MODULE 24
LES MÉCANISMES DES NATIONS UNIES ET LES DROITS ESC

Observation générale 1

Objet du module 24

Ce module a pour objet de fournir une idée d’ensemble sur certains mécanismes internationaux de protection et d’application des droits ESC.

Ce module

  • présente les organismes et mécanismes des droits humains fondés sur des traités, et d’autres fondés sur la Charte des Nations Unies;
  • fait le point sur les travaux et procédures des organes clés de traités liés aux droits ESC, notamment:
    • le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, 
    • le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes,
    • le Comité des droits de l’enfant,
    • le Comité des droits de l’homme; 
  • fait le point sur les travaux et procédures des organismes et mécanismes fondés sur la Charte des Nations Unies et liés aux droits ESC, notamment:
    • la Commission de la condition de la femme,
    • la Commission des droits de l’homme des Nations Unies, et
    • la Sous-commission des Nations Unies de la promotion et de la protection des droits de l’homme,
  • fait le point sur les travaux et procédures de l’Organisation internationale du travail.

Introduction

Les institutions et procédures nationales doivent être efficaces afin protéger les droits ESC dans leur intégralité.  Les actions entreprises auprès des institutions, organismes et mécanis­mes internationaux ne peuvent que compléter la protection fournie par ces organismes et pro­cessus; elles ne remplacent pas les travaux effectués au niveau national.

En même temps, plusieurs institutions, mécanismes et procédures internationaux ont un rôle à jouer dans la réalisation des droits ESC.  La plupart d’entre eux font partie du système des Nations Unies.  Ce module en récapitule brièvement les plus importants:

         Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels 
         Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes
         Le Comité des droits de l’enfant
         Le Comité des droits de l’homme 
         La Commission de la condition de la femme
         La Commission des Nations Unies des droits de l’homme
         La Sous-commission des Nations Unies de la promotion et la protection des droits de l’homme
         L’Organisation internationale du travail

Les mécanismes des traités

L’application des traités sur les droits humains ne peut être la responsabilité des États seuls.   Il doit y avoir une forme d’observation indépendante, même pour les États dévoués aux droits humains.  Par conséquent, les traités sur les droits humains fournissent à l’échelon universel un certain mécanisme d’« application » ou de « surveillance » généralement contrôlé par un comité indépendant (dans le cas des traités des Nations Unies), une commission ou un tribu­nal.  Chaque traité des Nations Unies dont il est question dans ce module possède son propre « organisme » ou comité chargé d’entreprendre plusieurs tâches relatives à sa mise en œuvre.

Les mécanismes d’application ou de surveillance des traités sur les droits humains se présen­tent sous l’une des deux formes suivantes: un système de rapport ou un système de pétition.  Dans certains cas, ils sont tous deux combinés.  Le système de rapport constitue le méca­nisme standard de supervision des traités des Nations Unies. Dans ce système, les États par­ties soumettent régulièrement au comité des Nations Unies concerné un rapport sur les pro­grès réalisés et les problèmes rencontrés lors de la mise en œuvre du traité.  Les comités examinent ces rapports au cours de leurs réunions annuelles.  Ces examens prennent habi­tuellement la forme de ce que l’on appelle un « dialogue constructif », au cours duquel les représentants de l’État concerné sont invités à participer à une réunion du comité afin de pré­senter le rapport de l’État et répondre aux questions des membres du comité.  Les comités se pencheront souvent sur les problèmes qui leurs sont soumis par les organisations non-gouver­nementales (ONG) et s’attacheront à obtenir l’assurance des États concernés qu’ils affronte­ront et corrigeront les problèmes.  À l’issue du « dialogue constructif », le comité adopte un ensemble d’« observations finales » décrivant non seulement les progrès réalisés, mais aussi les points préoccupants qu’il convient d’aborder.

L’autre modèle surveillance est le système de pétition—appelé également « système de plainte » ou « système de communication », forme prédominante de contrôle dans les systè­mes régionaux.  Les systèmes de pétition sont également exploités par plusieurs comités des Nations Unies (Comité des droits de l’homme, Comité contre la torture et Comité pour l’élimination de la discrimination raciale).  L’Assemblée générale des Nations Unies a adopté un autre système de pétition pour le CEDAW (Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes), système non encore en vigueur.  Des mesures ont été prises dans le cadre du PIDESC pour adopter un tel système.

Les systèmes de pétition varient en termes du statut des procédures et du type de plaintes sus­ceptibles d’être reçues.  À l’exception des systèmes exploités en vertu de la Convention euro­péenne des droits de l’homme (module 29) et de la Convention américaine relative aux droits de l’homme (module 30), les systèmes de pétition fondés sur des traités sont facultatifs pour les États parties et n’ont pas de caractère obligatoire.  Les traités prévoient généralement la réception de pétitions des États et/ou des particuliers, mais la procédure de plainte inter-État est très rarement utilisée.

Dans l’ensemble, les systèmes de pétition fonctionnent de manière similaire à celles des procé­dures juridiques internes, au cours desquelles un organisme indépendant délibère sur un litige entre deux parties et offre comme solution juridique une décision ou un avis.  Toute­fois, à la différence des procédures internes, les systèmes de pétition ne sont pas un moyen de faire appel; ils assurent simplement que les États concernés respectent leurs obligations issues des traités.  Les « recours » disponibles, tels que définis en droit interne, sont par conséquent un point annexe de la plupart des traités sur les droits humains.  Dans tous les cas, c’est le système juridique national qui fournit les re­cours et l’examen international n’intervient que lorsque ces recours ont été épuisés.

Procédures fondées sur la Charte

La surveillance et l’application des droits humains sont fondés sur les traités (liés à un traité spécifique sur les droits hu­mains); ils sont néanmoins complétés aux Nations Unies par plusieurs procédures fondées sur la Charte.  Ces procédures ont été élaborées en vertu des disposi­tions générales sur les droits humains de la Charte des Nations Unies (voir le mo­dule 2).  Depuis sa création en 1946, la Commission des droits de l’homme des Nations Unies a reçu des plaintes du monde entier, déposées par des particuliers et des organisations, concernant des mauvais traitements infligés par des gouvernements ou des acteurs étatiques.  Elle refusa pendant de nombreuses années d’y donner suite, mais elle éla­bora ultérieurement plusieurs mécanismes qui lui permirent de prendre certaines mesures.  Les deux principales—procédure 1235 et procédure 1503 (nommées d’après les résolutions du Conseil économique et social [ECOSOC])—lui permettent, ainsi qu’à sa Sous-commis­sion, d’examiner les pétitions et d’autres informations urgentes et fournissent également un certain nombre de mesures de suivi, notamment des visites effectuées dans les États et la ré­daction de comptes-rendus par pays ou par thème effectués par des rapporteurs spéciaux, des représentants, des experts et des groupes de travail.  Toutefois, il s’agit principalement de procédures « politiques », dans le sens où leur fonctionnement dépend en dernier ressort des décisions prises au sein de la commission elle-même (composée d’États membres des Nations Unies).

Pratiquement tous ces organismes permettent aux ONG d’intervenir dans leurs délibérations.  En fait, sans les interventions des ONG, bon nombre de ces mécanismes ne pourraient fonc­tionner efficacement.  Les ONG nationales, régionales et internationales sont des sources fer­tiles d’information; elles dépeignent un tableau de la situation des droits humains dans un pays donné qui diffère de celui fourni par le gouvernement.  Les commentaires, observations et recommandations de ces organes soutiennent à leur tour les activités de lobby et les actions des ONG. 

Les sections qui suivent passent brièvement en revue les procédures à la disposition des mili­tants des droits ESC par le biais de

         mécanismes fondés sur les traités et
         mécanismes fondés sur la Charte des Nations Unies.

La dernière section est consacrée à l’Organisation internationale du travail, qui existait avant les Nations Unies, mais qui constitue à l’heure actuelle une de ses agences spécialisées.

Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels

Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels (CDESC) est le mécanisme internatio­nal le plus important pour les militants qui se consacrent à ces droits. (Voir le un supplément d’informations sur le CDESC, module 2).  Etabli en mai 1986, il suit la mise en œuvre des droits contenus dans le PIDESC.  Il se réunit deux fois par an à Genève.  Composé de dix-huit membres indépendants, il forme un organe subsidiaire de l’ECOSOC.  Il suit la mise en œuvre des droits ESC de trois façons:

         en examinant les rapports soumis par les gouvernements et en donnant ses conclusions sur les violations de leurs obligations aux termes du Pacte;
         en catalysant les actions des États et celles d’autres organismes internationaux relatives aux droits contenus dans le Pacte; et
         en clarifiant, en élargissant et en développant les droits contenus dans le Pacte par le biais de ses Observations générales et autres déclarations.

Les ONG peuvent intervenir dans tous ces domaines et le CDESC s’est montré particulière­ment réceptif à leurs informations et idées.

Le CDESC a adopté des directives détaillées sur la forme et le contenu des rapports que doi­vent rédiger les gouvernements aux termes du Pacte. [1]   Bien peu d’États suivent toutefois ces directives.  Les procédures qu’observe le comité pour examiner les rapports sont similaires à celles que suivent d’autres organes du traité.

         Le gouvernement soumet son rapport.
         Le comité nomme parfois l’un de ses membres pour analyser le rapport.
         Plusieurs mois avant la session formelle, un groupe de travail de pré-session identifie les questions à soulever avec le représentant du gouvernement.  À ce stade, les ONG interna­tionales, régionales et nationales peuvent présenter des informations au groupe de travail.  Les sessions de ce dernier ont généralement lieu peu de temps après les sessions formel­les du comité.
         Les ONG nationales peuvent également préparer des « contre-rapports » ou « doubles rap­ports » à soumettre au comité.
         Le comité se réunit alors avec les représentants du gouvernement au cours d’une de ses sessions formelles (elles ont habituellement lieu en mai et en novembre) pour examiner en détail le rapport du gouvernement.
         Avant cette réunion, les ONG ont la possibilité de faire des présentations orales devant le comité afin de compléter leurs rapports écrits.  La première après-midi de chaque session formelle est réservée aux présentations des ONG sur les rapports que le comité exami­nera.
         Le comité invite également les membres des organes spécialisés des Nations Unies à faire leurs observations.
         Le comité fournit alors ses observations finales sur le rapport du gouvernement et lui adresse ses recommandations en ce qui concerne ses obligations aux termes du Pacte.  Ces observations sont soumises au gouvernement concerné et rendues publiques.
         Le débat sur chaque rapport de gouvernement est récapitulé dans le rapport annuel du co­mité présenté à l’ECOSOC.

Observations générales

Outre l’examen détaillé des rapports des gouvernements, le comité peut adopter une Observa­tion générale ou rédiger un exposé analytique ou une déclaration qui tente d’élargir la com­préhension des droits contenus dans le Pacte ou de traiter un sujet pertinent.  L’objectif des Observations et exposés généraux est d’aider les gouvernements à mettre en œuvre les droits couverts dans le Pacte, de souligner les déficiences dans les rapports adressés et d’améliorer les procédures de présentation de rapports.  Le comité adopta, en juin 2000, 13 Observations générales dont les deux dernières traitent du droit à l’éducation et du droit à une alimentation adéquate.

Le comité espère également que ses Observations et exposés catalyseront les actions des États dans les domaines des droits ESC, ainsi que celles des organes spécialisés des Nations Unies et autres organismes internationaux, afin de faire progresser la réalisation de ces droits.

Rapports ad hoc

Le comité a également pris des mesures lorsque la situation exigeait une réaction immédiate.  Il a demandé des rapports ad hoc à la République dominicaine et aux Philippines.  Il a entre­pris en 1995 une mission d’observation à Panama afin d’obtenir des informations de première main sur le droit au logement.  Cette mission fut entreprise avec la permission du gouverne­ment de Panama.

Empêcher les infractions

Dans un cas au moins le comité a empêché une violation d’être commise.  À l’examen des informations présentées par les ONG philippines, il décida que l’éviction forcée, prévue, d’un large groupe de personnes constituerait une infraction des obligations de ce gouvernement aux termes du Pacte.  Il recommanda par conséquent de ne procéder à l’éviction que si un plan de réinstallation approprié était mis en place.

Les visites des membres du CDESC—l’expérience de Hong Kong

Lorsqu’en 1997 Hong Kong soumit son rapport aux termes du PIDESC, les ONG organisè­rent la visite à Hong Kong du membre du comité responsable de ce rapport afin de dialoguer avec les ONG locales avant que le comité n’examine le rapport du gouvernement.  Cette vi­site devait permettre au comité d’avoir un compte-rendu de première main sur la situation relative aux droits ESC dans ce pays.

Journée de discussion générale

Le comité réserve également du temps pour délibérer sur un droit ou un article du Pacte ou sur une question spécifique entrant dans le cadre de ses travaux.  Il invite généralement des experts à participer à ces discussions.  Par exemple, lors de sa dix-huitième session en mai 1998, il organisa d’abord une Journée de discussion générale sur le sujet « La mondialisation et son impact sur la jouissance des droits économiques et sociaux ».  Des représentants d’organes des Nations Unies, d’organes spécialisés et de plusieurs ONG y participèrent.  À l’issue de la discussion, le comité adopta une déclaration intitulée: « La mondialisation et les droits économiques, sociaux et culturels ». 

Protocole facultatif

Le comité a examiné également une proposition d’adoption d’un Protocole facultatif du Pacte, qui permettrait aux particuliers et aux groupes de lui soumettre leurs demandes direc­tement en cas de violation du Pacte.

Action pour les droits socio-économiques-le recours au droit international
L'expérience du Centre for Equality Rights in Accommodation
(Centre canadien pour les droits à l'égalité du logement) (CERA)

" Ceux d'entre nous qui travaillent avec des personnes vivant dans la pauvreté ont souvent besoin de rappeler que la question des droits sociaux et économiques n'est pas l'apanage du Comité des Nations Unies lorsqu'il se réunit dans les halls de marbre du Palais des Nations à Genève, l'une des villes les plus prospères et chères du monde. Pour la majorité de ceux qui luttent pour les droits sociaux et économiques, les procédures des organes de surveillance du traité des Nations Unies peuvent sembler totalement hors de propos ou reléguer ces droits aux " spécialistes internationaux " au lieu de les développer en tant que partie intégrante des droits nationaux.

" Ce serait néanmoins une erreur pour les activistes des droits sociaux et économiques d'ignorer le potentiel que représente le recours aux organes de surveillance du traité des Nations Unies, en particulier le CDESC, pour renforcer la pratique des droits sociaux à l'intérieur d'un pays. Comme tous les organes voués aux droits humains, et peut-être plus que d'autres, nous devons travailler simultanément sur un certain nombre de fronts à la fois. L'action politique sera souvent renforcée par des actions en justice, et ces dernières seront accompagnées de campagnes d'information à destination du public et d'autres actions. De même, les actions pour les droits sociaux à l'intérieur d'un pays peuvent progresser grâce au travail au niveau international, qui doit à son tour être informé par les groupes d'action nationaux . . .

" En 1993, lorsque le deuxième rapport périodique du Canada devait être examiné, les ONG canadiennes . . . demandèrent au Comité une nouvelle procédure qui intègrerait leurs présentations orales dans le nouveau processus d'examen périodique. Le Comité décida d'innover et réserva au début de chaque session un certain temps pour les présentations des ONG relatives aux examens périodiques des États parties. La nouvelle procédure eut un impact considérable, car elle permit aux ONG de jouer un rôle crucial et de transformer fondamentalement la nature du processus d'examen . . .

" Les soumissions des ONG auprès des organes de surveillance du traité sont souvent désignées par " doubles rapports ", mais en 1993 le CDESC fit sortir de l'ombre le rôle des ONG. Au lieu de prétendre avoir les ressources ou les spécialistes permettant d'évaluer des questions sociales et économiques complexes dans un pays, le Comité reconnut fonctionner au mieux dans une fonction plus juridictionnelle en animant un dialogue entre ONG nationales et gouvernements, puis en tirant ses conclusions . . .

" Le rôle éminent que jouèrent en 1993 les ONG en examinant la mise en oeuvre du Pacte par le Canada rendit le processus tout à fait transparent et en fit le sujet de nombreux débats publics. Les préoccupations et recommandations du Comité firent les gros titres de la presse du pays, furent l'objet de débats animés au Parlement et furent communiquées avec enthousiasme par les groupes des droits humains et de lutte contre la pauvreté de tout le Canada. Elles furent par la suite citées dans les plaidoiries de nombreuses affaires dans le cadre de la Charte canadienne des droits et libertés et de la législation sur les droits humains . . .

" En 1993, les présentations orales des ONG avaient trait à deux principaux thèmes qui continuaient de dominer l'action pour les droits sociaux et économiques au Canada: (1) l'augmentation de la pauvreté, des personnes sans-abri et de la faim en plein cœur de la prospérité; et (2) l'incapacité des cours et gouvernements du Canada à fournir des recours efficaces contre les violations de ces droits. Nous avons fourni des informations concises sur l'ampleur et l'intensité de la pauvreté des groupes vulnérables au Canada-tirées généralement de données fournies par le gouvernement-et nous avons illustré cela avec des mesures comparables de l'étendue de la richesse et des " ressources disponibles " de cette nation. Notre présentation était accompagnée de diapositives montrant les formes que prenait la pauvreté et la situation des personnes sans-abri au Canada. Nous avons également fourni des récapitulatifs des affaires concernant les droits sociaux et économiques présentées devant les cours canadiennes et les tribunaux des droits humains.
" Les observations finales du Comité couvraient la plupart des questions que nous lui avions soumises et qui concernaient directement nos luttes internes. Le Comité adressa pour la première fois un blâme sévère à un pays prospère pour violation des droits sociaux et économiques. Il exprima sa conviction que la doctrine de " réalisation progressive " est autant une épée qu'un bouclier. Cette doctrine peut servir à tenir les pays pour responsables s'ils n'appliquent pas " le maximum des ressources disponibles " pour faire respecter les droits sociaux et économiques . . .

" Tout aussi importante était la déclaration sans équivoque du Comité concernant l'obligation de fournir des recours efficaces pour tous les droits du Pacte, en particulier le droit à un niveau de vie adéquat stipulé dans l'article 11.

" . . . Le Comité fit remarquer que, même sans la protection explicite des droits sociaux et économiques dans la Charte du Canada, bon nombre de ces droits peuvent être protégés par le biais d'interprétations élargies des droits à " l'égalité " et à la " sécurité de la personne ", par exemple . . .

" Si les observations du Comité des Nations Unies ont été largement publiées au Canada, la réponse du gouvernement fut extrêmement décevante. Au lieu de faire appliquer ces recommandations ou de répondre aux préoccupations du Comité, le Canada a fait marche arrière en ce qui concerne la mise en oeuvre des droits du Pacte . . .

" Le résultat le plus tragique des événements récents fut la décision du gouvernement fédéral de révoquer en 1995 les dispositions du Régime d'assistance publique du Canada (RAP) qui avait représenté pour des générations de Canadiens le pilier de la protection des droits sociaux...

" Lorsque le gouvernement canadien annonça son intention de révoquer les dispositions du RAP, les ONG et les spécialistes juridiques internationaux s'adressèrent au comité parlementaire qui examinait la législation proposée. Ils déclarèrent que cette mesure constituerait une infraction du Canada à ses obligations aux termes du Pacte, selon l'interdiction de prendre " des mesures délibérément régressives ", relatives à la protection des droits du Pacte. Comme le gouvernement semblait y prêter peu d'attention, nous présentâmes une requête directe au Comité des Nations Unies, qui offrait la possibilité de faire des présentations orales sur la question. En mai 1995, une délégation des ONG canadiennes parut devant le Comité, en dehors du processus régulier d'examen périodique, et présenta une requête urgente demandant au Comité d'aborder la question. Le Comité répondit en envoyant au gouvernement canadien une lettre transmettant les soucis des ONG et demandant de soumettre dans l'année un rapport sur la législation, dans le contexte du troisième rapport périodique du Canada. Aucun rapport ne fut présenté pendant deux ans et demi, puis le gouvernement adressa finalement son rapport périodique, qui fut examiné en novembre 1998. Pendant ce temps, les programmes d'assistance sociale dans les provinces s'étaient considérablement dégradés.

" . . . Six mois avant la date prévue pour l'examen du rapport périodique d'un gouvernement par le Comité, un groupe de travail de pré-session se réunit et dresse une liste de questions à envoyer à l'État partie. Les organisations non gouvernementales peuvent soumettre à ce groupe de travail des présentations orales ou écrites. Il s'agit là d'une importante occasion de s'assurer que la liste contient les préoccupations les plus cruciales des ONG, car elle servira de structure à l'examen oral lors de la session suivante. Deux d'entre nous, représentant un grand nombre de ONG canadiennes, furent envoyés à Genève en mai 1998 pour informer le groupe de travail de pré-session. Ce dernier envoya à son tour au Canada une longue liste de questions, qui couvraient entre autres la révocation du Régime d'assistance publique.

" Le jour de l'ouverture de la réunion de novembre-décembre 1998 du Comité, au cours de laquelle le Canada et Israël devaient être examinés, la salle était littéralement envahie par les ONG-une douzaine à peu près d'ONG canadiennes, au moins le même nombre d'ONG palestiniennes, et quelques ONG d'autres pays examinés. Il semblait approprié que ce soit le Président, Philip Alston, qui présidait sa dernière session du Comité, qui intervienne dans la confusion. Il avait toujours défendu le rôle des ONG et avait joué un rôle majeur dans la transformation du Comité en organe plus militant pendant la dernière décennie.

" Le rôle le plus visible des ONG apparaît lors des présentations orales et de la soumission d'exposés écrits au début de la session du Comité. Toutefois, comme pour tous les autres organes de surveillance du traité, il est capital d'adresser des exposés aux membres individuels du Comité sur des questions qui présentent pour eux un intérêt particulier. Etant donné qu'ils sont généralement inondés d'informations, il convient de leur présenter de brefs récapitulatifs. Les ONG canadiennes avaient préparé un récapitulatif collectif des questions les plus essentielles, qui se révéla précieux pour aider le Comité à procéder à son examen. Etant donné que les ONG ne peuvent répondre aux exposés des gouvernements, il est important d'anticiper la manière dont un gouvernement répondra aux questions et de fournir aux membres du Comité des informations pertinentes prouvant pourquoi la réponse anticipée est inadéquate. Vu les réponses écrites du gouvernement, nous avions anticipé correctement que la délégation gouvernementale nierait l'importance des prestations du Régime d'assistance publique et le décrirait comme n'étant qu'une " entente administrative " entre le gouvernement fédéral et les provinces, qu'il convenait de " mettre à jour ". Nous avions par conséquent insisté dans nos documents sur les présentations précédentes qu'avait faites le Canada lors des examens périodiques, ainsi que sur d'autres exposés officiels, qui décrivaient le Régime d'assistance publique comme étant fondamental à la protection des droits sociaux et économiques, ainsi qu'aux normes nationales des programmes d'assistance sociale. Les membres du Comité exigèrent donc de la délégation canadienne qu'elle réconcilie ses présentations précédentes avec ses dénégations actuelles. L'un des membres demanda même à un délégué canadien: 'Mentiez-vous alors ou mentez-vous maintenant?'

" Les ONG avaient effectué des travaux d'approche considérables auprès des médias canadiens. Des reporters des quotidiens nationaux et de la radio nationale assistaient à cet entretien de deux jours entre le Comité et les délégués du gouvernement canadien. Des ONG de tous les secteurs rédigèrent des communiqués de presse et nous établîmes des sites Internet contenant le rapport du gouvernement, la liste des questions et les présentations des ONG. Le processus d'examen fut amplement couvert par les médias et fut commenté au Canada-une émission télévisée nationale présenta même un sketch comique des dénégations du gouvernement!

" En substance, les observations finales de 1998 sur le Canada réitéraient et renforçaient les préoccupations et les recommandations exprimées lors de l'examen précédent; elles contenaient également un blâme sévère de la révocation du Régime d'assistance publique...

" Le Comité recommandait le rétablissement d'un " droit juridiquement exécutoire à une assistance adéquate pour toutes les personnes dans le besoin " et de toutes les autres normes du Régime d'assistance publique.

" Le Comité exprima également ses vives préoccupations et ses recommandations concernant nombre d'autres questions au Canada, notamment: les réductions des taux d'assistance sociale dans les provinces, l'inactivité vis-à-vis du nombre croissant des sans-abri, la dépendance croissante vis à vis des banques alimentaires, les réductions de l'assurance-chômage, l'inaction dans le cadre des revendications territoriales des autochtones et la pauvreté existant parmi ces groupes, les programmes de travail obligatoire (en échange de l'allocation de chômage), les obstacles à la syndicalisation des travailleurs dans ces programmes, ainsi que les conséquences désastreuses des coupes dans ces programmes pour les femmes.

" Les gouvernements provinciaux furent à nouveau critiqués pour avoir soutenu devant la cour que la Charte canadienne des droits et libertés devait être interprétée comme refusant les recours juridiques à ceux dont les droits sociaux et économiques avaient été violés. Le Comité réitéra que 'les droits sociaux et économiques ne doivent pas être relégués au niveau des principes et des objectifs'. Il demanda instamment de rendre exécutoires les droits du Pacte dans les provinces et les territoires 'par la législation ou par des mesures politiques, ainsi que par l'établissement des mécanismes indépendants et appropriés de suivi et de décision' . . .

" En mars 1999, les ONG canadiennes qui se consacraient à la pauvreté et aux sans-abri décidèrent de participer à l'examen quinquennal, effectué par le Comité des droits de l'homme des Nations Unies, qui évaluait si le Canada respectait le Pacte international des droits civils et politiques. Il est à noter que ce Comité émit des inquiétudes semblables à celles du Comité des droits économiques, sociaux et culturels . . . Il exprima en particulier son souci devant l'ampleur du phénomène des sans-abri au Canada et recommanda au gouvernement de 'prendre les mesures positives requises par l'article 6 (le droit à la vie) afin de remédier à ce grave problème' . . .

" Par des actions menées au niveau international, nous avons commencé à esquisser parmi les organes de surveillance du traité des Nations Unies un consensus sur les violations des droits humains qui ont lieu au Canada. Ce faisant, nous avons également encouragé ces organes à aborder d'importantes questions sur les droits sociaux et économiques qui auraient sinon été ignorées. Si, à ce stade, nous n'avons pas réussi à inverser l'érosion des droits sociaux au Canada, nous avons au moins trouvé un forum qui nous permet de formuler les revendications les plus importantes sur ces droits et de les faire examiner équitablement à la lumière du droit international sur les droits humains . . . "2

 

Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW)

Le CEDAW suit la mise en œuvre et la réalisation des droits stipulés dans la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.3

La Convention contient plusieurs articles à fond socio-économique: les gouvernements sont tenus d’éliminer la discrimination dans un certain nombre de domaines, notamment l’éducation (art. 10), l’emploi (art. 11), les soins médicaux et le planning familial (art.12), ainsi que les prestations économiques et sociales (art. 13).  (Voir le supplément d’informations sur la Convention sur les femmes et le CEDAW dans le module 4). 

Outre effectuer le suivi de l’application des dispositions de la convention par les gouverne­ments, le comité fait également des suggestions et des Recommandations générales.  Les suggestions sont adressées au système des Nations Unies.  Les Recommandations générales, comme celles des autres organes des traités, sont destinées à clarifier les dispositions d’ensemble de la convention et à les développer.  Leur objectif est d’aider les gouvernements, les ONG et autres à interpréter les différents articles de la convention.  Au mois de juin 2000, le comité avait émis vingt-quatre Recommandations générales.

Le comité se compose de vingt-trois experts de différentes régions géographiques qui remplissent des mandats de quatre ans agissant selon leurs compétences propres.

Le CEDAW a adopté des directives que doivent suivre les États par­ties pour soumettre leurs rapports conformément aux termes de la convention.4  En vertu de l’article 18, chaque État partie convient de présenter un rapport sur les mesures législatives, judiciaires, admi­nistratives et autres qu’il a adoptées pour faire appliquer les dispo­sitions de la convention et sur les progrès accomplis à cet effet.  Les ONG peuvent fournir des informations lorsque les gouver­nements présentent leurs rapports.  (Voir l’encart figurant aux pp. 495-96 de ce module, un exemple des activités des ONG relati­ves aux réunions du comité.)

Voici une description des procédures que suit le comité pour examiner les rapports:

         Présentation du rapport du gouvernement: Le gou­vernement présente un rapport sur les mesures qu’il a prises pour mettre en œuvre la Conven­tion.  Le premier rapport est dû dans l’année qui suit la mise en vigueur de la Convention dans le pays; par la suite, les rapports sont adressés tous les quatre ans.

         Groupe de travail de pré-session: Le rapporteur du pays—un membre du CEDAW responsable de ce pays—prépare une analyse du rapport du gouvernement.  Il/elle envoie son analyse au groupe de travail de pré-session.  Ce dernier, qui se réunit avant la réunion formelle du comité, reçoit également les questions des autres membres du comité et dresse une liste écrite de questions qu’il envoie au gouvernement.  À ce stade, les ONG peuvent adresser des documents au groupe de travail et peuvent être invitées à assister à sa réunion pour le présenter leurs observations.

         Réunion publique avec le gouvernement: Le comité au complet se réunit alors jusqu’à trois fois avec les représentants du gouvernement (chaque réunion dure environ trois heu­res), qui doivent répondre aux questions écrites du comité et à toute question supplémen­taire posée.

         Adoption des observations finales: À l’issue des réunions avec les représentants du gouver­nement, le comité adopte les observations finales, un document de 3 à 5 pages qui récapitule son évaluation des progrès accomplis pour faire appliquer la convention, des principaux secteurs problématiques, ainsi que des recommandations détaillées sur les me­sures que doit prendre le gouvernement.  Ce document, fourni au gouvernement à la fin de la session du comité, est rendu public peu après.

Les observations finales fournissent aux ONG un outil de lobbying au niveau national.  Elles peuvent servir à influer sur les actes et la politique d’un gouvernement.  Il arrive parfois que le comité demande des informations supplémentaires ou un autre rapport.

Recommandations générales

Outre les observations finales sur les rapports des États membres, le comité établit également des Recommandations générales.  Les ONG peuvent contribuer à ces recommandations en organisant des lobbies auprès des membres du comité et par le biais des présentations qu’elles soumettent au groupe de travail de pré-session.  Les Recommandations générales, en soulignant les dispositions de la convention, fournissent par conséquent un autre outil de lob­bying efficace.

Protocole facultatif

En décembre 1999, l’Assemblée générale adopta un protocole facultatif du CEDAW.  Lorsqu’il entrera en vigueur, il permettra aux femmes sujettes à une discrimination dans leur pays de déposer une demande directe auprès du comité si elles ont épuisé les recours locaux.  Il permettra également au comité de mener des enquêtes sur les violations systématiques ou graves de la convention.  Les États membres pourront- toutefois choisir de ne pas accepter cette dernière procédure.

Le Comité des droits de l’enfant

Le Comité des droits de l’enfant est un organe qui suit la mise en œuvre de la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE).  (Voir au module 5 un exposé détaillé sur la CDE.)  Il se compose d’un panel de dix experts indépendants.  Outre sa fonction de suivi, il a reçu le mandat de recueillir le soutien et la coopération internationaux pour aider les pays en voie de développement à promouvoir les droits de l’enfant.

Il a établi ses propres règles de procédure et a élaboré des directives pour aider les États par­ties à adresser leurs rapports.  Un État partie adresse un rapport initial deux ans après sa rati­fication, puis tous les cinq ans par la suite.  Le CDE est habilité à demander « des conseils experts sur l’application de la Convention à des organismes spécialisés, au Fonds des Nations Unies pour l’enfance et autres organes compétents ».  Les ONG ont été considérées comme faisant partie des « autres organes compétents ».

Le comité nomme généralement l’un de ses membres comme rapporteur lorsqu’un pays adresse son rapport.  Par ailleurs, le groupe de travail de pré-session identifie les questions à soulever avec le gouvernement concerné.  Une fois que le rapport du gouvernement est pré­senté, les ONG sont autorisées à répondre par écrit.  Seules celles qui adressent des informa­tions écrites sont autorisées à assister aux sessions du groupe de travail de pré-session.  Le Groupe des ONG pour le Comité des droits de l’enfant anime la participation des ONG dans la procédure du Comité.

Lors de la réunion du groupe de travail de pré-session, le rapporteur du pays (membre du co­mité chargé du rapport de ce pays) donne une brève présentation du rapport.  Les ONG peu­vent intervenir à ce stade et faire une présentation orale au groupe de travail.  Les membres des organes spécialisés peuvent également fournir leurs observations à ce moment là.

En se basant sur la réunion du groupe de travail de pré-session, le comité détermine une liste de questions à clarifier par le gouvernement concerné.  Les ONG ne participent pas aux ses­sions formelles du comité, mais elles sont autorisées à y assister.  À l’issue de la réunion avec les représentants du gouvernement, le comité donne ses observations finales, qui sont rendues publiques.

Le Comité des droits de l’homme

Certains droits du PIDCP possèdent des caractéristiques des droits ESC et le Comité des droits de l’homme l’a parfois reconnu.  Les articles suivants du PICDP ont joué un rôle im­portant dans ce contexte:

         L’article 6, qui protège le droit à la vie
         L’article 8, qui interdit l’esclavage, le commerce d’esclaves, la servitude et le travail forcé
         L’article 12, qui garantit la liberté de se déplacer et de choisir son lieu de rési­dence
         L’article 17, qui offre une protection contre l’ingérence arbitraire ou illégale dans la vie privée, la famille et le foyer d’une personne
         L’article 12, qui garantit la liberté de pensée, de conscience et de religion
         L’article 22, qui garantit la liberté de s’associer, le droit de former un syndicat et d’en faire partie
         L’article 26, qui garantit l’égalité devant la loi et l’égalité de protection de la loi
         L’article 27, qui garantit aux minorités le droit de jouir de leur culture, de pratiquer leur religion et d’utiliser leur propre langue

(Voir dans le module 22 une illustration de la manière dont certains droits civils et politiques ont acquis une dimension socio-économique par un processus d’interprétation.)

Le CEDAW et les groupes de femmes indiens

L'Inde ratifia le CEDAW en juillet 1993, peu après la Conférence mondiale de Vienne sur les droits de l'homme. Cet événement résultait clairement de la pression et de l'influence exercées au cours de la Conférence par les groupes des droits de la femme. Le CEDAW devint par la suite une composante cruciale pendant la préparation de la Conférence sur les femmes qui eut lieu à Pékin en septembre 1995. Plusieurs ateliers d'orientation furent organisés sur le CEDAW. Un " double rapport " détaillé fut préparé avec la contribution de groupes de femmes dans tout le pays, avant le rapport initial du gouvernement indien au CEDAW, dû en août 1994.

Les ateliers d'orientation initiaux sur le CEDAW furent difficiles. Spécialistes et participants eurent des difficultés à l'intégrer aux actions populaires. Au fil des ans, les ateliers s'orientèrent davantage sur les " concepts " et le travail de groupe s'attacha à lier la loi et la politique aux études de cas locales. Le CEDAW put ainsi se transformer en un outil de suivi des travaux de communautés au lieu de rester au stade de texte du droit international. En 1997, International Women's Rights Action Watch (IWRAW) d'Asie et du Pacifique entreprit avec certains partenaires nationaux un projet de suivi par le CEDAW. Ces mesures, alliées au long délai que prit le gouvernement indien pour préparer son rapport initial, permirent de populariser le CEDAW et de créer des systèmes de suivi. Au cours de cette période, la Cour suprême indienne prit également des décisions notoires en citant le CEDAW, fait qui souligna son bien-fondé et le potentiel qu'il avait de transformer les normes et pratiques intérieures en cours à cette époque. Les groupes locaux appliquèrent eux aussi le CEDAW, le citant auprès des administrations régionales pour exprimer leur désaccord sur leurs pratiques et faire valoir leurs revendications, ce qu'ils firent avec succès.

En 1999, lorsque le gouvernement indien présenta son rapport initial au comité du CEDAW, les groupes de femmes s'attachèrent avec enthousiasme à préparer un contre-rapport ou " double rapport ". Un grand nombre des groupes qui avaient préparé la conférence de Pékin et y avaient participé, qui appréciaient à la fois le bien-fondé des lobbies du système international et le recours aux mécanismes du droit international, entreprirent un effort commun coordonné par le National Alliance of Women (NAWO) avec l'assistance de l'IWRAW d'Asie et du Pacifique. Ce rassemblement ne signifiait toutefois pas que tous les groupes de femmes en Inde-ou même tous les groupes qui avaient participé à la rédaction du contre-rapport-avaient une foi totale dans le CEDAW ou les processus internationaux. Le scepticisme sur le bien-fondé du droit international subsistait, mais la grande majorité des soixante organismes qui se réunirent sentaient qu'il était important d'avoir recours aux moyens de lobbying disponibles pour exercer une pression sur le gouvernement.

Un atelier fut organisé en novembre 1999 au niveau national afin de parler des modalités de la préparation d'un contre-rapport. Les objectifs étaient les suivants:

1. Avoir recours au cadre et aux processus du CEDAW pour exercer une pression sur le gouvernement afin qu'il prenne des mesures dans certains secteurs négligés des droits de la femme
2. Responsabiliser le gouvernement vis-à-vis des engagements qu'il avait pris lors de la Conférence de Pékin
3. Utiliser la rédaction d'un contre-rapport comme processus d'apprentissage, de documentation et d'évaluation des travaux de groupes et des écarts concernant les différentes questions sur lesquelles travaillent les groupes de femmes
4. Avoir recours au droit international des droits humains pour promouvoir les questions relatives aux femmes et relatives aux préoccupations populaires.

L'atelier comprenait les représentants gouvernementaux du Ministère indien de la femme et de l'enfant, un juge à la retraite connu pour avoir appliqué le CEDAW dans une affaire célèbre, ainsi que deux spécialistes du CEDAW. La réunion était basée sur la discussion de chapitres préparés par différents auteurs, et a aboutit à des observations visant à les améliorer. Une fois que les chapitres furent réécrits et présentés, une équipe éditoriale assura l'uniformité du format de présentation. Une équipe de onze membres fut chargée de présenter le contre-rapport au comité du CEDAW. Ses membres comprenaient des personnes souhaitant connaître le comité et son fonctionnement.

Les mesures suivantes, entreprises lorsque l'équipe fut à New York, influèrent directement sur l'examen du rapport de l'Inde:

· Organisation des informations contenues dans le double rapport afin qu'elles correspondent aux différents articles du CEDAW
· Brève réunion avec les membres du comité du CEDAW
· Préparation d'une note d'information d'une page soulignant les aspects importants des différents chapitres du double rapport
· Préparation de questions auxquelles le groupe voulait que le gouvernement indien réponde.

L'expérience des ONG indiennes lors de l'examen du CEDAW fut extrêmement positive. Les membres du comité mentionnèrent spécialement le rôle que les ONG indiennes avaient joué pour les assister et soulevèrent auprès de la délégation du gouvernement toutes les questions portées à leur attention. Cette expérience renforça le besoin d'un partenariat avec des groupes et systèmes au niveau national et international pour surveiller si un État remplit effectivement ses obligations.5

La Commission de la condition de la femme

Les travaux de la Commission de la condition de la femme (CCF) sont également utiles aux ONG chargées d’observer la mise en œuvre des droits ESC.  La CCF fut créée en 1947 comme commission fonctionnelle du Conseil économique et social.  Son mandat initial était de pré­parer pour le Conseil des recommandations et des rapports sur la promotion des droits de la femme dans les secteurs politique, économique, civil, social et éducatif.  Elle devait égale­ment préparer des recommandations sur les problèmes urgents relatifs aux droits de la femme et exigeant une attention immédiate.  Son mandat s’est depuis considérablement élargi; en 1987, il comprenait la promotion de l’égalité, du développement et de la paix, ainsi que le suivi de la mise en œuvre de mesures pour l’avancement de la femme.

À l’issue de la Conférence de Pékin, l’Assemblée générale confia à la CCF la tâche d’intégrer dans ses travaux un suivi des recommandations contenues dans la vaste Plate-forme d’action adoptée à Pékin.  Les points que la CCF examina au cours de sa session de mars 1999 com­prenaient entre autres la question de la relation entre les femmes et la santé, ainsi que celle des institutions nationales pour l’égalité de genre.

Les ONG sont autorisées à organiser des lobbies auprès de la CCF des femmes lors de ses sessions annuelles et cette dernière réserve du temps dans son agenda pour se réunir avec les ONG.

La CCF, qui démarra avec quinze membres, en comprend aujourd’hui quarante-cinq, élus par l’ECOSOC pour une période de cinq ans.

La Commission des droits de l’homme des Nations Unies

La Commission des droits de l’homme des Nations Unies est l’organe principal des Nations Unies chargé de la protection et de la promotion des droits humains.  Elle joua un rôle subs­tantiel dans la rédaction et l’adoption des normes internationales sur les droits humains dans un certain nombre de domaines.

Cette commission, qui couvre également les droits ESC, accepte les groupes de pression des ONG.  Composée de quarante-trois gouvernements membres élus par l’ECOSOC, elle lui est assujettie.  Elle se réunit normalement une fois par an à Genève.  Depuis 1992, elle organise également des sessions spéciales pour répondre à des cas d’urgence ou à des crises exigeant une intervention immédiate. 

Elle a établi un certain nombre de procédures spéciales liées à la réalisation des droits ESC.  Ces procédures sont de deux types:

         Procédures spécifiques aux pays, établies pour examiner et effectuer le suivi de la situa­tion des droits humains dans un pays ou sur un territoire spécifique, ainsi que pour rédiger des rapports sur cette situation
         Procédures thématiques, établies pour examiner et effectuer le suivi de types spécifiques de violations des droits humains, ainsi que pour rédiger des rapports sur ces violations.

Les procédures spéciales font intervenir des groupes de travail, des rapporteurs spéciaux, des représentants ou experts.  Elles constituent un moyen plus flexible de réagir aux violations des droits humains et aux causes de ces violations que ceux généralement permis par la commission.  Les personnes nommées dans des groupes de travail ou nommées rapporteurs, représentants ou experts, agissent à titre individuel pour procéder aux examens et aux suivis; elles adressent à la commission des rapports publics sur leurs mandats.

En juin 2000, la Commission avait établi environ cinquante mécanismes thématiques et rela­tifs aux pays.  En voici quelques-uns dont le champ d’application porte sur les droits ESC:

-         Personnes relogées
-         Les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée
-         Les politiques d’ajustement structurel et dette extérieure
-         Les conséquences néfastes des mouvements et déversements illicites de produits et dé­chets toxiques et nocifs pour la jouissance des droits de l’homme
-         La promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression
-         Les droits de l’homme et l’extrême pauvreté
-         Le droit au développement
-         Le droit à l’éducation
-         Le logement convenable
-         Le droit à l’alimentation
-         La question de la violence contre les femmes, y compris ses causes et ses conséquences

Certains mandats spéciaux sont également confiés au Secrétaire général ou à ses représen­tants spéciaux, à l’échelon de la Commission des droits de l’homme et à celui de la Sous-Commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme.  Ils incluent:

-         Les droits de l’homme dans le contexte du VIH/SIDA
-         Les droits de l’homme et les exodes de masse
-         Le viol et l’abus des femmes au cours des conflits armés de l’ancienne Yougoslavie.

La Sous-Commission de la promotion et de la pro­tection des droits de l’homme

La Sous-commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme est le principal organe subsidiaire de la Commission des droits de l’homme; elle traite aussi des droits ESC.  Appelée auparavant Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités, elle changea de nom en 1999.  Ses principales fonctions sont:

1)      Entreprendre des études, en particulier à la lumière de la Déclaration universelle des droits de l’homme, et fournir des recommandations à la commission sur la prévention des discriminations sous toutes ses formes et la protection des minorités raciales, nationales, religieuses et linguistiques.

2)      Exercer toute autre fonction que lui confie l’ECOSOC ou la commission.  Elle se com­pose de vingt-six experts, agissant à titre individuel, élus par la commission avec le souci d’une répartition géographique équitable.  La moitié de ses membres et leurs sup­pléants sont élus tous les deux ans; chacun d’eux sert pendant quatre ans.

Jusqu’à l’an 2000, la Sous-commis­sion tenait une session an­nuelle de quatre semaines à Ge­nève.  À par­tir de l’an 2000, ses sessions furent réduites à trois se­maines.  Outre ses membres et leurs suppléants, y assistent les observateurs des États, les organes et les agences spéciali­sées des Nations Unies, d’autres or­ganes intergouvernementaux, ainsi que les ONG ayant statut consultatif auprès de l’ECOSOC.  À l’heure actuelle, elle com­porte quatre groupes de travail qui se réunissent en­tre les sessions:

         Le Groupe de travail sur les communications (qui se réunit pendant deux semaines à l’issue des sessions de la Sous-commission pour examiner les plaintes qui semblent ré­véler, sur la foi de témoignages fiables, des pratiques constantes de violations graves des droits de l’homme dans son cadre de référence, ainsi que les réponses du gouvernement, le cas échéant).
         Le Groupe de travail sur les Formes contemporaines d’esclavage (qui se réunit plusieurs semaines avant la session de la Sous-commission).
         Le Groupe de travail sur les populations autochtones (qui se réunit juste avant la session de la Sous-commission).
         Le Groupe de travail sur les minorités (qui se réunit environ deux mois avant la session de la Sous-commission).

La Sous-commission a également nommé, pour la période entre sessions, un Groupe de tra­vail sur les sociétés transnationales, qui commence à créer des normes des droits de l’homme destinées aux entreprises.

Voici une liste de certains sujets d’étude auxquels se consacrent également les rapporteurs spéciaux nommés par la Sous-commission:

         l’impunité concernant les droits économiques, sociaux et culturels
         la dimension des droits de l’homme dans les transferts de populations
         les droits de l’homme et la répartition des revenus
         les pratiques traditionnelles affectant la santé des femmes et des fillettes
         les viols systématiques et l’esclavage sexuel et les pratiques analogues à l’esclavage en période de conflit armé, y compris de conflit armé interne
         les peuples autochtones et leur relation à la terre
         les droits des non-ressortissants
         la mondialisation et ses effets sur la pleine jouissance des droits de l’homme.

L’Organisation internationale du travail (OIT)

Etablie en 1919 par le Traité de Versailles, l’Organisation internationale du travail est l’un des organismes internationaux les plus actifs vis-à-vis des droits ESC.  En mai 2000, elle avait adopté 182 conventions et 190 recommandations sur les droits sociaux et économiques.  Sa structure et son mode de travail sont fonction de l’intervention tripartite des syndicats, des organisations d’employeurs et des États parties.

Elle se compose de la Conférence de l’OIT, de l’Organe directeur et de son secrétariat.  La Conférence de l’OIT, qui se réunit une fois par an, se compose de deux représentants du gou­vernement, d’un représentant des employeurs et d’un représentant des travailleurs par État membre.  L’Organe directeur, qui est son pouvoir exécutif, se compose de 56 membres, dont 14 représentent les travailleurs et les 28 restants représentent les États membres.

Les États membres ont la tâche de présenter les conventions et recommandations adoptées par l’OIT pour les faire examiner par le pouvoir législatif de l’État.  Ils communiquent à l’OIT la réponse du pouvoir législatif.  Ce procédé, particulier à l’OIT, permet aux syndicats et autres groupes de faire du lobbying pour la ratification d’une nouvelle convention ou l’incorporation d’une recommandation dans la politique de l’État.

Les États membres présentent également des rapports sur les mesures qu’ils ont prises pour mettre en œuvre les conventions de l’OIT.  Critère important, les gouvernements adressent des exemplaires de leurs rapports aux organismes nationaux d’employeurs et de travailleurs, ce qui fournit à ces derniers l’occasion de commenter ces rapports.  Ces commentaires doi­vent être transmis par les gouvernements à l’OIT, en même temps que les rapports.  Lors des conventions importantes, notamment celles des droits humains, les gouvernements présentent leurs rapports tous les deux ans; pour d’autres conventions, ils les présentent tous les quatre ans.  Ces rapports sont examinés par la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations.  Cette Commission fournit des « observations » sur les situations qu’il estime n’être pas conformes aux obligations du gouvernement aux termes de la convention concernée; ces observations sont intégrées au rapport annuel qu’il présente à la Conférence internationale du Travail.  Il peut également adresser des « demandes » aux gou­vernements afin de leur fournir l’occasion de rectifier les situations non-conformes à leurs obligations aux termes de la convention concernée, sans que la question devienne publique.  Les observations sont adoptées pour les cas plus graves et publiées dans le rapport rédigé par la Commission d’experts.

Le rapport de la Commission d’experts est présenté à l’Organe directeur, qui peut alors inviter les gouvernements à répon­dre lorsque le Comité a établi que les dis­positions d’une convention ne sont pas respectées.  Ce procédé fournit une autre occasion aux syndicats et autres groupes de soulever la question du non-respect des conventions par leur gouvernement.

Un autre procédé de l’OIT permet à l’Organe directeur et à la Commission d’experts d’examiner le statut des conventions non-ratifiées par les États membres.  Ce procédé tend à se pencher davantage sur les conventions relatives aux droits humains fondamentaux.

Un procédé spécifique de l’OIT permet d’examiner les allégations de violation de la liberté d’association.  Ces allégations sont présentées par les groupes de travailleurs, les organisa­tions d’employeurs ou les gouvernements.  Elles font l’objet d’enquêtes menées par une Commission d’investigation et de conciliation au sein de l’OIT.

Auteur: L’auteur de ce module est Mario Gomez.

NOTES


1. ONU Doc. UN E/1991/23, Annexe IV.

 2. Bruce Porter, « Socio-economic Rights Advocacy—Using International Law: Notes from Canada, Economic & Social Rights Review (juillet 1999) 2:5 (en ligne à www.web.net/cera).

3. Voir également Nations Unies, Division pour l’avancement des femmes (DAW), Promoting Women’s Enjoyment of their Economic and Social Rights.  Rapport d’une réunion d’un groupe d’experts tenue à l’Université d’Abo Akemi en Finlande, du 1 au 4 décembre 1997.

4. Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, Seizième session, 13-31 janvier 1997, CEDAW/C/7/Rév. 3.

 5.  « CEDAW and the Indian Women’s Groups » a été rédigé par Madhu Mehra.


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