MODULE 19
LE SUIVI ET L’ÉVALUATION DE LA JOUISSANCE DES DROITS ESC

Objet du module 19

Ce module a pour objet de faire le point sur les stratégies et les instruments qui peuvent être utilisés pour faire le suivi et évaluer, à partir de perspectives différentes, la jouissance des droits ESC par des individus et des groupes.  Le module discute

  • le but et les difficultés du suivi des droits ESC;
  • l’investigation et le rassemblement de données sur des affaires concernant les droits ESC;
  • le développement et l’utilisation d’ indicateurs et de points de référence concernant les droits ESC;
  • la collecte et l’interprétation de données quantitatives et  qualitatives;
  • l’analyse du budget; et
  • les rapports.

Introduction

Les sections IV et V se concentrent sur la définition du contenu des droits spécifiques ESC et les obligations correspondantes des gouvernements.  Cette section se concentre sur la déter­mination de l’étendue de la jouissance de ces droits à travers le processus de suivi et d’évaluation de la situation dans un pays.  Les informations recueillies dans ce processus constituent la base essentielle pour toute sorte d’éducation ou de plaidoyer au nom des droits ESC.

Dans le contexte de ce manuel, « suivi » signifie le processus de surveillance systématique des actions entreprises par les institutions, organisations ou entités gouvernementales.  « L’évaluation » implique l’analyse des informations recueillies, et les compare aux normes nationales et internationales relatives aux droits humains afin de déterminer ce que ces informations révèlent à propos de l’étendue de la conformité des actions du gouvernement avec ses obligations.

But du suivi

Quand une organisation décide d’effectuer le suivi du respect des droits ESC, il est essentiel qu’elle soit claire depuis le départ à propos de ses propres buts, ses stratégies et ses objectifs.  Tout suivi et évaluation doit être entrepris à l’intérieur de ce cadre, et doivent être destinées à avancer la stratégie et les objectifs de l’organisation et à se rapprocher de son but,.

Prenez, par exemple, une école primaire dans une zone rurale où l’organisation travaille, et dans laquelle un tiers des élèves dans la première classe sont des filles, mais une fois arrivées en sixième classe, le nombre de filles n’est que de 15% seulement.  D’après les buts et les objectifs de l’organisation, elle peut entreprendre différentes formes de suivi et d’évaluation.  Si l’organisation se fixe un objectif, comme par exemple, celui d’essayer de maintenir le ni­veau féminin de fréquentation des écoles, elle peut faire une enquête sur les raisons pour les­quelles un grand nombre de filles cessent d’aller à l’école.  Cette enquête se fera à travers des interviews avec les filles et leurs parents, les enseignants et les administrateurs des écoles ainsi qu’avec les autorités locales en charge de l’éducation, dont les politiques peuvent in­fluer sur la fréquentation.  D’autre part, si l’organisation est essentiellement préoccupée par l’amélioration de la qualité des écoles rurales, elle n’abordera pas les écarts existants entre les garçons et les filles dans une seule école, mais, à la place, elle déterminera comment elle peut agir sur les politiques au niveau national, qui ont rapport avec les fonds alloués aux écoles rurales par opposition aux écoles urbaines.

Difficultés à faire le suivi des droits ESC

Le suivi et l’évaluation des actions des gouvernements, afin de déterminer l’étendue de la jouis­sance des droits ESC peuvent, dans certains cas, être simples.  Plus souvent, toutefois, elles seront très complexes, pour bon nombre de raisons.

  • Le travail des droits humains implique le suivi des actions des gouvernements et leur éva­luation par rapport aux normes établies des droits humains.  Comme abordées longue­ment dans le module 8, dans de nombreuses situations, les normes relatives aux droits ESC n’ont pas encore été pleinement développées.  Les activistes peuvent ainsi se trouver eux-mêmes plus engagés dans un processus de définition du contenu de ces droits dans leur travail de suivi et de plaidoyer que ce ne serait le cas, par exemple, avec les droits ci­vils et politiques.  Tandis qu’ils font une enquête sur une situation, ils peuvent avoir à faire des recherches afin d’arriver à une élaboration et une compréhension plus approfon­die des normes spécifiques afin de discuter l’application des normes dans le cas précis en considération.  Ces arguments, à leur tour, peuvent servir de base pour le tribunal devant prendre une décision qui prête à une plus grande précision aux paramètres et dimensions du droit spécifique.  Ce processus de va-et-vient peut être complexe et fastidieux, mais il est essentiel pour le développement d’une compréhension plus précise des droits ESC aux niveaux nationaux et internationaux et, tour à tour pour un suivi plus spécifique et plus efficace. 
  • Les obligations du gouvernement en ce qui concerne les droits ESC sont à faces multi­ples, telles que décrites dans le module 9.

Un gouvernement a une obligation de conduite et une obligation de résultats.  Ceci veut dire que les activistes cherchant à faire le suivi-évaluation des actions des gouvernements doivent chercher à voir non seulement ce que le gouvernement fait, mais aussi les résul­tats de ses actions.

Un gouvernement doit aussi respecter, protéger, promouvoir et satisfaire ses obligations envers les droits ESC.  Ces quatre conditions impliqueront une évaluation en quatre par­ties des actions du gouvernement.

Finalement, le gouvernement doit remplir ses obligations progressivement et au maxi­mum de ses ressources disponibles.

         « Progressivement » implique que les activistes auront besoin de suivre les actions du gou­vernement sur une période de temps, pour s’assurer que le progrès a lieu en ce qui concerne le droit particulier.  Ceci, à son tour, nécessiterait une certaine familiarité avec l’utilisation des indicateurs et des points de référence (voir ci-dessous).  Les activistes peuvent aussi avoir besoin de regarder les dépenses des ressources du gouvernement afin de déterminer si le gouvernement consacre bien le « maximum de ses ressources disponi­bles » en vue de se conformer à ses obligations.  Ceci nécessite des compétences afin de pouvoir analyser le budget (voir ci-dessous).

         Un manquement du gouvernement à se conformer à ses obligations envers les droits ESC affecte les individus.  Ce sont les individus à qui est dénié l’accès à l’éducation, des conditions de travail sûres ou à un environnement sain; un individu peut se voir dénié l’accès à un poste, par exemple ou bien l’admission dans une école, pour cause de discri­mination basée sur la race ou un autre facteur.  Il est important de recueillir soigneuse­ment des informations sur de tels cas afin de prouver une violation du droit de l’individu.  Ce genre de documentation impliquera, en général, des genres plus traditionnels d’enquêtes sur des cas ou des situations (voir ci-dessous).

Conditions nécessaires pour suivi efficace

Le suivi des actions du gouvernement est très difficile si les conditions ne sont pas favorables à l'entreprise de telles activités. Une dictature, par exemple, n'est ouverte à un aucun type de suivi. Les conditions suivantes sont nécessaires pour permettre qu'un suivi pleinement efficace puisse avoir lieu:

  • Transparence et responsabilité: Les données et les statistiques du gouvernement sont importantes en vue de déterminer le niveau de la performance du gouvernement dans un domaine donné, tel que la santé. Lorsqu'un tel suivi est restreint, les ONG devront entreprendre leur propre étude indépendante et déclarer clairement la mauvaise grâce du gouvernement à coopérer.
  • Connaissance et capacités: Une agence gouvernementale ou un employé peut tout simplement être incompétent ou manquer des capacités nécessaires à accomplir son travail correctement.
  • Démocratie et dynamisme populaire: La meilleure source de données exactes serait une communauté dont les membres sont engagés de près dans la planification, la mise en oeuvre et l'évaluation des programmes et projets du gouvernement. Ils sont ceux le plus directement affectés par les programmes, et, en fin de compte, ils seront les bénéficiaires des projets efficacement conçus et mis en oeuvre.
  • Liberté: Exprimée simplement, une personne avec un revolver pointé à la tête est prête à admettre n'importe quoi. Pour des exposés véridiques, ce serait mieux si les gens peuvent s'exprimer librement sur la mise en oeuvre d'un projet/programme.

 

Suivi des violations du droit au logement-style olympique

En 1989, la ville d'Atlanta, en Géorgie, a gagné la prestigieuse enchère d'être l'hôte, pour le centenaire, des Jeux Olympiques de 1996. Malheureusement, la grande majorité des médias n'ont pas fait mention de l'ampleur des violations des droits de l'homme des pauvres dans le processus de préparation des jeux. Le Projet South, une ONG basé à Atlanta, a suivi ces abus, en particulier ceux relatifs au logement.

Un point central de suivi était Techwood, le plus vieux lotissement des États-Unis. Construit pendant les années 1930, Techwood abritait, en 1990, 530 familles et la plupart d'entre elles avaient besoin de logements subventionnés. D'après les enquêtes et les interviews menées par l'équipe Project South en coordination avec la Georgia Citizens Coalition on Hunger, la moitié de ces familles avaient des revenus inférieurs à 3 200$, et un peu plus de 65 pour cent d'entre elles ont reçu une Aid to Families with Dependent Children (AFDC) (Aide aux familles avec des enfants mineurs). C'était des femmes qui étaient à la tête de 90 pour cent des ménages.

Techwood était sur une propriété ayant une limite commune avec le siège de Coca-Cola et le campus de l'université Georgia Tech. Au cours des années précédant 1996, il y a eu plusieurs tentatives pour déloger ses résidents de cette terre de valeur. Le besoin de se préparer pour les jeux olympiques a hâté le processus d'élimination des logements populaires, y compris le complexe de Techwood, à Atlanta. Les membres du gouvernement municipal ont déclaré qu'il n'y avait " aucun espoir " pour Techwood et plusieurs milliers de personnes étaient donc déplacées de force; la plupart avaient vécu à Techwood durant plusieurs années. Peu après, le lotissement a été détruit afin de faire place à l'Olympic Centennial Park. Les pauvres n'étaient pas les seuls à être affectés par les préparations pour les jeux olympiques; beaucoup de gens des classes ouvrière et moyenne dans les environs de Atlanta ont eu à faire face à une augmentation de leurs loyers, durant l'été de 1994, allant jusqu'à 600 pour cent.

Selon les informations recueillies par Project South en collaboration avec d'autres organisations et syndicats, des promesses-comprenant un logement alternatif de qualité et du travail à plein temps, avec salaire suffisant-que les officiels de la municipalité de la ville et certaines corporations ont faites aux locataires expulsés de Techwood (particulièrement les personnes de couleur) sont restées lettre morte.

Par conséquent, Project South a formé deux groupes de travail et a créé l'Olympic Initiative Project avec plusieurs autres organisations populaires rurales afin de coordonner les efforts pour l'enseignement populaire et la recherche sur la lutte des pauvres urbains pour survivre.1

Dans la majorité des situations, les activistes travailleront avec des groupes de personnes, plutôt qu’avec des individus isolés, parce que un grand nombre de personnes sont affec­tées par les politiques ou les plans du gouvernement dans le domaine des droits ESC.  Et, en conséquence, le suivi et l’évaluation de l’impact des politiques et des plans du gouver­nement peuvent nécessiter l’étude et l’analyse de données complexes, telles que des sta­tistiques qui se rapportent à la mortalité ou à la morbidité, aux niveaux d’éducation ou au nombre de chômeurs, que ces enquêtes soient menées par le gouvernement ou par des institutions ou des organisations indépendantes.  Ceci à son tour, nécessitera des compé­tences dans le domaine de la collecte et de l’analyse des données primaires et secondaires (voir ci-dessous).

Enquêtes et documentation sur les affaires de droits ESC

Quand des communautés ou des individus abordent une organisation avec une plainte à pro­pos d’une situation qu’ils croient équivalente à une violation de leurs droits, il peut être né­cessaire que l’organisation recueille des preuves sur place.  Si, par exemple, les personnes dans une communauté ont été déplacées de leurs logements par la force, l’organisation peut vouloir se faire sa propre idée sur ce qui a eu lieu, combien de personnes ont été affectées, qui était responsable, et ainsi de suite.  Dans un cas pareil, une organisation sera engagée dans l’enquête ou l’investigation.

Les principes qui s’appliquent à l’enquête sur les questions civiles et politiques tels que la torture, les meurtres ou bien les détentions arbitraires s’appliquent aussi aux questions des droits ESC.

  • Mettre les personnes et la communauté au centre des débats

Les organisations devront garder à l’esprit les intérêts des personnes quand elles font les enquêtes.

Elles devront se rappeler que le travail qu’elles font constitue une intrusion substantielle dans la vie des personnes qui leur fournissent les informations.  Dans beaucoup de cas, les personnes risquent leur vie et leur bien-être à fournir ces informations.

Autant que possible, une organisation devra consulter les personnes affectées à propos de tout plan qu’elles puissent avoir.  Elle devra les informer des circonstances dans lesquel­les l’information donnée sera utilisée, et elle devra expliquer les conséquences possibles de cette coopération.

La confidentialité aussi bien que le consentement préalable pour l’utilisation future des informations devront être établis auparavant.

  • Besoin d’établir la crédibilité et la fiabilité des informations sur les droits humains

Fréquemment, les données recueillies par les organisations, les analyses que ces dernières entreprennent ainsi que les conclusions auxquelles elles arrivent sont contestées par ceux qui ne sont pas d’accord avec leur travail.  Ceci s’avère particulièrement vrai du fait que les ONG transmettent le fruit de leur travail aux médias et au public en général.  Il est alors essentiel que les informations et les rapports que les organisations génèrent et pro­pagent soient fiables et crédibles.

L’établissement de la crédibilité et de la fiabilité des informations nécessitent une certaine rigueur et objectivité lors du recueil d’informations et lors de la rédaction des rapports.

Une fois recueillis, les faits doivent être mis en mémoire d’une façon qui puisse assurer une cohérence dans le classement des dossiers et faciliter le recouvrement des informations.  Ceci requiert la création d’un système de documentation pratique et efficace.

Les instruments de base utilisés afin d’assurer l’exactitude et la cohérence dans l’investigation et la documentation des cas de droits civils et politiques auront besoin d’être adaptés systématiquement par les activistes aux caractéristiques précises différentes—types d’actes, acteurs, victimes—des cas de droits ESC.                                                  

Enquêtes empiriques et progrès social en Europe de l'Ouest

De nombreux instruments de recueil et d'analyse de données mentionnés dans ce module ont été élaborés au cours des trois derniers siècles pour évaluer les grands changements économiques et sociaux forgés par la révolution industrielle en Europe. Suivent quelques mises en relief de ces développements qui ont été amorcés en Angleterre:

Vers la fin des années 1600, William Petty appliqua des méthodes utilisées à analyser des données sur la population en vue d'entreprendre une enquête quantitative sur d'autres phénomènes sociaux. Il appela ces méthodes " arithmétique politique ". Ce terme fut utilisé tout au long du siècle suivant, jusqu'au moment où il a été remplacé par le terme " statistiques ", concept développé en Allemagne par un groupe d'érudits. " Le travail des mathématiciens politiques de l'âge des lumières a pavé le chemin pour les nombreuses enquêtes empiriques qui ont été menées durant les deux derniers siècles. Ces nouvelles approches comprenaient d'importants instruments analytiques tels que des études du budget des ménages, la mesure de la distribution du revenu et la croissance du revenu, ainsi que le suivi et l'évaluation des niveaux de pauvreté ".

" Les premières enquêtes détaillées sur les conditions des ouvriers furent faites en Angleterre à la fin du dix-huitième siècle. Elles furent menées par deux investigateurs très différents [Davies et Eden] qui du fait de la profonde détresse des classes ouvrières de ce temps étaient tous les deux stimulés dans la poursuite de cette tâche . . . Dans tous les groupes qu'ils ont observés, le revenu représentait moins que les dépenses moyennes, et environ 20 pour cent des dépenses des familles devaient être assurés par des transferts de ressources privées ou publiques. Pratiquement, dans tous les cas, plus de 75 pour cent des budgets des familles étaient alloués à la nourriture-bien plus que dans le plus pauvre des pays développés d'aujourd'hui. En effet, très peu pouvait être dépensé sur autre chose que les besoins élémentaires de base, ce qui probablement, dans le cas des vêtements, équivaut à un peu plus que des haillons. Au temps où l'idée qui prévalait était que l'oisiveté, l'ivrognerie et l'imprévoyance étaient à la racine de ces malédictions sociales, Davies et Eden, à leur façon, ont fourni les preuves nécessaires à une évaluation plus sobre de la réalité ".
En France, au milieu des années 1800, Louis-René Villermé " a commencé une enquête à grande échelle sur les conditions des ouvriers dans les industries du coton, de la laine et de la soie . . . Pour préparer son rapport, Villermé a utilisé à la fois les données des statistiques et ses propres observations qualitatives . . . De plus, quand il a utilisé, à la fois, les statistiques et qu'il a fait ses observations qualitatives, Villermé a utilisé des indicateurs, sans les désigner comme tels. Ainsi, il pris un grand nombre de naissances illégitimes comme étant un index fiable de la rupture des coutumes, et il a interprété les indices 'qualitatifs' tels que celui d'être payé au mois (plutôt qu'à la journée ou à la semaine) comme signes de stabilité et indices d'une abondance relative ".

" La France après l'Angleterre est le pays où le plus de calculs des revenus nationaux ont été faits pendant le dix-neuvième siècle . . . Durant la seconde moitié du siècle . . . l'attention s'est déplacée du côté de la répartition des revenus au niveau national . . . Le déplacement graduel vers l'approche de répartition des revenus était sans aucun doute facilité par le progrès constant réalisé dans le recueil des données économiques, financières et sociales à partir de la fin du dix-huitième siècle . . . Cette amélioration considérable . . . s'est produite à une période où, sous l'impact des conflits sociaux croissants (exacerbés par le contexte de crise de la fin des années 1870 et du début des années 1980), les économistes et les statisticiens devinrent plus intéressés par les questions de distribution des revenus que par le côté productif de l'économie ".

Vers la fin du dix-neuvième siècle, " l'Allemagne . . . est le pays où le progrès réalisé dans la création de systèmes de comptabilité nationaux était le plus spectaculaire. Deux facteurs sont habituellement considérés comme responsables de ce changement. Le premier était l'émergence d'un mouvement syndicaliste solide . . . Le second facteur était l'introduction en Prusse ainsi que dans quelques autres États tels que la Saxe, de taxes proportionnelles et progressives qui ont fourni une base de données facilement accessible pour l'analyse de distribution du revenu ".

Vers la fin du dix-neuvième siècle, Charles Booth entrepris une investigation massive des conditions de vie à Londres. Il a divisé la population de Londres en huit classes sociales sur la base de leurs revenus. " La source principale d'information pour cette enquête à grande échelle . . . était fournie par un interrogatoire précis effectué par extensif des visiteurs du bureau de l'administration des écoles, qui ont fait des visites de porte-à-porte dans le cours normal de leurs devoirs . . . La classification des classes sociales était complétée par une tentative d'identification des 'causes immédiates de la pauvreté.' Il a fait ceci en demandant à un nombre de visiteurs du bureau de l'administration des écoles de faire remplir un questionnaire par un échantillon comprenant 4 000 familles. Il a ainsi démontré que la pauvreté n'était pas le résultat d'échecs individuels tel que l'alcoolisme, mais qu'elle était due aux questions d'emploi . . . Malgré le désir de Booth de rester aussi 'détaché' et objectif que possible . . . ses trouvailles ont troublé son sens moral profond . . . Il devint particulièrement préoccupé par le triste état des pauvres âgés pour qui . . . il a rédigé et a plaidé en faveur d'un programme de pensions d'État sans contribution des bénéficiaires. Quelques-unes de ses propositions furent incorporées dans un acte du Parlement qui a été décrété comme ayant force de loi . . . " Un enquêteur ultérieur, Arthur Bowley, a introduit des techniques d'échantillonnage dans les enquêtes sociales.

En conclusion, " les changements importants apportés par la révolution industrielle en Europe ont engendré un grand nombre d'investigations empiriques, lesquelles progressivement ont posé la première pierre des fondations des systèmes d'informations économiques et sociaux d'aujourd'hui ".2

Quand la question des droits ESC affecte un grand nombre de personnes ou une communauté entière, ce qui serait peut-être nécessaire n’est pas tant l’instruction d’un grand nombre de cas individuels que le développement d’indicateurs qui rendent possible l’évaluation du respect d’un droit ESC particulier. 

Développement et utilisation des indicateurs

En général, un indicateur est un instrument qui indique la direction de quelque chose ou bien qui sert de signe, de révélateur.  Les indicateurs sont très utiles pour les analyses, même sans une définition unanime de leur contenu.  L’utilisation précise et en même temps systématique des indicateurs peut contribuer de plusieurs manières à la réalisation des droits ESC.  Les indicateurs:

  • évaluent les progrès réalisés dans l’application progressive des droits,
  • révèlent les difficultés rencontrées, et
  • aident à développer un contenu de base et établissent un « point de départ minimum. »

Toutefois, il y a énormément de confusion dans la discussion à propos des indicateurs des droits humains.  Ce n’est pas un terme communément utilisé dans le travail des droits civils et politiques, bien que pour ceux qui viennent à travailler sur les droits ESC dans des domaines tels que celui de la politique publique, la sociologie ou la recherche sur la santé, ce terme ne sera pas nouveau.

Beaucoup d’indicateurs sont déjà utilisés par des agences intergouvernementales variées, telles que l’Organisation mondiale de la santé et le Programme des Nations Unies pour le développement afin d’évaluer les conditions économiques et sociales à l’intérieur des pays.  Ces indicateurs, toutefois, ne sont pas exhaustifs, et ne sont pas non plus nécessairement liés aux concepts des droits humains.  Les indicateurs existants pour le développement socio-économique doivent être, en conséquence, re-évalués et re-pensés dans une perspective de droits humains.

De même, les indicateurs des droits humains ne devraient pas être limités à des compilations de données statistiques.  En plus des données chiffrées, « il est également important de développer des critères, des principes, et des évaluations des droits ESC »3 pouvant être convertis en indicateurs.


 


La distinction suivante entre indicateurs de « résultats » et les indicateurs de « processus » fournissent deux manières substantielles pour le développement des indicateurs des droits

L'Expérience de Provea dans le développement des indicateurs ESC

Durant son travail de définition du contenu du droit à la santé (voir le module 8), Provea a eu besoin d'étudier et de développer des indicateurs adéquats. L'organisation a entrepris une enquête afin de déterminer les indicateurs des droits humains adéquats, selon le cadre méthodique suivant:

  • un examen soigneux des caractéristiques et des principes du droit, et des obligations qui proviennent de l'engagement de l'État (à commencer par le PIDESC, mais aussi qui comprend d'autres instruments y ayant rapport, lorsqu'ils sont applicables);
  • la détermination des données déjà disponibles (dans les rapports du gouvernement, recherches académiques, rapports d'ONG, etc.);
  • l'examen des problèmes posés par les indicateurs socio-économiques ayant pour objectif de surmonter les obstacles qui tendent à limiter leur fiabilité;4
  • évaluer si les indicateurs dégagés mesurent bien les caractéristiques identifiées ;
  • la comparaison des indicateurs dégagés avec les indicateurs utilisés par la CDESC, pour la soumission de rapports nationaux.

Il est important d'insister sur le fait que dans l'évaluation de la réalisation des droits ESC, il n'est pas suffisant de dégager une tendance à travers des indicateurs statistiques ou bien de faire une liste des démarches mises en oeuvre pour son accomplissement progressif. Les données disponibles devront être analysées dans la perspective générale de la mise en oeuvre d'un certain aspect du droit, de manière à être capable d'établir le contraste entre la réalité existante avec les objectifs proposés et leur mise en oeuvre (indicateurs de processus et de résultats). Par exemple, s'il est vrai que l'augmentation de la morbidité due à une maladie évitable peut être justifiée par n'importe quelle raison, si cette augmentation est analysée en se servant des informations disponibles sur les ressources débloquées pour les campagnes de prévention, et avec les priorités établies à la lumière des besoins, ou si elle est liée à l'efficacité de l'utilisation des ressources, il se peut alors que la justification donnée ne soit pas suffisante. Dans un tel cas, la politique adoptée afin de remplir une obligation spécifique aurait besoin d'une révision critique, et peut même constituer, pour l'État, une violation de ses obligations.

humains.  Un des moyens est centré sur le contenu du droit, l’autre observe la mise en oeuvre par l’État.

  • Indicateurs de résultat: Les indicateurs de résultat se référent au contenu essentiel du droit et rendent possible la mesure du respect du droit.  Par exemple, pour ce qui a rapport au droit à la santé, la proportion d’enfants morts des suites de maladies infantiles évitables par l’immunisation est un indicateur de résultats.
  • Indicateurs de processus: La construction des indicateurs de processus est basée sur les objectifs de l’État.  Ils permettent de mesurer le degré auquel l’État se conforme à ses obligations générales.  Par exemple, la mesure dans laquelle la couverture universelle des immunisations de base a été accomplie, mesurée par la proportion des enfants complètement immunisés contre les maladies infantiles, est un indicateur de processus.

En d’autres termes, tandis que les indicateurs de processus aident à évaluer à faire le suivi et à évaluer le respect d’un gouvernement de ses obligations de conduite, les indicateurs de résultat aident à évaluer la satisfaction de ses obligations de résultat par rapport aux droits ESC.  (Voir le tableau dans le module 8, p. 159.)

En même temps, les indicateurs devraient faciliter une analyse quantitative et qualitative du respect des obligations générales de l’État (reconnaissance législative, adoption de mesures au maximum des ressources disponibles) aussi bien que des obligations spécifiques qui s’attachent à chaque droit.

Les indicateurs quantitatifs comportent des données chiffrées, et les indicateurs qualitatifs permettent une évaluation de la qualité de la jouissance du droit.  Ceci comprend l’évaluation de la performance par l’État, à la fois en adoptant les mesures et dans les termes de ses positions programmatiques, aussi bien qu’en analysant les aspects non-quantitatifs des politiques publiques (par exemple, des formes de participation ou réceptivité du système judiciaire aux propositions pour la réalisation des droits ESC).

Points de référence

Une fois que les indicateurs de résultat et du processus ont été développés en ce qui concerne un droit ESC, l’étape suivante est celle du développement des points de référence.  Ces der­niers tels qu’utilisés dans le langage familier des droits humains sont, en essence, les objectifs établis par les gouvernements sur base de procédés consultatifs, en relation avec chacune des obligations des droits ESC qui s’appliquent dans l’État concerné.  Ces objectifs seront en partie quantitatifs et en partie qualitatifs.  Ils seront liés à des cadres temporels spécifiques, et ils fourniront une base sur laquelle la « réalisation progressive », telle que prescrite dans le PIDESC, peut être mesurée.  Initialement, les points de référence différeront d’une manière significative d’un pays à un autre, reflétant à la fois les « ressources disponibles » et les pré­occupations prioritaires de chaque pays.  Avec le temps, toutefois, on pourrait s’attendre à ce que les approches convergent.

Le repérage représente une approche très utile pour surmonter le manque de prise de décision au niveau du respect des droits ESC au niveau national.  L’établissement des indicateurs sert à souligner certains aspects de l’interrelation qui existe entre ces droits et les droits civils et politiques.  Un programme, qui vise à se diriger vers la réalisation du droit à la nourriture, le droit à l’éducation, ou le droit au logement, ne peut pas être envisagé uniquement en termes de solutions bureaucratiques, techniques ou même économiques.  Ses dimensions civiles et politiques sont vitales.  Il doit être permis aux individus de participer aux décisions à prendre sur les démarches à entreprendre afin de faire respecter ces droits et la possibilité de contri­buer au suivi et à l’évaluation de ces procédés doit leur être accordée.  Dans ce sens, les droits civils et politiques peuvent être vus non seulement comme une fin en soi, mais aussi comme moyen vital pour faciliter la réalisation des droits ESC.

Les points de référence: vont-ils raconter toute l'histoire?

" Les points de référence des droits humains ont un rôle significatif à jouer dans la promotion et la protection des droits économiques, sociaux et culturels. Néanmoins, il est important de garder leur rôle en perspective. Même si nous perfectionnions l'utilisation des points de référence sur les droits humains, ils ne pourraient nous donner qu'une partie de l'histoire. Ils peuvent être capables de nous dire ce qui arrive, mais ils ne peuvent habituellement nous dire pourquoi ça arrive. Si le dossier des droits humains de l'État était un film long-métrage, les points de référence représenteraient une mauvaise photo instantanée des droits humains à un moment précis. Les cadres successifs, gelés à intervalles réguliers, peuvent nous dire quelque chose à propos du film, mais pas l'histoire entière. C'est ainsi avec les points de référence sur les droits humains : ils peuvent nous dire une partie de l'histoire, mais pas toute l'histoire ".5

 

Les gouvernements peuvent être en général peu enclins à impliquer des individus et des grou­pes dans un processus politique plus vaste relatif aux droits ESC. Cependant, il est clair que cela peut présenter des avantages significatifs, particulièrement dans certaines situations où les ressources sont rares et où les décisions difficiles doivent être considérées comme des priorités.  L’engagement de la communauté entraîne avec lui le potentiel de rendre de telles décisions plus agréables, plus équitables et plus soutenues.

La collecte et l’interprétation des données quantitatives et qualitatives

En vue d’utiliser les indicateurs et les points de référence pour le suivi, les activistes ont be­soin des informations sur les données quantitatives et qualitatives relatives à l’indicateur considéré.  Dans l’exemple sud-africain ci-dessus, l’indicateur utilisé est le « nombre de per­sonnes qui n’ont pas d’approvisionnement adéquate en eau potable », tandis que le point de référence ou l’objectif fixé est « fournir 50-60 litres d’eau par personne et par jour pour tous ».  Les données relatives à l’indicateur sont 12-14 millions de personnes (qui n’ont pas d’accès adéquat à l’eau potable).

Sources primaires et secondaires

Il existe deux larges catégories de sources pour obtenir les données ou des informations relati­ves aux indicateurs développés pour le suivi d’un droit spécifique ESC:

  • Primaires: Les données ou les informations primaires sont rassemblées en premier par une équipe de recherche.
  • Secondaires: Les données ou les informations secondaires sont celles qui ont été déjà ras­semblées par d’autres, dans le même but ou dans un autre.  Les sources secondaires peu­vent être publiées ou pas, et elles comprennent, à la fois, les informations quantitatives et qualitatives.

 

Points de référence et droits ESC
Expérience d'Afrique du Sud

L'efficacité du suivi et la mise en oeuvre des droits humains dépendent en grande partie d'une définition claire de la portée et du contenu des droits particuliers.

L'Afrique du Sud a fait face au défi de traduire les dispositions des droits ESC de sa constitution en des plans nationaux destinés à concrétiser ces droits. Un des domaines abordés a été l'eau, le droit à l'accès à l'eau suffisante se trouve dans la section 27 de la Constitution.

Le Département des services de l'eau a estimé que, comme résultat des politiques et lois d'apartheid, 12 à 14 millions de personnes en Afrique du Sud n'ont pas de provisions suffisantes d'eau potable, et 20 millions se trouvent sans installations sanitaires adéquates. Les personnes rurales, spécialement les femmes et les enfants, se trouvent dans une situation particulièrement précaire. Il est estimé que les femmes vivant dans les régions rurales passent plus de quatre heures par jour à aller chercher de l'eau et à ramasser du bois.

Le Département des services de l'eau a introduit une législation qui reconnaît une définition plus détaillée du droit constitutionnel à l'eau. (Pour plus d'informations sur cette législation, voir le module 21, p. 430.) Dans le contexte du droit à l'eau, le département a quantifié le niveau des besoins en eau à 25 litres par personne et par jour. Cette quantité est considérée comme le minimum requis de consommation directe, pour la préparation de la nourriture et de l'hygiène personnelle. Il est expressément considéré inadéquat pour " une vie pleine, saine et productive, c'est pourquoi cette quantité est considérée comme un minimum ". De plus, l'eau doit être disponible dans les 200 mètres du logement, le taux du débit du robinet ne devra pas être de moins de 10 litres par minute et l'approvisionnement en eau devra assurer la sécurité de l'eau pour la communauté. Ceci veut dire que " l'eau non-traitée " devrait être disponible 98 % du temps et que l'opération et l'entretien du système devraient être efficaces. Finalement, un guide a été développé conjointement avec le Département de la santé contenant les normes minimales ayant rapport à la santé pour l'évaluation de la qualité des provisions d'eau.

Le Département des services de l'eau s'est fixé un objectif à moyen terme de fournir 50 à 60 litres d'eau par jour et par personne (basé sur les directives OMS) et un autre à long terme de services complets et de connexions pour tous. De plus, la nouvelle législation de l'eau fournit un cadre pour une utilisation, une gestion et une conservation équitables et durables des ressources en eau.

En établissant des points de référence concrets tels que ceux-ci, le gouvernement de l'Afrique du Sud facilite le suivi de la mise en oeuvre du droit à l'eau par les entités chargées du même suivi, tel que la Commission des droits humains de l'Afrique du Sud.

 

Considérons l’exemple de recueil de données pour l’indicateur « de la proportion de la po­pulation terminant leurs études primaires », correspondant aux obligations de l’État à assurer l’éducation à toute sa population.  C’est un indicateur de résultats.  Des exemples des indica­teurs de processus correspondants au même droit comprennent « la proportion d’enfants du groupe des 6-11 ans inscrits dans les écoles primaires », ou bien « le nombre d’écoles primaires pour 1000 habitants ».

Le recueil des données primaires sur ces indicateurs devrait,habituellement, impliquer une enquête sur les familles de la communauté.  Cette enquête peut fournir des données sur la proportion de la population ayant terminé l’école primaire, la proportion des enfants qui sont en ce moment inscrits dans les écoles primaires, et le nombre et la distribution (en termes de distance de la maison où les enfants vivent) des écoles primaires dans la communauté étudiée.               

Aussi, cette étude peut-elle fournir des explications causales.  Par exemple, si la proportion des enfants inscrits à l’école dans un village donné, est de loin inférieure à celle inscrite dans un autre village, est-ce à cause de la dis­tance de l’école primaire?  À cause de la pauvreté de la famille, qui fait que les enfants cessent d’aller à l’école afin de gagner leur vie? Ou bien, est-ce à cause de la qualité inférieure de l’éducation dans une école par rapport à une autre?

" Carnet de notes des droits humains "
Un instrument pour le suivi et l'éducation

L'Organization for Black Struggle (Organisation pour la lutte des noirs), un mouvement de jeunes de St. Louis, Missouri, aux États-Unis, travaille à promouvoir le développement de leadership pour les jeunes afro-américains pauvres et avec des revenus réduits. Travaillant en association avec le système des écoles publiques de la ville, en 1998 ils ont organisé la Coalition de St. Louis pour les droits humains qui a publié un Carnet de notes des droits humains sur la ville. Le but de ce projet était d'évaluer la conformité des actions gouvernementales et non-gouvernementales avec les standards et les normes de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Le projet a mené une enquête sur les officiels élus et des comités ont été créés afin de vérifier si la ville se conformait aux droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels. Un tribunal " d'experts " a été établi afin d'évaluer les données rassemblées, et un carnet de notes a été publié pour évaluer les progrès (ou l'absence de progrès) dans la réalisation des droits humains dans la ville.

Le Carnet de notes des droits humains s'est avéré être un mécanisme efficace, pour l'éducation du public au sujet des violations aux droits humains dans la ville. Cela a aussi permis d'attirer l'attention sur la négligence des pouvoirs publics dans le domaine de la protection et de la promotion des droits humains. Ce projet fut un succès en ce qui concerne la publicité obtenue pour la coalition, étant donné que les mauvais résultats scolaires mettaient mal à l'aise les dirigeants de la ville et qu'ils encouragèrent diverses associations à se joindre à la coalition.

 

Les différences dans l’accès à l’enseignement au sein de la commu­nauté—par exemple, la différence en­tre garçons et filles—peut être aussi détectées par telle enquête.

Les enquêtes sur la communauté sont des instruments complexes, et les groupes qui n’ont pas d’expérience de ces enquêtes auront besoin de consul­ter d’autres organisations—telles que les groupes de santé des femmes, organisations de développement, etc.—qui plus typiquement utilisent des techniques d’enquêtes.  Ils peuvent aussi s’éduquer eux-mêmes en faisant recours à l’expertise des so­ciologues et autres dans leur communauté, lesquels peuvent avoir l’expérience des enquêtes.  Enfin, ils peuvent consulter des manuels sur les enquêtes.

Les enquêtes des communautés fournissent en général des informations quantitatives.  La collecte d’informations qualitatives des communautés et des individus peut être aussi impor­tante voire plus importante du point de vue des activistes.  Elle peut aider à identifier les bar­rières de la réussite scolaire et les stratégies pour les surmonter, et à faire les recommanda­tions appropriés aux gouvernements sur la politique adéquate à mener.

La collecte des informations qualitatives dans l’exemple ci-dessus peut inclure des interviews détaillées avec des personnes illettrées et des élèves qui ont abandonné leurs études, afin d’essayer de trouver les raisons qui motivent leur refus d’aller à l’école ou l’abandon des étu­des.  Elle peut aussi inclure une série de discussions avec des groupes cibles dans divers sec­teurs de la communauté—hommes et femmes, jeunes ou vieux, répartis à travers les groupes socio-économiques—afin de déterminer la valeur accordée par la communauté à l’éducation, leurs perceptions en ce qui concerne l’abandon des études par les enfants, et comment ceci pourrait être empêché.

Quand des informations sont nécessaires au sujet d’un groupe de la population nationale ou sous-nationale, des données secondaires doivent être utilisées.  Ceci est dû au fait que l’entreprise d’une vaste enquête à l’échelle nationale pour recueillir des données primaires serait, pratiquement, au-delà des moyens de la plupart des institutions. 

Les gouvernements, par exemple, produisent souvent des rapports de statistiques annuelles, sur la santé et l’éducation, par exemple.  De plus, certaines ONG produisent des rapports de statistiques sur des questions ESC, comme le font les institutions académiques et les organi­sations internationales telles que la Banque mondiale et le Programme des Nations Unies pour le développement.  Tandis que les statistiques produites par ces institutions n’auront pas été générées dans le cadre des droits, elles peuvent, néanmoins être utiles à constituer des in­dicateurs relatifs à des droits humains spécifiques.  Elles peuvent aussi servir à fournir aux activistes une vue générale de secteurs particuliers et à leur permettre de recouper les infor­mations du gouvernement.

Afin d’utiliser au mieux les informations existantes, les organisations doivent être capables de comprendre la signification des données et ils doivent trouver un moyen de vérifier leur pertinence, leur fiabilité et leurs limites. Certains des problèmes dans l’utilisation des don­nées existantes proviennent du manque de données fiables et des différentes méthodes de collecte.  En conséquence, des divergences ont lieu entre la situation réelle et ce que les don­nées suggèrent.

De nombreuses organisations travaillant sur les droits civils et politiques ont généré des don­nées sur des violations (par exemple, le nombre d’exécutions arbitraires chaque mois dans un pays) et elles ont analysé des données et informations générées par d’autres.  Elles peuvent utiliser cette expérience de leur tra­vail sur les droits ESC.  Data Analy­sis for Monitoring Human Rights, une publication claire et accessible sur l’analyse des statistiques pour le tra­vail des droits humains, est une référence utile pour ceux qui sentent qu’ils n’ont pas la connais­sance et l’expérience adé­quates dans l’analyse des don­nées.6

 

Quelques notions générales sur la collecte et l’utilisation des données secondaires et des in­formations sont présentées dans la section suivante.

 

Directives pour rassembler et utiliser les données secondaires et
les informations correspondant aux indicateurs

1. Rassembler les informations à partir de différentes sources

Le premier défi est de recueillir des informations sur le problème en question d'autant de sources différentes possible. Il est utile d'organiser ces sources par catégories:

• Sources publiées
• Sources non-publiées

Dans les catégories ci-dessus, les informations peuvent être:

• quantitatives, avec chiffres, pourcentages, taux et rapports; ou bien
• qualitatives, donnant des descriptions et des aperçus dans les procédés du comportement sous-jacent des taux et des rapports. Par exemple: Pourquoi ces différences dans le statut de l'éducation entre la région x et la région y? Est-ce à cause de la différence dans les attitudes des personnes? Si oui, qu'est-ce qui pourrait expliquer cette différence? Est-ce leur histoire? Leur réalité objective? Quel est le processus de prise de décision en ce qui concerne la scolarité d'un enfant?

Les données quantitatives peuvent être divisées en:

• Informations/ données macro, relatives à des pays entiers ou à des sous-régions, des États ou des provinces d'un pays
• Informations/ données micro, relatives à des régions spécifiques, des communautés ou des sous-groupes de la population

Les informations qualitatives tendent à être basées sur de petits échantillons de la population, c'est-à-dire, niveau micro, étant donné l'intensité et le temps que prend la collecte des données.

A. Sources publiées

1. Les macro données quantitatives sont disponibles d'une variété de sources publiées régulièrement:

- rapports de recensement, tous les 10 ans
- publications régulières (habituellement annuelles) des statistiques des différents ministères
- publications des statistiques annuelles des agences internationales spécialisées

Une liste des publications internationales contenant des données quantitatives sur l'éducation, l'emploi, la santé et la population, est donnée à la fin de ce module.

2. D'autres sources d'informations publiées, macro ou micro, quantitatives ou qualitatives, sont:

- des livres et articles dans les journaux nationaux et internationaux
- des articles de journaux et les reportages spécifiques dans des magazines
- des rapports des séminaires, conférences et ateliers

B. Sources non-publiées

1. Des bases de données informatisées maintenues par les ministères et par des organisations internationales sont une source de données quantitative macro et micro.

2. D'autres sources d'informations, macro ou micro, quantitatives ou qualitatives sont:

- des rapports non-publiés par les départements du gouvernement
- des rapports d'évaluation, révisions de programmes, etc., de l'ONU, des agences bilatérales et de donateurs, ainsi que d'autres organisations internationales
- des mémoires et thèses non-publiés soumis aux départements des universités
- des rapports et documents des ONG, d'organisations professionnelles, d'associations féminines, de syndicats de femmes, etc.
- des témoignages personnels d'individus et des communications personnelles d'experts dans le domaine, pouvant être utiles dans des situations où les informations provenant d'autres sources sont limitées

Les activistes peuvent identifier les sources d'informations suivantes sur les différences dans l'enseignement dans un pays x à partir des sources suivantes:

• Macro données quantitatives :

- rapport de l'Éducation mondiale de l'UNESCO
- annuaire statistique annuel de l'UNESCO
- La situation des Enfants dans le monde de l'UNESCO
- recensement par décennie du gouvernement
- rapports du Ministère de l'Éducation

• Une combinaison des informations quantitatives et qualitatives :

- rapport du gouvernement préparé pour une conférence mondiale récente
- publications gouvernementales du département concerné par les minorités religieuses et raciales
- un rapport d'ONG sur les différences liées au genre dans l'éducation pour une sous-région du pays.

• Une analyse de situation, réalisée à partir d'une gamme de sources variée, sur la relation entre l'éducation et la fécondité et la mortalité infantile
• Une thèse de doctorat non-publiée sur le statut éducationnel d'une communauté immigrante
• Un article d'un magazine populaire à propos de la qualité médiocre de l'éducation dans beaucoup d'écoles et l'insatisfaction de la communauté avec l'état des choses.

II. Examiner les informations recueillies

A. Données quantitatives tirées des tableaux des données de statistiques

1. Parcourez tous les tableaux de données. Regardez les définitions des indicateurs présentés, et notez-les. En toutes circonstances, les définitions à la fois du numérateur et du dénominateur aussi bien que celles des critères d'inclusion et d'exclusion devraient être notées.

Par exemple, les deux rapports, celui du recensement national et celui de l'UNESCO peuvent donner le " taux d'alphabétisation ". Le recensement national peut définir le taux d'alphabétisation comme " Population lettrée au-dessus de l'âge de cinq ans/Population totale au-dessus de l'âge de cinq ans ", et la définition de l'UNESCO peut être " Population alphabétisée au-dessus de l'âge de sept ans/Population totale au-dessus de l'âge de sept ans. " Les deux taux ne peuvent pas être comparés.

Parfois, les définitions utilisées dans la même source-telle que le recensement national-peuvent changer sur une période de temps. Par exemple, les recensements de 1951 et de 1961 peuvent avoir défini une personne alphabétisée comme " une personne qui a été un an ou plus à l'école ", le recensement de 1971 peut avoir changé la définition en " une personne qui peut signer son nom. " En conséquence, le pourcentage de ceux comptés comme alphabétisés peut augmenter d'une façon dramatique, de, disons, 40 pour cent en 1961, à 60 pour cent en 1971. Si nous ne sommes pas conscients du changement dans la définition, nous arriverons à des conclusions erronées en ce qui concerne les progrès réalisés.

2. Marquez toutes les données applicables des différentes sources, en même temps que les définitions utilisées, et notez les années, la source originale des données et l'année à laquelle les données se rapportent.

Par exemple, si les données proviennent des statistiques du Ministère de l'Éducation citées dans un document de planification ne pas citer comme source le document de planification. Spécifier la source en tant que statistiques du Ministère de l'Éducation citée dans le document avec le numéro de la page et les chiffres des tables données en référence.
3. Les données doivent être qualifiées par l'année (les années) à laquelle (auxquelles) elles se rapportent et non pas par la date de publication de la source des données.

4. Les données doivent être qualifiées par le lieu d'où elles proviennent. Par exemple, si le taux d'élèves qui abandonnent l'école est basé sur une étude de la communauté dans une province, ceci doit être mentionné. Quand les données sous-nationales relatives à une région ou à une province sont présentées, elles doivent être accompagnées d'une discussion sur la représentativité de cette ère géographique, ou dans le cas contraire, d'une discussion sur la situation de cette région/zone par rapport à la situation générale du pays.

5. Quand des données en séries chronologiques sont utilisées, il est nécessaire d'assurer qu'il n'y a pas eu de changements dans les définitions des indicateurs à travers le temps. De même, il est important de s'assurer qu'il n'y a pas eu de changement dans les frontières géographiques des zones auxquelles ces données se rapportent. Par exemple, un district peut avoir été modifié entre le recensement de 1961 et 1971 ou bien certaines parties d'un pays peuvent ne pas avoir été couvertes par le recensement pour des causes politiques. Tels changements doivent être énoncés clairement dans une note de bas de page.

6. Examiner l'exhaustivité et la qualité des données. Il y aurait parfois, des raisons de croire que des informations n'ont pas été rapportées sur certains indicateurs (par exemple, nombre de filles nées, nombre d'enfants mort-nés, nombre de morts infantiles). Vérifier si les données présentées sont des approximations ou des projections. Par exemple, le nombre d'élèves qui quittent l'école peut être une approximation basée sur des calculs d'une période antérieure, assumant que le même taux d'élèves quittant l'école s'est maintenu.

7. Faites vos observations sur l'exhaustivité et la qualité des données. Si certaines zones du pays n'étaient pas couvertes par un recensement pour quelque raison que ce soit, ceci devrait être noté. S'il existe une indication comme quoi des informations n'ont pas été rapportées sur tel ou tel indicateur, ceci doit être noté.

8. Dans le cas d'informations quantitatives provenant d'études de recherche ou rapports à petite échelle, noter les informations sur la dimension de l'échantillon, la région ainsi que les caractéristiques spécifiques de la population à laquelle les données se rapportent, et la source d'où proviennent les données. Par exemple, si le taux de morbidité est relatif aux patients suivis dans un centre de santé d'une communauté donnée et ne représente pas la communauté, ceci doit être précisé. Aussi, les données ci-dessus peuvent avoir été recueillies à travers un processus d'étude primaire (lors d' une entrevue avec chaque client) ou bien, elles ont été tirées des dossiers d'un hôpital. Ces distinctions doivent être explicitées clairement.

B. Informations Qualitatives

1. Examiner la méthodologie utilisée pour la collecte des informations, les caractéristiques des personnes interrogées et dans quelle mesure ces informations sont représentatives. Le récit d'une seule personne sous la forme d'une étude de cas peut être une illustration puissante d'un processus en cours, pourvu qu'il soit basé sur une expérience personnelle et que l'activiste soit capable d'expliquer qui il représente. Des observations ou des citations des discussions de groupes et des entrevues qui n'expliquent pas qui étaient les personnes entrevues et comment elles ont été choisies pour l'entrevue, qui l'enquêteur était, quel était le contexte de l'échange ainsi que la nature des questions posées et la proportion de personnes ayant exprimé un sentiment semblable à celui choisi pour être cité, ne sont pas des sources fiables d'informations qualitatives.

2. En utilisant des informations, il faut prendre soin qu'elles soient sous la forme de la description d'un seul observateur d'une situation ou bien d'un phénomène-un article de magazine ou un rapport d'enquête dans un journal, par exemple. Par elles-mêmes, ces informations ne peuvent pas représenter des sources indépendantes d'évidence concluante, mais elles peuvent être utilisées comme évidence additionnelle ou complémentaire pour expliquer une tendance émergeant d'autres sources de données/informations. Comme alternative, elles peuvent aider à faire des hypothèses sur les facteurs sous-jacents ou contribuer à expliquer un phénomène ou une tendance. Par exemple, si les activistes ont des données statistiques montrant une augmentation régulière du taux de fréquentation féminine des écoles primaires dans une certaine région, et qu'ils ont aussi des articles de quelques magazines et journaux suggérant un changement dans l'attitude des parents, ils peuvent être capables de voir ceci comme une cause de la tendance observée. En l'absence de toute donnée statistique, les articles de journaux et de magazines peuvent être utilisés pour spéculer sur l'impact sur l'éducation des filles qui serait relatif au changement dans l'attitude des parents, mais pas plus.

III. Consolider les informations recueillies de sources variées

La consolidation des informations consiste à:

• Faire la synthèse d'informations et de preuves de différentes sources d'informations parfois incomparables;
• tirer de tout ceci une analyse cohérente avec des enchaînements logiques;
• dépasser la simple description d'une situation afin de fournir une analyse des raisons qui font qu'une telle situation existe.

La consolidation des informations est pareille à celle de la réalisation d'une couverture en patchwork-les pièces doivent s'appareiller et s'ajuster ensemble afin de faire un tout. Les différentes démarches impliquées sont de:

1. Regarder les tables des données, et d'identifier les tendances majeures et les questions importantes. Par exemple:

- toutes les augmentations, diminutions ou fluctuations significatives des taux (d'alphabétisation, de fréquentation des écoles ) sur une période de temps donnée
- des taux exceptionnellement élevés ou bas comme comparés à ceux d'autres pays dans la région
- des différences importantes parmi les régions ou les groupes de population
- des situations qui sortent de l'ordinaire, telle qu'un degré d'alphabétisation élevé malgré des niveaux de revenus faibles

2. Lire les articles et textes narratifs, résumer les points importants relevés dans chacun, et organiser ces points dans un ordre logique.
3. Écrire une description de base de la situation. Les informations fournies devront être les plus récentes qui soient disponibles. Si les données ont plus de dix ans, s'assurer que des informations qualitatives sont ajoutées décrivant la situation courante ou parlant des directions dans lesquelles les changements ont pu se produire en se basant sur les preuves disponibles. Par exemple, si les données disponibles sur le chômage ont rapport au milieu des années 1980, mais que des changements économiques récents ont créé de nouvelles possibilités de travail, alors le commentaire peut suggérer que les taux ont vraisemblablement chuté durant les dernières années.

4. Vérifier s'il existe des contradictions dans les informations présentées.

5. S'assurer de la cohérence des données présentées dans les tables et le texte.

6. Lorsque c'est pertinent, établir des liens entre les différentes sections. Par exemple, si la section I représente un investissement déclinant dans l'éducation et que la section II représente les différences par race, vous pourrez examiner si les disparités ont augmenté spécifiquement après que le déclin dans l'investissement ait commencé. Essayer de ne pas faire un rapport entier en décrivant les taux et les proportions-" les taux d'alphabétisation ont augmenté pour le groupe x et pas pour le groupe y; dans la région z le taux a augmenté plus vite que comparé à celui d'autres régions "-sans expliquer la signification de ces chiffres.

7. Identifier les questions à l'intérieur de chaque section qui exigent plus d'explications ou de commentaires. Essayer de trouver des informations supplémentaires là-dessus, et discuter et expliquer les questions identifiées.

8. Les informations supplémentaires à l'étape 7 ci-dessus peuvent consister en des études, rapports et révisions d'articles d'autres pays et régions du monde. Présenter et discuter le bien-fondé des explications contradictoires, s'il en est, plutôt que de présenter tout simplement un seul point de vue.

Un supplément à la fin de ce module donne des exemples de sources de statistiques disponibles dans les domaines de la santé et de l'éducation.

L’analyse du budget7

L’analyse du budget peut être un instrument de valeur de l’activisme des droits ESC.  Les partisans des droits ESC ne doivent plus ignorer le budget national.  Le budget est important parce qu’il reflète ce que l’État fait ou ce qu’il se propose de faire.  Le budget est la traduc­tion, en termes financiers, du programme d’action de l’État, coordination des dépenses plani­fiées avec la collecte de revenus attendue et les transactions de prêts proposées.  C’est un plan national qui coupe à travers les lignes de démarcation des ministères et lie ensemble tous les plans et projets, l’instrument à travers lequel un État essaye de réaliser l’intégralité de ses ac­tivités.  Ce plan convertit les plans de développement et les priorités de l’État en un pro­gramme d’action.

« Le budget reflète les valeurs d’un pays—qui il apprécie, le travail de qui il apprécie, et qui est récompensé . . . et de qui, et de quoi, et le travail de qui il ne fait pas . . . Le budget est l’instrument de la politique économique le plus important du gouvernement, et en tant que tel peut être un instrument puissant de transformation du pays afin de répondre aux besoins des plus pauvres ».8

Les budgets sont conçus de manières différentes, en tant que plans financiers, plans ou pro­grammes de travail, ou en tant que documents politiques et sociaux.  Un budget peut être considéré à partir de cadres de références variées: comme un processus économique (alloca­tion de ressources); comme un processus politique, (rivalité parmi des groupes variés pour des ressources limitées); et en tant que processus administratif (planification, coordination, contrôle et évaluation).  Un budget peut aussi être considéré comme un processus de droits humains (allocation de fonds conformément aux obligations de l’État vers la réalisation totale des droits ESC).

Acteurs clés dans le processus du budget

Les acteurs clés dans le processus du budget varient d'un pays à un autre. Toutefois, en général, ils appartiennent à la fois aux branches exécutives et législatives. Dans la branche exécutive, ils comprennent, entre autres:

  • le Département/Ministère des Finances ou le Département/Ministère du Budget et de Gestion ou le département ou bureau responsable de la préparation du budget ;
  • le gouvernement, y compris le chef du gouvernement, qui décide sur les orientations et priorités budgétaires pour le budget de l'année; et
  • d'autres départements/ministères qui préparent les budgets départementaux/ministériels, programmes et priorités.

Dans la législature, les acteurs clés dans le processus budgétaire comprennent, entre autres:

  • des membres des comités sur les appropriations, finances et autres comités qui entreprennent le premier examen du budget;
  • le bureau du budget législatif (là où ils existent); et
  • tous les membres de la législature qui éventuellement voteront le budget.

Considéré du point de vue du cadre des droits humains, un budget national peut être défini comme un processus à travers lequel les ressources financières sont allouées en conformité avec les obligations de l’État à respecter, protéger et satisfaire les droits humains.  Le statut des droits humains et la conformité aux obligations de l’État deviennent des déterminants clés des choix faits relatifs aux allocations de ressources financières.  Les obligations des droits humains d’un État devraient être le but ultime du gouvernement: il devrait utiliser tous les instruments à sa disposition pour assurer la garantie et la jouissance de tous les droits hu­mains par tous les individus.  Ainsi donc, les obligations de l’État pourvoient la raison d’être à l’origine des décisions économiques et administratives reflétées dans le budget national.

L’analyse du budget est une étude profonde et détaillée du budget.  Elle implique le recueil, l’étude et l’interprétation des données du budget, la relation des données du budget avec d’autres informations pertinentes telles que les politiques et programmes de l’État, et l’établissement des conclusions et des résultats.  Son but est de fournir une analyse des in­formations qui soit crédible, accessible à de larges audiences, et qui soit une contribution à propos pour les débats politiques, avec le but d’affecter le processus de prise de décisions budgétaires et les décisions elles-mêmes.9

L’analyse du budget est entreprise à partir de nombre de perspectives.  Certains groupes éva­luent les arrangements financiers couvrant des buts nationaux et sub-nationaux.  D’autres re­gardent les effets des décisions du budget sur des programmes qui affectent des secteurs vul­nérables.  D’autres groupes entreprennent l’analyse du budget à travers une lentille très tech­nique; ceci comprend le classement des dépenses par titres majeurs et mineurs (fonction ou nature de la dépense), en examinant les chiffres du budget, en étudiant les nouvelles alloca­tions, et en comprenant les plans de développement de l’État tels qu’exprimés par les alloca­tions budgétaires.10

Défis à l’analyse du budget

Les analystes du budget rencontrent souvent des problèmes.  Le manque d’accès aux données budgétaires et aux informations est commun.  Les livres principaux du budget, les papiers et autres documents concernant le budget ne sont souvent pas accessibles au public.  La clarté des informations et données du budget représente un autre problème, comme la difficulté dans l’établissement des relations parmi les fonctions, les coûts et les allocations—et ainsi que la vérification des raisonnements à l’origine des allocations.11

Il existe plusieurs lacunes dans la structure d’un budget qui limitent son efficacité en tant qu’instrument d’analyse.  Le budget ne fait pas la différence entre les dépenses allouées et actuelles.  Parfois, des fonds sont dépensés pour des buts autres que ceux qui sont autorisés; d’autres fois, les dépenses sont inférieures aux fonds alloués; et le budget ne montre pas ce qui arrive aux portions inutilisées des allocations.  Aussi, le budget n’indique pas les fuites, s’il en est, dans les montants dépensés, ni si le budget est analysé par région, État, district ou municipalité.

Finalement, le processus du budget donne rarement aux intéressés l’occasion de participer dans n’importe laquelle de ses démarches.  Parfois, ils peuvent participer dans le processus du budget uniquement durant l’étape d’autorisation du budget.  Toutefois, la participation à tous les niveaux des décisions sociales, politiques et économiques est à la fois le droit et le devoir de tous les individus.  La participation est un principe indispensable dans le processus du budget.  « La participation engagée, qui comprend explicitement des informations prove­nant des pauvres et des ouvriers qui ont faim d’éducation, de soins de santé et de sécurité so­ciale, vraisemblablement aura pour résultat des dépenses plus équitables que celles issues d’un processus dominé par des intérêts privés puissants se fixant un agenda qui les sert eux-mêmes dans d’exemptions d’impôts, de subventions, de réduction des effectifs et de privati­sation ».12

Mise en route

La mise en route de l’analyse du budget implique un processus en quatre étapes.

Dans la première, on doit apprendre par quel processus le budget de l’État est préparé et identi­fier les principaux acteurs du processus (voir l’encadré ci-dessus).  Ceci implique de se procurer une copie de la loi sur le budget et des règlements ou directives officiels sur la pré­paration du budget.  En étudiant avec soin la loi sur le budget et les directives qui y corres­pondent, on peut trouver les informations et la connaissance nécessaires pour commencer l’analyse du budget.

Dans la seconde, on doit se familiariser avec les termes variés utilisés dans le budget.  L’utilisation d’un dictionnaire sur la comptabilité ou la consultation avec des experts est utile.

Dans la troisième, on doit savoir comment lire le budget.  On a besoin de savoir comment le budget est classifié et ce que chaque classification comporte.  On a aussi besoin de savoir comment lire les chiffres afin de déterminer leurs implications.  La consultation avec des ex­perts et autres personnes déjà engagées dans l’analyse de budget peut aider, ainsi que l’étude des directives du budget préparées par le bureau du budget, quand elles sont disponibles.

Et dans la quatrième, étant donné que le budget est—ou devrait être—lié aux plans de dévelop­pements de l’État, on doit évaluer ces plans.  Ceci implique de se procurer des copies de ces plans de développement et programmes, et de les analyser avec soin afin de pouvoir déterminer leur impact sur le pays.

Application de l’analyse du budget

L’analyse du budget peut être appliquée dans de nombreuses situations relatives aux droits ESC.  Par exemple, une communauté peut souffrir de ne pas avoir accès aux biens de base, comme l’eau potable et les installations sanitaires, l’électricité, les services d’urgences, les services de santé ou de l’éducation, tout ce qui peut permettre à ses membres d’exercer et de jouir de leurs droits ESC.  Quand la communauté approche l’État en vue de résoudre ces pro­blèmes, la réponse presque toujours est le « manque de fonds disponibles » ou les « contraintes budgétaires ».  L’analyse du budget pourrait révéler ces portions du budget qui pourraient être réalignées.  Le but de l’analyse du budget dans cette situation serait de per­mettre à la communauté de faire pression plus efficacement sur l’État afin qu’il fournisse les services nécessaires en vue de la réalisation et de la jouissance des droits ESC.

Les activistes des droits ESC peuvent aussi être appelés à aider des communautés dont  les droits ESC fondamentaux sont menacés par la construction de barrage, d’un développement d’infrastructure ou de la construction d’une centrale électrique dans leur région.  Ces projets peuvent être entrepris par l’État seul ou conjointement avec des entreprises nationales ou in­ternationales.  Ils peuvent être financés par des institutions financières internationales ou des bailleurs bilatéraux.  Dans ces cas, les activistes commencent souvent à entreprendre des investigations et à documenter leurs résultats.  Les efforts des groupes de pression suivent généralement et cherchent à  suspendre et à annuler le projet.  Si nécessaire, les activistes dans la communauté aident les activités de l’organisation et de la mobilisation.

Les efforts des activistes peuvent être élargis par l’analyse du budget.  Si l’un d’entre eux sou­haite d’arrêter un projet, il pourrait examiner le budget pour déterminer le montant appro­prié pour ce projet.  Il pourra alors comparer le montant approprié avec les montants appro­priés pour des programmes ou services qui sont essentiels à la réalisation et à la jouissance des droits ESC fondamentaux.  Alors, il pourrait soumettre ses conclusions à la législature et participer activement dans les auditions législatives du budget.  La possibilité d’arrêter un programme est évidente durant les auditions budgétaires, étant donné que sans fonds, l’État ne peut pas donner suite au projet.

De plus, de nombreux activistes des droits ESC viennent à travers des politiques, des services et des programmes qui défavorisent des secteurs vulnérables (les personnes âgées, les fem­mes, les enfants, les pauvres, les communautés indigènes, etc.).  Ils rencontrent aussi des si­tuations d’injustice dans l’accès aux programmes de l’État qui ont une influence sur la réali­sation et la jouissance des droits ESC.  Dans ces situations, l’analyse du budget peut jouer un rôle important en permettant aux activistes de déterminer les allocations accordées à certains groupes en comparaison à ces groupes vulnérables.

Les allocations publiques peuvent être analysées selon leur nature et leur fonction afin de déter­miner leur impact sur les droits ESC et leur conformité avec les obligations concomi­tantes de l’État à travers une variété de moyens, y compris:

         Les allocations publiques qui peuvent être examinées afin de déterminer si la ventilation des dépenses, les modalités géographiques et de niveau de dépenses, les programmes de l’État, les catégories de dépenses courantes et les mesures compensatrices, sont en conformité avec les obligations de l’État en ce qui concerne les droits ESC.

         Les allocations publiques peuvent être examinées à fond et voir si l’État a affecté les fonds pour les démarches qu’il doit entreprendre sous l’article 2(1) du PIDESC.

         Les allocations peuvent être évaluées pour s’assurer que l’État a affecté les fonds afin de se conformer aux point de références qu’il s’est fixés se rapportant à la réalisation pro­gressive des droits ESC.

         Les allocations publiques peuvent être comparées aux normes internationales et nationa­les se rapportant à la jouissance et à l’exercice des droits ESC.

        Les allocations publiques se rapportant aux entités judiciaires, aux commissions nationa­les des droits humains et d’autres entités d’adjudication des droits peuvent être analysées afin de déterminer l’étendue des recours disponibles aux victimes des violations des droits ESC, dans l’exercice de leur droit à la réparation.

         Le suivi de la réalisation progressive des droits ESC à travers l’analyse du budget com­porte une comparaison sur plusieurs années du budget de l’État.  La comparaison des al­locations du budget pour une année avec celles du budget de l’année suivante peut indi­quer des changements dans les politiques et les priorités de l’État.  Ces politiques et ces programmes sont-ils engagés vers ou contre la réalisation des droits ESC? L’État, est-il en train d’assigner plus de fonds pour des programmes qui facilitent ou qui empêchent la réalisation des droits ESC?  L’examen des budgets sur plusieurs années peut signaler toutes les mesures rétrocessives que l’État a pris par rapport aux droits ESC.

Développer une politique et un plan d'action nationaux
pour les droits humains en Thaïlande

Pour commémorer le 50ème anniversaire de la DUDH, le Gouvernement thaïlandais a formé une commission présidée par le Ministre de la Justice. Un comité établi sous cette commission avait pour mission de préparer une politique et un plan d'action nationaux pour les Droits humains. Son mandat principal était de présenter une politique et un plan d'action pour la promotion et la protection des droits humains en Thaïlande dans une période de six mois. De nombreux sous-comités et groupes de travail furent formés. Le processus a commencé avec le développement d'analyses de situations sur les conditions des droits humains à propos des enfants, des femmes, des travailleurs migrants, des minorités, des handicapés, des défendeurs des droits humains et d'autres groupes du pays. Ces rapports ont été remis au sous-comité de rédaction. Ceux qui avaient travaillé sur les analyses s'attendaient à ce que les rapports soient étudiés avec soin et utilisés par le sous-comité de rédaction comme base pour la formulation de la politique et du plan d'action national, mais ils furent déçus. Le sous-comité a produit une politique et un plan d'action d'environ 300 pages, mais les analyses des situations n'étaient pas prises en considération. En examinant le processus de formulation de la politique nationale et du plan d'action pour les droits humains en Thaïlande, il apparaît clairement que des groupes variés de personnes furent impliqués dans le processus. Toutefois, du fait que les analyses de situations n'ont presque pas été lues ou utilisées par les rédacteurs, et qu'il n'a pas été tenu compte des commentaires et des suggestions provenant d'un peu partout dans le pays, on pourrait difficilement dire que le processus de rédaction était largement participatif.

Rapports

Publications internationales contenant des données de statistiques
sur l'éducation, la santé et le statut économique de la population

I. Sources publiées annuellement

Pour les données courantes, voir la publication la plus récente. Toutefois, il est utile de voir les publications des cinq dernières années, étant donné que chacune de ces années peut avoir un centre d'intérêt spécifique et peut contenir des informations supplémentaires sur des indicateurs y ayant rapport.

1. Nations Unies. Annuaire démographique. New York.1948- Les sujets spéciaux couverts durant les années récentes comprennent:
1990: Statistiques sur les mariages et les divorces
1991: Vieillissement de la population et la situation des personnes âgées
1992: Statistiques de la fécondité et de la mortalité
2. Nations Unies: Annuaire statistique. New York: Nations Unies, Division de statistique, 1948-
3. Programme des Nations Unies pour le développement. Rapport mondial sur le développement humain. New York: Oxford University Press.
4. Organisation mondiale de la santé. World Health Statistics Annual. Genève: Nations Unies, 1962.
5. Banque mondiale. Atlas de la Banque mondiale. Washington D.C.
6. Banque mondiale. Rapport sur le développement dans le monde. Washington D.C.
7. Bureau international du travail. Rapport sur le travail dans le monde. Genève.
8. Bureau international du travail. Annuaire des statistiques du travail. Genève.
9. UNESCO. Rapport mondial sur l'éducation. Paris.
10. UNESCO. Annuaire statistique de l'UNESCO. Paris. 1973-
11. UNICEF. La situation des enfants dans le monde. New York: Oxford University Press.
12. UNICEF. Le progrès des Nations. New York:
13. Fonds des Nations Unies pour la population. L'état de la population mondiale. New York.

II. Autres Publications

Générales
14. Nations Unies. 1993. World Population Prospects: The 1992 Revision. New York: United Nations Population Division.
15. Nations Unies. 1993. World Urbanization Prospects: The 1992 Revision. New York.
16. Nations Unies. 1993. The Sex and Age Distribution of the Population. Diskette. Paris.
17. UNESCO. 1995. Compendium des statistiques relatives à l'analphabétisme, édition de 1995, rapport et études statistiques. Diskette. Paris.
18. Rapports sur le statut des femmes préparés pour la 4ème Conférence mondiale sur les femmes. Beijing. 1995, préparés par votre pays. Dans certains pays des rapports parallèles peuvent avoir été publiés par des ONG.
19. Nations Unies. 1995. Women's Indicators and Statistics Database (Wistat). Version 3 CD-ROM. E.95.XVII.6. New York.
20. Nations Unies 1995. Femmes dans le monde, Les 1970-1995. Deuxième édition. 95.XVII .2. New York.
21. Nations Unies 1995. Femmes dans une économie mondiale en mutation, Le rôle des femmes dans le dévéloppement mondiale: Étude 1994. 95.IV.1. New York.

Santé, Général
22. Des enquêtes démographiques et de santé, ou des études comparables sur la santé au niveau national ont été menées dans de nombreux pays. La plupart de ces rapports contiennent des données sur:

- mortalité juvenile et infantile par sexe
- immunisation des enfants par sexe
- statut de la nutrition des enfants par sexe
- fréquence des cas de diarrhées, infections respiratoires aiguës, et fièvre chez les enfants de moins de cinq ans, et soins de santé demandés par sexe
- taux de fécondité total et taux de fécondité spécifiques par âge
- taux de la prévalence de la contraceptive chez les femmes
- services de couverture prénatale et de la maternité

23. Nations Unies. 1995. Levels and Trends in Contraceptive Use as Assessed in 1993. New York
24. John Ross et al. 1993. Family Planning and Population: A Compendium of International Statistics. New York: The Population Council.
25. Nations Unies. 1994. World Abortion Policies. New York.
26. Organisation mondiale de la santé. 1993. Abortion: a tabulation of available data on the frequency and mortality of unsafe abortion. WHO/FHE/MSM/93.13. Genève, 1991. Maternal Mortality: A Global Factbook. Genève.

Les informations issues du suivi des droits ESC peuvent être utilisées dans nombre de contextes différents, y compris dans les programmes d’éducation sur les droits humains, et dans les initiatives de réformes de la loi et des recours en justice.  Dans la plupart de ces situations, il serait nécessaire de rédiger un rapport sous une forme ou une autre afin que les informations recueillies soient utilisables.  Une partie courte comportant les faits pourrait être utile en vue de donner des informations à la presse, par exemple, alors qu’une partie analytique détaillée serait nécessaire dans le contexte des efforts pour la réforme de la loi ou des recours.  Avant de rédiger n’importe quel rapport il est important de penser avec soin à son objectif, aussi bien qu’à son contenu et au style appropriés.

 

Auteurs: Le module 19 incorpore des textes écrits par différents auteurs. Ligia Bolívar et Enrique Gonzales ont écrit sur les indicateurs, Philip Alston sur les points de références.  Sundari Ravindram a rédigé les sections sur les indicateurs et les points de références, et il est l’auteur de la section sur les directives pour utiliser les sources d’informations secondaires.  La section sur l’analyse du budget est extraite d’un écrit pour l’IHRIP par Ma. Socorro (« Cookie ») Diokno; la section sur l’investigation a été écrite par Johannes (« Babes ») Ignacio.

NOTES


 1. Ce résumé est base sur les écrits de  Jerome Scott, Paul Terranova, et  Svati Shah, « Economic Develop­ment–Olympic Style », As the South Goes: Project South 3, no. 1 (hiver 1996): 8-9, et  sur des entretiens avec Jerome Scott.

 2. Jean-Michel Collette, « Empirical Inquiries, National Income Measurement and the Assessment of Social Progress in Western Europe: A Historical Perspective » (papier presenté au séminaire de Copenhague sur le progress social, septembre 1999), extraits.

 3. Nations Unies, Séminaire sur les indicateurs appropriés pour mesurer les progrès dans la realization des droits ESC, version préliminaire (ronéotypé), para. 20.

 4. Rapport intérimaire de Rapporteur special de la Sous-Commission de la lutte contre le measures discriminatoires et de la protection des minorities, La jouissance effective des droits économiques, sociaux et culturels, ONU ESCOR, Commission des droits de l’homme, 42ème Session, Pointe de l’ordre du jour 7, ONU Doc. E/CN.4/Sub.2/1990/9 (1990), paras. 1-105.

 5. Paul Hunt, « Obligations des Etats, indicateurs et critéres: le droit à l’éducation », CDESC, E/C.12/1998/11.

6. Herbert F. Spirer and Louise Spirer, Data Analysis for Monitoring Human Rights (Washington, D.C.: American Association for the Advancement of Science, 1993).

7. La section suivante est issue d’un texte écrit pour l’IHRIP par Ma. Socorro (« Cookie ») Diokno, du Free Legal Assistance Group (FLAG) aux Philippines, intitulé A Rights-Based Approach towards Budget Analysis (avril 2000).

8. Debbie Budlender, éd., The Women’s Budget (Cape Town: Budget Information Service, Institute for Democracy in South Africa, 1996), 7.

9. Iris Lav, « Getting Started on Budget Work », (Notes présentées à la seconde conference internationale sur le budget,  « Transparency and Participation in the Budget Process », Cape Town, Afrique du Sud, 21–25 février, 1999).

10. Pour une description des différentes approches de l’analyse du budget, voir International Budget Project, A Guide to Budget Work, 1999, disponible sur http://www.internationalbudget.org/re­sources/guide.

11. Ibid.

12. Kenneth Creamer, « Key Challenges for Progressive Budget Reform », Budget Information Serv­ice, Institute for Democracy in South Africa, Budget Watch, 31 juillet 1998.


Droits résérves