Mexique
296. Le Comité a examiné le onzième rapport périodique du Mexique (CERD/C/263/Add.10)
à ses 1206e et 1207e séances (CERD/C/SR/1206 et 1207), les 17 et 18
mars 1997. Il a adopté, à ses 1231e, 1234e et 1235e séances, les 14,
15 et 18 août 1997, respectivement, les conclusions suivantes.
A. Introduction
297. Le Comité se félicite de la continuation du dialogue avec le Gouvernement
mexicain. Il exprime sa satisfaction à l'État partie pour la diligence
avec laquelle le Gouvernement mexicain a présenté son rapport, qui suit
les nouvelles directives préparées par le Comité. Le Comité exprime
également sa satisfaction pour les réponses orales données par la délégation
lors de la discussion de son rapport.
298. Il est pris note du fait que l'État partie n'a pas fait la déclaration
prévue à l'article 14 de la Convention; certains membres du Comité ont
demandé que le Gouvernement envisage la possibilité de faire cette déclaration.
B. Facteurs et difficultés entravant l'application
de la Convention
299. Il est noté que le Mexique est un pays où cohabitent de nombreux
(56) groupes ethniques et autochtones dont les traditions culturelles
et linguistiques sont très variées. Le Mexique est également caractérisé
par une extrême pauvreté qui touche de nombreuses populations, en majorité
autochtones, notamment dans la province du Chiapas, où sévit depuis
1994 un conflit entre un mouvement de libération nationale et les autorités
locales et fédérales. Malgré de nombreuses initiatives institutionnelles,
politiques, économiques et sociales, les autorités mexicaines n'ont
pas entièrement réussi à enrayer la pauvreté endémique, ce qui a aggravé
les inégalités sociales affectant en particulier les populations indigènes,
ni à rétablir la paix sociale dans l'État du Chiapas.
C. Aspects positifs
300. Il est pris note avec satisfaction des nombreuses initiatives
de la Commission nationale des droits de l'homme durant la période examinée.
Il faut notamment relever le travail effectué en faveur des autochtones
incarcérés, les programmes de sensibilisation, de vulgarisation et d'éducation
aux droits de l'homme, qui ont été aussi diffusés par voie radiophonique
et télévisuelle.
301. Les efforts entrepris par l'État partie depuis 1994 pour ramener
la paix dans l'État du Chiapas sont à relever. La création en 1995 de
la Commission pour la concorde et la pacification et la mise en place
de la Commission de suivi et de vérification des Accords de paix, en
décembre 1996, ont été notamment bienvenues. Les enquêtes menées par
la Commission des droits de l'homme concernant les plaintes déposées
par la population civile pour des violations de droits de l'homme, ainsi
que l'accord du 16 février 1996 sur les droits et la culture autochtones,
représentent un progrès certain dans le processus de pacification.
302. Il est pris note aussi des nombreux programmes et mesures récemment
mis en place par les autorités du Mexique pour lutter contre l'extrême
pauvreté et favoriser le développement économique, social et culturel
des populations autochtones.
D. Principaux sujets de préoccupation
303. Le Comité regrette qu'il existe avec l'État partie des divergences
d'interprétation de la Convention, déjà constatées lors d'examen de
rapports précédents, notamment en ce qui concerne la survivance de discriminations
raciales ou ethniques à l'égard de certains groupes sociaux et la mise
en oeuvre insuffisante des dispositions de l'article 4 de la Convention.
Le Comité regrette également l'imprécision des données sur la composition
de la population de l'État partie.
304. Des préoccupations sont exprimées au sujet de la persistance de
pratiques de discrimination, impliquant parfois les autorités publiques,
dont sont victimes les membres des groupes autochtones.
305. Actuellement, la législation nationale n'est pas conforme aux
exigences de l'article 4 de la Convention, ce qui suscite une profonde
préoccupation, puisque l'État partie n'a pas encore pris toutes les
mesures nécessaires pour prévenir et combattre efficacement les différentes
formes de discrimination raciale ou ethnique.
306. S'agissant de l'article 5 de la Convention, le droit de toute
personne de bénéficier d'un traitement égal devant les tribunaux n'est
pas dans certaines situations garanti effectivement pour les personnes
appartenant aux groupes autochtones. Il n'est pas garanti notamment
à ces dernières de pouvoir s'exprimer dans leur langue au cours d'une
procédure judiciaire.
307. Des préoccupations sont exprimées au sujet du droit à la sûreté
des personnes, notamment pour les autochtones ou les immigrés en situation
illégale. Dans certains cas, ce droit à la sûreté a été violé par des
représentants des forces de l'ordre et des gouvernements paramilitaires,
ainsi que par des propriétaires terriens. Trop souvent, les responsables
de ces crimes sont restés impunis.
308. Le Comité exprime ses préoccupations au sujet de la protection
des droits politiques des membres des groupes autochtones et souhaite
recevoir une information complémentaire sur leur participation dans
le Parlement national et les organes politiques.
309. En ce qui concerne la jouissance des droits économiques, sociaux
et culturels, il est relevé avec inquiétude que les personnes issues
de groupes autochtones vivent dans une situation d'extrême pauvreté.
L'absence, dans le rapport de l'État partie, d'indicateurs socioéconomiques
sur la marginalisation et la non-intégration de certains groupes de
la population est à cet égard regrettée. Enfin, un autre sujet de préoccupation
concerne le processus de démarcation et de distribution des terres,
qui ne semble pas avoir pleinement respecté le droit foncier des populations
autochtones.
310. S'agissant de la mise en oeuvre de l'article 6 de la Convention,
il est pris note avec préoccupation de l'absence, dans le rapport de
l'État partie, de renseignements concernant le nombre de plaintes, de
jugements et de réparations civiles concernant les actes de racisme
sous toutes leurs formes.
311. S'agissant de l'article 7, et malgré d'évidents efforts entrepris
récemment par le Gouvernement mexicain, il est préoccupant de noter
encore l'insuffisance des mesures prises pour assurer un enseignement
approprié des droits de l'homme aux agents de l'État chargés de l'application
de la loi qui sont en contact régulier avec des populations "vulnérables",
notamment les agents des forces de l'ordre et le personnel pénitentiaire.
312. L'absence actuelle de législations locales et fédérales garantissant
aux populations autochtones la possibilité de suivre un enseignement
bilingue et biculturel reste un sujet de préoccupation.
313. L'absence, dans le rapport de l'État partie, de statistiques précises
concernant la population autochtone rend difficile le travail d'analyse
concernant la jouissance, par cette partie importante de la population,
des droits énumérés par la Convention.
314. Enfin, la situation dans l'État du Chiapas reste toujours instable
et très préoccupante, les négociations politiques étant actuellement
suspendues, malgré les efforts annoncés tant par les autorités gouvernementales
que par l'Armée zapatiste de libération nationale. Cette situation tendue
a pour effet d'aggraver la précarité des populations autochtones résidant
dans cette région.
E. Suggestions et recommandations
315. L'État partie est prié de fournir dans son prochain rapport des
informations détaillées sur la situation des différents groupes autochtones
vivant au Mexique.
316. Le Comité espère que l'État partie poursuivra ses efforts pour
rendre plus efficaces les mesures et les programmes visant à garantir
aux membres de tous les groupes de la population, notamment des 56 groupes
autochtones, la jouissance intégrale de leurs droits politiques, économiques,
sociaux et culturels. Le Comité recommande également à l'État partie
d'accorder toute l'attention requise aux ajustements législatifs nécessaires,
ainsi qu'au développement des programmes de sensibilisation aux droits
de l'homme, notamment parmi les représentants de l'État.
317. Le Comité demande au Gouvernement mexicain de présenter, dans
son prochain rapport périodique, des informations contenant des "indicateurs"
précis relatifs aux difficultés sociales et économiques que rencontrent
les populations autochtones. Le Comité appelle aussi l'attention de
l'État partie sur la nécessité de mettre au point des "indicateurs"
pour évaluer les politiques et programmes tendant à la protection et
à la promotion des droits des populations vulnérables.
318. Le Comité recommande que l'État partie mette tout en oeuvre pour
accélérer les réformes législatives en cours et, plus spécifiquement,
pour mettre pleinement en conformité la législation nationale avec les
exigences de l'article 4 de la Convention.
319. L'État partie devrait aussi prendre les mesures nécessaires pour
permettre aux citoyens issus des populations autochtones d'être élus
lors des élections politiques et d'avoir accès à la fonction publique.
320. Le Comité recommande à l'État partie de prendre toutes les mesures
appropriées pour assurer un traitement égal et impartial devant la justice
de toutes les personnes, notamment celles provenant de groupes autochtones.
Il invite particulièrement les autorités mexicaines à donner aux autochtones
la possibilité de s'exprimer dans leur langue d'origine dans toutes
les procédures judiciaires.
321. Le Comité recommande au Gouvernement mexicain une vigilance plus
grande dans la défense des droits fondamentaux des autochtones et des
autres groupes vulnérables de la société, qui sont régulièrement victimes
d'intimidations, de violences, et de graves violations des droits de
l'homme. Il souhaite que les autorités compétentes poursuivent systématiquement
les auteurs de telles infractions, qu'ils soient membres de milices
privées ou de l'État, et que des mesures préventives efficaces soient
prises, notamment par le biais de la formation des membres de la police
et de l'armée. En outre, l'État partie doit veiller à ce que les victimes
de tels actes obtiennent réparation.
322. Le Comité recommande à l'État partie de trouver des solutions
justes et équitables pour la démarcation, la distribution et la restitution
des terres. Toutes les mesures devraient être prises pour protéger les
autochtones de toutes formes de discrimination à cet égard.
323. Afin d'évaluer la mise en oeuvre de l'article 6 de la Convention,
le Comité recommande que l'État partie présente dans son prochain rapport
des informations concernant le nombre de plaintes, de jugements et de
réparations civiles concernant les actes de racisme, sous toutes leurs
formes.
324. Le Comité recommande à l'État partie de faire tous ses efforts
pour assurer l'enseignement multiculturel pour tous.
325. Le Comité recommande à l'État partie d'assurer une publicité,
au plan national, à son onzième rapport périodique, ainsi qu'aux observations
finales du Comité.
326. Le Comité recommande à l'État partie de ratifier dès qu'il le
pourra les modifications du paragraphe 6 de l'article 8 de la Convention,
qui ont été adoptées le 15 janvier 1992 à la quatorzième Réunion des
États parties.
327. Le Comité recommande que le prochain rapport périodique de l'État
partie soit un rapport complet et qu'il porte sur tous les points soulevés
dans les présentes conclusions.