MODULE 6
LES DROITS ESC DES PEUPLES AUTOCHTONES

Objet du module 6

Ce module a pour objet d'examiner la législation internationale sur les droits des peuples autochtones et d'explorer les recours internationaux et nationaux disponibles pour faire valoir ces droits.

Le module

  • résume le cadre historique et la situation actuelle en matière de droits des peuples autochtones;
  • identifie les principales normes internationales et les domaines auxquels elles se rapportent;
  • résume les protections qu'apportent les législations nationales en Amérique latine; et
  • traite des mécanismes internationaux, régionaux et nationaux pour protéger les droits des peuples autochtones.

Un avenir sombre pour les peuples autochtones et indigènes

Dans presque toutes les sociétés où ils vivent, les peuples autochtones et indigènes sont plus pauvres que la plupart des autres communautés. Ainsi, en Australie, le revenu moyen des aborigènes est inférieur d'environ la moitié à celui du reste de la population. Dans les pays en développement, les régions les plus pauvres sont aussi celles qui comptent le plus d'indigènes. Au Mexique, par exemple, dans les municipios où vivent moins de 10% d'Amérindiens, seuls 18% de la population vivent en deçà du seuil de pauvreté. A conerario, là où 70% de la population sont indigènes, le taux de pauvreté atteint 80%.

Les peuples autochtones et indigènes sont également moins bien lotis du point de vue des critères non monétaires de la pauvreté. Ainsi, au Canada, la mortalité infantile des enfants indigènes est deux fois plus élevée que celle de l'ensemble de la population. Au Pérou, la population indienne est beaucoup plus sujette aux maladies que la population hispanophone-et son taux d'hospitalisation est deux fois supérieur.

On rencontre des disparités du même ordre dans le domaine de l'éducation. En Bolivie et au Mexique, les enfants des communautés amérindiennes vont en moyenne trois ans de moins à l'école que les enfants non indigènes. Enfin, au Guatemala, la majorité des indigènes ne possède aucun bagage scolaire. Dans cette communauté, le taux d'alphabétisation atteint seulement 40%.

En outre, même lorsqu'ils ont reçu la même instruction que la majorité de la population, les indigènes font encore l'objet de discriminations sur le marché de l'emploi. Ainsi, aux Etats-Unis, on estime qu'environ 25% de l'écart de revenu au détriment des Amérindiens résultent d'une telle discrimination. En Bolivie, la population est de 28% et, au Guatemala, elle est proche de 50%.

Les peuples autochtones et indigènes ont vu leurs valeurs et leurs coutumes détruites par les populations qui ont occupé leurs territoires. Aujourd'hui, il n'est pas rare que leurs membres se réfugient dans l'alcool ou le suicide. Dans les pays en développement, ils se mêlent en général peu ou prou à la majorité de la population; mais dans les pays industrialisés, un grand nombre d'entre eux se retrouvent parqués dans des réserves, face à un avenir lugubre.1

Contexte historique

Les droits des peuples autochtones ont été spécifiquement reconnus et définis internationalement, du fait de la particularité de leurs conditions culturelles, linguistiques, économiques et religieuses et de leur organisation socio-politique. Cette reconnaissance est également fondée sur les conditions de vie singulièrement précaires des peuples autochtones et sur les graves menaces qui pèsent sur eux. Cela les distingue du reste de la population dans les sociétés où ils vivent et justifie la nécessité de leur accorder une protection légale particulière dans le droit international comme dans la législation nationale des États nations. Cette situation a été reconnue par des instruments juridiques internationaux qui prévoient que les droits des peuples autochtones s'appliquent à ceux dont les conditions sociales, culturelles et économiques les distinguent des autres groupes de la communauté nationale, dont le statut est réglementé entièrement ou partiellement par leurs propres coutumes ou traditions, et qui sont considérés comme autochtones du fait de leur lien généalogique avec les populations qui habitaient le pays avant l'époque de la conquête, celle de la colonisation ou celle de l'établissement des frontières nationales actuelles.2

Les droits des peuples autochtones sont considérés à la fois comme des droits " collectifs ", c'est-à-dire auxquels ils peuvent prétendre en tant que peuples et sujets collectifs, et des droits " originaux ", c'est-à-dire revendiqués comme des droits " historiquement " antérieurs à la naissance des États nations. À ce propos, il a été noté que la reconnaissance des droits des peuples autochtones implique un profond changement dans la perspective politique et culturelle selon laquelle les États nations sont organisés.3 Cette reconnaissance est basée sur ce que certains auteurs ont appelé un " ordre de diversité légal ",4 dans lequel les États nations reconnaissent leur caractère pluriethnique et pluriculturel.

Dans la déclaration de la Encuentro Continental de Autoridades y Líderes Indígenas (Rencontre continentale entre les leaders et les autorités autochtones) qui s'est tenue à Quito en août 1996, les organisations autochtones ont réclamé le droit pour les communautés autochtones d'exister en tant que peuples. Ils ont entrepris plusieurs initiatives nationales et internationales pour la reconnaissance des droits collectifs qui renforcent leur valeur intrinsèque en tant que peuples et le caractère multinational, pluriethnique et pluriculturel des États nations.5 Selon les organisations autochtones présentes à cette rencontre, les droits des peuples autochtones doivent être perçus dans le contexte des processus de construction des États nations, processus qui sont généralement constitués unilatéralement et cherchent à homogénéiser et qui nient les droits de certaines catégories de la population. En bref, les droits autochtones sont des droits spécifiques qui ont une dimension collective et sont revendiqués comme étant des droits historiques et originaux dont la reconnaissance et l'exercice sont nécessaires pour garantir la vie et l'existence des peuples autochtones.

Les barrages Narmada et les populations tribales

" Pendant les cinquante ans qui suivirent l'Indépendance, après le célèbre discours de Nehru "Les barrages sont les temples de l'Inde moderne" (discours qu'il regretta plus tard), ses fantassins se jetèrent dans la construction de barrages avec une ferveur peu naturelle. La construction de barrages fut progressivement assimilée à la construction de la nation. Leur enthousiasme à lui seul aurait dû suffire à éveiller les soupçons. Non seulement ils construisirent de nouveaux barrages et de nouveaux systèmes d'irrigation, mais ils prirent le contrôle des petits systèmes traditionnels entretenus par les communautés villageoises depuis des milliers d'années, et les laissèrent s'atrophier. Pour compenser cette perte, le gouvernement fit construire de plus en plus de barrages. Des grands, des petits, des hauts, des bas…

[Les grands barrages sont] un moyen éhonté de soustraire l'eau, la terre et l'irrigation aux pauvres pour les offrir aux riches. Leurs réservoirs chassent d'immenses populations, les laissant sans domicile et totalement démunies…

Un pourcentage très élevé de ces populations déplacées [en Inde] sont de type tribal (57,6 pour cent dans le cas du barrage de Sardar Sarovar). Ajoutez-y les Dalits et le pourcentage devient grotesque. Selon le Commissioner for Scheduled Castes and Tribes (Commissariat des castes et tribus), ce pourcentage s'élèverait à environ 60 pour cent. En considérant le fait que les tribus correspondent à huit pour cent seulement, et les Dalits à quinze pour cent, de la population totale de l'Inde, cette histoire prend alors une dimension tout autre. Cette " étrangeté " ethnique de leurs victimes ôte aux constructeurs de la nation un peu de la pression qui pèse sur eux. On peut comparer cela au principe des notes de frais. Ce sont les autres qui payent. Des gens d'un autre pays. D'un autre monde. En Inde, les plus pauvres assurent le train de vie des plus riches… "6

Situation actuelle

Pour mieux comprendre le contexte actuel dans lequel les droits des peuples autochtones sont en passe d'être reconnus, il faut analyser la relation entre les peuples autochtones et les États nations dans lesquels ils vivent. Dans la plupart des pays comportant des populations autochtones, les relations ont été marquées soit par la confrontation-une confrontation entre les organisations autochtones qui plaident pour le respect de la diversité culturelle et les droits territoriaux, et les gouvernements et leurs objectifs. Les gouvernements cherchent à intégrer les populations autochtones aux systèmes de la culture unitaire dominante, et les modèles sociaux, politiques et économiques de la nation sont imposés sur les territoires traditionnels des peuples autochtones par des projets gouvernementaux. On remarque:

Dans les prochaines décennies, les États nations et les peuples et communautés autochtones verront les tensions qui caractérisent leurs relations s'intensifier. Ce processus rend nécessaire le développement de formes politiques et culturelles permettant à la société de se réorganiser pour laisser la place à la diversité et au pluralisme.7

Selon les organisations autochtones, les relations entre les États et les peuples autochtones se résument en cinq points liés aux droits de ces derniers:

1. Territoires: La question ici est celle des revendications de contrôle et de récupération du territoire sur lequel la vie des peuples autochtones, reproduction et développement inclus, se déroule. (Voir le module 18 pour plus de détails sur les droits fonciers).

2. Organisation sociale et politique: Cela renvoie au droit des peuples autochtones d'avoir leur propre forme d'organisation sociale et politique, de décider eux-mêmes des questions qui les concernent et de participer pleinement à tous les échelons de prise de décision des structures des États dont ils font partie. Cela renvoie également à une dynamique d'organisation visant à créer un réseau de solidarité entre les peuples autochtones afin d'appuyer leurs revendications et permettre leur participation.

3. Développement économique: Les peuples autochtones ont le droit de contrôler leur propre économie, de subvenir aux besoins de leurs propres systèmes de production. Cela comprend le droit de participer aux avantages des plans de développement économique promus par les États.

4. Développement d'une plate-forme: Ce type de plate-forme permettrait aux peuples autochtones d'appuyer leurs demandes, qu'il s'agisse de revendications agraires et territoriales, de doléances d'ordre culturel et technique, de développement économique, de droit coutumier ou de participation politique.

5. Valoriser leur identité: Cela est lié à la reconnaissance de la diversité ethnique et culturelle au sein des États comprenant des populations autochtones.

Normes internationales reconnaissant les droits des peuples autochtones

À partir de la seconde moitié du vingtième siècle, des progrès ont été faits en matière de reconnaissance et de protection des droits spécifiques des peuples autochtones dans différentes agences internationales ainsi que dans la législation nationale de la plupart des pays. En 1957, l'Organisation internationale du Travail a adopté la Convention 107 relative aux populations aborigènes et tribales. Il s'agissait là d'un premier effort pour définir un ensemble de normes visant à protéger les peuples autochtones. Dans cette convention, l'accent a été mis sur l'intégration plutôt que sur la reconnaissance des caractéristiques distinctives et des droits des peuples autochtones. Plus tard, en raison de ses imperfections et insuffisances dans le contexte du moment, elle fut révisée par l'OIT.

Développement économique et identité

Il y a de cela bien longtemps, les Orang Suku Laut d'Indonésie quittèrent la terre ferme pour vivre sur les mers. Souvent appelés " nomades des mers ", ils ont vécu pendant des siècles sur les eaux de l'archipel de Riau-Lingga en Indonésie. Ils sont reconnaissables à la présence de bateaux de bois avec un toit de feuillage; ces bateaux servent à la fois de moyen de transport et d'abri. La vie des Orang Suku Laut a commencé à changer au cours de la deuxième décennie du dix-neuvième siècle. Leur vie de nomade des mers devint progressivement semi-nomade: en fonction du climat et des vents de mousson, ils se mirent de temps à autre à emménager dans des habitations temporaires sur la terre ferme. Plus tard, quelques groupes commencèrent à vivre dans des habitations permanentes, érigeant des groupes de huttes sur les rivages, près de l'embouchure des rivières et le long des berges.

Depuis 1989, les régions administratives dont l'archipel fait partie sont devenues le centre d'un projet de développement gouvernemental maintenant intitulé Indonesia-Malaysia-Singapore Triangle (IMSGT). En 1992, le gouvernement a lancé un autre projet de développement qui comprend la construction de six ponts reliant entre elles différentes îles de l'archipel. Des zones industrielles et des stations balnéaires sont en construction le long des rivages. Du fait de ces projets de développement, l'habitat naturel des Orang Suku Laut-tant sur la mer que sur la terre ferme-subit une évolution rapide. Tout ce développement perturbe considérablement l'organisation et les moyens d'existence des Orang Suku Laut. Leur mode de vie traditionnel est sérieusement menacé, tout comme leur capacité à se nourrir. Le gouvernement indonésien considère les Orang Suku Laut comme une " communauté isolée ". De ce fait, ils n'ont pas de statut légal et ne reçoivent donc pas la protection et le recours auxquels les autres communautés pourraient prétendre selon la loi indonésienne.

Une ONG indonésienne, la Saka Kemuning Foundation, travaille avec les Orang Suku Laut pour tenter de répondre à leurs besoins essentiels et tenter de les sensibiliser à leurs droits à la culture de ressources naturelles et à accéder à des opportunités sociales, économiques et d'éducation, ainsi qu'à exprimer leur propre identité socioculturelle.

Cet effort mena à l'adoption en 1989 de la Convention 169 relative aux peuples indigènes et tribaux. Cette convention confère une reconnaissance internationale aux droits spécifiques des peuples autochtones et a déjà été ratifiée par de nombreux États nations, ce qui la rend applicable au niveau national dans ces pays.

En 1982, un Groupe de travail sur les peuples autochtones fut créé sous l'égide de la Sous-commission des Nations Unies de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités. Ce groupe de travail a préparé un Projet de Déclaration sur les droits des peuples autochtones actuellement à l'étude aux Nations Unies. Il s'agit d'un instrument juridique très complet et efficace pour faire reconnaître les droits des peuples autochtones dans le monde entier. En 1993, au cours de la Conférence mondiale sur les droits de l'homme qui s'est tenue Vienne, ces droits spécifiques ont été reconnus droits collectifs en termes clairs et explicites.

Pour sa part, l'Organisation des États américains (OEA), par l'intermédiaire de la Commission interaméricaine des droits de l'homme, a fait de nombreux communiqués et rapports sur la situation des droits des peuples autochtones dans différents pays. La Commission a préparé une Déclaration interaméricaine sur les droits des peuples autochtones qui contient une reconnaissance étendue des principaux droits des peuples autochtones dans l'ensemble du continent américain. Cette déclaration est en attente d'approbation par l'Assemblée générale de la OEA.

Convention 169 relative aux peuples indigènes et tribaux

La Convention 169 est un instrument progressiste car elle tient compte de façon complète et détaillée des demandes des peuples autochtones de ces dernières décennies. Lors de l'adoption de la Convention 169, l'OIT a observé que

dans de nombreuses parties du monde, ces peuples ne peuvent jouir des droits fondamentaux de l'homme au même degré que le reste de la population des Etats...Prenant acte de l'aspiration des peuples en question à avoir le contrôle de leurs institutions, de leurs modes de vie et de leur développement économique propres . . . Les concepts fondamentaux de la Convention sont le respect et la participation. Le respect de la culture de l'autre, de sa religion, de son organisation sociale et économique, et de son identité.

La Convention 169 est un instrument juridique international qui présente des dispositions obligatoires pour la protection des droits des peuples autochtones, dans un esprit de respect de leurs cultures, de leurs styles de vie et de leurs formes traditionnelles d'organisation. Elle met également en place des mécanismes spécifiques que les États doivent utiliser pour remplir leurs obligations à cet égard. Les questions et les droits traités par la Convention dans le plus grand détail sont:

  • Le droit des peuples autochtones à être considérés comme des " peuples " possédant une identité propre et des droits historiques qui proviennent de cette condition. Les peuples autochtones ont réclamé ce droit, car ils ne se considèrent ni comme des " populations " ni comme des " communautés ", mais comme étant des peuples possédant un style de vie et une forme d'organisation particuliers ainsi qu'une culture, des territoires et une langue qui leur sont propres. Dans la nouvelle convention, le terme de " peuples " reflète cette idée-là. La convention s'applique aux peuples considérés comme autochtones parce qu'ils descendent de populations habitant déjà dans les pays à l'époque de la conquête, à celle de la colonisation ou celle de l'établissement des frontières actuelles des États, et qui conservent leurs propres ins-titutions sociales, économiques, culturelles et politiques. Néanmoins, la convention déclare elle-même: " L'emploi du terme peuples dans la présente convention ne peut en aucune manière être interprété comme ayant des implications de quelque nature que se soit quant aux droits qui peuvent s'attacher à ce terme en vertu du droit international " (art. 1[3]).
  • L'adoption de mesures par les États: La Convention 169 précise à l'article 2 que les gouvernements doivent assumer la responsabilité de développer des actions coordonnées, avec la participation des peuples autochtones, pour protéger les droits de ceux-ci et garantir le respect de leur intégrité. Ces actions comprennent des mesures pour leur garantir les mêmes droits et opportunités que les autres membres de la société, sur une base d'égalité. Ils doivent promouvoir également le plein exercice des droits ESC pour ces peuples et contribuer à gommer les différences socio-économiques. De surcroît, les articles 4 et 5 prévoient l'adoption par les États de mesures spéciales pour protéger les individus, les institutions, la propriété, le travail, la culture et l'environnement des peuples autochtones, et garantir la reconnaissance et la protection de leurs valeurs et coutumes sociales, culturelles, religieuses et spirituelles.
  • La participation et la consultation des peuples autochtones pour toutes les questions concernant leur vie et leur organisation sont parmi les concepts fondamentaux qui structurent tout le document. L'article 6 de cette convention stipule clairement que les peuples autochtones doivent être consultés au moyen de procédures appropriées, et en particulier en passant par leurs propres institutions, lorsque des mesures législatives ou administratives susceptibles de les concerner sont envisagées. Des moyens doivent être mis en œuvre pour leur permettre de participer à tous les échelons de prise de décision des agences responsables des politiques et programmes qui les concernent. De plus, les gouvernements devraient s'assurer de la réalisation d'études, en coopération avec les peuples autochtones, pour évaluer l'impact social, spirituel, culturel et environnemental des activités de développement sur ces peuples.
  • Le droit coutumier: Autre innovation, la Convention 169 reconnaît le droit des peuples autochtones à recourir aux coutumes et au droit coutumier qui sont les leurs pour traiter leurs affaires et régler leurs conflits. Les peuples autochtones ont le droit de préserver leurs propres coutumes et institutions, et des méthodes traditionnelles doivent être utilisées pour traiter les crimes et délits commis par des autochtones dans la mesure où ces méthodes ne sont pas incompatibles avec les droits fondamentaux prévus par le système législatif national. De plus, les autorités et cours de justice sollicitées pour donner leur avis sur des délits ou des crimes devraient tenir compte des coutumes des peuples autochtones en la matière.
  • Le droit à la terre et à un territoire: Autre innovation encore dans la Convention 169, dans le cadre étendu de sa reconnaissance du droit à la vie, est inclus le droit au territoire en tant qu'intégralité de l'espace dans lequel la vie physique, culturelle, sociale, spirituelle, politique et économique des peuples autochtones évolue. La convention prend comme point de départ la relation particulière que les peuples autochtones entretiennent avec la terre qu'ils ont occupée ou utilisée par tradition. L'article 14 impose une obligation aux États signataires dans les termes suivants: " Les droits de propriété et de possession sur les terres qu'ils occupent traditionnellement doivent être reconnus aux peuples intéressés . . . Des procédures adéquates doivent être instituées dans le cadre du système juridique national en vue de trancher les revendications relatives à des terres émanant des peuples intéressés ".
Le rôle des droits individuels dans les cultures indigènes

L'Inde possède une importante diversité de peuples autochtones ou communautés tribales organisées autour de ce que l'on a appelé une jurisprudence tribale. Le concept de la propriété privée est étranger à ce type de tradition, et les ressources de propriété collective sont le fondement de l'interaction communautaire. La communauté a des droits usufruitiers sur les forêts dont elle est dépendante, et même les terres cultivées sont considérées comme une ressource de propriété collective. Dans les régions comme le Himachal Pradesh, la limite entre propriété privée et collective est floue-souvent, lorsqu'elle est cultivée, la terre est contrôlée à titre privé, alors que, lorsqu'elle est en friche, elle est utilisée par la communauté généralement pour l'élevage du bétail et les autres activités communautaires.

La généralisation du système législatif moderne et l'introduction du concept de propriété privée ont déstabilisé les fondements mêmes de ces communautés. Les efforts faits par les États pour traiter ce problème par une législation qui interdise l'aliénation des terres des tribus par des " non-tribus " n'ont eu que peu d'effet. Un conflit est né de la revendication par les femmes de leur droit à hériter de la propriété au sein des systèmes législatifs tribaux, ceux-ci ne reconnaissant que les droits collectifs.

Il y a plusieurs années, une commission d'enquête s'est déplacée dans la région du Jharkhand de l'État de Bihar, une zone à dominante tribale. Au cours de l'enquête, Madhu Kishwar, rédactrice en chef du magazine féminin Manushi et membre de cette commission, a découvert que les femmes de la tribu des Ho souffraient terriblement en raison du déni des droits fonciers. Elle adressa par écrit une requête à la tribu des Ho, invoquant les clauses d'égalité prévues dans la Constitution indienne afin que soit appliquée la Loi indienne de 1925 sur les successions.8 Bien qu'il n'y ait aucune objection en soi à la revendication de l'égalité en matière de droits de propriété pour les femmes Ho, cette requête consistait aussi involontairement à demander la suppression du système des droits de propriété collective pratiqués par la tribu, car la Loi indienne sur les successions ne reconnaît pas les droits de propriété collective. L'idée a été avancée que plutôt que d'imposer à ces communautés une jurisprudence étrangère quoique fondée sur des droits, le choix devrait revenir à certains groupes marginalisés au sein de la communauté d'explorer les possibilités de développer et de faire évoluer ce type de systèmes avec le temps. " La destruction des sociétés tribales signifie la destruction de modes de vie, de philosophies et de traditions qui sont une source culturelle pleine de richesse enseignant des valeurs fondées sur la coopération, la rationalité et le consensus, en opposition avec les valeurs capitalistes de compétition, d'élection et de conflit ".9

En outre, concernant les droits qu'ont les peuples autochtones sur les ressources naturelles situées sur leurs terres, la convention indique qu'une protection spéciale de ces droits doit être assurée, qui inclut l'utilisation, la gestion et la protection des réserves de ces ressources. De plus, si la propriété des ressources en minerai ou ressources du sous-sol revient à l'État, les gouvernements doivent établir des procédures de consultation des peuples autochtones afin de voir si leurs intérêts seraient susceptibles d'être affectés par l'exploitation des ressources. Ils devraient, dans tous les cas, participer aux bénéfices de ce type d'activité. (Voir le module 18.)

  • L'embauche et les conditions de travail: La Convention 169 comprend des dispositions conformément auxquelles les gouvernements sont tenus d'adopter des mesures spéciales pour garantir aux travailleurs autochtones une protection réelle en matière d'embauche et de conditions de travail. De même, pour la formation professionnelle et l'artisanat, elle prévoit que les États prendront des mesures pour promouvoir la participation volontaire des peuples autochtones à des programmes de formation professionnelle fondés sur l'environnement économique, les conditions sociales et culturelles, ainsi que les besoins spécifiques de ces peuples. (Voir le module 10.)
  • La santé et l'éducation: L'article 25 de la Convention 169 prévoit l'obligation pour les gouvernements de garantir l'accès des peuples autochtones à des services de santé adéquats qui soient sous la responsabilité et le contrôle de ces derniers. Chaque fois que cela est possible, les services devront être à base communautaire, administrés en coopération avec les peuples intéressés et tenir compte des conditions culturelles, sociales et géographiques, des méthodes de prévention, pratiques curatives et médecine traditionnelle qui sont les leurs. En matière d'éducation, la convention demande que soient développés des programmes et services éducatifs destinés aux peuples autochtones, et ce en coopération avec ces derniers afin d'être en adéquation avec leurs besoins spécifiques, leur histoire, leur savoir et leur système de valeurs. De plus, les gouvernements devront reconnaître le droit de ces peuples à créer leurs propres institutions et méthodes d'éducation; il est précisé que, dans la mesure du possible, les enfants des peuples autochtones devront apprendre à lire et écrire dans leur propre langue ou dans la langue la plus couramment utilisée par le groupe auquel ils appartiennent. (Voir les modules 14 et 16 sur les droits à la santé et à l'éducation, respectivement.)

Les droits des peuples autochtones dans la législation nationale

En témoignage de la reconnaissance de la diversité et de la nature multiculturelle de l'Amérique latine, des efforts considérables ont été faits pour les droits des peuples autochtones dans les statuts et constitutions de divers pays. La plupart des législations statutaires et constitutionnelles actuellement en vigueur en Amérique latine définissent des principes clairs en matière de droits des peuples autochtones:

• La Constitution du Panama (1972) reconnaît les langues indigènes et l'éducation bilingue (art. 84); le droit des peuples autochtones à des normes culturelles qui leur sont propres (art. 104) et à une participation à la vie économique, sociale et politique du pays (art. 120); et garantit aux communautés autochtones les terres dont elles ont besoin pour s'assurer un bien-être économique et social, ainsi que leur propriété collective (art. 123). Elle reconnaît également les districts électoraux autochtones (art. 141 [5]).

• La Constitution de l'Équateur (1978) reconnaît les langues indigènes comme un élément de la culture nationale (art. 1). Les systèmes éducatifs dans les régions autochtones doivent utiliser les langues indigènes, l'espagnol étant la langue employée pour les relations entre les cultures (art. 27). Des dispositions sont prévues concernant la communauté et la propriété coopérative des terres (art. 51).

• La Constitution du Guatemala (1985) prévoit le droit à l'identité culturelle (art. 59) et une protection particulière pour les groupes ethniques, reconnaissant, respectant et favorisant leur mode de vie, leurs coutumes, leurs traditions, leurs formes d'organisation sociale, leur mode vestimentaire, leurs langues et dialectes (art. 66). Elle prévoit également des dispositions visant à protéger les terres des communautés autochtones, et l'accès à la propriété familiale et aux logements sociaux, au crédit et à l'assistance technique-tous nécessaires pour garantir la possession et le développement des terres (arts. 67 et 68).

• La Constitution du Nicaragua (1987) reconnaît la nature multiethnique du pays (art. 8) et s'attache à conserver le pluralisme politique, social et ethnique (art. 5). De même, l'État reconnaît l'existence des peuples autochtones et précise qu'ils doivent bénéficier des droits, devoirs et garanties prévus par la Constitution. Celle-ci reconnaît spécifiquement les droits des peuples autochtones à exprimer leur identité et leur culture, à avoir leurs propres formes d'organisation sociale et à administrer leurs affaires locales. Elle précise également que l'État du Nicaragua devrait faire adopter une loi accordant un régime autonome aux peuples autochtones et autres communautés ethniques de la région de la Côte Atlantique (art. 89).

• La Constitution du Brésil (1988) contient un chapitre visant à garantir les droits des peuples autochtones. L'organisation sociale, les coutumes, les langues, les croyances et traditions des peuples autochtones sont reconnues, de même que leurs droits originels à la terre qu'ils occupent traditionnellement. Le gouvernement fédéral a la responsabilité de délimiter, protéger et respecter toutes leurs propriétés (art. 231). De plus, les terres habitées de façon permanente par les groupes autochtones, celles qui sont utilisées pour leurs activités productives, celles qui sont essentielles à la préservation des ressources nécessaires à leur bien-être, et celles qui sont nécessaires à leur reproduction physique et culturelle, selon leurs us, coutumes et traditions, sont définies en termes généraux. De même, il est expressément reconnu que les terres des peuples autochtones sont inaliénables, qu'on ne peut en disposer et qu'elles ne peuvent être assujetties au droit de prescription. La Constitution prévoit également que les peuples autochtones, leurs communautés et leurs organisations sont habilités à poursuivre des actions en justice pour défendre leurs droits et intérêts, le ministère public intervenant dans toutes les étapes du processus (art. 232).

• La Constitution de Colombie (1991) commence à reconnaître et à protéger la diversité ethnique et culturelle de la nation colombienne (art. 7) ainsi que les droits politiques des peuples autochtones, créant deux sièges supplémentaires au Sénat sur élection, dans un district électoral national, par les communautés autochtones. De même, la Constitution colombienne, dans le cadre du plan d'organisation territoriale, a créé ce que l'on appelle des entités territoriales autochtones, jouissant d'une autonomie pour gérer leurs propres affaires (arts. 286, 287, 329 et 330), qui doivent être gouvernées par des conseils constitués et réglementés selon les us et coutumes de leurs communautés. En outre, il est prévu que les resguardos autochtones sont propriété collective et inaliénable (art. 329), et que l'exploitation dans les territoires autochtones des ressources naturelles ne devra pas porter atteinte à l'intégrité culturelle, sociale et économique des communautés autochtones (art. 330).

• La Constitution du Paraguay (1992) reconnaît expressément l'existence des peuples autochtones, définis comme des groupes culturels dont l'origine précède la formation de l'État paraguayen (art. 62); le droit des peuples autochtones à préserver et développer leur identité ethnique dans le cadre de leur habitat; le droit d'appliquer sans condition restrictive leur propre système d'organisation politique, sociale, économique, culturelle et religieuse; et le droit de renforcer leur droit coutumier autochtone (art. 63). Par ailleurs, la Constitution paraguayenne reconnaît également aux peuples autochtones le droit à la propriété collective de terres de qualité et d'étendue suffisantes pour préserver et développer leurs propres mode de vie (art. 64); ces terres sont indivisibles et ne peuvent être ni rattachées ni transférées et ceci ne peut être sujet à prescription. De même, elle reconnaît aux peuples autochtones le droit de participer à la vie économique, sociale, politique et culturelle du pays (arts. 66 et 67) et exempte les autochtones de tout service social, civil ou militaire et des taxes publiques fixées par la loi (art. 67).

• La Constitution du Mexique (1992) précise que la nation mexicaine est multiculturelle, originellement fondée par ses peuples autochtones et prévoit que la loi devra protéger et favoriser le développement de leurs langues, cultures, us, coutumes, ressources et formes spécifiques d'organisation sociale, et garantir à leurs membres l'accès effectif au pouvoir judiciaire (art. 4). De plus, la Constitution mexicaine précise que la loi protégera l'intégrité des terres des peuples autochtones et que dans tout procès ou toute procédure de type agraire dont ils sont partie, leurs pratiques et coutumes juridiques seront prises en compte dans les termes définis par la loi (arts. 27 et 4).

• La Constitution du Pérou (1993) prévoit que tout individu a droit à son identité ethnique et culturelle et que l'État reconnaît et protège la pluralité ethnique et culturelle de la nation (art. 2). La Constitution officialise les langues indigènes (art. 48) et garantit le droit à la propriété communale sur les terres des communautés paysannes et autochtones (art. 88), dont elle reconnaît l'existence et la capacité légales (art. 89). Elle autorise les autorités des communautés indigènes à exercer les fonctions judiciaires conformes à leur droit coutumier au sein de leur territoire (art. 149).

• La Constitution de Bolivie (1994) stipule expressément que les droits ESC des peuples autochtones, en particulier en ce qui concerne leurs terres communautaires, doivent être reconnus, respectés et protégés par la loi, qui garantit l'utilisation et l'exploitation durable des ressources naturelles, de même que la protection de l'identité, des valeurs, langues, coutumes et institutions des peuples (art. 171). De plus, elle stipule que l'État bolivien reconnaît le statut légal et les autorités naturelles des communautés autochtones, et par là-même leur droit à assumer les fonctions attachées à l'administration et à la mise en vigueur de leurs propres lois, notamment en tant que moyen alternatif de résolution des conflits, selon leurs us et coutumes (art. 171).

Les Droits des peuples autochtones dans la nouvelle constitution du Venezuela

Une nouvelle Constitution a récemment été approuvée au Venezuela. Le projet de cette constitution a été rédigé par l'Assemblée constitutionnelle nationale de 1999, dont les 131 membres ont été élus par consultation populaire. Sur les 131 membres de l'Assemblée, trois étaient des représentants des peuples et communautés autochtones du Venezuela. Ils ont été élus directement par les organisations autochtones, conformément aux règles de l'élection à l'Assemblée, elles-mêmes approuvées au cours d'un référendum populaire par les Vénézuéliens.

La reconnaissance des droits des peuples autochtones dans la nouvelle Constitution est le résultat de la lutte menée par les membres autochtones de l'Assemblée constitutionnelle, les organisations autochtones du pays tout entier et différentes associations alliées. Cette reconnaissance place maintenant la Constitution vénézuélienne parmi les plus progressistes d'Amérique latine.

En septembre 1999, au cours d'une cérémonie historique, les organisations autochtones du pays tout entier ont présenté au Président de l'Assemblée constitutionnelle un document contenant leurs principales propositions pour la nouvelle Constitution. Ce document est le fruit des débats menés et des contributions apportées lors de multiples réunions, assemblées communautaires, congrès régionaux et du Premier Congrès des peuples autochtones du Venezuela qui s'est tenu à Ciudad Bolívar en mars 1999.

Cette proposition des peuples autochtones reconnaît que les peuples autochtones existaient en tant que groupes de cultures avant la formation de l'État vénézuélien, et considère les droits des peuples autochtones en tant que nations premières.

Le Comité de l'Assemblée sur les droits des peuples autochtones a commencé à travailler sur cette proposition et à l'enrichir avec l'aide de conseillers et de spécialistes partisans de la cause autochtone. L'effort constant des membres autochtones de l'Assemblée constitutionnelle et de leurs conseillers a conduit la Commission constitutionnelle à inclure la plupart des propositions dans le rapport du Comité sur les droits des peuples autochtones. Un chapitre sur les droits des peuples autochtones a été inclus dans le projet de Constitution soumis à débat en session plénière.

Venues de tout le pays, en particulier de Pemón, Warao, Arawako, Wayuú, Kariña, Añú, Ye'kuana, Jivi, Piaroa, Piapoco, Yanomami, Baré et de Curripaco, les organisations autochtones sont restées dans le palais de l'Assemblée pendant toute la durée de la session. Elles se sont distinguées des autres secteurs du pays par leur vigilance constante tout au long du processus et leur présence massive et quotidienne dans les couloirs. Elles se sont réunies tous les jours pour évaluer, planifier, faire du lobbying et manifester dans le calme afin de faire passer leurs revendications. L'attente fut très longue. Elles attendirent jour après jour qu'arrive le moment du débat sur le chapitre de leurs droits. Elles firent passer le temps en faisant de l'artisanat, en dansant et priant, en écoutant les psalmodies des chamans, et en liant des amitiés au milieu de cette lutte.

Le Comité de sécurité et de défense de l'Assemblée, sous la présidence d'un groupe d'officiers de l'armée, s'est opposé à la proposition des peuples autochtones, alléguant qu'elle représentait une menace pour la souveraineté du pays et l'avenir de son intégrité territoriale. Il fonda ses arguments sur une visite de quatre jours passée à la frontière, au cours de laquelle ses membres avaient pu " constater " que les groupes autochtones étaient manipulés par des organisations non-gouvernementales, des corporations transnationales, des missionnaires et des églises. Le comité a insisté sur le fait que l'on ne pouvait accorder de droits constitutionnels aux peuples autochtones sur leurs terres et territoires traditionnels, et que le terme " peuples autochtones " (" pueblos indígenas ") ne devrait pas être utilisé car le " peuple " vénézuélien ne fait qu'un, et qu'aucune différence ne devrait être faite-des droits spéciaux ne devant pas être attribués à certains au détriment des autres.

Le Comité sur les droits des peuples autochtones soutint que les peuples autochtones avaient conservé et protégé leurs territoires durant des centaines d'années, et que dans les zones frontalières c'était en réalité eux qui exerçaient une souveraineté, compte tenu de la négligence de l'État.

Dimanche 31 octobre 1999, le moment vint d'aborder en séance plénière le chapitre des droits des peuples autochtones. Les représentants des autochtones, revêtus de leurs peintures et costumes traditionnels, occupaient toute la section supérieure du Sénat. La session commença. Le premier à prendre la parole fut le général Visconti qui, après avoir affirmé que les propositions des peuples autochtones représentaient une atteinte à la souveraineté du Venezuela, demanda le report du débat et la désignation d'un comité spécial pour débattre de la question. Les membres autochtones de l'Assemblée et leurs alliés répondirent. Il n'y eut aucun consensus. L'Assemblée se scinda entre les militaristes et les partisans des droits autochtones. Il fut donc décidé de soumettre le sujet à débat dans le cadre d'un comité spécial. Un débat national s'ensuivit sur la question des droits autochtones, qui permit de distinguer clairement qui était pour les peuples autochtones de qui, retranché derrière ses positions, refusait de reconnaître leurs droits en tant qu'habitants originels de ce pays.

Le comité spécial commença son débat. Plusieurs membres de l'Assemblée, des spécialistes et des conseillers y participèrent. Après de dures négociations, on parvint enfin à un accord par lequel le Comité de sécurité et de défense acceptait le terme " pueblos indígenas " avec l'inclusion d'un article précisant en termes clairs que les peuples autochtones faisaient partie d'un État et d'un peuple vénézuéliens uniques, souverains et indivisibles, et que l'utilisation du terme " peuples autochtones " ne connote pas l'implication du terme " peuples " dans le droit international. De plus, le mot " territoire " requis par les peuples autochtones fut remplacé par " habitat ".

Finalement, le 3 novembre 1999, l'Assemblée réunie en séance plénière approuva le chapitre sur les droits des peuples autochtones dans son intégralité; la plupart des membres de l'Assemblée firent montre d'une grande solidarité. Une fois le chapitre approuvé, les peuples autochtones présents se donnèrent l'accolade et chantèrent l'hymne national. Il avait fallu cinq cents ans pour que leurs droits en tant que nations premières fussent enfin reconnus.


Mécanismes pour protéger et mettre en application les droits des peuples autochtones

Mécanismes internationaux

Groupe de travail des Nations Unies sur les populations autochtones

Ce Groupe de travail fut créé en 1982 pour promouvoir la protection des droits des peuples autochtones dans le monde entier. Il tient des sessions régulières chaque année, normalement en juillet et août, au siège des Nations Unies à Genève. Au cours de ces sessions, il examine en compagnie d'experts la situation des peuples autochtones du monde entier vis-à-vis des droits humains. Les organisations autochtones ont la possibilité de participer et de soumettre leurs rapports et plaintes, lesquels sont traités par le groupe de travail.

L'une des tâches fondamentales de ce groupe de travail ces dernières années a consisté à préparer le Projet de Déclaration sur les droits des peuples autochtones, actuellement à l'étude dans différents organes des Nations Unies et qui sera soumis en dernier lieu à l'Assemblée générale. Bien qu'en tant que Déclaration elle n'ait aucun caractère obligatoire, elle devrait fournir un cadre général aux législations nationales sur les droits autochtones. Le Conseil mondial des peuples indigènes a déclaré que ce Projet de Déclaration

est en grande partie une déclaration progressiste, compte tenu en particulier du contexte politique plus large dans lequel s'inscrivent certaines de ses dispositions, et plus spécifiquement en matière d'autodétermination et de droits à la terre . . . L'un des aspects les plus importants de ce projet en ce qui concerne les terres et territoires tient à la disposition sur l'ethnocide (art. B), qui reconnaît que les actions qui ont pour " objectif et effet " de déposséder et de priver les peuples autochtones de leurs terres, territoires et ressources équivalent à un génocide culturel, ou ethnocide.10

Autres organes des Nations Unies

D'autres organes des Nations Unies peuvent être sollicités pour défendre les droits des peuples autochtones. Ils comprennent le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale (CEDR), le Comité des droits de l'homme et les mécanismes généraux de l'OIT pour examiner les plaintes en vertu des Conventions 107 et 169. Le CEDR, organe de supervision de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, examine les violations des droits collectifs des peuples autochtones, dans la mesure où celles-ci constituent une discrimination à l'encontre de ces peuples. Dans l'article 9 de la convention, il est demandé aux États de soumettre tous les deux ans des rapports sur leur respect de la convention et sur les étapes législatives, judiciaires et administratives auxquelles ils ont procédé; après examen des rapports, le CEDR peut faire des suggestions et des recommandations d'ordre général. Un des mécanismes de la participation des peuples autochtones est la soumission de leurs propres rapports, en parallèle avec ceux soumis par les États, qui permet au CEDR de comparer les informations présentées par les États avec celles présentées par les peuples autochtones et leurs organisations.

Les communautés autochtones peuvent également déposer une plainte auprès du Comité des droits de l'homme des Nations Unies pour obtenir une protection dans les situations de

Brevets et droits culturels

En novembre 1999, le US Patent and Trademark Office (PTO-Bureau américain des Brevets et Marques) a réexaminé et rejeté une réclamation de brevet datant de 1986 déposée par un citoyen des États-Unis pour l'ayahuasca, une plante à usage rituel chez les autochtones d'Amazonie. La réclamation avait été contestée par les tribus autochtones de plusieurs pays d'Amazonie regroupées au sein de la Coordinadora de Organizaciones Indígenas de la Cuenca Amazónica, associées à la Coalition for the Amazonian Peoples and their Environment et au Center for International Environmental Law. La décision du PTO s'appuyait sur une conclusion scientifique selon laquelle la réclamation de 1986 décrivait des variétés cultivées n'ayant pu être distinguées d'autres précédemment décrites. Cette décision permet d'anticiper l'appropriation privée, en dehors de leurs communautés, du profit économique potentiel que l'on peut tirer de traditions séculaires des peuples et tribus autochtones, ainsi que l'aménagement des valeurs culturelles traditionnelles pour raison d'intérêt.12

violation de leurs droits fondamentaux. Le Comité a reçu et traité des cas de violation de droits comme le droit à l'autodétermination, pour un peuple autochtone,

et les droits sur les terres et les territoires. Le comité a fait d'importantes déclarations dans ses décisions.11

 

Mécanismes régionaux

Le système interaméricain pour la protection des droits humains

Le système interaméricain comprend deux organes pouvant être sollicités pour défendre les droits des peuples autochtones-la Commission interaméricaine sur les droits humains et la Cour inter-américaine des droits humains. (Voir le module 30 pour plus de détails sur les recours qu'offre le système interaméricain.)

La Commission interaméricaine des droits humains a effectué des visites dans plusieurs pays suite à de graves violations des droits des peuples autochtones et publié des rapports sur ces situations particulières au Guatemala (1981, 1983, 1985, 1993), en Bolivie (1981), au Surinam (1983, 1985), au Nicaragua (1983) et en Colombie (1981, 1993). En ce qui concerne les requêtes concernant des allégations de violation des droits des peuples autochtones, la commission a examiné des cas dans plusieurs pays, comme celui des Guahibos en Colombie, des Aché au Paraguay, des Yanomami au Brésil et des Miskitu au Nicaragua.13

En raison de l'importance de la résolution prononcée par la commission dans le cas des Yanomami du Brésil (1985), sur la protection des droits ESC des peuples autochtones, nous en citerons ici quelques extraits clés. Le cas concernait la situation dramatique des Yanomami et leur mort progressive du fait de la construction de routes sur leur territoire, de la prospection et autres activités sur leurs terres, toutes au détriment de leur santé et de leur intégrité culturelle et spirituelle. Dans sa décision, la commission a noté que

les violations alléguées ont leur origine dans la construction de la transamazonienne, autoroute BR 210, qui traverse les territoires des peuples autochtones; la non-création du Parc des Yanomami pour la protection de l'héritage culturel de ce groupe autochtone; l'autorisation d'exploiter la richesse du sous-sol des territoires autochtones; la permission de pénétrer massivement en territoire autochtone accordée à de nouveaux venus apportant avec eux des maladies . . . de même que dans l'absence de soins médicaux essentiels pour les personnes affectées; enfin dans le déplacement des Indiens de leurs terres ancestrales.14

Dans cette décision, la commission a déclaré que le gouvernement du Brésil était responsable de la violation de plusieurs droits, y compris du droit à la santé et au bien-être, gouvernement auquel elle recommandait d'adopter des mesures préventives et curatives en matière de santé pour protéger la vie et la santé des peuples autochtones et, conformément à sa législation, de procéder à la délimitation et la démarcation des terres ancestrales. De surcroît, la commission a recommandé au gouvernement d'adopter diverses mesures pour protéger les terres contre, entre autre, les chercheurs d'or, connus sous le nom de garimpeiros, qui ont envahi par milliers le territoire des Yanomami. La décision souligne également la responsabilité de l'État brésilien de ne pas avoir adopté de mesures opportunes et effectives pour protéger les droits humains des Yanomami. Cela signifie que la responsabilité des États peut être engagée non seulement pour un acte mais également pour une omission, lorsqu'ils omettent d'adopter des mesures de protection.

Sur cette affaire, un auteur a noté:

En reliant directement la violation des droits humains des Yanomami à la violation du droit à la terre, la Commission a fait un pas décisif en avant vers l'éventuelle reconnaissance du droit des peuples autochtones sur leurs terres traditionnelles, en tant qu'élément intrinsèque des normes internationales en place.15

Une autre affaire importante qui démontre les possibilités réelles du système interaméricain est la requête instruite contre le gouvernement paraguayen face à la situation dramatique des Enxet, communautés autochtones de la région de Chaco au Paraguay et l'occupation illégale de leurs terres ancestrales. Cette affaire a été portée devant la Commission interaméricaine des droits de l'homme en décembre 1996 par le Center for Justice and International Law et Fundación Tierra Viva. Dans le cadre du règlement à l'amiable proposé par la commission, le gouvernement paraguayen a reconnu les arguments présentés et mis en œuvre un plan pour restituer leurs terres à ces communautés qui comprenait un investissement économique. L'accusation portait sur une violation du droit des communautés autochtones à la terre reconnu par la Constitution paraguayenne, et s'appuyait sur l'article 29 de Convention américaine relative aux droits de l'homme en vertu duquel, lorsqu'un droit est incorporé à la législation nationale, en particulier dans la Constitution, il est possible d'invoquer ce droit devant le système interaméricain. Il était donc possible de se tourner vers le système interaméricain pour dénoncer une violation du droit à la terre reconnu dans un système juridique national.

Mécanismes nationaux

Chaque État nation comprenant une population autochtone possède des mécanismes tant administratifs que juridiques pour défendre et protéger les droits des peuples autochtones. En matière de procédures judiciaires, la plupart des constitutions d'Amérique latine mettent en place des mécanismes pour protéger effectivement les droits des citoyens. Ces mécanismes appelés acciones de amparo ou acciones de tutela peuvent être utilisés par les peuples autochtones pour protéger leurs droits spécifiques.

On trouve un exemple particulièrement intéressant d'utilisation de ce mécanisme en Colombie, où une cour constitutionnelle enregistre les violations des droits reconnus dans la Constitution. Les organisations autochtones de Colombie se sont tournées plusieurs fois vers cette cour pour instruire des acciones de tutela, alléguant la violation de leurs droits à la terre et à la diversité culturelle au sein de la nation colombienne. Dans plusieurs cas, la cour constitutionnelle a donné un avis favorable à la protection constitutionnelle des droits indigènes. Dans une décision de 1993 concernant une acción de tutela instruite par la Organisación Indígena de Colombia pour la communauté autochtone des Embera-Katío contre la Corporación Nacional de Desarrollo et la Compañía de Maderas del Darién, les droits indigènes furent reconnus et protégés. L'omission de la Corporación et les actes de la Compañía furent jugés comme une violation et une menace des droits fondamentaux de la communauté autochtone. Ces droits comprenaient le droit à la vie, au travail, à la propriété, à l'intégrité ethnique-tant culturelle que territoriale-, à une protection spéciale en tant que groupe ethnique de la part de l'État, ainsi que les droits prévus par les traités internationaux sur les peuples autochtones, comme la Convention de l'OIT 169 ratifiée comme loi nationale. Les actes incriminés concernaient l'exploitation forestière par la compagnie sur le territoire indigène, et les omissions de la corporation portaient sur son manque de considération adéquate pour les torts causés sur les plans environnemental et culturel. Ce jugement met en lumière la violation des droits ESC des peuples autochtones:

Dans l'exercice de la juridiction constitutionnelle, le juge finit par établir la violation et la menace faites aux droits au travail, à l'intégrité, à une protection spéciale en tant que groupe ethnique . . . car, de son point de vue, la dévastation d'une partie des forêts du resguardo autochtone rendait leurs conditions de travail plus pénibles, affectait leur identité culturelle et territoriale, et menaçait sérieusement leur mode traditionnel de production.16


Auteur: L'auteur de ce module est Luis Jesús Bello.

NOTES


1. Programme des Nations Unies pour le développement, Rapport sur le développement humain 1997, 47.

2. Organisation internationale du travail, Convention No. 169 relative aux peuples indigènes et tribaux, 1989, article 1.

3. Edelberto Torres Rivas, Consideraciones sobre la condición indígena en América Latina y los derechos humanos, (San José: Institut interaméricain des droits de l'homme, 1996), 403.

4. Jorge Dandler, " Hacia un Orden Jurídico de Diversidad. " in De Amerindia hacia el tercer milenio, Instituto Nacional Indigenista (UNESCO-INI, 1991), 59.

5. Agencia Latinoamericana de Información, Servicio Informativ. No. 238 (août 1996), 14.

6. Arundhati Roy, The Cost of Living (Londres: Flamingo, 1999), 15-16.

7. Iturralde y Diego, " Los pueblos indígenas y sus derechos en América Latina ", Revista Justicia y Paz. Centro de Derechos Humanos " Fray Fancisco de Vitoria ", no. 25 (mai 1992), 21.

8. Voir Madhu Kishwar vs. State of Bihar (1992) 1 Affaire de la Cour suprême 102.

9. Voir Nandita Haksar, " Human Rights Lawyering: A Feminist Perspective ", in Engendering Law: Essays in Honour of Lotika Sarkar, éds. Amita Khanda et Archana Parashar, (Lucknow: EBC, 1999).

10. Conseil mondial des peuples indigènes, Projet de Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, (Ottawa, 1994, ronéotypé).

11. Daniel O'Donnell, Protección internacional de los derechos homanos, Comisión Andina de Juristas-Fundación Friedrich Naumann, 2e éd. (Lima, 1989), 354-357.

12. Dans " Patent on Sacred Plant Revoked ", Colombia Update 11, nos. 3 et 4 (Hiver/Printemps 2000): 21.

13. Shelton H. Davis, Land Rights and Indigenous People: The Role of the Inter-American Commission on Human Rights (Cambridge, 1988).

14. Commission interaméricaine des droits de l'homme, Coulter et al., Résolution No. 12/85, Affaire 7615, Brésil, 5 mars 1985, OAS/Ser.L/V/II.66, Doc. 10 révision 1, 1 octobre 1985, 4-34.

15. O'Donnell, op. cit., 364.

16. Ibid.


Droits résérves