Objet du module 6
Ce module a pour objet d'examiner
la législation internationale
sur les droits des peuples autochtones
et d'explorer les recours internationaux
et nationaux disponibles pour faire
valoir ces droits.
Le module
- résume le cadre historique
et la situation actuelle en matière
de droits des peuples autochtones;
- identifie les principales normes
internationales et les domaines auxquels
elles se rapportent;
- résume les protections
qu'apportent les législations
nationales en Amérique latine;
et
- traite des mécanismes
internationaux, régionaux et
nationaux pour protéger les
droits des peuples autochtones.
Un avenir sombre pour les peuples
autochtones et indigènes
Dans presque toutes les sociétés
où ils vivent, les peuples
autochtones et indigènes sont
plus pauvres que la plupart des autres
communautés. Ainsi, en Australie,
le revenu moyen des aborigènes
est inférieur d'environ la
moitié à celui du reste
de la population. Dans les pays en
développement, les régions
les plus pauvres sont aussi celles
qui comptent le plus d'indigènes.
Au Mexique, par exemple, dans les
municipios où vivent moins
de 10% d'Amérindiens, seuls
18% de la population vivent en deçà
du seuil de pauvreté. A conerario,
là où 70% de la population
sont indigènes, le taux de
pauvreté atteint 80%.
Les peuples autochtones et indigènes
sont également moins bien lotis
du point de vue des critères
non monétaires de la pauvreté.
Ainsi, au Canada, la mortalité
infantile des enfants indigènes
est deux fois plus élevée
que celle de l'ensemble de la population.
Au Pérou, la population indienne
est beaucoup plus sujette aux maladies
que la population hispanophone-et
son taux d'hospitalisation est deux
fois supérieur.
On rencontre des disparités
du même ordre dans le domaine
de l'éducation. En Bolivie
et au Mexique, les enfants des communautés
amérindiennes vont en moyenne
trois ans de moins à l'école
que les enfants non indigènes.
Enfin, au Guatemala, la majorité
des indigènes ne possède
aucun bagage scolaire. Dans cette
communauté, le taux d'alphabétisation
atteint seulement 40%.
En outre, même lorsqu'ils ont
reçu la même instruction
que la majorité de la population,
les indigènes font encore l'objet
de discriminations sur le marché
de l'emploi. Ainsi, aux Etats-Unis,
on estime qu'environ 25% de l'écart
de revenu au détriment des
Amérindiens résultent
d'une telle discrimination. En Bolivie,
la population est de 28% et, au Guatemala,
elle est proche de 50%.
Les peuples autochtones et indigènes
ont vu leurs valeurs et leurs coutumes
détruites par les populations
qui ont occupé leurs territoires.
Aujourd'hui, il n'est pas rare que
leurs membres se réfugient
dans l'alcool ou le suicide. Dans
les pays en développement,
ils se mêlent en général
peu ou prou à la majorité
de la population; mais dans les pays
industrialisés, un grand nombre
d'entre eux se retrouvent parqués
dans des réserves, face à
un avenir lugubre.1
Contexte historique
Les droits des peuples autochtones
ont été spécifiquement
reconnus et définis internationalement,
du fait de la particularité de
leurs conditions culturelles, linguistiques,
économiques et religieuses et
de leur organisation socio-politique.
Cette reconnaissance est également
fondée sur les conditions de
vie singulièrement précaires
des peuples autochtones et sur les graves
menaces qui pèsent sur eux. Cela
les distingue du reste de la population
dans les sociétés où
ils vivent et justifie la nécessité
de leur accorder une protection légale
particulière dans le droit international
comme dans la législation nationale
des États nations. Cette situation
a été reconnue par des
instruments juridiques internationaux
qui prévoient que les droits
des peuples autochtones s'appliquent
à ceux dont les conditions sociales,
culturelles et économiques les
distinguent des autres groupes de la
communauté nationale, dont le
statut est réglementé
entièrement ou partiellement
par leurs propres coutumes ou traditions,
et qui sont considérés
comme autochtones du fait de leur lien
généalogique avec les
populations qui habitaient le pays avant
l'époque de la conquête,
celle de la colonisation ou celle de
l'établissement des frontières
nationales actuelles.2
Les droits des peuples autochtones
sont considérés à
la fois comme des droits " collectifs
", c'est-à-dire auxquels
ils peuvent prétendre en tant
que peuples et sujets collectifs, et
des droits " originaux ",
c'est-à-dire revendiqués
comme des droits " historiquement
" antérieurs à la
naissance des États nations.
À ce propos, il a été
noté que la reconnaissance des
droits des peuples autochtones implique
un profond changement dans la perspective
politique et culturelle selon laquelle
les États nations sont organisés.3
Cette reconnaissance est basée
sur ce que certains auteurs ont appelé
un " ordre de diversité
légal ",4
dans lequel les États nations
reconnaissent leur caractère
pluriethnique et pluriculturel.
Dans la déclaration de la Encuentro
Continental de Autoridades y Líderes
Indígenas (Rencontre continentale
entre les leaders et les autorités
autochtones) qui s'est tenue à
Quito en août 1996, les organisations
autochtones ont réclamé
le droit pour les communautés
autochtones d'exister en tant que peuples.
Ils ont entrepris plusieurs initiatives
nationales et internationales pour la
reconnaissance des droits collectifs
qui renforcent leur valeur intrinsèque
en tant que peuples et le caractère
multinational, pluriethnique et pluriculturel
des États nations.5
Selon les organisations autochtones
présentes à cette rencontre,
les droits des peuples autochtones doivent
être perçus dans le contexte
des processus de construction des États
nations, processus qui sont généralement
constitués unilatéralement
et cherchent à homogénéiser
et qui nient les droits de certaines
catégories de la population.
En bref, les droits autochtones sont
des droits spécifiques qui ont
une dimension collective et sont revendiqués
comme étant des droits historiques
et originaux dont la reconnaissance
et l'exercice sont nécessaires
pour garantir la vie et l'existence
des peuples autochtones.
Les barrages
Narmada et les populations tribales
" Pendant les cinquante
ans qui suivirent l'Indépendance,
après le célèbre
discours de Nehru "Les barrages
sont les temples de l'Inde moderne"
(discours qu'il regretta plus
tard), ses fantassins se jetèrent
dans la construction de barrages
avec une ferveur peu naturelle.
La construction de barrages fut
progressivement assimilée
à la construction de la
nation. Leur enthousiasme à
lui seul aurait dû suffire
à éveiller les soupçons.
Non seulement ils construisirent
de nouveaux barrages et de nouveaux
systèmes d'irrigation,
mais ils prirent le contrôle
des petits systèmes traditionnels
entretenus par les communautés
villageoises depuis des milliers
d'années, et les laissèrent
s'atrophier. Pour compenser cette
perte, le gouvernement fit construire
de plus en plus de barrages. Des
grands, des petits, des hauts,
des bas
[Les grands barrages sont] un
moyen éhonté de
soustraire l'eau, la terre et
l'irrigation aux pauvres pour
les offrir aux riches. Leurs réservoirs
chassent d'immenses populations,
les laissant sans domicile et
totalement démunies
Un pourcentage très élevé
de ces populations déplacées
[en Inde] sont de type tribal
(57,6 pour cent dans le cas du
barrage de Sardar Sarovar). Ajoutez-y
les Dalits et le pourcentage devient
grotesque. Selon le Commissioner
for Scheduled Castes and Tribes
(Commissariat des castes et tribus),
ce pourcentage s'élèverait
à environ 60 pour cent.
En considérant le fait
que les tribus correspondent à
huit pour cent seulement, et les
Dalits à quinze pour cent,
de la population totale de l'Inde,
cette histoire prend alors une
dimension tout autre. Cette "
étrangeté "
ethnique de leurs victimes ôte
aux constructeurs de la nation
un peu de la pression qui pèse
sur eux. On peut comparer cela
au principe des notes de frais.
Ce sont les autres qui payent.
Des gens d'un autre pays. D'un
autre monde. En Inde, les plus
pauvres assurent le train de vie
des plus riches
"6
|
Situation actuelle
Pour mieux comprendre le contexte actuel
dans lequel les droits des peuples autochtones
sont en passe d'être reconnus,
il faut analyser la relation entre les
peuples autochtones et les États
nations dans lesquels ils vivent. Dans
la plupart des pays comportant des populations
autochtones, les relations ont été
marquées soit par la confrontation-une
confrontation entre les organisations
autochtones qui plaident pour le respect
de la diversité culturelle et
les droits territoriaux, et les gouvernements
et leurs objectifs. Les gouvernements
cherchent à intégrer les
populations autochtones aux systèmes
de la culture unitaire dominante, et
les modèles sociaux, politiques
et économiques de la nation sont
imposés sur les territoires traditionnels
des peuples autochtones par des projets
gouvernementaux. On remarque:
Dans les prochaines décennies,
les États nations et les peuples
et communautés autochtones
verront les tensions qui caractérisent
leurs relations s'intensifier. Ce
processus rend nécessaire le
développement de formes politiques
et culturelles permettant à
la société de se réorganiser
pour laisser la place à la
diversité et au pluralisme.7
Selon les organisations autochtones,
les relations entre les États
et les peuples autochtones se résument
en cinq points liés aux droits
de ces derniers:
1. Territoires: La question ici est
celle des revendications de contrôle
et de récupération du
territoire sur lequel la vie des peuples
autochtones, reproduction et développement
inclus, se déroule. (Voir le
module 18 pour plus de détails
sur les droits fonciers).
2. Organisation sociale et politique:
Cela renvoie au droit des peuples autochtones
d'avoir leur propre forme d'organisation
sociale et politique, de décider
eux-mêmes des questions qui les
concernent et de participer pleinement
à tous les échelons de
prise de décision des structures
des États dont ils font partie.
Cela renvoie également à
une dynamique d'organisation visant
à créer un réseau
de solidarité entre les peuples
autochtones afin d'appuyer leurs revendications
et permettre leur participation.
3. Développement économique:
Les peuples autochtones ont le droit
de contrôler leur propre économie,
de subvenir aux besoins de leurs propres
systèmes de production. Cela
comprend le droit de participer aux
avantages des plans de développement
économique promus par les États.
4. Développement d'une plate-forme:
Ce type de plate-forme permettrait aux
peuples autochtones d'appuyer leurs
demandes, qu'il s'agisse de revendications
agraires et territoriales, de doléances
d'ordre culturel et technique, de développement
économique, de droit coutumier
ou de participation politique.
5. Valoriser leur identité:
Cela est lié à la reconnaissance
de la diversité ethnique et culturelle
au sein des États comprenant
des populations autochtones.
Normes internationales reconnaissant
les droits des peuples autochtones
À partir de la seconde moitié
du vingtième siècle, des
progrès ont été
faits en matière de reconnaissance
et de protection des droits spécifiques
des peuples autochtones dans différentes
agences internationales ainsi que dans
la législation nationale de la
plupart des pays. En 1957, l'Organisation
internationale du Travail a adopté
la Convention 107 relative aux populations
aborigènes et tribales. Il s'agissait
là d'un premier effort pour définir
un ensemble de normes visant à
protéger les peuples autochtones.
Dans cette convention, l'accent a été
mis sur l'intégration plutôt
que sur la reconnaissance des caractéristiques
distinctives et des droits des peuples
autochtones. Plus tard, en raison de
ses imperfections et insuffisances dans
le contexte du moment, elle fut révisée
par l'OIT.
Développement
économique et identité
Il y a de cela bien longtemps,
les Orang Suku Laut d'Indonésie
quittèrent la terre ferme
pour vivre sur les mers. Souvent
appelés " nomades
des mers ", ils ont vécu
pendant des siècles sur
les eaux de l'archipel de Riau-Lingga
en Indonésie. Ils sont
reconnaissables à la présence
de bateaux de bois avec un toit
de feuillage; ces bateaux servent
à la fois de moyen de transport
et d'abri. La vie des Orang Suku
Laut a commencé à
changer au cours de la deuxième
décennie du dix-neuvième
siècle. Leur vie de nomade
des mers devint progressivement
semi-nomade: en fonction du climat
et des vents de mousson, ils se
mirent de temps à autre
à emménager dans
des habitations temporaires sur
la terre ferme. Plus tard, quelques
groupes commencèrent à
vivre dans des habitations permanentes,
érigeant des groupes de
huttes sur les rivages, près
de l'embouchure des rivières
et le long des berges.
Depuis 1989, les régions
administratives dont l'archipel
fait partie sont devenues le centre
d'un projet de développement
gouvernemental maintenant intitulé
Indonesia-Malaysia-Singapore Triangle
(IMSGT). En 1992, le gouvernement
a lancé un autre projet
de développement qui comprend
la construction de six ponts reliant
entre elles différentes
îles de l'archipel. Des
zones industrielles et des stations
balnéaires sont en construction
le long des rivages. Du fait de
ces projets de développement,
l'habitat naturel des Orang Suku
Laut-tant sur la mer que sur la
terre ferme-subit une évolution
rapide. Tout ce développement
perturbe considérablement
l'organisation et les moyens d'existence
des Orang Suku Laut. Leur mode
de vie traditionnel est sérieusement
menacé, tout comme leur
capacité à se nourrir.
Le gouvernement indonésien
considère les Orang Suku
Laut comme une " communauté
isolée ". De ce fait,
ils n'ont pas de statut légal
et ne reçoivent donc pas
la protection et le recours auxquels
les autres communautés
pourraient prétendre selon
la loi indonésienne.
Une ONG indonésienne,
la Saka Kemuning Foundation, travaille
avec les Orang Suku Laut pour
tenter de répondre à
leurs besoins essentiels et tenter
de les sensibiliser à leurs
droits à la culture de
ressources naturelles et à
accéder à des opportunités
sociales, économiques et
d'éducation, ainsi qu'à
exprimer leur propre identité
socioculturelle.
|
Cet effort mena à l'adoption
en 1989 de la Convention 169 relative
aux peuples indigènes et tribaux.
Cette convention confère une
reconnaissance internationale aux droits
spécifiques des peuples autochtones
et a déjà été
ratifiée par de nombreux États
nations, ce qui la rend applicable au
niveau national dans ces pays.
En 1982, un Groupe de travail sur les
peuples autochtones fut créé
sous l'égide de la Sous-commission
des Nations Unies de la lutte contre
les mesures discriminatoires et de la
protection des minorités. Ce
groupe de travail a préparé
un Projet de Déclaration sur
les droits des peuples autochtones actuellement
à l'étude aux Nations
Unies. Il s'agit d'un instrument juridique
très complet et efficace pour
faire reconnaître les droits des
peuples autochtones dans le monde entier.
En 1993, au cours de la Conférence
mondiale sur les droits de l'homme qui
s'est tenue Vienne, ces droits spécifiques
ont été reconnus droits
collectifs en termes clairs et explicites.
Pour sa part, l'Organisation des États
américains (OEA), par l'intermédiaire
de la Commission interaméricaine
des droits de l'homme, a fait de nombreux
communiqués et rapports sur la
situation des droits des peuples autochtones
dans différents pays. La Commission
a préparé une Déclaration
interaméricaine sur les droits
des peuples autochtones qui contient
une reconnaissance étendue des
principaux droits des peuples autochtones
dans l'ensemble du continent américain.
Cette déclaration est en attente
d'approbation par l'Assemblée
générale de la OEA.
Convention 169 relative aux peuples
indigènes et tribaux
La Convention 169 est un instrument
progressiste car elle tient compte de
façon complète et détaillée
des demandes des peuples autochtones
de ces dernières décennies.
Lors de l'adoption de la Convention
169, l'OIT a observé que
dans de nombreuses parties du monde,
ces peuples ne peuvent jouir des droits
fondamentaux de l'homme au même
degré que le reste de la population
des Etats...Prenant acte de l'aspiration
des peuples en question à avoir
le contrôle de leurs institutions,
de leurs modes de vie et de leur développement
économique propres . . . Les
concepts fondamentaux de la Convention
sont le respect et la participation.
Le respect de la culture de l'autre,
de sa religion, de son organisation
sociale et économique, et de
son identité.
La Convention 169 est un instrument
juridique international qui présente
des dispositions obligatoires pour la
protection des droits des peuples autochtones,
dans un esprit de respect de leurs cultures,
de leurs styles de vie et de leurs formes
traditionnelles d'organisation. Elle
met également en place des mécanismes
spécifiques que les États
doivent utiliser pour remplir leurs
obligations à cet égard.
Les questions et les droits traités
par la Convention dans le plus grand
détail sont:
- Le droit des peuples autochtones
à être considérés
comme des " peuples " possédant
une identité propre et des
droits historiques qui proviennent
de cette condition. Les peuples autochtones
ont réclamé ce droit,
car ils ne se considèrent ni
comme des " populations "
ni comme des " communautés
", mais comme étant des
peuples possédant un style
de vie et une forme d'organisation
particuliers ainsi qu'une culture,
des territoires et une langue qui
leur sont propres. Dans la nouvelle
convention, le terme de " peuples
" reflète cette idée-là.
La convention s'applique aux peuples
considérés comme autochtones
parce qu'ils descendent de populations
habitant déjà dans les
pays à l'époque de la
conquête, à celle de
la colonisation ou celle de l'établissement
des frontières actuelles des
États, et qui conservent leurs
propres ins-titutions sociales, économiques,
culturelles et politiques. Néanmoins,
la convention déclare elle-même:
" L'emploi du terme peuples dans
la présente convention ne peut
en aucune manière être
interprété comme ayant
des implications de quelque nature
que se soit quant aux droits qui peuvent
s'attacher à ce terme en vertu
du droit international " (art.
1[3]).
- L'adoption de mesures par les États:
La Convention 169 précise à
l'article 2 que les gouvernements
doivent assumer la responsabilité
de développer des actions coordonnées,
avec la participation des peuples
autochtones, pour protéger
les droits de ceux-ci et garantir
le respect de leur intégrité.
Ces actions comprennent des mesures
pour leur garantir les mêmes
droits et opportunités que
les autres membres de la société,
sur une base d'égalité.
Ils doivent promouvoir également
le plein exercice des droits ESC pour
ces peuples et contribuer à
gommer les différences socio-économiques.
De surcroît, les articles 4
et 5 prévoient l'adoption par
les États de mesures spéciales
pour protéger les individus,
les institutions, la propriété,
le travail, la culture et l'environnement
des peuples autochtones, et garantir
la reconnaissance et la protection
de leurs valeurs et coutumes sociales,
culturelles, religieuses et spirituelles.
- La participation et la consultation
des peuples autochtones pour toutes
les questions concernant leur vie
et leur organisation sont parmi les
concepts fondamentaux qui structurent
tout le document. L'article 6 de cette
convention stipule clairement que
les peuples autochtones doivent être
consultés au moyen de procédures
appropriées, et en particulier
en passant par leurs propres institutions,
lorsque des mesures législatives
ou administratives susceptibles de
les concerner sont envisagées.
Des moyens doivent être mis
en uvre pour leur permettre
de participer à tous les échelons
de prise de décision des agences
responsables des politiques et programmes
qui les concernent. De plus, les gouvernements
devraient s'assurer de la réalisation
d'études, en coopération
avec les peuples autochtones, pour
évaluer l'impact social, spirituel,
culturel et environnemental des activités
de développement sur ces peuples.
- Le droit coutumier: Autre innovation,
la Convention 169 reconnaît
le droit des peuples autochtones à
recourir aux coutumes et au droit
coutumier qui sont les leurs pour
traiter leurs affaires et régler
leurs conflits. Les peuples autochtones
ont le droit de préserver leurs
propres coutumes et institutions,
et des méthodes traditionnelles
doivent être utilisées
pour traiter les crimes et délits
commis par des autochtones dans la
mesure où ces méthodes
ne sont pas incompatibles avec les
droits fondamentaux prévus
par le système législatif
national. De plus, les autorités
et cours de justice sollicitées
pour donner leur avis sur des délits
ou des crimes devraient tenir compte
des coutumes des peuples autochtones
en la matière.
- Le droit à la terre et à
un territoire: Autre innovation encore
dans la Convention 169, dans le cadre
étendu de sa reconnaissance
du droit à la vie, est inclus
le droit au territoire en tant qu'intégralité
de l'espace dans lequel la vie physique,
culturelle, sociale, spirituelle,
politique et économique des
peuples autochtones évolue.
La convention prend comme point de
départ la relation particulière
que les peuples autochtones entretiennent
avec la terre qu'ils ont occupée
ou utilisée par tradition.
L'article 14 impose une obligation
aux États signataires dans
les termes suivants: " Les droits
de propriété et de possession
sur les terres qu'ils occupent traditionnellement
doivent être reconnus aux peuples
intéressés . . . Des
procédures adéquates
doivent être instituées
dans le cadre du système juridique
national en vue de trancher les revendications
relatives à des terres émanant
des peuples intéressés
".
Le rôle
des droits individuels dans les
cultures indigènes
L'Inde possède une importante
diversité de peuples autochtones
ou communautés tribales
organisées autour de ce
que l'on a appelé une jurisprudence
tribale. Le concept de la propriété
privée est étranger
à ce type de tradition,
et les ressources de propriété
collective sont le fondement de
l'interaction communautaire. La
communauté a des droits
usufruitiers sur les forêts
dont elle est dépendante,
et même les terres cultivées
sont considérées
comme une ressource de propriété
collective. Dans les régions
comme le Himachal Pradesh, la
limite entre propriété
privée et collective est
floue-souvent, lorsqu'elle est
cultivée, la terre est
contrôlée à
titre privé, alors que,
lorsqu'elle est en friche, elle
est utilisée par la communauté
généralement pour
l'élevage du bétail
et les autres activités
communautaires.
La généralisation
du système législatif
moderne et l'introduction du concept
de propriété privée
ont déstabilisé
les fondements mêmes de
ces communautés. Les efforts
faits par les États pour
traiter ce problème par
une législation qui interdise
l'aliénation des terres
des tribus par des " non-tribus
" n'ont eu que peu d'effet.
Un conflit est né de la
revendication par les femmes de
leur droit à hériter
de la propriété
au sein des systèmes législatifs
tribaux, ceux-ci ne reconnaissant
que les droits collectifs.
Il y a plusieurs années,
une commission d'enquête
s'est déplacée dans
la région du Jharkhand
de l'État de Bihar, une
zone à dominante tribale.
Au cours de l'enquête, Madhu
Kishwar, rédactrice en
chef du magazine féminin
Manushi et membre de cette commission,
a découvert que les femmes
de la tribu des Ho souffraient
terriblement en raison du déni
des droits fonciers. Elle adressa
par écrit une requête
à la tribu des Ho, invoquant
les clauses d'égalité
prévues dans la Constitution
indienne afin que soit appliquée
la Loi indienne de 1925 sur les
successions.8
Bien qu'il n'y ait aucune objection
en soi à la revendication
de l'égalité en
matière de droits de propriété
pour les femmes Ho, cette requête
consistait aussi involontairement
à demander la suppression
du système des droits de
propriété collective
pratiqués par la tribu,
car la Loi indienne sur les successions
ne reconnaît pas les droits
de propriété collective.
L'idée a été
avancée que plutôt
que d'imposer à ces communautés
une jurisprudence étrangère
quoique fondée sur des
droits, le choix devrait revenir
à certains groupes marginalisés
au sein de la communauté
d'explorer les possibilités
de développer et de faire
évoluer ce type de systèmes
avec le temps. " La destruction
des sociétés tribales
signifie la destruction de modes
de vie, de philosophies et de
traditions qui sont une source
culturelle pleine de richesse
enseignant des valeurs fondées
sur la coopération, la
rationalité et le consensus,
en opposition avec les valeurs
capitalistes de compétition,
d'élection et de conflit
".9
|
En outre, concernant les droits qu'ont
les peuples autochtones sur les ressources
naturelles situées sur leurs
terres, la convention indique qu'une
protection spéciale de ces droits
doit être assurée, qui
inclut l'utilisation, la gestion et
la protection des réserves de
ces ressources. De plus, si la propriété
des ressources en minerai ou ressources
du sous-sol revient à l'État,
les gouvernements doivent établir
des procédures de consultation
des peuples autochtones afin de voir
si leurs intérêts seraient
susceptibles d'être affectés
par l'exploitation des ressources. Ils
devraient, dans tous les cas, participer
aux bénéfices de ce type
d'activité. (Voir le module 18.)
- L'embauche et les conditions de
travail: La Convention 169 comprend
des dispositions conformément
auxquelles les gouvernements sont
tenus d'adopter des mesures spéciales
pour garantir aux travailleurs autochtones
une protection réelle en matière
d'embauche et de conditions de travail.
De même, pour la formation professionnelle
et l'artisanat, elle prévoit
que les États prendront des
mesures pour promouvoir la participation
volontaire des peuples autochtones
à des programmes de formation
professionnelle fondés sur
l'environnement économique,
les conditions sociales et culturelles,
ainsi que les besoins spécifiques
de ces peuples. (Voir le module 10.)
- La santé et l'éducation:
L'article 25 de la Convention 169
prévoit l'obligation pour les
gouvernements de garantir l'accès
des peuples autochtones à des
services de santé adéquats
qui soient sous la responsabilité
et le contrôle de ces derniers.
Chaque fois que cela est possible,
les services devront être à
base communautaire, administrés
en coopération avec les peuples
intéressés et tenir
compte des conditions culturelles,
sociales et géographiques,
des méthodes de prévention,
pratiques curatives et médecine
traditionnelle qui sont les leurs.
En matière d'éducation,
la convention demande que soient développés
des programmes et services éducatifs
destinés aux peuples autochtones,
et ce en coopération avec ces
derniers afin d'être en adéquation
avec leurs besoins spécifiques,
leur histoire, leur savoir et leur
système de valeurs. De plus,
les gouvernements devront reconnaître
le droit de ces peuples à créer
leurs propres institutions et méthodes
d'éducation; il est précisé
que, dans la mesure du possible, les
enfants des peuples autochtones devront
apprendre à lire et écrire
dans leur propre langue ou dans la
langue la plus couramment utilisée
par le groupe auquel ils appartiennent.
(Voir les modules 14 et 16 sur les
droits à la santé et
à l'éducation, respectivement.)
Les droits des peuples autochtones
dans la législation nationale
En témoignage de la reconnaissance
de la diversité et de la nature
multiculturelle de l'Amérique
latine, des efforts considérables
ont été faits pour les
droits des peuples autochtones dans
les statuts et constitutions de divers
pays. La plupart des législations
statutaires et constitutionnelles actuellement
en vigueur en Amérique latine
définissent des principes clairs
en matière de droits des peuples
autochtones:
La Constitution du Panama
(1972) reconnaît les langues
indigènes et l'éducation
bilingue (art. 84); le droit des peuples
autochtones à des normes culturelles
qui leur sont propres (art. 104) et
à une participation à
la vie économique, sociale
et politique du pays (art. 120); et
garantit aux communautés autochtones
les terres dont elles ont besoin pour
s'assurer un bien-être économique
et social, ainsi que leur propriété
collective (art. 123). Elle reconnaît
également les districts électoraux
autochtones (art. 141 [5]).
La Constitution de l'Équateur
(1978) reconnaît les langues
indigènes comme un élément
de la culture nationale (art. 1).
Les systèmes éducatifs
dans les régions autochtones
doivent utiliser les langues indigènes,
l'espagnol étant la langue
employée pour les relations
entre les cultures (art. 27). Des
dispositions sont prévues concernant
la communauté et la propriété
coopérative des terres (art.
51).
La Constitution du Guatemala
(1985) prévoit le droit à
l'identité culturelle (art.
59) et une protection particulière
pour les groupes ethniques, reconnaissant,
respectant et favorisant leur mode
de vie, leurs coutumes, leurs traditions,
leurs formes d'organisation sociale,
leur mode vestimentaire, leurs langues
et dialectes (art. 66). Elle prévoit
également des dispositions
visant à protéger les
terres des communautés autochtones,
et l'accès à la propriété
familiale et aux logements sociaux,
au crédit et à l'assistance
technique-tous nécessaires
pour garantir la possession et le
développement des terres (arts.
67 et 68).
La Constitution du Nicaragua
(1987) reconnaît la nature multiethnique
du pays (art. 8) et s'attache à
conserver le pluralisme politique,
social et ethnique (art. 5). De même,
l'État reconnaît l'existence
des peuples autochtones et précise
qu'ils doivent bénéficier
des droits, devoirs et garanties prévus
par la Constitution. Celle-ci reconnaît
spécifiquement les droits des
peuples autochtones à exprimer
leur identité et leur culture,
à avoir leurs propres formes
d'organisation sociale et à
administrer leurs affaires locales.
Elle précise également
que l'État du Nicaragua devrait
faire adopter une loi accordant un
régime autonome aux peuples
autochtones et autres communautés
ethniques de la région de la
Côte Atlantique (art. 89).
La Constitution du Brésil
(1988) contient un chapitre visant
à garantir les droits des peuples
autochtones. L'organisation sociale,
les coutumes, les langues, les croyances
et traditions des peuples autochtones
sont reconnues, de même que
leurs droits originels à la
terre qu'ils occupent traditionnellement.
Le gouvernement fédéral
a la responsabilité de délimiter,
protéger et respecter toutes
leurs propriétés (art.
231). De plus, les terres habitées
de façon permanente par les
groupes autochtones, celles qui sont
utilisées pour leurs activités
productives, celles qui sont essentielles
à la préservation des
ressources nécessaires à
leur bien-être, et celles qui
sont nécessaires à leur
reproduction physique et culturelle,
selon leurs us, coutumes et traditions,
sont définies en termes généraux.
De même, il est expressément
reconnu que les terres des peuples
autochtones sont inaliénables,
qu'on ne peut en disposer et qu'elles
ne peuvent être assujetties
au droit de prescription. La Constitution
prévoit également que
les peuples autochtones, leurs communautés
et leurs organisations sont habilités
à poursuivre des actions en
justice pour défendre leurs
droits et intérêts, le
ministère public intervenant
dans toutes les étapes du processus
(art. 232).
La Constitution de Colombie
(1991) commence à reconnaître
et à protéger la diversité
ethnique et culturelle de la nation
colombienne (art. 7) ainsi que les
droits politiques des peuples autochtones,
créant deux sièges supplémentaires
au Sénat sur élection,
dans un district électoral
national, par les communautés
autochtones. De même, la Constitution
colombienne, dans le cadre du plan
d'organisation territoriale, a créé
ce que l'on appelle des entités
territoriales autochtones, jouissant
d'une autonomie pour gérer
leurs propres affaires (arts. 286,
287, 329 et 330), qui doivent être
gouvernées par des conseils
constitués et réglementés
selon les us et coutumes de leurs
communautés. En outre, il est
prévu que les resguardos autochtones
sont propriété collective
et inaliénable (art. 329),
et que l'exploitation dans les territoires
autochtones des ressources naturelles
ne devra pas porter atteinte à
l'intégrité culturelle,
sociale et économique des communautés
autochtones (art. 330).
La Constitution du Paraguay
(1992) reconnaît expressément
l'existence des peuples autochtones,
définis comme des groupes culturels
dont l'origine précède
la formation de l'État paraguayen
(art. 62); le droit des peuples autochtones
à préserver et développer
leur identité ethnique dans
le cadre de leur habitat; le droit
d'appliquer sans condition restrictive
leur propre système d'organisation
politique, sociale, économique,
culturelle et religieuse; et le droit
de renforcer leur droit coutumier
autochtone (art. 63). Par ailleurs,
la Constitution paraguayenne reconnaît
également aux peuples autochtones
le droit à la propriété
collective de terres de qualité
et d'étendue suffisantes pour
préserver et développer
leurs propres mode de vie (art. 64);
ces terres sont indivisibles et ne
peuvent être ni rattachées
ni transférées et ceci
ne peut être sujet à
prescription. De même, elle
reconnaît aux peuples autochtones
le droit de participer à la
vie économique, sociale, politique
et culturelle du pays (arts. 66 et
67) et exempte les autochtones de
tout service social, civil ou militaire
et des taxes publiques fixées
par la loi (art. 67).
La Constitution du Mexique
(1992) précise que la nation
mexicaine est multiculturelle, originellement
fondée par ses peuples autochtones
et prévoit que la loi devra
protéger et favoriser le développement
de leurs langues, cultures, us, coutumes,
ressources et formes spécifiques
d'organisation sociale, et garantir
à leurs membres l'accès
effectif au pouvoir judiciaire (art.
4). De plus, la Constitution mexicaine
précise que la loi protégera
l'intégrité des terres
des peuples autochtones et que dans
tout procès ou toute procédure
de type agraire dont ils sont partie,
leurs pratiques et coutumes juridiques
seront prises en compte dans les termes
définis par la loi (arts. 27
et 4).
La Constitution du Pérou
(1993) prévoit que tout individu
a droit à son identité
ethnique et culturelle et que l'État
reconnaît et protège
la pluralité ethnique et culturelle
de la nation (art. 2). La Constitution
officialise les langues indigènes
(art. 48) et garantit le droit à
la propriété communale
sur les terres des communautés
paysannes et autochtones (art. 88),
dont elle reconnaît l'existence
et la capacité légales
(art. 89). Elle autorise les autorités
des communautés indigènes
à exercer les fonctions judiciaires
conformes à leur droit coutumier
au sein de leur territoire (art. 149).
La Constitution de Bolivie
(1994) stipule expressément
que les droits ESC des peuples autochtones,
en particulier en ce qui concerne
leurs terres communautaires, doivent
être reconnus, respectés
et protégés par la loi,
qui garantit l'utilisation et l'exploitation
durable des ressources naturelles,
de même que la protection de
l'identité, des valeurs, langues,
coutumes et institutions des peuples
(art. 171). De plus, elle stipule
que l'État bolivien reconnaît
le statut légal et les autorités
naturelles des communautés
autochtones, et par là-même
leur droit à assumer les fonctions
attachées à l'administration
et à la mise en vigueur de
leurs propres lois, notamment en tant
que moyen alternatif de résolution
des conflits, selon leurs us et coutumes
(art. 171).
Les Droits
des peuples autochtones dans la
nouvelle constitution du Venezuela
Une nouvelle Constitution a récemment
été approuvée
au Venezuela. Le projet de cette
constitution a été
rédigé par l'Assemblée
constitutionnelle nationale de
1999, dont les 131 membres ont
été élus
par consultation populaire. Sur
les 131 membres de l'Assemblée,
trois étaient des représentants
des peuples et communautés
autochtones du Venezuela. Ils
ont été élus
directement par les organisations
autochtones, conformément
aux règles de l'élection
à l'Assemblée, elles-mêmes
approuvées au cours d'un
référendum populaire
par les Vénézuéliens.
La reconnaissance des droits
des peuples autochtones dans la
nouvelle Constitution est le résultat
de la lutte menée par les
membres autochtones de l'Assemblée
constitutionnelle, les organisations
autochtones du pays tout entier
et différentes associations
alliées. Cette reconnaissance
place maintenant la Constitution
vénézuélienne
parmi les plus progressistes d'Amérique
latine.
En septembre 1999, au cours d'une
cérémonie historique,
les organisations autochtones
du pays tout entier ont présenté
au Président de l'Assemblée
constitutionnelle un document
contenant leurs principales propositions
pour la nouvelle Constitution.
Ce document est le fruit des débats
menés et des contributions
apportées lors de multiples
réunions, assemblées
communautaires, congrès
régionaux et du Premier
Congrès des peuples autochtones
du Venezuela qui s'est tenu à
Ciudad Bolívar en mars
1999.
Cette proposition des peuples
autochtones reconnaît que
les peuples autochtones existaient
en tant que groupes de cultures
avant la formation de l'État
vénézuélien,
et considère les droits
des peuples autochtones en tant
que nations premières.
Le Comité de l'Assemblée
sur les droits des peuples autochtones
a commencé à travailler
sur cette proposition et à
l'enrichir avec l'aide de conseillers
et de spécialistes partisans
de la cause autochtone. L'effort
constant des membres autochtones
de l'Assemblée constitutionnelle
et de leurs conseillers a conduit
la Commission constitutionnelle
à inclure la plupart des
propositions dans le rapport du
Comité sur les droits des
peuples autochtones. Un chapitre
sur les droits des peuples autochtones
a été inclus dans
le projet de Constitution soumis
à débat en session
plénière.
Venues de tout le pays, en particulier
de Pemón, Warao, Arawako,
Wayuú, Kariña, Añú,
Ye'kuana, Jivi, Piaroa, Piapoco,
Yanomami, Baré et de Curripaco,
les organisations autochtones
sont restées dans le palais
de l'Assemblée pendant
toute la durée de la session.
Elles se sont distinguées
des autres secteurs du pays par
leur vigilance constante tout
au long du processus et leur présence
massive et quotidienne dans les
couloirs. Elles se sont réunies
tous les jours pour évaluer,
planifier, faire du lobbying et
manifester dans le calme afin
de faire passer leurs revendications.
L'attente fut très longue.
Elles attendirent jour après
jour qu'arrive le moment du débat
sur le chapitre de leurs droits.
Elles firent passer le temps en
faisant de l'artisanat, en dansant
et priant, en écoutant
les psalmodies des chamans, et
en liant des amitiés au
milieu de cette lutte.
Le Comité de sécurité
et de défense de l'Assemblée,
sous la présidence d'un
groupe d'officiers de l'armée,
s'est opposé à la
proposition des peuples autochtones,
alléguant qu'elle représentait
une menace pour la souveraineté
du pays et l'avenir de son intégrité
territoriale. Il fonda ses arguments
sur une visite de quatre jours
passée à la frontière,
au cours de laquelle ses membres
avaient pu " constater "
que les groupes autochtones étaient
manipulés par des organisations
non-gouvernementales, des corporations
transnationales, des missionnaires
et des églises. Le comité
a insisté sur le fait que
l'on ne pouvait accorder de droits
constitutionnels aux peuples autochtones
sur leurs terres et territoires
traditionnels, et que le terme
" peuples autochtones "
(" pueblos indígenas
") ne devrait pas être
utilisé car le " peuple
" vénézuélien
ne fait qu'un, et qu'aucune différence
ne devrait être faite-des
droits spéciaux ne devant
pas être attribués
à certains au détriment
des autres.
Le Comité sur les droits
des peuples autochtones soutint
que les peuples autochtones avaient
conservé et protégé
leurs territoires durant des centaines
d'années, et que dans les
zones frontalières c'était
en réalité eux qui
exerçaient une souveraineté,
compte tenu de la négligence
de l'État.
Dimanche 31 octobre 1999, le
moment vint d'aborder en séance
plénière le chapitre
des droits des peuples autochtones.
Les représentants des autochtones,
revêtus de leurs peintures
et costumes traditionnels, occupaient
toute la section supérieure
du Sénat. La session commença.
Le premier à prendre la
parole fut le général
Visconti qui, après avoir
affirmé que les propositions
des peuples autochtones représentaient
une atteinte à la souveraineté
du Venezuela, demanda le report
du débat et la désignation
d'un comité spécial
pour débattre de la question.
Les membres autochtones de l'Assemblée
et leurs alliés répondirent.
Il n'y eut aucun consensus. L'Assemblée
se scinda entre les militaristes
et les partisans des droits autochtones.
Il fut donc décidé
de soumettre le sujet à
débat dans le cadre d'un
comité spécial.
Un débat national s'ensuivit
sur la question des droits autochtones,
qui permit de distinguer clairement
qui était pour les peuples
autochtones de qui, retranché
derrière ses positions,
refusait de reconnaître
leurs droits en tant qu'habitants
originels de ce pays.
Le comité spécial
commença son débat.
Plusieurs membres de l'Assemblée,
des spécialistes et des
conseillers y participèrent.
Après de dures négociations,
on parvint enfin à un accord
par lequel le Comité de
sécurité et de défense
acceptait le terme " pueblos
indígenas " avec l'inclusion
d'un article précisant
en termes clairs que les peuples
autochtones faisaient partie d'un
État et d'un peuple vénézuéliens
uniques, souverains et indivisibles,
et que l'utilisation du terme
" peuples autochtones "
ne connote pas l'implication du
terme " peuples " dans
le droit international. De plus,
le mot " territoire "
requis par les peuples autochtones
fut remplacé par "
habitat ".
Finalement, le 3 novembre 1999,
l'Assemblée réunie
en séance plénière
approuva le chapitre sur les droits
des peuples autochtones dans son
intégralité; la
plupart des membres de l'Assemblée
firent montre d'une grande solidarité.
Une fois le chapitre approuvé,
les peuples autochtones présents
se donnèrent l'accolade
et chantèrent l'hymne national.
Il avait fallu cinq cents ans
pour que leurs droits en tant
que nations premières fussent
enfin reconnus.
|
Mécanismes pour protéger
et mettre en application les droits
des peuples autochtones
Mécanismes internationaux
Groupe de travail des Nations Unies
sur les populations autochtones
Ce Groupe de travail fut créé
en 1982 pour promouvoir la protection
des droits des peuples autochtones dans
le monde entier. Il tient des sessions
régulières chaque année,
normalement en juillet et août,
au siège des Nations Unies à
Genève. Au cours de ces sessions,
il examine en compagnie d'experts la
situation des peuples autochtones du
monde entier vis-à-vis des droits
humains. Les organisations autochtones
ont la possibilité de participer
et de soumettre leurs rapports et plaintes,
lesquels sont traités par le
groupe de travail.
L'une des tâches fondamentales
de ce groupe de travail ces dernières
années a consisté à
préparer le Projet de Déclaration
sur les droits des peuples autochtones,
actuellement à l'étude
dans différents organes des Nations
Unies et qui sera soumis en dernier
lieu à l'Assemblée générale.
Bien qu'en tant que Déclaration
elle n'ait aucun caractère obligatoire,
elle devrait fournir un cadre général
aux législations nationales sur
les droits autochtones. Le Conseil mondial
des peuples indigènes a déclaré
que ce Projet de Déclaration
est en grande partie une déclaration
progressiste, compte tenu en particulier
du contexte politique plus large dans
lequel s'inscrivent certaines de ses
dispositions, et plus spécifiquement
en matière d'autodétermination
et de droits à la terre . .
. L'un des aspects les plus importants
de ce projet en ce qui concerne les
terres et territoires tient à
la disposition sur l'ethnocide (art.
B), qui reconnaît que les actions
qui ont pour " objectif et effet
" de déposséder
et de priver les peuples autochtones
de leurs terres, territoires et ressources
équivalent à un génocide
culturel, ou ethnocide.10
Autres organes des Nations Unies
D'autres organes des Nations Unies
peuvent être sollicités
pour défendre les droits des
peuples autochtones. Ils comprennent
le Comité pour l'élimination
de la discrimination raciale (CEDR),
le Comité des droits de l'homme
et les mécanismes généraux
de l'OIT pour examiner les plaintes
en vertu des Conventions 107 et 169.
Le CEDR, organe de supervision de la
Convention internationale sur l'élimination
de toutes les formes de discrimination
raciale, examine les violations des
droits collectifs des peuples autochtones,
dans la mesure où celles-ci constituent
une discrimination à l'encontre
de ces peuples. Dans l'article 9 de
la convention, il est demandé
aux États de soumettre tous les
deux ans des rapports sur leur respect
de la convention et sur les étapes
législatives, judiciaires et
administratives auxquelles ils ont procédé;
après examen des rapports, le
CEDR peut faire des suggestions et des
recommandations d'ordre général.
Un des mécanismes de la participation
des peuples autochtones est la soumission
de leurs propres rapports, en parallèle
avec ceux soumis par les États,
qui permet au CEDR de comparer les informations
présentées par les États
avec celles présentées
par les peuples autochtones et leurs
organisations.
Les communautés autochtones
peuvent également déposer
une plainte auprès du Comité
des droits de l'homme des Nations Unies
pour obtenir une protection dans les
situations de
Brevets
et droits culturels
En novembre 1999, le US Patent
and Trademark Office (PTO-Bureau
américain des Brevets et
Marques) a réexaminé
et rejeté une réclamation
de brevet datant de 1986 déposée
par un citoyen des États-Unis
pour l'ayahuasca, une plante à
usage rituel chez les autochtones
d'Amazonie. La réclamation
avait été contestée
par les tribus autochtones de
plusieurs pays d'Amazonie regroupées
au sein de la Coordinadora de
Organizaciones Indígenas
de la Cuenca Amazónica,
associées à la Coalition
for the Amazonian Peoples and
their Environment et au Center
for International Environmental
Law. La décision du PTO
s'appuyait sur une conclusion
scientifique selon laquelle la
réclamation de 1986 décrivait
des variétés cultivées
n'ayant pu être distinguées
d'autres précédemment
décrites. Cette décision
permet d'anticiper l'appropriation
privée, en dehors de leurs
communautés, du profit
économique potentiel que
l'on peut tirer de traditions
séculaires des peuples
et tribus autochtones, ainsi que
l'aménagement des valeurs
culturelles traditionnelles pour
raison d'intérêt.12
|
violation de leurs droits fondamentaux.
Le Comité a reçu et traité
des cas de violation de droits comme
le droit à l'autodétermination,
pour un peuple autochtone,
et les droits sur les terres et les
territoires. Le comité a fait
d'importantes déclarations dans
ses décisions.11
Mécanismes régionaux
Le système interaméricain
pour la protection des droits humains
Le système interaméricain
comprend deux organes pouvant être
sollicités pour défendre
les droits des peuples autochtones-la
Commission interaméricaine sur
les droits humains et la Cour inter-américaine
des droits humains. (Voir le module
30 pour plus de détails sur les
recours qu'offre le système interaméricain.)
La Commission interaméricaine
des droits humains a effectué
des visites dans plusieurs pays suite
à de graves violations des droits
des peuples autochtones et publié
des rapports sur ces situations particulières
au Guatemala (1981, 1983, 1985, 1993),
en Bolivie (1981), au Surinam (1983,
1985), au Nicaragua (1983) et en Colombie
(1981, 1993). En ce qui concerne les
requêtes concernant des allégations
de violation des droits des peuples
autochtones, la commission a examiné
des cas dans plusieurs pays, comme celui
des Guahibos en Colombie, des Aché
au Paraguay, des Yanomami au Brésil
et des Miskitu au Nicaragua.13
En raison de l'importance de la résolution
prononcée par la commission dans
le cas des Yanomami du Brésil
(1985), sur la protection des droits
ESC des peuples autochtones, nous en
citerons ici quelques extraits clés.
Le cas concernait la situation dramatique
des Yanomami et leur mort progressive
du fait de la construction de routes
sur leur territoire, de la prospection
et autres activités sur leurs
terres, toutes au détriment de
leur santé et de leur intégrité
culturelle et spirituelle. Dans sa décision,
la commission a noté que
les violations alléguées
ont leur origine dans la construction
de la transamazonienne, autoroute
BR 210, qui traverse les territoires
des peuples autochtones; la non-création
du Parc des Yanomami pour la protection
de l'héritage culturel de ce
groupe autochtone; l'autorisation
d'exploiter la richesse du sous-sol
des territoires autochtones; la permission
de pénétrer massivement
en territoire autochtone accordée
à de nouveaux venus apportant
avec eux des maladies . . . de même
que dans l'absence de soins médicaux
essentiels pour les personnes affectées;
enfin dans le déplacement des
Indiens de leurs terres ancestrales.14
Dans cette décision, la commission
a déclaré que le gouvernement
du Brésil était responsable
de la violation de plusieurs droits,
y compris du droit à la santé
et au bien-être, gouvernement
auquel elle recommandait d'adopter des
mesures préventives et curatives
en matière de santé pour
protéger la vie et la santé
des peuples autochtones et, conformément
à sa législation, de procéder
à la délimitation et la
démarcation des terres ancestrales.
De surcroît, la commission a recommandé
au gouvernement d'adopter diverses mesures
pour protéger les terres contre,
entre autre, les chercheurs d'or, connus
sous le nom de garimpeiros, qui ont
envahi par milliers le territoire des
Yanomami. La décision souligne
également la responsabilité
de l'État brésilien de
ne pas avoir adopté de mesures
opportunes et effectives pour protéger
les droits humains des Yanomami. Cela
signifie que la responsabilité
des États peut être engagée
non seulement pour un acte mais également
pour une omission, lorsqu'ils omettent
d'adopter des mesures de protection.
Sur cette affaire, un auteur a noté:
En reliant directement la violation
des droits humains des Yanomami à
la violation du droit à la
terre, la Commission a fait un pas
décisif en avant vers l'éventuelle
reconnaissance du droit des peuples
autochtones sur leurs terres traditionnelles,
en tant qu'élément intrinsèque
des normes internationales en place.15
Une autre affaire importante qui démontre
les possibilités réelles
du système interaméricain
est la requête instruite contre
le gouvernement paraguayen face à
la situation dramatique des Enxet, communautés
autochtones de la région de Chaco
au Paraguay et l'occupation illégale
de leurs terres ancestrales. Cette affaire
a été portée devant
la Commission interaméricaine
des droits de l'homme en décembre
1996 par le Center for Justice and International
Law et Fundación Tierra Viva.
Dans le cadre du règlement à
l'amiable proposé par la commission,
le gouvernement paraguayen a reconnu
les arguments présentés
et mis en uvre un plan pour restituer
leurs terres à ces communautés
qui comprenait un investissement économique.
L'accusation portait sur une violation
du droit des communautés autochtones
à la terre reconnu par la Constitution
paraguayenne, et s'appuyait sur l'article
29 de Convention américaine relative
aux droits de l'homme en vertu duquel,
lorsqu'un droit est incorporé
à la législation nationale,
en particulier dans la Constitution,
il est possible d'invoquer ce droit
devant le système interaméricain.
Il était donc possible de se
tourner vers le système interaméricain
pour dénoncer une violation du
droit à la terre reconnu dans
un système juridique national.
Mécanismes nationaux
Chaque État nation comprenant
une population autochtone possède
des mécanismes tant administratifs
que juridiques pour défendre
et protéger les droits des peuples
autochtones. En matière de procédures
judiciaires, la plupart des constitutions
d'Amérique latine mettent en
place des mécanismes pour protéger
effectivement les droits des citoyens.
Ces mécanismes appelés
acciones de amparo ou acciones de tutela
peuvent être utilisés par
les peuples autochtones pour protéger
leurs droits spécifiques.
On trouve un exemple particulièrement
intéressant d'utilisation de
ce mécanisme en Colombie, où
une cour constitutionnelle enregistre
les violations des droits reconnus dans
la Constitution. Les organisations autochtones
de Colombie se sont tournées
plusieurs fois vers cette cour pour
instruire des acciones de tutela, alléguant
la violation de leurs droits à
la terre et à la diversité
culturelle au sein de la nation colombienne.
Dans plusieurs cas, la cour constitutionnelle
a donné un avis favorable à
la protection constitutionnelle des
droits indigènes. Dans une décision
de 1993 concernant une acción
de tutela instruite par la Organisación
Indígena de Colombia pour la
communauté autochtone des Embera-Katío
contre la Corporación Nacional
de Desarrollo et la Compañía
de Maderas del Darién, les droits
indigènes furent reconnus et
protégés. L'omission de
la Corporación et les actes de
la Compañía furent jugés
comme une violation et une menace des
droits fondamentaux de la communauté
autochtone. Ces droits comprenaient
le droit à la vie, au travail,
à la propriété,
à l'intégrité ethnique-tant
culturelle que territoriale-, à
une protection spéciale en tant
que groupe ethnique de la part de l'État,
ainsi que les droits prévus par
les traités internationaux sur
les peuples autochtones, comme la Convention
de l'OIT 169 ratifiée comme loi
nationale. Les actes incriminés
concernaient l'exploitation forestière
par la compagnie sur le territoire indigène,
et les omissions de la corporation portaient
sur son manque de considération
adéquate pour les torts causés
sur les plans environnemental et culturel.
Ce jugement met en lumière la
violation des droits ESC des peuples
autochtones:
Dans l'exercice de la juridiction
constitutionnelle, le juge finit par
établir la violation et la
menace faites aux droits au travail,
à l'intégrité,
à une protection spéciale
en tant que groupe ethnique . . .
car, de son point de vue, la dévastation
d'une partie des forêts du resguardo
autochtone rendait leurs conditions
de travail plus pénibles, affectait
leur identité culturelle et
territoriale, et menaçait sérieusement
leur mode traditionnel de production.16
Auteur: L'auteur de ce module
est Luis Jesús Bello.
NOTES
1.
Programme des Nations Unies pour le
développement, Rapport sur le
développement humain 1997, 47.
2.
Organisation internationale du travail,
Convention No. 169 relative aux peuples
indigènes et tribaux, 1989, article
1.
3.
Edelberto Torres Rivas, Consideraciones
sobre la condición indígena
en América Latina y los derechos
humanos, (San José: Institut
interaméricain des droits de
l'homme, 1996), 403.
4.
Jorge Dandler, " Hacia un Orden
Jurídico de Diversidad. "
in De Amerindia hacia el tercer milenio,
Instituto Nacional Indigenista (UNESCO-INI,
1991), 59.
5.
Agencia Latinoamericana de Información,
Servicio Informativ. No. 238 (août
1996), 14.
6.
Arundhati Roy, The Cost of Living (Londres:
Flamingo, 1999), 15-16.
7.
Iturralde y Diego, " Los pueblos
indígenas y sus derechos en América
Latina ", Revista Justicia y Paz.
Centro de Derechos Humanos " Fray
Fancisco de Vitoria ", no. 25 (mai
1992), 21.
8.
Voir Madhu Kishwar vs. State of Bihar
(1992) 1 Affaire de la Cour suprême
102.
9.
Voir Nandita Haksar, " Human Rights
Lawyering: A Feminist Perspective ",
in Engendering Law: Essays in Honour
of Lotika Sarkar, éds. Amita
Khanda et Archana Parashar, (Lucknow:
EBC, 1999).
10.
Conseil mondial des peuples indigènes,
Projet de Déclaration des Nations
Unies sur les droits des peuples autochtones,
(Ottawa, 1994, ronéotypé).
11.
Daniel O'Donnell, Protección
internacional de los derechos homanos,
Comisión Andina de Juristas-Fundación
Friedrich Naumann, 2e éd. (Lima,
1989), 354-357.
12.
Dans " Patent on Sacred Plant Revoked
", Colombia Update 11, nos. 3 et
4 (Hiver/Printemps 2000): 21.
13.
Shelton H. Davis, Land Rights and Indigenous
People: The Role of the Inter-American
Commission on Human Rights (Cambridge,
1988).
14.
Commission interaméricaine des
droits de l'homme, Coulter et al., Résolution
No. 12/85, Affaire 7615, Brésil,
5 mars 1985, OAS/Ser.L/V/II.66, Doc.
10 révision 1, 1 octobre 1985,
4-34.
15.
O'Donnell, op. cit., 364.
16.
Ibid.
|