A.
Obligation de donner effet au Pacte
dans lordre juridique interne
1. Dans
son Observation générale No 3 (1990)
sur la nature des obligations des États
parties (art. 2, par. 1, du Pacte),
[1] le Comité a traité de
questions relatives à la nature et à
la portée des obligations des États
parties. La présente observation générale
vise à préciser certains éléments abordés
dans cette observation-là. La principale
obligation qui incombe aux États parties
au regard du Pacte est de donner effet
aux droits qui y sont reconnus. En
exigeant des gouvernements quils
sen acquittent « par tous
les moyens appropriés », le Pacte adopte
une démarche ouverte et souple qui permet
de tenir compte des particularités des
systèmes juridiques et administratifs
de chaque État, ainsi que dautres
considérations importantes.
2.
Mais cette souplesse va de pair avec
lobligation qua chaque État
partie demployer tous les moyens
dont il dispose pour donner effet aux
droits consacrés dans le Pacte. Dans
cette optique, il faut tenir compte
des règles fondamentales du droit international
relatif aux droits de lhomme.
En conséquence, les normes du Pacte
doivent être dûment reconnues dans le
cadre de lordre juridique national,
toute personne ou groupe lésé doit disposer
de moyens de réparation ou de recours
appropriés, et les moyens nécessaires
pour faire en sorte que les pouvoirs
publics rendent compte de leurs actes
doivent être mis en place.
3. Les
questions relatives à lapplication
du Pacte au niveau national doivent
être envisagées à la lumière de deux
principes du droit international. Selon
le premier, tel quil est énoncé
à larticle 27 de la Convention
de Vienne sur le droit des traités, [2] « Une partie ne
peut invoquer les dispositions de son
droit interne comme justifiant la non-exécution
dun traité ». En dautres
termes, les États doivent modifier,
le cas échéant, lordre juridique
afin de donner effet à leurs obligations
conventionnelles. Le second principe
est énoncé à larticle 8 de la
Déclaration universelle des droits
de lhomme: « Toute personne
a droit à un recours effectif devant
les juridictions nationales compétentes
contre les actes violant les droits
fondamentaux qui lui sont reconnus
par la constitution ou par la loi ».
Le Pacte international relatif aux
droits économiques, sociaux et culturels
ne contient aucune disposition correspondant
directement lalinéa b du
paragraphe 3 de larticle 2 du
Pacte international relatif aux droits
civils et politiques, qui oblige, notamment,
les États parties à « développer
les possibilités de recours juridictionnel
». Néanmoins, un État partie qui cherche
à se justifier du fait quil noffre
aucun recours interne contre les violations
des droits économiques, sociaux et culturels
doit montrer soit que de tels recours
ne constituent pas des « moyens
appropriés », au sens du paragraphe
1 de larticle 2 du Pacte international
relatif aux droits économiques, sociaux
et culturels, ou quils sont, compte
tenu des autres moyens utilisés, superflus.
Cela nest pas facile à montrer,
et le Comité estime que, dans biens
des cas, les autres moyens utilisés
risquent dêtre inopérants sils
ne sont pas renforcés ou complétés par
des recours juridictionnels.
B. Place
du Pacte dans lordre juridique
interne
4. Dune
manière générale, les normes internationales
contraignantes relatives aux droits
de lhomme devraient sappliquer
directement et immédiatement dans le
cadre du système juridique interne de
chaque État partie, et permettre ainsi
aux personnes de demander aux tribunaux
nationaux dassurer le respect
de leurs droits. La règle relative à
lépuisement des recours internes
renforce la primauté des recours internes
à cet égard. Lexistence de procédures
internationales pour lexamen de
plaintes individuelles et le développement
de telles procédures sont certes importants,
mais ces procédures ne viennent, en
définitive, quen complément de
recours internes effectifs.
5. Le
Pacte ne définit pas concrètement les
modalités de sa propre application
dans lordre juridique national.
De plus, il ne contient aucune disposition
obligeant les États parties à lincorporer
intégralement au droit national ou
à lui accorder un statut particulier
dans le cadre de ce droit. Bien que
les modalités concrètes pour donner
effet, dans lordre juridique national,
aux droits qui sont reconnus dans le
Pacte soient laissées à la discrétion
de chaque État partie, les moyens utilisés
doivent être appropriés, cest-à-dire
quils doivent produire des résultats
attestant que lÉtat partie sest
acquitté intégralement de ses obligations.
Les moyens choisis sont en outre soumis
à contrôle dans le cadre de lexamen,
par le Comité, de la manière dont lÉtat
partie sacquitte de ses obligations
au titre du Pacte.
6. Une
analyse de la pratique des États en
ce qui concerne le Pacte montre quils
recourent à divers moyens. Certains
nont pris aucune mesure particulière.
Parmi ceux qui ont pris des mesures,
certains ont fait des dispositions du
Pacte des dispositions du droit national,
en complétant ou en modifiant la législation
en vigueur, sans pour autant reprendre
les termes mêmes du Pacte. Dautres
lont adopté ou incorporé au droit
national en gardant telles quelles ses
dispositions, et en leur donnant officiellement
effet dans lordre juridique national.
Pour ce faire, ils ont généralement
eu recours à des dispositions constitutionnelles
accordant aux dispositions des instruments
internationaux relatifs aux droits de
lhomme la priorité sur toute législation
nationale incompatible avec ces dispositions.
La façon dont les États abordent le
Pacte dépend, dans une large mesure,
de la manière dont les instruments internationaux
en général sont envisagés dans lordre
juridique interne.
7. Quelle
que soit la démarche choisie, plusieurs
principes découlent de lobligation
de donner effet au Pacte et doivent,
de ce fait, être respectés. Premièrement,
lÉtat partie doit choisir le moyen
dapplication propre à lui permettre
de sacquitter de ses obligations
en vertu du Pacte. La nécessité dassurer
linvocabilité des droits reconnus
dans le Pacte (voir par. 10 ci-après)
doit être prise en considération afin
de déterminer le meilleur moyen de donner
effet à ces droits au niveau interne.
Deuxièmement, il faut tenir compte des
moyens qui se sont avérés les plus efficaces
pour la protection dautres droits
fondamentaux dans le pays concerné.
Dans les pays où les moyens employés
pour donner effet au Pacte diffèrent
considérablement de ceux servant à
appliquer dautres instruments
relatifs aux droits de lhomme,
lutilisation de tels moyens doit
répondre à une nécessité impérieuse,
compte tenu du fait que le libellé des
dispositions du Pacte est, dans une
large mesure, comparable à celui des
dispositions des instruments relatifs
aux droits civils et politiques.
8. Troisièmement,
même si le Pacte noblige pas formellement
les États à incorporer ses dispositions
dans la législation interne, une telle
démarche est souhaitable. Une incorporation
directe des dispositions du Pacte permet,
en effet, déviter les problèmes
que peut poser la transformation des
obligations conventionnelles en dispositions
de droit interne, et donne la possibilité
aux personnes dinvoquer directement
les droits reconnus dans le Pacte devant
les tribunaux nationaux. Pour ces raisons,
le Comité encourage vivement ladoption
officielle ou lincorporation du
Pacte dans le droit national.
C. Rôle
des recours
Recours
juridictionnels ou recours judiciaires?
9. Le
droit à un recours effectif ne doit
pas être systématiquement interprété
comme un droit à un recours judiciaire.
Les recours administratifs sont, dans
bien des cas, suffisants, et les personnes
qui relèvent de la juridiction dun
État partie sattendent légitimement
à ce que toutes les autorités administratives
tiennent compte des dispositions du
Pacte dans leurs décisions, conformément
au principe de bonne foi. Tout recours
administratif doit être accessible,
abordable, rapide et suivi deffets.
De même, il est souvent utile de pouvoir
se prévaloir dun recours judiciaire
de dernier ressort contre des procédures
administratives de ce type. Dailleurs,
pour certaines obligations, telles que
celles qui ont trait à la non-discrimination
[3] (ainsi que bien dautres),
il est nécessaire doffrir un
recours judiciaire, sous une forme ou
une autre, si lon veut sacquitter
des dispositions du Pacte. En dautres
termes, chaque fois quun droit
énoncé dans le Pacte ne peut être exercé
pleinement sans une intervention des
autorités judiciaires, un recours judiciaire
doit être assuré.
Invocabilité
10.
Dans le cas des droits civils et politiques,
on tient généralement pour acquis quil
est essentiel de pouvoir disposer de
recours judiciaires contre déventuelles
violations. Malheureusement, le contraire
est souvent affirmé en ce qui concerne
les droits économiques, sociaux et
culturels. Cette différence de traitement
nest justifiée ni par la nature
de ces droits ni par les dispositions
pertinentes du Pacte. Le Comité a déjà
précisé quil considérait que de
nombreuses dispositions du Pacte se
prêtent à une application immédiate.
À cet égard, il a cité, à titre dexemple,
dans son observation générale n 3 (1990),
les articles suivants du Pacte: 3, 7
(al. a, i), 8, 10 (par. 3), 13
(par. 2, al. a, et par. 3 et
4) et 15 (par. 3). Il est important,
à ce propos, de distinguer entre linvocabilité
(terme utilisé dans le cas des questions
sur lesquelles les tribunaux doivent
se prononcer) et lapplication
directe (dans le cas des normes que
les tribunaux peuvent mettre en oeuvre
telles quelles). La démarche générale
de chaque système de droit doit certes
être prise en compte, mais il nexiste
dans le Pacte aucun droit qui ne puisse
être considéré, dans la grande majorité
des systèmes, comme comportant au moins
quelques aspects importants qui sont
invocables. Il est parfois affirmé que
les questions dallocation de ressources
sont du ressort des autorités politiques
et non des tribunaux. Il faut, bien
sûr, respecter les compétences respectives
des différentes branches de lÉtat,
mais il y a lieu de reconnaître que,
généralement, les tribunaux soccupent
déjà dun vaste éventail de questions
qui ont dimportantes incidences
financières. Ladoption dune
classification rigide des droits économiques,
sociaux et culturels qui les placerait,
par définition, en dehors de la juridiction
des tribunaux serait, par conséquent,
arbitraire et incompatible avec le principe
de lindivisibilité et de linterdépendance
des deux types de droits de lhomme.
Elle aurait en outre pour effet de réduire
considérablement la capacité des tribunaux
de protéger les droits des groupes les
plus vulnérables et les plus défavorisés
de la société.
Application directe
11. Le
Pacte nexclut pas la possibilité
de considérer les droits qui y sont
énoncés comme directement applicables
dans les systèmes qui le permettent.
En effet, au moment de son élaboration,
les tentatives visant à y inclure une
clause tendant à rendre ces droits « non
applicables dune manière directe
» ont été fermement rejetées. Dans la
plupart des États, cest aux tribunaux,
et non au pouvoir exécutif ou législatif
quil appartient de déterminer
si une disposition conventionnelle
est directement applicable. Afin quils
puissent sacquitter efficacement
de cette fonction, les tribunaux et
autres juridictions compétents doivent
être informés de la nature et de la
portée du Pacte et du rôle important
des recours judiciaires dans son application.
Ainsi, lorsque des gouvernements sont
impliqués dans une procédure judiciaire,
ils doivent sefforcer de promouvoir
les interprétations de la législation
interne qui favorisent le respect des
obligations qui leur incombent au titre
du Pacte. De la même manière, il devrait
être pleinement tenu compte du principe
dinvocabilité du Pacte dans la
formation des magistrats. Il est particulièrement
important déviter toute présomption
de non-application directe des normes
du Pacte. En fait, bon nombre de ces
normes sont libellées en des termes
qui sont au moins aussi clairs et précis
que ceux des autres instruments relatifs
aux droits de lhomme, dont les
tribunaux considèrent généralement
les dispositions comme directement
applicables.
D. Place
accordée au Pacte par les tribunaux
nationaux
12. Dans
les directives révisées du Comité concernant
la forme et le contenu des rapports
que les États parties doivent présenter,
il est demandé à ces derniers dindiquer
si les dispositions du Pacte peuvent
« être invoquées devant les tribunaux,
dautres instances ou les autorités
administratives » et « être directement
appliquées par eux ».
[4] Certains États fournissent
déjà de tels renseignements, mais il
faudra accorder une importance accrue
à cet aspect dans les futurs rapports.
En particulier, le Comité attend des
États parties quils fournissent
des précisions sur toute décision importante
de leurs juridictions nationales sappuyant
sur les dispositions du Pacte.
13. Il
ressort des informations disponibles
que la pratique des États nest
pas uniforme. Le Comité note que certains
tribunaux appliquent les dispositions
du Pacte, soit directement soit en
tant que normes dinterprétation.
Dautres tribunaux sont disposés
à reconnaître, sur le plan des principes,
lutilité du Pacte pour interpréter
le droit national, mais, dans la pratique,
leffet de ses dispositions sur
leur argumentation et lissue de
leurs délibérations est extrêmement
limité. Dautres encore ont refusé
de faire le moindre cas des dispositions
du Pacte lorsque des personnes ont essayé
de sen prévaloir. Dans la plupart
des pays, les tribunaux sont encore
loin de sappuyer suffisamment
sur le Pacte.
14. Dans
les limites de lexercice de leurs
fonctions de contrôle judiciaire, les
tribunaux doivent tenir compte des droits
énoncés dans le Pacte lorsque cela est
nécessaire pour veiller à ce que le
comportement de lÉtat soit conforme
aux obligations qui lui incombent en
vertu du Pacte. Le déni de cette responsabilité
est incompatible avec le principe de
la primauté du droit, qui doit toujours
être perçu comme englobant le respect
des obligations internationales relatives
aux droits de lhomme.
15. Il
est généralement reconnu que le droit
interne doit être interprété, autant
que faire se peut, dune manière
conforme aux obligations juridiques
internationales de lÉtat. Ainsi,
lorsquun organe de décision interne
doit choisir entre une interprétation
du droit interne qui mettrait lÉtat
en conflit avec les dispositions du
Pacte et une autre qui lui permettrait
de se conformer à ces dispositions,
le droit international requiert que
la deuxième soit choisie. Les garanties
en matière dégalité et de non-discrimination
doivent être interprétées, dans toute
la mesure possible, de manière à faciliter
la pleine protection des droits économiques,
sociaux et culturels.
NOTES
[1] . E/1991/23, annexe III.
[2] . Nations Unies, Recueil des Traités,
vol. 1155, p. 331.
[3] . En application du paragraphe 2 de
larticle 2 du Pacte, les États
« sengagent à garantir
» que les droits qui sont énoncés
dans le Pacte seront exercés « sans
discrimination aucune».
[4] . Voir E/1991/23, annexe IV, sect.
A, par. 1, al. d, iv.
|