MODULE 13
LE DROIT À UN LOGEMENT ADÉQUAT

Objet du module 13

Ce module a pour objet de clarifier le contenu et l’étendue du droit au logement.

Le module

  • présente les normes internationales, régionales et nationales visant à garantir le droit au logement;
  • énumère les obligations de l’État;
  • détaille les garanties prévues par l’article 11 du PIDESC comme celles contenues dans les Observations générales 4 et 7 du CDESC; et
  • considère des stratégies pour assurer la jouissance du droit au logement.

Introduction

Le respect de la dignité humaine se traduit nécessairement par la possibilité de se loger.  Un « logement adéquat » ne signifie pas seulement quatre murs et un toit au-dessus de la tête.  Une vie normalement saine passe par le logement.  Celui-ci répond à des besoins psycholo­giques profondément enracinées d’un espace personnel et privé; à des besoins physiques de sécurité et de protection contre les intempéries; à des besoins sociaux de lieux de rencontre où d’importantes relations se forgent et se nourrissent.  Dans beaucoup de sociétés la maison remplit l’importante fonction de centre économique où s’accomplissent des activités com­merciales essentielles.

L’importance du logement pour le bien-être humain et la survie est universellement recon­nue.  Et pourtant on estime à plus d’un milliard les individus qui vivent dans un logement insuffisant tandis que plus de 100 millions de personnes sont sans abri. [1]   Des gouvernements invoquent leur manque de ressources et de capacité à mettre en place des programmes et à entreprendre des réformes propres à créer les conditions de développement à l’accès au lo­gement.  Le droit à un logement adéquat offre ainsi un paradigme unique de suivre des mesu­res prises par les États pour répondre aux exigences des citoyens en matière de logement ainsi que de leur détermination à promouvoir ce droit humain fondamental.

Le logement comme droit humain—normes internationales et régionales

Normes internationales

Le droit à un logement adéquat est fondé et reconnu par la loi internationale.  Enoncé à l’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, le droit à un logement adé­quat a été inscrit dans d’autres traités internationaux majeurs des droits humains.  L’article 11(1) du PIDESC déclare que « Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nour­riture, un habillement et un logement suffisants, ainsi qu’à une amélioration constante de ses conditions d’existence. ».

Le CDESC est l’auteur deux Observations générales qui éclairent le champ d’application et la signification du droit au logement garanti par le Pacte.  Le texte des Observations générales 4 et 7 se trouve aux pages 268–279.

Des dispositions similaires sur le droit à un logement adéquat sont contenues dans la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale; la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes; la Convention relative aux droits de l’enfant; la Convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid; et dans la Convention internationale relative au statut des réfugiés.

Plusieurs déclarations non-obligatoires, résolutions et recommandations faites par l'ONU et ses organismes spécialisés au sujet du logement comme un droit humain
  • Déclaration sur le progrès et le développement dans le domaine social (1969), part II, art 10
  • Déclaration des droits des personnes handicapées (1975), art 9
  • Déclaration de Vancouver sur les établissements humains (1976) section III (8).
  • Organisation internationale du travail-Recommandation 115 (1961), Principe 2
  • OIT Recommandation 62 concernant les travailleurs âgés (1980) art5
  • Déclaration sur le droit au développement (1986)
  • Sous-Commission des Nations Unies de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités (1994). Résolution sur " Les enfants et le droit à un logement convenable " adoptée le 23 août 1994.
  • Commission des droits de l'homme des Nations Unies. Résolution 1993/77 sur les " expulsions forcées " adoptée le 10 mars 1993
  • Commission des établissements humains des Nations Unies. Résolution 14/6 sur " le droit au logement convenable ", adoptée le 5 mai 1993
  • Assemblée générale des Nations Unies. Résolution 42/146 sur la " réalisation du droit à un logement adéquat " adoptée le 7 décembre 1987, qui " rappelle le besoin de prendre, au niveau national et international, des mesures destinées à promouvoir le droit à un niveau de vie décent à tous les individus pour eux et leur famille, dont un logement adéquat, et appelle tous les États et les organisations internationales concernées à porter une attention particulière à la réalisation du droit à un logement adéquat, en appliquant des mesures propres à développer les stratégies nationales d'abri et des programmes d'amélioration des établissements dans le cadre de la Stratégie mondiale pour l'abri en l'an 2000).

Instruments régionaux

Plusieurs instruments régionaux des droits humains garantissent aussi à chaque individu le droit à un logement adéquat.  Dans la Charte de l’Organisation des États américains (OÉA) l’article 34 (k) stipule que: « Les Etats membres conviennent . . . de déployer tous les efforts possibles pour atteindre . . . (l)ogement adéquat pour tous les secteurs de la population »  La Charte sociale européenne, la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la Convention européenne relative au statut juridique du travailleur migrant, la Résolution sur le logement des sans abri dans la communauté européenne, ainsi que l’Acte final d’Helsinki contiennent tous des dispositions expresses relatives au droit à un logement adéquat.

La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ne fait pas particulièrement mention au droit à un logement adéquat.  Quoi qu’il en soit, d’autres clauses telles que le droit au res­pect de la vie (art.4) et le droit à la santé physique et mentale (art.16) donnent sans aucun doute un fondement à la revendication du droit au logement.

Reconnaissance juridique nationale

Dans un nombre croissant des États de par le monde, bien des constitutions nationales et de lois municipales contiennent des clauses expresses ou implicites relatives au droit au loge­ment.  Elles ont donné du poids aux revendications de mise en œuvre de ce droit au niveau national.  Un exemple récent est la Constitution de 1996 de la République sud africaine qui garantit expressément le droit à un logement adéquat et interdit l’expulsion forcée.  La Cons­titution stipule que:

1.      Chacun a droit d’avoir accès à un logement adéquat.

2.      L’État doit prendre les mesures législatives et autres mesures dans la limite des ressour­ces dont il dispose, pour la mise en œuvre pro­gressive de ce droit

3.      Personne ne peut être expulsé de son domi­cile ni le voir démoli, sans ordre du tribu­nal délivré après examen du cas.  Aucune législation ne doit permettre d’expulsion arbi­traire.

La Constitution sud-africaine re­connaît aussi la justiciabilité de la déclaration des droits, y compris du droit à un logement adéquat Elle permet aux personnes lésées et à leurs représentants de saisir les tribunaux pour faire valoir leurs droits.

Toutefois, dans la plupart des constitutions, le droit au logement dépend de la politique de l’État et n’est pas mentionné dans une déclaration de droits.  Voilà pourquoi ce n’est, dit-on, que simple souhait sans valeur devant un tribunal. (Voir le module 22).  Il en résulte que dans beaucoup d’États parties du PIDESC il y a conflit entre des obligations internationales de droit au logement adéquat et des dispositions constitutionnelles qui empêchent leur applica­tion au plan local.

Le droit à un logement adéquat—obligations des États

Les obligations des États vis-à-vis du droit à un logement adéquat sont souvent mal compri­ses.  Elles ne signifient pas qu’il soit demandé à l’État de construire des logements pour la population entière, ou que le logement sera proposé exonéré d’impôts, ou bien même que ce droit s’exercera de la même manière en tout lieu et à tout moment.  La reconnaissance par un État du droit au logement signifie plutôt que l’État:

         s’engage à s’efforcer par tous les moyens appropriés à faire en sorte que chacun bénéficie d’un logement abordable et acceptable,

         s’engagera à prendre toute une série de mesures pour affirmer sa politique de reconnais­sance légale de tous les aspects constitutifs du droit au logement.

         préservera et améliorera des maisons et des quartiers plutôt que de les endommager ou de les raser.

Les éléments essentiels de l’obligation de l’État de mettre en applications les droits ESC (droit au logement compris) sont contenus dans l’article 2 du PIDESC. (Voir le module 9).

De plus, l’article 2(2) du Pacte interdit toute sorte de discrimination basée sur race, couleur, sexe, langue, religion, opinion politique et autre, origine nationale ou sociale, propriété, nais­sance ou autre statut, dans l’exercice des droits énoncés dans le Pacte.  Cette disposition peut et doit être utilisée pour lever les barrières institutionnelles, légales et culturelles qui interdi­sent aux femmes l’accès à la propriété et au logement. 

Des développements récents des textes de droit international en matière de droits de l’homme ont réaffirmé que le droit au logement adéquat est garanti aux membres de la société tradi­tionnellement privés de droits, dont les femmes, les déplacés internes et les réfugiés.  En août 1998, la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités a vivement recommandé aux gouvernements, compte tenu du fait « que leur expérience de la pauvreté soit telle qu’elle les empêche d’échapper au piège de la pauvreté », de « pour modifier et/ou abroger les lois et politiques relatives à la terre, à la propriété et au logement qui dénient aux femmes la sécurité de jouissance et l’égalité d’accès et de droits à la terre, à la propriété au logement ». [2]   La sous-commission a reconnu aussi le droit des réfu­giés et des déplacés internes d’exercer librement et en toute équité leur « droit au retour à leur lieu de résidence habituel tout en précisant que «le droit à un logement adéquat com­prend le droit d’être protégé d’un retour forcé ». [3]

Contenu de l’article 11 du PIDESC— le droit à un logement adéquat

En 1991, lors de sa sixième session, le CDESC a adopté une Observation générale détaillée sur l’article 11 du Pacte traitant du droit à un logement adéquat. [4]   Ce qui suit expose les points principaux de cette observation (le texte complet de l’Observation générale 4 figure aux pages 268 –274):

 •  Relations entre le droit au logement et d’autres droits

Interdépendance des droits
Logement et éducation

En 1990 le gouvernement militaire du Nigeria a expulsé les 300 000 habitants de la communauté Maroko de Lagos, au Nigeria, ne pourvoyant à la réinstallation que de 3 pour cent d'entre eux seulement. Le gouvernement par la suite n'offrit aucune chance de scolarisation alternative aux enfants Maroko dont l'éducation avait été brutalement interrompue par l'expulsion forcée.

Le Social and Economic Rights Action Center (SERAC) à Lagos a initié une série de procès pour dénoncer devant les tribunaux les violations des droits ESC de la population Maroko. Dans l'une de ces affaires, Akilla v. the Government of Lagos et al., le SERAC conteste le déni du droit à l'éducation primaire à plus de 9 000 élèves des onze écoles de Maroko détruites en même temps que la communauté. Le recours en justice cherche à obliger le gouvernement de Lagos à mettre en place un programme de redressement dans l'éducation pour aborder les besoins des étudiants déplacés. Obligation est faite au gouvernement de pourvoir à une éducation primaire libre et obligatoire telle qu'elle est garantie par le PIDESC, la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, ainsi que d'autres instruments juridiques des droits humains ratifiés par le Nigeria.

 

Le CDESC a souligné que « le plein exercice des autres droits—notamment du droit à la liberté d’expression et d’association (par exemple pour les locataires et autres groupes constitués au niveau de la collectivité), du droit qu’a toute personne de choisir librement sa résidence et de participer au processus de prise de decisions—est indispensable pour que tous les groupes de la société puissent exercer et préserver leur droit à un logement suffisant. De même, le droit de toute personne de ne pas être soumise à une ingérence arbitraire et illégale dans sa vie privée, sa vie familiale, son domicile ou sa correspondance constitue un aspect très important du droit à un logement suffisant » (para. 9).

         Détenteurs du droit au logement

Le CDESC établit catégoriquement que le droit à un logement adéquat s’applique à tout le monde.  Il a expliqué que l’expression « lui-même et sa famille » n’impose aucune limite à l’application du droit à des individus ou à des femmes chef de famille, soutien de famille ou soutien d’autres groupes.  Par là, le concept de « famille » doit être compris au sens large.  De plus, des individus, tout comme des familles, ont droit à un logement adéquat sans considération d’âge, de situation économique, de groupe, de statut et d’autres facteurs.  En particulier la jouissance de ce droit ne doit faire l’objet d’aucune forme de discrimination.

         Etendue du droit au logement

Le droit au logement ne devrait pas être interprété dans un sens étroit et restrictif.  Il devrait être vu comme un droit de vivre quelque part, en sécurité, dans la paix et la dignité.  Il devrait être assuré à toutes les personnes, sans tenir compte des revenus ou d’accès aux ressources économiques.  La référence à l’article 11 doit être comprise comme ne se référant pas seulement au logement, mais à un logement acceptable (para.7)

         Qu’entend-on par logement adéquat?

Tandis qu’il reconnaissait que des facteurs sociaux, économiques, culturels, climatiques, écologiques et autres déterminent ce qui est acceptable, le CDESC identifiait ce qui suit comme les composants essentiels de ce qui est adéquat (para.8):

-         la sécurité légale de l’occupation

-         l’existence de services, matériaux, équipements et infrastructures

-         la capacité de paiement

-     l’habitabilité

-         la facilité d’accès

-         l’emplacement

-         le respect du milieu culturel

Il statuait que, sans tenir compte de leur niveau de développement, les États devaient prendre immédiatement certaines mesures pour garantir ce droit.  Une de ces mesures est le suivi de ses législations pour assurer leur compatibilité avec le droit à un logement adéquat (para.10).

Le comité a souligné le besoin de donner la priorité aux groupes sociaux qui vivent dans des conditions défavorables, et a noté que les politiques et les lois ne devraient pas profiter à des groupes déjà avantagés socialement, et ce, au détriment des autres.  Il a reconnu que les crises économiques provoquées par des facteurs extérieurs pouvaient peser sur le droit.  Quoiqu’il en soit, il a souli­gné que « les obligations découlant du Pacte gardent la même force et sont peut-être encore plus pertinentes en période de difficultés économiques » (para.11).  Il serait contraire aux obligations dictées par le Pacte que les conditions de vie et de logement se dégradent à cause de la politique et des dispositions législatives prises par les États parties.  Il estimait aussi que l’adoption d’une stratégie nationale du logement était une mesure importante.

         Le droit au logement et la coopération internationale

Une part substantielle de l’aide internationale devrait être consacrée à améliorer la situa­tion permettant l’accès du plus grand nombre à un logement adéquat.  Le CDESC a sou­ligné aussi que « Les institutions internationales de financement qui préconisent des mesures d’ajustement structurel devraient veiller à ce que l’application de ces mesures n’entrave pas l’exer­cice du droit à un logement suffisant » (para. 19).

Expulsions forcées

Le CDESC dans son Observation générale 4, adoptée en 1991, déclarait que « que les déci­sions d’éviction forcée sont prima facie contraires aux dispositions du Pacte et ne peuvent être justifiées que dans les situations les plus exceptionnelles et conformément aux principes applicables du droit international » (para.18).  En 1997, le CDESC a publié l’Observation générale 7 très précisément sur les expulsions forcées. [5]   Ce qui suit est un résumé de cette obser­vation (le texte complet figure aux pages 275-79):

         Définition du terme « expulsions forcées »

Les expulsions forcées, dans le contexte de l’Observation générale 7, vont  « de l’évic­tion permanente ou temporaire, contre leur volonté et sans qu’une protection juridique ou autre appropriée ait été assurée, de personnes, de familles ou de communautés de leurs foyers ou des terres qu’elles occupent. » (para. 3).

         Violations qui résultent de l’expulsion forcée

Les expropriations forcées manifestement ne respectent pas les droits garantis par le PI­DESC.  De plus, la pratique des expulsions forcées peut conduire à « des atteintes aux droits civils et politiques, tels que le droit à la vie, le droit à la sécurité de sa personne, le droit de ne pas faire l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille ou son domicile et le droit au respect de ses biens » (para. 4).

         Groupes vulnérables et expulsions forcées

« Les femmes, les enfants, les jeunes, les personnes âgées, les populations autochtones, les minorités ethniques et autres ainsi que les personnes et groupes vulnérables, souffrent plus que les autres de la pratique des expulsions forcées » (para. 10).

         Obligations des États parties vis-à-vis des expulsions forcées

Les obligations des États membres en ce qui concerne les expulsions forcées proviennent de l’article 11(1) traitant du droit au logement. Le droit de ne pas être expulsé contre son gré de son logement est complété par l’interdiction de « toute immixtion arbitraire ou il­légale » dans son domicile, garantie par l’article 17(1) du PIDCP (para. 8).

         Obligation d’adopter des mesures législatives contre les expulsions forcées

      L’adoption mesures législatives contre les expulsions forcées « constitue une base essen­tielle à la mise en place d’un système de protection efficace».  Le CDESC a précisé que cette législation doit s’appliquer à « toutes les personnes qui opèrent sous l’autorité de l’Etat ou qui doivent lui rendre des comptes » (para. 9).

         La protection en matière de procédure et sauvegarde des libertés individuelles

      « Lorsque l’expulsion forcée est considérée comme justifiée, elle doit se faire dans le strict respect des dispositions pertinentes de la législation internationale relative aux droits de l’homme et en conformité avec le principe général de proportionnalité ».  Le co­mité a suggéré un certain nombre de protections juridiques (paras. 14 et 15).

         Recours incluant le dédommagement des victimes

Préalablement à la mise en œuvre de toutes expulsions, spécialement celles qui impliquent d’importants groupes de population, les États parties devraient consulter les personnes concernées et étudier toutes les alternatives possibles afin d’éviter ou de minimiser la nécessité d’employer la force. Les personnes concernées devraient pouvoir accès à des recours légaux et bénéficier d’une indemnisation (para. 13).

         Les agences internationales et les expulsions forcées

En ce qui concerne les projets de développement financés par des agences internationales qui impliquent des expulsions forcées, « les organismes internationaux doivent éviter soigneusement d’appuyer des projets qui, . . .  par exemple, . . . encouragent ou renforcent la discrimination à l’encontre d’individus ou de groupes, en violation des dispositions du Pacte, ou entraînent des expulsions ou déplacements massifs, sans mesures appropriées de protection et d’indemnisation . . . Il faudrait tout mettre en oeuvre, à chaque étape de l’exécution des projets de développement, pour que les droits énoncés dans les Pactes soient dûment pris en compte » (para. 17).

Examen par le CDESC des rapports des États parties sur le droit au logement.

Dans son examen des rapports par les États parties au Pacte, le CDESC a confirmé que les États avaient la ferme obligation de protéger le droit à un logement adéquat. Par exemple, en 1998, après examen du rapport rendu par le gouvernement fédéral militaire du Nigeria, il s’est dit « profondément préoccupé par le nombre croissant de femmes et de jeunes filles sans abri, contraintes de dormir dans la rue où elles sont exposées au viol et à d’autres formes de violence »7 et « prend note avec consternation du grand nombre de personnes sans abri ».8  Il a constaté:

La plaidoirie auprès des agences multilatérales
L'exemple du Nigeria

Alors que ce sont surtout les États qui s'occupent des expulsions forcées de locataires, d'autres acteurs, notamment des institutions multilatérales de développement et des sociétés multinationales, ont commencé à effectuer des expulsions forcées à grande échelle.

Le 16 juin 1998, le Social and Economic Rights Action Center (SERAC) a présenté une demande d'enquête auprès du Panel d'inspection de la Banque mondiale. Formulée à partir d'une perspective des droits humains, la demande contestait les graves atteintes aux droits économiques, sociaux et culturels perpétrées par la Banque mondiale avec le gouvernement du Nigeria dans le cadre du Projet de drainage et d'assainissement de Lagos (LDSP) financé par la Banque.

La demande d'enquête par le SERAC a suivi l'annonce, en juillet 1996, du gouvernement de l'État de Lagos, de son intention de démolir une quinzaine de bidonvilles dans le cadre d'un projet financé par la Banque mondiale, et ceci sans rien prévoir ni pour le logement ni pour le dédommagement des habitants de ces quartiers. Au cours du projet pilote LDSP, plus de 2.000 personnes ont été expulsées de leurs logements et de leurs entreprises à Ijora Badiya et à Oloye, deux bidonvilles au centre de Lagos.

Spécifiquement, le SERAC alléguait une infraction flagrante commise par le LDSP des directives de la Banque mondiale et des droits humains des résidents des communautés en question. Ces résidents n'ont pas été consultés pendant la phase de planification du projet; ils n'ont pas été relogés après les démolitions et n'ont reçu aucune indemnité pour leurs pertes de biens personnels et immobiliers. Après une visite aux communautés bouleversées par le projet, le panel d'inspection a déclaré " ne pas être satisfait que les gestionnaires [du Projet] aient respecté à la lettre la politique [de la Banque mondiale] sur le rétablissement de personnes déplacées " puisque, jusqu'à présent, " ils n'avaient pas relogé et indemnisé certaines personnes affectées. "6

 

l’existence d’un grave problème de logement au Nigéria où les logements décents sont rares et relativement chers. Les pauvres des villes, en particulier les femmes et les enfants, sont forcés de vivre dans des abris de fortune dans des conditions lamentables et dégradantes, qui mettent en danger leur santé physique et mentale. Environ 50 % des habitants des villes disposent d’eau courante salubre contre 30 % seulement des habitants des campagnes. En général, 39 % seulement de la population au Nigéria a accès à de l’eau saine (para. 27).

De plus, le comité a exprimé son inquiétude devant la défaillance du gouvernement nigérien à faire respecter le droit à un logement adéquat.  Il a demandé instamment au Gouvernement nigérian de mettre fin immédiatement aux expulsions massives et arbitraires et de prendre les mesures qui seront nécessaires pour améliorer le sort de ceux qui font l’objet d’expulsions arbitraires ou qui sont trop pauvres pour avoir un logement décent. Vu l’extrême pénurie de logements, le Gouvernement devrait faire des efforts soutenus pour lutter contre cette grave situation et consacrer à cette lutte suffisamment de ressources.9

Stratégies pour assurer la jouissance du droit au logement

Stratégies légales

Les droits au logement sont établis et justiciables.  Des arguments incontestables en faveur du droit à un logement adéquat peuvent être trouvés dans les dispositions exécutoires contenues dans les lois internationales, régionales ou nationales.  (Voir le module 22 pour un examen plus détaillé de litiges et de la justiciabilité des droits ESC).

Le CDESC a statué que de nombreux éléments du droit au logement adéquat sont en accord avec les recours juridiques internes.  Il a identifié les secteurs suivants dans lesquels le système juridique intérieur pourrait jouer un rôle dans la sauvegarde du droit au logement:

(a)    appels légaux qui ont pour but de prévenir les expulsions et les démolitions planifiées à la suite d’injonctions faites par la cour;

(b)    procédures légales qui cherchent à obtenir une indemnisation à la suite d’une expulsion illégale;

(c)    plaintes contre des actions illégales entreprises ou soutenues par des propriétaires (tant publics que privés) en relation avec le niveau du loyer, l’entretien du lieu d’habitation et la discrimination raciale et autres formes de discrimination;

(d)    identification de toute forme de discrimination dans l’accès au logement et dans leur répartition; et

(e)  plaintes contre des propriétaires pour des conditions de logement insalubre et insuffisant.  Dans certains systèmes légaux il serait peut-être aussi judicieux d’explorer la possibilité de faciliter des actions collectives en justice pour des situations qui entraînent un accroissement significatif des sans abris.11

En plus de la recherche à faire valoir les droits grâce à des mesures directement liées au droit au logement, des requêtes peuvent être introduites en utilisant des revendications dérivées.  Par exemple, le droit à un logement peut être implicite dans les garanties expresses d’autres droits (par exemple, le droit à la vie, à la vie privée, à la vie familiale) généralement désignés comme des droits civils et politiques de base.

Des tribunaux indiens se sont servis de cette approche pour lire le droit à un logement adéquat dans des procès appuyés sur le droit à la vie garantie par l’article 21 de la Constitution indienne.  Dans le procès des Shanti Star Builders v. Naryan Khimali Tatome et al., la Cour Suprême indienne a soutenu ce qui suit:

Il a traditionnellement été reconnu que les besoins essentiels de l’homme doivent pouvoir être satisfaits gratuitementla nourriture, l’habillement et l’abri.  Le droit à la vie est garanti dans toute société civilisée ce qui devrait entraîner dans son sillage le droit à la nourriture, le droit à l’habillement, le droit à un environnement décent et à un logement abordable pour vivre . . . Pour un être humain [le droit à un abri] consiste en un logement convenable qui devrait lui permettre de s’épanouir dans tous les aspects—physiques mentaux et intellectuels . . . Une résidence raisonnable est d’une impérieuse nécessité pour atteindre l’objectif constitutionnel en matière de développement de l’homme et devrait être inclus dans « la vie » à l’article 21.12

Le CDESC et les expulsions forcées
Étude de cas de la République dominicaine

Le Comité pour la défense des droits du barrio (COPADEBA) et la Ciudad Alternativa, qui sont respectivement une organisation à base communautaire et une ONG, ont travaillé ensemble depuis plus d'une dizaine d'années à s'opposer à des expulsions forcées planifiées à travers la République dominicaine (RD) et tout d'abord à Saint-Domingue, la capitale. Entre 1985 et 1995, plus de 200 000 occupants des bas-quartiers ont été confrontés à la violence d'une expulsion forcée tandis que dans le même temps se poursuivaient les programmes d'embellissement de la ville et les festivités données pour commémorer le 500ème anniversaire du débarquement dans le pays de Christophe Colomb.

À la suite de contacts avec des ONG internationales des droits humains comme, le Center on Housing Rights and Evictions ces deux groupes se sont servis davantage des normes internationales des droits humains comme outils contre les expulsions. De sorte que ces deux groupes ont été les premières organisations nationales à utiliser avec succès le CDESC pour obtenir la condamnation officielle d'un État partie du PIDESC. En 1990, le comité a déclaré, pour la première fois, qu'un État partie, la RD, avait violé l'article 11 du Pacte par sa pratique de l'expulsion forcée. En 1991, les ONG dominicaines furent capables de persuader le CDESC de formuler une mise en garde au gouvernement pour le dissuader d'entreprendre une expulsion planifiée qui aurait touché plus de 70 000 personnes. Comme résultat, l'expulsion n'a pas eu lieu, et en 1996, le décret présidentiel qui avait à l'origine ordonné l'expulsion a été abrogé officiellement par le nouveau gouvernement. Autre résultat de la lutte pour le droit au logement menée par le COPADEBA et la Ciudad Alternativa, la communauté qu'on avait à l'origine projeté d'expulser a maintenant la sécurité du logement et l'accès à bon nombre de services sociaux de base.10

 

 

Dans une décision antérieure prise dans le très fameux procès de Olga Tellis v. Bombay Municipal Corporation, la cour a déclaré que « si les requérants étaient expulsés de leurs habitations, en résulterait la privation de leurs moyens d’existence ».13

Là où la législation est inadéquate ou n’existe pas du tout, les ONG devraient développer un modèle de législation sur le droit au logement.  Une telle législation devrait être rédigée avec la perspective d’y inclure toutes les composantes minimales du droit dans le contexte local en question.  Les ONG devraient faire pression pour l’adoption d’une telle législation. 

Stratégies non-légales

Les stratégies légales devraient être combinées à d’autres stratégies pour assurer la réalisation complète du droit au logement.  Des garanties efficaces des droits au logement demandent consultation, dialogue, négociation, et compromis plutôt que coercition, contrainte, répression et exclusion.  Les activistes doivent donc acquérir des compétences adéquates pour établir le consensus autour du droit au logement.  Les stratégies de soutien qui reconnaissent le rôle du secteur informel dans la création du logement doivent être développées et mises en pratique.  En dernière analyse la réalisation complète du droit à un logement dépendrait de l’étendue de conscience et de l’action entreprise pour s’assurer de sa jouissance.

D’autres stratégies clés destinées à l’action en faveur du droit à un logement adéquat peuvent comprendre:

         la recherche

         l’éducation

         le suivi

         la mobilisation

         la participation (réseau de voisinage)

         la négociation

         la création de groupes de pression

         la collaboration intersectorielle

         le développement d’un modèle de plans nationaux pour le logement

         l’analyse budgétaire

Auteur:  L’auteur de ce module est Felix Morka.

NOTES


1.  Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, Fiche d’information No. 21 (1996), Le droit à un logement convenable, 4.

2.  SC Res. 1998/15, ONU Doc. E/CN.4/Sub.2/RES/1998/15 (21 août 1998).

3.  SC Res. 1998/26, ONU Doc. E/CN.4/Sub.2/RES/1998/26 (26 août 1998).

4.  CDESC, Observation générale 4, Le droit à un logement suffisant (art. 11[1] du Pacte) (6ème Sess., 1991), ONU Doc. E/1992/23 (1992).

5.  CDESC, Observation générale 7,  Le droit à un logement suffisant (art. 11[1] du Pacte): expulsions forcées, (7ème Sess., 1997), ONU Doc. E/C.12/1997/4 (1997).

 6. Voir serac@WORK 2, no. 1 (1999).

7. CDESC, Observations finales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels: Nigeria, ONU Doc. EC. 12/1/Add.23 à paragraphe 23 (13 mai 1998).

8. Ibid., para. 27.

9.9. Ibid., para. 42.

10. Cette étude de cas a été fournie par Scott Leckie du Centre on Housing Rights and Evictions (COHRE).

11. Ibid.

12. Shakti Star Builders v. Naryan Khimali Tatome et al. (1) SC 106, Civil Appeal No. 2598 de 1989 (JT 1990).

13. Olga Tellis v. Bombay Municipal Corporation (3) SCC 545 (1985).


Droits résérves