en particulier à veiller à ce que l'aide sociale fournie dans le cadre de la loi fédérale sur l'aide sociale garantisse un niveau de vie décent.

46. Le Comité exhorte également l'État partie à prendre des mesures efficaces, et à élaborer des programmes, en vue de déterminer l'ampleur et les causes du problème des sans-abri en Allemagne et de leur assurer des conditions de vie décentes.

47. Le Comité recommande que le Gouvernement fédéral de l'État partie inscrive dans la législation-cadre nationale régissant l'enseignement supérieur la réduction des droits d'inscription en vue de leur suppression à terme. Il prie, en outre, l'État partie de fournir dans son prochain rapport périodique des informations détaillées et actualisées ainsi que des données statistiques comparatives sur la qualité de l'enseignement supérieur, telles que l'effectif des classes. Le Comité prie également l'État partie de fournir dans son prochain rapport périodique des informations actualisées sur la place des programmes consacrés aux droits de l'homme dans le système éducatif allemand.

48. Le Comité prie l'État partie de diffuser largement les présentes observations finales parmi toutes les couches de la société et de l'informer dans son prochain rapport périodique de toutes les mesures qui auront été prises pour y donner suite. Il encourage également l'État partie à associer les organisations non gouvernementales et d'autres membres de la société civile à l'élaboration de son prochain rapport périodique, comme il l'a fait pour les précédents.

49. Enfin, le Comité prie l'État partie de soumettre son cinquième rapport périodique avant le 30 juin 2006 et de fournir dans ce rapport des renseignements détaillés sur les mesures qu'il aura prises pour appliquer les recommandations formulées dans les présentes observations finales.



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