University of Minnesota



Observations finales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, République dominicaine, U.N. Doc. E/C.12/1/Add.6 (1996).


 

COMITE DES DROITS ECONOMIQUES,
SOCIAUX ET CULTURELS


EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES
CONFORMEMENT AUX ARTICLES 16 ET 17 DU PACTE


Observations finales préliminaires du Comité des
droits économiques, sociaux et culturels


République dominicaine

1. Le Comité a examiné le deuxième rapport périodique de la République dominicaine concernant les droits visés aux articles premier à 15 du Pacte (E/1990/6/Add.7) à ses 29ème et 30ème séances, tenues le 19 novembre 1996, et a adopté, à sa 50ème séance, le 3 décembre 1996, les observations finales reproduites ci-après.


A. Introduction

2. Le Comité remercie lEtat partie de son rapport et apprécie le fait que la Représentante permanente de la République dominicaine auprès de lOffice des Nations Unies à Genève se soit présentée devant lui. Il note toutefois avec regret que le gouvernement de lEtat partie na ni fourni de réponse écrite à la liste des points à traiter établie par le Comité (E/C.12/1995/LQ.7), qui lui avait été transmise en janvier 1996, ni envoyé de délégation dexperts pour présenter son rapport, comme il sétait engagé à le faire à la quatorzième session du Comité en mai 1996, lorsquil avait demandé que lexamen de son rapport soit reporté à la quinzième session. En conséquence, le Comité a été dans lobligation, conformément à ses méthodes de travail, dexaminer le deuxième rapport périodique de la République dominicaine sans bénéficier dun dialogue ou de la participation dune délégation dexperts. Toutefois, il prend note de la déclaration faite par la Représentante permanente de la République dominicaine auprès de lOffice des Nations Unies à Genève selon laquelle, bien que nayant pas été en mesure de participer activement à un dialogue avec le Comité, elle fera part au gouvernement de son pays des principaux sujets supplémentaires de préoccupation relevés par le Comité au cours de ses débats.

3. Le Comité note avec regret que le rapport soumis par le gouvernement de lEtat partie na, comme le rapport initial, pas été établi conformément à ses Directives générales révisées (E/C.12/1991/1). Il constate aussi que les renseignements figurant dans le rapport sont incomplets et de nature purement juridique, nétant accompagnés daucun détail sur la situation en ce qui concerne la réalisation dans la pratique des droits énoncés dans le Pacte, et quil na pas été tenu compte, dans le rapport à létude, des suggestions et recommandations quil avait formulées dans ses observations finales adoptées à sa onzième session en novembre 1994. Il regrette également le manque dinformations de caractère général que lEtat partie était censé fournir dans un "document de base", quil a également négligé de soumettre.

4. Le Comité estime quen ne répondant pas à la liste des points à traiter et en nenvoyant pas une délégation ayant compétence pour prendre part à un dialogue avec le Comité à sa quinzième session, lEtat partie manifeste un mépris systématique de ses obligations en vertu du Pacte et un manque de volonté de coopérer avec le Comité.

5. A cet égard, le Comité exprime ses remerciements aux organisations non gouvernementales, tant nationale ("Ciudad Alternativa" et la COPADEBA) quinternationales (Coalition internationale Habitat et Comité daction internationale pour la promotion de la femme) pour les renseignements détaillés et soigneusement documentés quelles lui ont fait parvenir concernant le rapport de la République dominicaine. Il appelle en particulier lattention de lEtat partie sur le document intitulé "The Dominican Republic: An independent report submitted to the UN Committee on Economic, Social and Cultural Rights by the International Womens Rights Action Watch" (La République dominicaine : rapport indépendant soumis au Comité des droits économiques, sociaux et culturels par le Comité daction internationale pour la promotion de la femme).


B. Aspects positifs

6. Le Comité note avec satisfaction que, selon les renseignements qui lui sont parvenus dautres sources, le gouvernement a abrogé le décret No 358-91, dont lapplication avait entravé la réalisation du droit à un logement suffisant et apporté une solution aux cas dexpulsions, décidées sous les gouvernements antérieurs.

7. Le Comité se félicite aussi de ce que le gouvernement ait entrepris un examen approfondi du secteur de la santé publique et prépare une réforme du Code de la santé.

8. Le Comité se félicite en outre des mesures prises par la Chambre des députés pour faire de la violence au foyer une question de santé publique et décourager ainsi, dans le cadre de la politique générale, la violence dirigée contre les femmes.


C. Facteurs et difficultés entravant la mise en oeuvre du Pacte

9. Le Comité note que la lenteur de lévolution vers la démocratie et lEtat de droit ont entravé le renforcement des institutions démocratiques, la modernisation du mécanisme de gouvernement et, en conséquence, la mise en oeuvre effective du Pacte.

10. Le Comité constate également que les difficultés économiques qui se traduisent, notamment, par un nombre croissant de pauvres (60 à 65 % de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté) et une augmentation de la population rurale sans terre, un niveau élevé de chômage, en particulier dans les villes, et lémigration constante dun nombre considérable douvriers qualifiés et semi-qualifiés ont eu une influence négative sur la mise en oeuvre du Pacte.


D. Principaux sujets de préoccupation

11. Pour ce qui est de larticle 2 du Pacte, le Comité note que la République dominicaine a pris très peu de mesures pour sensibiliser la population aux droits énoncés dans le Pacte. Le Comité a été informé que des abus continuent dêtre commis par la police et des autres services de sécurité.

12. Le Comité note avec regret que même si, conformément à la loi, les instruments des Nations Unies relatifs aux droits de lhomme font partie de la législation dominicaine une fois ratifiés, dans la pratique, toutefois, le pouvoir judiciaire napplique pas ces instruments internationaux.

13. Le Comité est particulièrement préoccupé par lexploitation des Haïtiens et par les conditions de vie inacceptables qui sont les leurs dans les bateyes. A cet égard, il ny a pas de raison de douter de la véracité des diverses informations qui font état du sort misérable réservé aux travailleurs dans des bateyes, en particulier aux femmes dont la présence en ces lieux nest pas reconnue par ladministration, ce qui les expose à une exploitation extrême (leur salaire ne représente que 50 % de celui des hommes) et les prive souvent de leurs droits et de laccès aux services sociaux et sanitaires les plus élémentaires. Les hommes et les femmes des bateyes, ainsi que les travailleurs haïtiens dautres secteurs de léconomie, vivent dans une insécurité perpétuelle et constituent le principal groupe national de la République dominicaine sujet à lexpulsion dans des conditions inhumaines, souvent au gré des employeurs, qui profitent de labsence dintervention de lEtat pour exploiter ce groupe vulnérable.

14. Le Comité prend note des informations émanant de diverses sources concernant la confiscation arbitraire des cartes d'identité appelées "cedulas" et les expulsions illégales de personnes d'origine haïtienne nées en République dominicaine au cours de la campagne présidentielle de 1995-1996. Ces informations soulignent l'insécurité qui existe en ce qui concerne la nationalité des citoyens dominicains d'origine haïtienne. Il paraît donc nécessaire d'adopter une législation claire en matière de nationalité, qui garantirait la sécurité juridique des personnes d'origine haïtienne nées en République dominicaine et de leurs enfants, obligerait les autorités à enregistrer les naissances sans discrimination et permettrait aux Haïtiens d'obtenir la nationalité dominicaine par naturalisation dans les mêmes conditions que les autres étrangers.

15. Le Comité est informé que les Noirs de la République dominicaine sont souvent victimes de la même discrimination arbitraire de la part de la police et de ladministration que les travailleurs saisonniers haïtiens. Des groupes représentant les Noirs de la République dominicaine affirment également que lEtat viole leurs droits culturels en autorisant la police et les collectivités locales à réprimer les pratiques culturelles afro-américaines ou dorigine africaine. Ces groupes affirment en outre que la discrimination dans ce domaine est encouragée dans les écoles publiques et par les employeurs des secteurs public et privé.

16. Le Comité note également avec préoccupation que, selon les informations émanant de diverses sources, il nexiste ni mécanisme permettant de déposer plainte contre les magistrats dont le comportement serait arbitraire ou qui seraient corrompus, ni procédure de recours contre lapplication discriminatoire dune loi, dun décret de lexécutif ou dune décision dun tribunal.

17. Le Comité note avec une profonde préoccupation que les dépenses publiques consacrées à léducation et à la formation par rapport au budget total représentent moins de la moitié de la moyenne des sommes consacrées dans ce domaine en Amérique latine.

18. Le Comité note avec inquiétude que l'on assiste depuis de nombreuses années à une émigration massive de Dominicains qui a eu et continuera d'avoir un effet négatif sur l'économie dominicaine, car une grande partie des émigrants sont des ouvriers qualifiés. L'Etat partie devra prendre des mesures dans le domaine de l'éducation et dans le domaine socio-économique pour endiguer le flot des départs douvriers qualifiés.

19. Le Comité note avec inquiétude que 30 ans après la création du premier parc industriel dans une zone de libre-échange en République dominicaine, les conditions de travail sont toujours inacceptables et les travailleurs sont toujours victimes de violation des droits énoncés aux articles 6, 7 et 8 du Pacte.

20. Le Comité relève avec préoccupation le caractère inhumain et archaïque dun système pénitentiaire qui permet dincarcérer sans jugement, à titre de garantie, les membres de la famille dun prévenu en fuite, qui prendront sa place jusqu'à ce qu'il se livre aux autorités pénitentiaires, et dans le cadre duquel les détenus sont censés acheter leurs repas pendant le week-end, ladministration pénitentiaire cessant de leur en fournir à ce moment-là de la semaine.

21. Le Comité note avec préoccupation laugmentation persistante du "tourisme sexuel" dans les zones de villégiature, ainsi que le nombre croissant de cas de SIDA, qui constitue lun des problèmes de santé les plus graves du pays.

22. Le Comité est particulièrement préoccupé par le fait que lexercice par les femmes de leurs droits économiques, sociaux et culturels est entravé, notamment, par les facteurs suivants : persistance dune société traditionnellement dominée par les hommes; absence de mesures permettant aux femmes célibataires chefs de famille de bénéficier des avantages de la réforme agraire ou du programme de construction de logements sociaux; absence de tout mécanisme administratif permettant aux femmes de déposer plainte en cas de discrimination de la part de lInstitut agraire de la République dominicaine; absence de mesures de la part du gouvernement pour protéger les travailleuses contre la discrimination ou les licenciements arbitraires liés à la grossesse, y compris de mesures empêchant les employeurs de demander des tests de grossesse; absence de mesures visant à développer et à promouvoir les services de planification de la famille. Le Comité constate également avec inquiétude quen République dominicaine, malgré le taux élevé de naissances en milieu hospitalier, le taux de mortalité maternelle est excessivement élevé; les mariages de facto ne sont pas légalement reconnus, bien que 60 % du total des mariages soient de ce type et, en conséquence, en cas de séparation ou dabandon, ou lors du décès de lhomme chef de famille, la femme perd souvent tous ses acquis et il lui est difficile dobtenir une cedula ou les garanties indispensables à lobtention de crédits à lagriculture, dun logement ou dun emploi.

23. Le Comité souhaite exprimer sa vive préoccupation face au problème persistant de la violence à légard des femmes et au peu dattention que les institutions gouvernementales lui accordent.

24. Le Comité se déclare préoccupé par le problème que posent laccès difficile à lapprovisionnement en eau potable pour èles populations rurales et les populations des zones urbaines défavorisées, lincidence plus élevée de la mortalité infantile parmi certains groupes socio-économiques, la situation déplorable des personnes handicapées, le nombre de cas de maladies endémiques, linsuffisance des services daide et de sécurité sociales, la pénurie persistante de logements et linsuffisance de laccès aux soins de santé.

25. Le Comité appelle également l'attention sur les divers sujets de préoccupation dont il a fait part à l'Etat partie depuis sa cinquième session (1990) en ce qui concerne les violations constantes du droit à un logement convenable, et regrette d'avoir reçu de lEtat partie une réponse qui laisse beaucoup à désirer et nest nullement convaincante. Il rappelle à l'Etat partie l'importance qu'il attache au droit à un logement convenable et, par conséquent, à l'adoption, par l'Etat partie, de mesures propres à assurer la reconnaissance, le respect, la protection et lexercice de ce droit.


E. Suggestions et recommandations

26. Le Comité invite l'Etat partie à confirmer publiquement sa volonté de sacquitter des obligations qui lui incombent en vertu des instruments relatifs aux droits de l'homme. Il demande instamment au gouvernement de lEtat partie de respecter ses obligations découlant du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, en particulier en maintenant avec lui un dialogue direct et constructif. Le Comité propose d'adopter définitivement ses observations finales concernant l'Etat partie à sa seizième session. Pour cette raison, il décide que les présentes observations finales seront considérées comme "préliminaires" dans lattente de la poursuite de lexamen du rapport à sa seizième session, dans le cadre dun dialogue avec des représentants de lEtat partie.

27. Vu la persistance de l'Etat partie à ne pas remplir les obligations en matière de présentation de rapports que lui impose le Pacte et à ne pas donner suite aux nombreuses demandes dinformations que le Comité lui adresse depuis plusieurs années, le Comité le prie instamment daccorder toute lattention voulue à la réponse à donner aux questions soulevées dans les présentes observations finales.

28. Le Comité recommande en outre à lEtat partie de lui fournir des réponses écrites aux observations finales quil a adoptées à sa onzième session (E/C.12/1994/15), notamment en ce qui concerne sa demande tendant à ce que lEtat partie invite des représentants du Comité à se rendre en République dominicaine, à la liste écrite de questions établie à loccasion de lexamen du deuxième rapport périodique (E/C.12/1995/LQ.7), ainsi que comme suite aux renseignements figurant dans le document intitulé "The Dominican Republic: An independent report submitted to the UN Committee on Economic, Social and Cultural Rights by the International Womens Rights Action Watch".

29. Le Comité demande à lEtat partie de soumettre les renseignements demandés au paragraphe précédent avant le 15 février 1997, afin quil puisse les examiner à sa seizième session, qui doit avoir lieu du 28 avril au 16 mai 1997.

30. Le Comité recommande vivement que les renseignements précis demandés ci-dessus lui soient présentés à sa seizième session par une délégation dexperts.

31. Le Comité invite l'Etat partie à diffuser largement les observations finales adoptées par le Comité à la suite de l'examen du deuxième rapport périodique de l'Etat partie.



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