University of Minnesota



Observations finales du Comit
é pour l'élimination de la discrimination raciale, Tunisie, U.N. Doc. A/49/18,paras.160-180 (1994).





COMITE POUR L'ELIMINATION DE
LA DISCRIMINATION RACIALE

EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES
CONFORMEMENT A L'ARTICLE 9 DE LA CONVENTION


Conclusions du Comité pour l'élimination
de la discrimination raciale

Tunisie


160. Le Comité a examiné les neuvième, dixième, onzième et douzième rapports périodiques de la Tunisie, présentés dans un document unique (CERD/C/226/Àdd.10) à ses 1016e et 1017e séances, le 2 mars 1994 (voir CERD/C/SR.1016 et 1017).

161. Le rapport a été présenté par le représentant de l'État partie, qui a souligné que la Tunisie avait ratifié la plupart des traités internationaux relatifs aux droits de l'homme. Il a fait état de mesures prises pour renforcer la protection contre la discrimination, comme l'interdiction de la définition de la nationalité selon des critères de race ou de religion, la sanction par le Code pénal de l'incitation à la haine raciale et de la diffamation en raison des origines raciales ou religieuses. Il a rappelé que tous les Tunisiens avaient un droit égal à la santé, à la protection sociale, au travail, au logement et à la justice.

162. Le Comité a remercié le représentant du rapport de l'État partie et de la présentation orale qu'il en avait faite. Les membres du Comité ont félicité la Tunisie pour la liste des droits de l'homme énoncés dans la Constitution nationale et pour le fait qu'elle reconnaisse la primauté des traités internationaux dûment ratifiés sur la législation interne. Ils ont également exprimé leur satisfaction quant aux mesures prises par la Tunisie pour enseigner les droits de l'homme dans les établissements scolaires et initier les jeunes à la tolérance et au pluralisme culturel. Toutefois, ils ont tenu à indiquer qu'aucun pays ne pouvait se vanter de ne pas connaître de problème de discrimination raciale, quelle que soit l'homogénéité de sa population. D'une manière générale, les membres du Comité ont souhaité savoir s'il existait encore des populations nomades en Tunisie et, dans l'affirmative, si leur culture était préservée, et dans quelle mesure elles participaient à la vie publique. De même, ils ont demandé si le Pacte national adopté sept ans auparavant avait été accepté par tous les partis politiques du pays, y compris les partis d'opposition, et quelle était la place de ce pacte par rapport à la Constitution tunisienne, ainsi que son autorité dans l'ordre juridique tunisien. Des membres du Comité ont souhaité connaître la suite donnée par les autorités tunisiennes à la Réunion mondiale des institutions nationales de protection des droits de l'homme qui s'est tenue en Tunisie.

163. À propos de l'article 2 de la Convention, les membres du Comité se sont demandé quels étaient les mécanismes instaurés pour assurer l'indépendance des organismes consultatifs en matière de droits de l'homme qui ont été mis en place pour conseiller le Président de la République, tels que le Comité supérieur des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le Médiateur administratif, les unités chargées des droits de l'homme auprès des Ministères de la justice, de l'intérieur et des affaires étrangères. Ces organismes avaient-ils établi des rapports sur leurs activités et, dans l'affirmative, quel en était le contenu? Le Médiateur administratif et les unités auprès des différents ministères avaient-ils déjà mis en route des procédures judiciaires? Ils se sont également demandé si les droits de l'homme énoncés dans la Constitution étaient directement applicables par un tribunal, ou si cela n'était possible qu'à travers des lois spéciales. De même, ils ont souhaité savoir si les dispositions de la Convention étaient directement invocables devant un tribunal.

164. En ce qui concernait l'article 4 de la Convention, les membres du Comité ont noté que seuls les délits de presse étaient mentionnés dans le rapport, et non toutes les autres infractions qui devaient être punies, dans la mesure où la Convention faisait obligation aux États de déclarer illégales et d'interdire les organisations et les activités de propagande qui incitent à la discrimination raciale. Ils ont souhaité connaître les raisons du départ de nombreux Juifs vers l'étranger ainsi que les conditions générales de vie des Juifs en Tunisie. Ils ont demandé quels étaient les groupes ethniques formant le 1 % de la population qui n'étaient pas des sunnites d'origine arabo-berbère et quels étaient leurs droits; quel était le nombre et l'origine des étrangers résidant en Tunisie, et quels étaient leurs droits par rapport aux droits des Tunisiens. Ils ont voulu savoir s'il y avait eu des cas de violation des règles régissant la constitution des associations ou organisations, ou l'adhésion à ces associations ou organisations; quelle était la situation du travailleur immigré qui arrivait à l'échéance de son contrat de travail d'une durée maximale de deux ans et si ce dernier pouvait être renouvelé. Des membres du Comité ont également voulu savoir si le Gouvernement tunisien avait pris des mesures pour protéger les ressortissants tunisiens victimes de discrimination à l'étranger (notamment ceux victimes d'expulsion de la Libye en 1985). Des membres du Comité se sont interrogés sur les critères employés par le Ministère de la justice pour conclure qu'une personne qui avait fait une demande de naturalisation était susceptible ou non de s'intégrer à la société tunisienne.

165. S'agissant de l'article 5 de la Convention, des membres du Comité ont demandé des éclaircissements sur les arrestations et les procès (ainsi que sur les tortures et les décès en prison) qui avaient eu lieu en 1991 et 1992 à l'encontre de membres du Parti islamiste Ennahdha. Ils ont également voulu savoir quelles avaient été les répercussions pratiques de l'interdiction de la polygamie et de l'instauration du divorce comme la seule possibilité de dissoudre le mariage. Ils ont souhaité que les membres de la délégation indiquent quels étaient les droits et libertés publiques dont bénéficiaient en pratique les immigrants et les résidents étrangers.

166. Au regard de l'article 6 de la Convention, les membres du Comité ont déploré l'absence d'exemples et de données statistiques concernant les plaintes déposées, les poursuites exercées et les condamnations prononcées pour des infractions à caractère raciste.

167. Répondant aux questions et observations des membres du Comité, le représentant de l'État partie a indiqué que 5 000 Tunisiens n'étaient pas musulmans; sur ce nombre, 3 000 environ étaient juifs, le reste étant des chrétiens. Environ 25 000 étrangers travaillaient en Tunisie. Le représentant a ensuite souligné qu'il n'y avait pas de problèmes de discrimination raciale en Tunisie. À propos des questions concernant le Pacte national de 1987, le représentant a précisé qu'il s'agissait d'un texte négocié avec toutes les forces politiques et sociales du pays et signé par celles-ci. Ce texte n'avait pas force de loi, mais faisait office de code qui engageait toutes les forces économiques et sociales du pays.

168. En ce qui concernait les questions relatives au Comité supérieur des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le représentant a indiqué que cet organe était un organe autonome, composé pour un tiers de représentants de départements ministériels et pour deux tiers de personnes indépendantes; il pouvait recevoir des plaintes de particuliers ou d'organisations non gouvernementales, et pouvait enquêter et faire des propositions tendant à améliorer la législation et la pratique. Il publiait un rapport annuel sur la situation des droits de l'homme; c'était à son instigation qu'à la suite de la Conférence mondiale sur les droits de l'homme s'était tenue en Tunisie la Réunion des organismes nationaux de défense des droits de l'homme. Quant au Médiateur administratif, il avait pour rôle de recevoir des requêtes individuelles d'organisations non gouvernementales concernant des problèmes administratifs rencontrés auprès des services publics ou des fonctionnaires; il était habilité à faire des propositions au Président de la République. S'agissant du statut des traités internationaux en droit interne, en procédure civile, les traités devaient être invoqués par la partie intéressée, tandis que dans une procédure pénale, c'était au procureur de se référer aux conventions pertinentes, lesquelles avaient force de loi et l'emportaient sur la législation tunisienne.

169. En ce qui concernait les Berbères de Tunisie, le représentant de l'État partie a indiqué qu'ils étaient particulièrement bien intégrés dans la société tunisienne, et qu'ils n'avaient pas de revendications; il a également indiqué qu'il n'y avait pas de tribus nomades en Tunisie. À propos des questions relatives aux Juifs de Tunisie, le représentant a signalé que leur départ vers la France (la plupart ayant un passeport français) s'expliquait d'une part par la politique de collectivisation et de socialisation des années 60, politique qui s'appliquait à tous les Tunisiens et n'était pas discriminatoire, mais qui avait poussé beaucoup de Juifs se consacrant au commerce à partir, et d'autre part par les événements dans le Moyen-Orient à partir de 1967 qui avaient créé des tensions dans la région, incitant de nombreux Juifs à partir. Il n'y avait eu aucune volonté gouvernementale ayant visé le départ des Juifs de Tunisie. La plupart des immigrants en Tunisie étaient Marocains ou Algériens et il y avait aussi quelques Européens employés par des sociétés étrangères; la Tunisie avait ratifié les Conventions de l'OIT concernant l'égalité de traitement des nationaux et des non-nationaux en matière d'emploi et de profession et l'égalité en matière de rémunération et de sécurité sociale.

Conclusions

170. À sa 1034e séance, le 15 mars 1994, le Comité a adopté les conclusions ci-après.

a) Introduction

171. L'État partie est remercié pour les renseignements détaillés donnés dans son rapport et les informations complémentaires fournies par son représentant.

b) Aspects positifs

172. Les changements démocratiques qui se sont produits dans l'État partie pendant la période couverte par le rapport sont accueillis avec satisfaction. Il est pris note avec satisfaction des diverses mesures prises pour promulguer les lois et créer les mécanismes nécessaires pour lui permettre de s'acquitter de ses obligations internationales en vertu des instruments relatifs aux droits de l'homme. Il est également noté avec satisfaction que diverses institutions et organisations non gouvernementales de défense des droits de l'homme ont été mises en place dans l'État partie.

173. Il est noté avec satisfaction que la Constitution reconnaît le principe de la primauté du droit international et de l'application directe des dispositions de la Convention. Les diverses mesures prises pour promouvoir, par l'éducation et l'enseignement, les principes de la tolérance et du respect des droits fondamentaux en conformité avec l'article 7 de la Convention sont aussi accueillies avec satisfaction.

c) Principaux sujets de préoccupation

174. Il est noté toutefois que le rapport ne contient pas de renseignements concrets sur la mise en oeuvre de la Convention et n'est donc pas pleinement conforme aux obligations qui incombent à l'État partie en vertu de l'article 9 de la Convention. L'absence de renseignements concrets et de données statistiques sur le fonctionnement effectif des organes et mécanismes de protection des droits de l'homme récemment établis et sur les mesures concrètes adoptées pour donner effet à diverses dispositions de la Convention est regrettée. Les renseignements détaillés qui figurent dans le rapport sont appréciés mais des données plus précises sur l'application effective de la Convention sont nécessaires.

175. Le fait que l'État partie n'a pas adopté de mesures d'ordre législatif et autres spécifiques pour empêcher et interdire la discrimination raciale est relevé avec préoccupation. Il est noté que la législation interne ne contient pas les dispositions voulues pour une application effective de l'article 4 de la Convention, en particulier, le fait de déclarer délits punissables par la loi tous actes de violence racistes, toute incitation à de tels actes et toute assistance apportée à des activités racistes de même que le fait d'interdire les organisations, les activités et la propagande qui incitent à la discrimination raciale et l'encouragent. Il est souligné que les dispositions actuelles du Code pénal ne répondent pas pleinement aux exigences de cet article.

176. Le fait que les dispositions de la loi organique No 92-25 pourraient être interprétées et appliquées d'une manière contraire aux dispositions de l'article 5 d) ix) de la Convention relatif au droit à la liberté de réunion et d'association pacifiques est aussi relevé avec préoccupation.

d) Suggestions et recommandations

177. Le Comité recommande l'adoption de lois spécifiques pour appliquer les dispositions de l'article 4 de la Convention, conformément à sa Recommandation générale XV (42).

178. Le Comité recommande à l'État partie d'inclure dans son prochain rapport des renseignements et des données statistiques sur les mesures prises pour assurer l'exercice des droits énoncés dans la Convention et garantir des voies de recours effectives aux éventuelles victimes de discrimination raciale.

179. Le Comité suggère à l'État partie d'envisager de faire la déclaration prévue au paragraphe 1 de l'article 14 de la Convention.

180. Le Comité appelle l'attention de l'État partie sur l'amendement du paragraphe 6 de l'article 8 de la Convention, qui a été approuvé à la quatorzième Réunion des États parties et par l'Assemblée générale, dans sa résolution 47/111, et l'invite à prendre rapidement les mesures nécessaires à l'acceptation officielle dudit amendement.



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