Introduction
Ladoption de
la Charte africaine des droits de
lhomme et des peuples [1] est
sans doute la mesure la plus audacieuse
quaient pris les États africains
pour sattaquer au problème des
violations fréquentes et systématiques
des droits de lhomme sur ce
continent qui eurent lieu entre les
années 1970 et la fin des années 1980.
La Charte contient
des dispositions sur les droits civils
et politiques fondamentaux, ainsi
que sur les droits ESC, qui sont tous
garantis sans distinction aucune de
race, de groupe ethnique, de couleur,
de sexe, de langue, de religion, dopinion
politique ou autre, dorigine
nationale et sociale, de fortune,
de naissance ou autre statut. Elle
stipule également les devoirs des
États et des personnes concernant
les droits de lhomme. Ainsi,
les personnes ont des devoirs vis-à-vis
des autres êtres humains, de
leur famille et de la société et doivent
exercer leurs droits et devoirs « dans
le respect du droit d'autrui, de la
sécurité collective, de la morale
et de l'intérêt commun.».
Les dispositions
économiques, sociales et culturelles
de la Charte africaine
La Charte africaine
reconnaît le principe dindivisibilité
et dindépendance de tous les
droits de lhomme. Son préambule
stipule: « qu'il est essentiel
d'accorder désormais une attention
particulière au droit au développement;
que les droits civils et politiques
sont indissociables des droits économiques,
sociaux et culturels, tant dans leur
conception que dans leur universalité,
et que la satisfaction des droits
économiques, sociaux et culturels
garantit la jouissance des droits
civils et politiques »
(para. 8).
Elle garantit plusieurs
droits ESC. Larticle 15 stipule
que « Toute
personne a le droit de travailler
dans des conditions équitables et
satisfaisantes et de percevoir un
salaire égal pour un travail égal.».
Le droit au meilleur état de santé
physique et mentale quil soit
possible datteindre est garanti
à chacun. Les États parties sont
obligés de prendre les mesures nécessaires
pour assurer que les malades reçoivent
une attention médicale (art. 16).
La santé physique des familles est
garantie, ainsi que des protections
pour les femmes, les enfants, les
personnes âgées et handicapées (art.
18).
Le droit à léducation
est également garanti à chaque personne
(art. 17), ainsi que la liberté de
participer à la vie culturelle de
sa communauté. Larticle 22
reconnaît le droit de tous les peuples
à leur développement économique, social
et culturel, en tenant compte de leur
liberté et de leur identité, et le
droit à légalité de la jouissance
de lhéritage commun de lhumanité;
larticle 24 reconnaît le droit
de tous les peuples à un environnement
satisfaisant.
La Charte ninclut
pas certains droits ESC, dont le droit
au logement. Ils peuvent toutefois être
revendiqués indirectement; par exemple,
il est possible dinvoquer larticle
14, qui garantit le droit à la propriété,
pour demander le droit à un logement
adéquat. Même si le droit à lalimentation
nest pas expressément garanti
aux termes de la Charte, la Commission
africaine des droits de lhomme
et des peuples établie en vertu de
la Charte stipule que la privation
de nourriture constitue une violation
de la Charte, car elle transgresse
le droit au respect de la dignité
dun être humain.
La Commission africaine
des droits de lhomme et des
peuples
La Charte africaine
a établi la Commission africaine des
droits de lhomme et des peuples,
dont le mandat est de promouvoir et
protéger les droits garantis par la
Charte. La commission se compose
de onze membres élus par la Conférence
des chefs dÉtat et de gouvernement
de lOrganisation de lunité
africaine (OUA). À leur élection,
les membres servent à titre individuel.
Larticle 36 de la Charte stipule
que les membres de la commission sont
élus pour six ans et peuvent être
réélus. La commission est assistée
dans ses fonctions par un Secrétaire
et un personnel nommés par le Secrétaire
général de lOUA. Le secrétariat
de la commission est situé à Banjul,
en Gambie.
Procédure de présentation
de rapports
À titre dorgane
de surveillance du traité, la commission
a de vastes responsabilités dincitation,
de protection et dinterprétation, [2] y compris lexamen
des rapports des États parties [3]
et la prise en considération des communications
entre les États,
[4] des communications
individuelles et des communications
des ONG.
À linstar des
autres organes de surveillance des
traités, elle est chargée de recevoir
et dexaminer les rapports des
États parties sur les mesures législatives
et autres quils ont prises pour
faire appliquer la Charte dans leurs
domaines de compétences. Cette procédure
de coopération est destinée à encourager
les États parties à assurer volontairement
la pleine mise en uvre des
droits reconnus par la Charte. Lexamen
de ces rapports, qui a généralement
lieu au cours de sessions ouvertes
de la commission, constitue une bonne
occasion pour les ONG de fournir aux
membres de la commission des rapports
indépendants et autres informations
capitales afin daffiner leur
analyse de la situation de lÉtat
en examen vis-à-vis des droits humains.
Toutefois, nombreux
sont les États parties à la Charte
qui nadressent toujours pas
leurs rapports à la commission.
Lorsquils sont présentés, ces
rapports sont généralement incomplets
et ne contiennent pas suffisamment
dinformations pour permettre
un examen réel de la situation de
lÉtat vis-à-vis des droits humains.
Même si la Charte reconnaît expressément
lindivisibilité et linterdépendance
de tous les droits de lhomme,
ses États parties, ainsi que la Commission
africaine, ont souvent ignoré les
droits ESC. Les dispositions concernant
ces droits sont les moins citées dans
la Charte. Bien que les directives
de présentation de rapports établies
par la Commission africaine exigent
linclusion dinformations
spécifiques sur les droits ESC, ces
rapports ne contiennent pratiquement
aucune information utile sur leur
application.
Communications/plaintes
Le dépôt dune
communication individuelle ou de celle
dune ONG auprès de la commission
est prévu par les articles 55-58 de
la Charte africaine. Le Secrétariat
de la commission a le devoir aux
termes de larticle 55(1) de
dresser une liste des communications
quil reçoit
[5] et de la transmettre
aux membres de la commission, qui
indiquent par décision prise à majorité
simple les communications dont la
commission tiendra compte.
[6]
Les conditions dadmissibilité
dune plainte sont précisées
dans larticle 56 de la Charte:
le plaignant (ou son représentant,
sil ne peut déposer une plainte
en son propre nom) doit être
la victime dune ou plusieurs
violations dun droit aux termes
de la Charte. Une personne ou une
ONG qui atteste de violations graves
ou massives des droits humains ou
des peuples peut également présenter
une communication. Cette communication
invoquera la Charte lorsque des dispositions
existent à cet effet; [7] elle
indiquera lauteur (même si lanonymat
est demandé)(art. 56[2]); elle ne
sera pas fondée principalement sur
des informations issues de la presse
(art. 56[4]); elle ne sera pas rédigée
en termes agressifs ou insultants
vis-à-vis des États parties ou de
lOUA (art. 56[3]).
Avant quune plainte
puisse être examinée, le plaignant
doit prouver avoir épuisé tous les
recours nationaux (art. 56[5]).
Cette condition a été incluse
pour que la commission ne devienne
pas un tribunal de première instance.
Même si les plaignants nont
pas intenté de procédure juridique
locale, la commission examine une
plainte lorsquil nest
pas pratique ou indésirable pour le
plaignant dintenter un recours
auprès des tribunaux nationaux ou
si, du fait de la gravité du problème
des droits humains et du grand nombre
de personnes impliquées, ces recours
sont en tout état de cause indisponibles
ou « indûment prolongés ».
Ces exceptions à la
« règle de lépuisement
préalable des
recours internes » fournissent
dimportantes mesures de protection
pour des plaintes qui ne seraient
sinon pas admissibles par la commission.
Cette dernière a ignoré la règle de
lépuisement des recours internes lors
dune plainte présentée par le
Social and Economic Rights Action
Center (SERAC) du Lagos et par
le Center for Economic and Social
Rights (CESR) situé à New York.
Déposée au nom des communautés dOgoni
dans la région du delta du Niger au
Nigeria, cette plainte avait trait
à la contamination étendue du sol,
de leau, de lair et à
la destruction des habitations. Elle
faisait également état dincendies
de cultures, de mises à mort danimaux
de ferme et du climat de terreur qui
régnait dans les communautés dOgoni
du fait des violations de leur droit
à la santé, à un environnement sain,
à des logements adéquats et à la nourriture.
À la question concernant lépuisement
des recours internes, la communication
indiquait que « les recours locaux
nexcluent pas la communication
en raison de la futilité des procédures
judiciaires au Nigeria résultant du
fonctionnement de clauses dexclusion
contenues dans les décrets militaires
et retirant la compétence des cours
à juger les affaires de droits humains ».
La communication fut déposée en 1996.
Trois ans plus tard, la commission
ne la toujours pas examinée
et na pas rendu de décision.
La règle du caractère
confidentiel, prévue à larticle
59 de la Charte africaine, est un
autre point controversé de la Commission
africaine. Elle stipule que « toutes
les mesures prises dans le cadre du
présent chapitre resteront confidentielles
jusqu'au moment où la Conférence des
Chefs d'Etat et de Gouvernement en
décidera autrement».
En vertu de cette disposition, la
commission examine habituellement
les plaintes au cours de sessions
privées, excluant même les plaignants. [8] Selon ses règles de
procédure, la Commission peut
toutefois « diffuser par lintermédiaire
du Secrétaire, à lattention
des médias et du public, des communiqués
sur les activités quelle mène
au cours de ses sessions privées ».
Dans les cas appropriés, la Commission africaine
peut envisager de faire appliquer
des mesures provisoires pour maintenir
le statu quo ou empêcher quun
plaignant ne subisse un préjudice
irréparable avant lexamen dune
communication ou la décision prise
à son sujet. Elle a également entrepris
des enquêtes sur place concernant
des allégations de violations étendues
ou systématiques des droits de lhomme.
La permission de lÉtat partie
est exigée pour ces missions.
La Charte prévoit que
les États parties doivent obéir à
sa juridiction; toutefois, la juridiction
de la commission est loin dêtre
obligatoire et ses pouvoirs dapplication
se limitent à des recommandations
auprès de la Conférence des chefs
dÉtat et de gouvernement. La
commission a observé dans un commentaire
sur la nature de son processus de
communication: « Lobjectif
principal de la commission dans le
cadre de la procédure de communication
est dengager un dialogue entre
les parties qui aboutisse à une solution
à lamiable, à leur satisfaction,
et qui remédie au préjudice dont il
est fait état. La condition inévitable
de ce dialogue est la bonne foi des
deux parties, ainsi que leur désir
de chercher une solution à lamiable ». [9]
La commission se perçoit donc comme
médiateur conscient de son incapacité
à obtenir un résultat particulier,
même lors de cas très évidents de
violations flagrantes des droits de
lhomme.
La Commission
africaine des droits de l'homme
et des peuples
et l'activisme sur les droits
ESC en Afrique
Les 3 et 4 septembre 1999,
le Social and Economic Rights
Action Center du Nigeria organisa
un atelier auquel participaient
des acteurs locaux et internationaux
des droits humains, le Secrétariat
de la Commission africaine,
des professeurs, des journalistes,
des spécialistes en droit,
la Commission nationale nigérienne
sur les droits de l'homme et
des dirigeants de communautés,
afin d'examiner le statut des
dispositions de la Charte africaine
des droits de l'homme et des
peuples concernant les droits
ESC. Voici des extraits du communiqué
adopté à l'issue
de cette réunion:
B. Facteurs empêchant
la pleine réalisation
des droits ESC aux termes de
la Charte africaine . . .
4. Bien que la Commission africaine
des droits de l'homme et des
peuples soit le principal organe
ayant le mandat de surveiller
l'application de la Charte africaine
par les États parties,
elle n'a pas réussi à
traiter concrètement
les importants problèmes
du continent concernant les
droits humains et le refus généralisé
de l'Afrique de respecter les
droits ESC . . .
7. L'absence d'une procédure
rapide et effective permettant
de présenter des plaintes
auprès de la Commission
a empêché le développement
d'une jurisprudence appropriée
sur les droits humains en général
et les droits économiques,
sociaux et culturels en particulier.
8. L'inaction pratiquement
totale de la Commission pour
promouvoir et protéger
les droits ESC a été
liée à la présence
spatiale d'acteurs dans ce champ
d'activités. En mars
1997, par exemple, le Secrétaire
de la Commission nota que les
communications sur les droits
économiques, sociaux
et culturels représentaient
moins de un pour cent du nombre
total de communications reçues
à ce jour par la Commission.
Par ailleurs, les organisations
des droits humains et autres
organes n'ont toujours pas optimisé
les avantages importants représentés
par le partage de leurs connaissances
et de leur expérience
afin d'élaborer des perspectives
et buts communs susceptibles
d'orienter la compréhension
de ce sujet et l'agenda de la
Commission à ce propos.
Par conséquent, les questions
ayant trait aux droits ESC ont
été reportées
sur l'agenda de la Commission,
ce qui a eu pour résultat
d'augmenter l'indifférence
des États membres vis-à-vis
de l'ensemble de leurs obligations
aux termes de la Charte et de
favoriser une culture de non-respect
des droits humains . . .
D. Recommandations
11. Les droits ESC doivent
être gravés constamment
sur l'agenda de la Commission.
Consciente de sa longue passivité
vis-à-vis des droits
ESC, la Commission doit de toute
urgence nommer un Rapporteur
spécial sur ces droits
pour entreprendre des démarches
élargies et des mesures
spécifiques de promotion
et de protection afin de réaliser
pleinement les droits ESC .
. .
13. Tous les mécanismes
régionaux relatifs à
la pleine réalisation
des droits ESC doivent être
renforcés et la Commission
doit assurer un rôle clé
dans la collaboration à
ces mesures et leur coordination.
Elle doit faire preuve en particulier
de créativité
et d'imagination afin d'adapter
ses techniques et procédures
à la promotion et la
protection de ces droits . .
.
15. La jouissance des droits
ESC est au cur de la consolidation
de la démocratie et de
l'arrêt des coups d'État
militaires sur le continent.
16. La Commission doit prendre
des mesures immédiates
pour assurer l'application de
la Charte africaine en encourageant
les États parties à
l'incorporer dans leurs lois
municipales. S'inspirant de
la République sud-africaine,
tous les États membres
doivent faire en sorte que les
droits ESC soient justiciables
de par la constitution. . .
19. En évaluant le respect
de ces droits par les États
parties, la Commission doit
adopter une analyse budgétaire
pour estimer le montant des
ressources à allouer
à leur protection et
à leur réalisation.
Elle doit demander instamment
aux États parties, aux
organismes internationaux de
financement, ainsi qu'aux organisations
multinationales publiques et
privées, d'allouer davantage
de ressources à la pleine
réalisation des droits
ESC . . .
21. La Commission doit intervenir
dans les luttes continues menées
pour ces droits sur tout le
continent, en particulier dans
les communautés locales
et les groupes ici présents.
Parmi ces communautés,
citons les peuples Maroko (survivants
de l'éviction forcée
du Nigeria en juillet 1990,
au cours de laquelle furent
saisies les habitations d'environ
300 000 personnes), les pêcheurs
qui subirent des préjudices
dus aux déversements
de pétrole des entreprises
pétrolières multinationales,
ainsi que les personnes touchées
par le VIH/SIDA.
22. La Commission doit prêter
une attention particulière
à l'éradication
de toute forme de violence et
de discrimination contre les
femmes, ainsi qu'à leur
développement économique,
social et culturel.
23. Tous les acteurs des droits
humains doivent développer
les qualifications et aptitudes
techniques requises pour analyser
les questions concernant les
droits ESC et pousser constamment
la Commission à agir
pour la promotion et la protection
de ces droits. Il convient de
poursuivre des efforts communs
pour élaborer des techniques
effectives, notamment des stratégies
juridiques et non-juridiques.
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Auteur: Lauteur de ce module
est Felix Morka.
NOTES