INTRODUCTION—
CONTENU ET STRUCTURE DU

CERCLE DES DROITS

Le début d’un processus

Bien que, ces dernières années, les droits de l’homme soient devenus un trait dominant du discours international, le fait de parler de nourriture, de logement, de santé et d’autres questions similaires en termes de droits provoque toujours réticence et embarras.  Invariablement, les mêmes questions reviennent, y compris aux lèvres de ceux qui soutiennent l’idée des droits économiques sociaux et culturels (ESC): « Qu’entendez-vous par là? » « Que voulez-vous dire par ‘droit au logement’, ‘droit à l’éducation’, ‘droit au travail’? etc., que toute personne doit avoir un logement, accès à l’éducation, ce même jusqu’à l’université, accès à un emploi—et que c’est à l’État qu’incombe la responsabilité de garantir tout cela »?

Ces doutes et interrogations peuvent être dus à d’un manque d’information et de compréhen­sion.  Ils peuvent aussi avoir un motif idéologique.  Quelle que soit leur origine, ils ne peu­vent être ignorés.  Lorsque les personnes qui les expriment manquent tout simplement d’information, y répondre fait alors partie intégrante du processus de sensibilisation et de familiarisation aux droits qui appartiennent à tous les être humains.  En revanche, lorsque ces questions sont sous-tendues par un point de vue idéologique, y répondre participe d’un pro­cessus essentiel d’affirmation de cet ensemble de droits.  Affirmer (ou réaffirmer) la théorie comme la pratique des droits ESC, même auprès des éventuels opposants idéologiques ou sceptiques, est un moyen important pour nous de renforcer notre analyse et notre compréhen­sion de ces droits, et la façon dont nous les articulons.

Le Cercle des Droits tente de répondre aux nombreuses questions posées de nos jours sur les droits ESC.  Il a pour objectif de contribuer au processus d’apprentissage actuellement en cours et d’encourager le développement de l’activisme visant à promouvoir et protéger ces droits.  Dans son orientation vers l’activisme, le manuel tente non seulement de fournir des informations sur les lois et normes relatives à ces droits, mais également de répondre aux questions de stratégie et de tactique qui s’imposent aux organisations dans leur recherche des meilleurs moyens d’œuvrer en faveur de la promotion des droits ESC.

Le Cercle des Droits s’adresse prioritairement aux formateurs qui assurent ou souhaiteraient assurer, la formation des militants dans le domaine des droits de l’homme, des personnes travaillant dans le domaine du développement, des membres d’organisations représentant les plus défavorisés, voire d’autres personnes concernées par les questions ESC.  Nous espérons et attendons que les formateurs travaillant avec ces différents groupes pourront utiliser le  contenu de ce manuel et, si nécessaire, l’adapter et le développer pour mener des programmes de formation sur les droits ESC et l’activisme en faveur de ces droits.

Le Cercle des Droits est structuré de telle manière qu’il peut aussi être utilisé pour introduire le concept des droits ESC auprès des responsables politiques, des médias, des universitaires, des avocats et autres professions libérales, tout comme auprès des personnels d’organisations intergouvernementales.

Le Cercle des Droits n’est que le début d’un processus.  Malgré son volume conséquent, il laisse en suspens de nombreuses questions considérées comme importantes aux yeux de di­vers groupes.  Par exemple, il ne fait qu’effleurer les droits ESC propres aux personnes han­dicapées et aux personnes déplacées à l’intérieur des frontières de leur pays ou à certains secteurs particuliers comme ceux auxquels appartiennent les pêcheurs, les ouvriers agricoles ou encore les travailleurs du secteur informel.  Il ne contient pas d’informations détaillées sur la Constitution et la législation relatives aux droits ESC propres à différents pays.  En d’autres termes, ce n’est pas un ouvrage exhaustif, ce qu’il ne saurait être.  Le but recherché dans la réalisation de ce manuel était de fournir un cadre initial à l’activisme en faveur des droits ESC, dans l’espoir que de nombreux autres manuels, proposant un traitement appro­fondi des droits ESC de catégories de personnes ou de questions de droits ESC spécifiques, seraient réalisés à l’avenir par des personnes aux connaissances et à l’expérience plus solides en la matière.

Le Cercle des Droits est le fruit d’un projet global, et les études de cas et exemples étudiés reflètent des expériences diverses.  Il revient aux usagers de ce manuel d’adapter le matériel contenu à leur propre contexte local.  Les expériences faites dans certaines régions et pays sont plus souvent décrites que d’autres.  Le processus choisi pour élaborer ce manuel impli­quait par nécessité un nombre de participants limité, dont les informations et expériences ont plus enrichi le projet au cours de son évolution que n’ont pu le faire de nombreux autres mi­litants dont le travail dans d’autres régions ou pays est cependant tout aussi estimable.  Avec le développement de l’activisme pour les droits ESC, on verra naître de plus en plus d’échanges entre les régions et pays, ce qui amènera les éventuels projets de cette nature à refléter à l’avenir un éventail plus large d’expériences.

Structure du présent manuel

Le Cercle des Droits est composé de deux parties distinctes: la première partie a trait à l’activisme pour les droits ESC; la deuxième suggère des méthodes de formation à employer dans le cadre d’un programme de formation en s’inspirant des données fournies en première partie.

La première partie est divisée en dix sections.  L’objectif et la justification de chacune d’elles sont les suivants:

Section I—Développer une perspective axée sur les droits

La section I ne comporte que le module 1, qui porte le même titre qu’elle.  Ce module a été placé en premier car la compréhension d’une perspective axée sur les droits est fondamentale à toute forme d’activisme pour les droits ESC.  Il tente de répondre aux questions que se posent régulièrement les personnes travaillant déjà dans le domaine ESC: « En quoi le travail que je fais est-il différent de celui concernant les droits de l’homme »? La Banque mondiale, par exemple, qualifie son projet de soutien de promotion des droits ESC.  « Le fait qu’une institution, une organisation ou un militant travaille sur le problème de la pauvreté signifie-t-il pour autant qu’elle/il œuvre en faveur des droits de l’homme »? C’est à ces questions que cette section tente de répondre.

Section II—Histoire et vue d’ensemble des droits ESC

Pour être efficace, tout activisme en faveur des droits de l’homme doit être fondé sur une compréhension au moins élémentaire de l’origine des questions auxquelles il cherche à ré­pondre, des normes sur lesquelles elles reposent et du contexte dans lequel elles s’inscrivent.  Aussi la section II constitue-t-elle une brève introduction à l’histoire, aux normes et au contexte de l’activisme pour les droits ESC.  Elle comporte deux modules:

Le module 2 commence par un rappel historique de la reconnaissance des droits ESC.  Son objectif est de montrer que cette histoire commence bien avant les années 1950 et les initia­tives prises par les Nations Unies.  Il fournit une brève introduction au contexte international contemporain dans lequel s’inscrit l’activisme pour les droits ESC.

Le module 3 fournit une introduction au principal traité international sur les droits ESC, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), dont le texte intégral est présenté en fin de module.

Section III—Perspectives de groupes particuliers

Comme de nombreux autres traités internationaux relatifs aux droits ESC, le PIDESC s’applique à tous de façon égale.  En même temps, du fait de leur histoire et de leur situation actuelle, certaines catégories de personnes ont adopté des perspectives sur les droits ESC, ou possèdent une expérience en la matière, qui présente, sur le plan conceptuel et pratique, des défis particulièrement difficiles.  En conséquence, avant de poursuivre tout développement sur les droits ESC en termes généraux, nous avons cherché à développer, en section III, les perspectives, expériences et normes spécifiquement applicables à quatre de ces catégories—les femmes (module 4), les enfants (module 5), les peuples autochtones (module 6) et les réfugiés (module 7).  Le module 4 est suivi d’extraits des Recommandations générales rédi­gées par le Comité sur l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW).

Le Cercle des Droits n’offre pas un traitement exhaustif de ces questions et ce, pas plus que lorsqu’il s’agit de considérer la situation de catégories de personnes—et les formes de pro­tection qui leur sont offertes— particulièrement exposées aux manquements des gouverne­ments et autres à qui incombe pourtant la responsabilité de protéger et satisfaire leurs besoins ESC les plus élémentaires.  La situation et les problèmes en matière de droits ESC des mil­lions de personnes déplacées à l’intérieur de leur pays ne sont pas abordés dans ce manuel.  Par ailleurs, le CDESC a rédigé des Observations générales sur les personnes handicapées (Observation générale 5) et les personnes âgées (Observation générale 6) mais, dans ce manuel, nous n’avons pas traité les problèmes propres à ces catégories.  Nous espérons que ceux dont les connaissances et l’expérience sont plus solides en la matière proposeront un manuel qui traitera de façon plus complète des droits ESC de ces catégories de personnes et d’autres individus particulièrement vulnérables.

Section IV—Définir les droits et les obligations

L’un des principaux défis auxquels sont confrontées les personnes concernées par la protec­tion et la promotion des droits ESC est le langage relativement flou dans lequel la plupart des droits sont articulés.  Comment « extraire la substantifique moelle » des normes actuelles? Autre question en rapport avec la précédente: « À qui incombe la responsabilité de garantir le respect et la pleine jouissance de ces droits »? C’est à ces questions que la section IV répond.  Le module 8 offre une étude de la première question, en présentant certaines réflexions et expériences sur le développement d’une compréhension plus approfondie du contenu des différents droits ESC.  Le module 9 explore principalement les obligations qu’ont les gouver­nements de garantir la pleine jouissance de ces droits, tout en abordant rapidement les res­ponsabilités des acteurs non étatiques, telles les entreprises.

Section V—Comprendre les droits ESC spécifiques

Le PIDESC prévoit des droits spécifiques, et la section V en aborde un certain nombre dans le détail.  Cette section comprend le droit au travail et les droits du travail (module 10), le droit à la sécurité sociale (module 11), à une nourriture suffisante (module 12), au logement adéquat (mo­dule 13), à la santé (module 14), à un environnement sain (module 15), à l’éducation (mo­dule 16) et les droits culturels (module 17).  Elle comprend également un module sur les droits fonciers (module 18) qui, bien que n’étant pas spécifiquement traité dans le PIDESC, est un problème d’une importance capitale pour un grand nombre de personnes.  L’objectif de cette section est de donner une vue d’ensemble du niveau actuel de compréhension de ces diffé­rents droits.

Section VI—Le suivi et l’évaluation de la jouissance des droits ESC

Comment savoir si un gouvernement (ou une autre partie responsable) respecte bien ses obligations en matière de droits ESC? L’un des traits qui définissent le travail sur les droits de l’homme est le processus de suivi des actions d’un gouvernement donné pour déterminer si ce qu’il fait est bien conforme aux droits et obligations définis par les lois internationales et nationales, et d’évaluer si ces actions sont adéquates.  Cette section comprend le module 19, qui résume certains des aspects de la complexité liée au suivi des droits ESC et explore certains des outils de suivi disponibles.

Section VII—Stratégies et outils pour l’activisme au niveau national

Une fois que l’on maîtrise la connaissance des différentes garanties des droits ESC, le contrôle et l’évaluation de la façon dont ils sont observés, la question qui vient à l’esprit est: Comment utiliser ces acquis pour protéger et promouvoir les droits ESC? La section VII est la première de quatre sections consacrées à cette question et décrivant des stratégies et outils disponibles à l’échelle nationale—des stratégies et outils utilisés avec quelques résultats par des militants et organisations dans différents pays.  Elle contient quatre modules.  Le mo­dule 20 aborde certains des points clés d’une stratégie fondamentale à toutes les autres: l’éducation aux droits de l’homme.  Le module 21 concerne la façon dont le développement et la réforme des politiques, des plans et de la législation peuvent être utilisés pour protéger et promouvoir les droits ESC.  Le module 22 présente quelques analyses et suggestions détail­lées en matière de litige sur les questions de droits ESC, et comprend une longue « étude de cas » sur l’expérience de la Cour suprême d’Inde dans une instruction sur le caractère justi­ciable de ces droits.  Le module 23 propose un développement sur le rôle potentiel des com­missions nationales sur les droits de l’homme en matière de protection des droits ESC.

Section VIII—Mécanismes des Nations Unies et les droits ESC

Comme d’autres traités internationaux relatifs aux droits ESC, le PIDESC prévoit un certain nombre de mécanismes et procédures conçus pour superviser et surveiller la conformité des gouvernements avec les dispositions de ces traités.  Outre ces traités, l’ONU a créé un certain nombre d’autres organes et mécanismes relatifs aux droits de l’homme habilités à traiter un éventail de questions de droits ESC.  Le module 24, seul module de cette section, explore la mission et les procédures d’un certain nombre de ces organes et mécanismes de l’ONU.

Section IX—Développer des stratégies pour d’autres acteurs dominants

En dehors des Nations Unies, aucune autre institution ou organisation n’a de responsabilité légale officiellement reconnue pour protéger et promouvoir les droits ESC.  En même temps, il existe de puissants acteurs à l’échelle internationale qui ont à la fois la capacité et le poten­tiel pour pouvoir agir aussi bien pour les droits ESC que contre.  La section IX vise à explo­rer, partiellement, les activités et l’impact de ces « acteurs », et à examiner les stratégies que les militants pourraient employer pour encourager ces institutions à user de leur pouvoir et de leur influence pour faire pression en faveur d’un plein exercice des droits ESC.  Ces institu­tions sont: les entreprises (module 25), les accords multilatéraux sur le commerce et l’investissement  (module 26) et la Banque mondiale (module 27).

Section X—Stratégies et outils pour l’activisme au niveau régional

Trois des régions du monde abritent un organe intergouvernemental explicitement mandaté pour protéger et promouvoir les droits de l’homme.  Bien que ces organes n’aient encore à ce jour que peu d’expérience du traitement des droits ESC, ils ont le potentiel nécessaire pour apporter des solutions aux abus de droits ESC.  Aussi font-ils l’objet de cette section.  Le module 28 résume la mission et les activités de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples; le module 29, les organes et mécanismes au sein du système euro­péen de protection des droits humains; et le module 30, le système interaméricain des droits de l’homme.

La deuxième partie du Cercle des Droits fournit quelques réflexions et suggestions à ceux et celles qui utiliseront le manuel dans le cadre d’un programme de formation.  Dans son en­semble, le manuel est fondé sur la conviction que, pour être efficace, tout apprentissage doit s’appuyer sur l’expérience, la compréhension et les besoins des participants, et ce indépen­damment de la formation.  Ce point de vue est reflété autant de fois que possible dans cette partie qui commence par des généralités sur l’organisation d’un programme de formation.  Suivent quelques idées pour transmettre la teneur de chaque module ainsi que des sugges­tions de méthodes pouvant être employées.  Ces méthodes ne prétendent nullement être ex­haustives, ni dans le traitement qu’elles proposent des questions et stratégies abordées dans le manuel, ni dans les approches que les formateurs pourront utiliser.  Ces suggestions ne visent qu’à susciter la réflexion et stimuler la créativité de ceux et celles qui seront chargés de pré­senter le matériel.

L’annexe 1 comprend une liste descriptive des auteurs des différents modules.  L’annexe 2 donne les noms et coordonnées des participants aux deux ateliers cités dans la préface comme les éléments clés de l’élaboration du Cercle des Droits.


Droits résérves