University of Minnesota



Observations finales du Comit
é pour l'élimination de la discrimination raciale, Guatemala, U.N. Doc. A/50/18,paras.279-320 (1995).





COMITE POUR L'ELIMINATION DE
LA DISCRIMINATION RACIALE
Quarante-sixième session


EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES
CONFORMEMENT A L'ARTICLE 9 DE LA CONVENTION

Conclusions du Comité pour l'élimination
de la discrimination raciale


Guatemala

279. Le Comité a examiné les deuxième, troisième, quatrième, cinquième et sixième rapports périodiques du Guatemala, présentés dans un document unique (CERD/C/256/Add.1), à ses 1092e et 1093e séances, le 14 mars 1995 (voir CERD/C/SR.1092 et 1093).

280. Les rapports ont été présentés par le représentant de l'État partie, qui a insisté sur l'importance qu'attachait son gouvernement au rôle du Comité et sur l'engagement qu'avait pris le Guatemala de respecter et promouvoir les droits de toute sa population. Dans le cadre des observations liminaires, les étapes marquantes de l'évolution du pays ont été soulignées et les problèmes persistants en rapport avec le Belize ont été mentionnés.

281. Il a été expliqué que la population guatémaltèque était composée en majorité de communautés autochtones et que 23 langues et dialectes étaient parlés. Le représentant de l'État partie a souligné que la politique de son pays privilégiait le respect de la diversité raciale et culturelle de la population et il a décrit les fonctions du Fondo Nacional Indigena créé récemment. Certaines faiblesses structurelles empêchaient le Gouvernement d'assurer comme il convenait le bien-être de la population, notamment sur le plan de la santé et de l'éducation. Les antécédents d'instabilité politique et la persistance du conflit armé posaient des problèmes particuliers. Aucun effort n'était épargné maintenant pour conclure des accords de paix; l'un de ces accords conférait un rôle de médiation au Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies et un autre se rapportait à la mission de l'ONU au Guatemala.

282. Le représentant de l'État partie a déclaré que les efforts du Gouvernement pour introduire une réforme économique n'avaient pas été facilités par les politiques des institutions financières internationales.

283. Les membres du Comité se sont félicités des mesures prises dans le but de parvenir à une paix durable et d'assurer le processus démocratique. Ils ont également noté que, conformément à la Constitution, tous les instruments en matière de droits de l'homme ratifiés par le Guatemala ou auxquels celui-ci avait adhéré, y compris la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, prévalaient sur la législation nationale et pouvaient être invoqués directement devant les tribunaux.

284. En ce qui concerne l'article 2 de la Convention, les membres ont souhaité savoir dans quelle mesure le Gouvernement luttait activement, à travers ses lois et ses politiques, contre la discrimination raciale et en particulier contre celle visant les communautés autochtones majoritaires. Ils ont noté que la politique en la matière devrait privilégier les initiatives propres à pallier les problèmes économiques des communautés en question. Des questions ont aussi été posées quant à l'impact du conflit armé sur la lutte contre la discrimination raciale. Certains membres du Comité ont posé des questions sur le recrutement forcé des autochtones aux fins du service militaire et sur les graves violations commises par l'armée à l'encontre de la population autochtone, violations qui comprenaient des exécutions sommaires et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants. En outre, certains membres ont posé des questions sur la situation des autochtones réfugiés qui étaient rentrés chez eux, sur les communautés qui résistaient et sur les "communautés perdues". Les membres ont souhaité savoir quel était le rôle de l'armée dans les actions de police et dans les activités des Patrouilles d'autodéfense civiles (PAC). Les membres se sont demandés quel était le statut du nouveau Code pénal et de quel degré d'indépendance jouissaient les magistrats.

285. Les membres ont souhaité savoir si la Convention pouvait actuellement être invoquée devant les tribunaux nationaux ou s'il fallait attendre une législation appropriée. On a également demandé des éclaircissements sur l'article 45 de la Constitution concernant les poursuites à l'encontre des responsables de violations des droits de l'homme. Des questions ont été posées au sujet de l'efficacité de la législation pénale pour lutter contre la discrimination raciale.

286. Les membres du Comité ont dit que la législation guatémaltèque n'était pas conforme aux dispositions de l'article 4 de la Convention, dans la mesure où les problèmes de discrimination raciale n'étaient pas spécifiquement pris en compte.

287. En ce qui concerne l'article 5, les membres du Comité se sont demandés quelle était la situation socio-économique des autochtones vis-à-vis des autres membres de la société. À la lumière des informations reçues par les membres, il a également été demandé si les droits à la propriété des autochtones étaient protégés comme il convenait. Des préoccupations ont été exprimées au sujet des difficultés des autochtones à obtenir justice devant les tribunaux et à participer pleinement à la vie publique du pays. Des informations supplémentaires ont été demandées sur la participation des autochtones aux conseils de développement. Des questions ont été posées aussi au sujet des possibilités pour les communautés autochtones et certains groupes ethniques d'exercer leurs droits en matière de liberté de religion, d'accès à l'éducation, de liberté d'expression dans les médias électroniques et de formation de syndicats.

288. En ce qui concerne l'article 6 de la Convention, les membres ont demandé confirmation que l'armée avait indemnisé les agriculteurs dont les récoltes avaient été endommagées durant les opérations militaires. Des informations ont également été demandées au sujet du nombre de cas spécifiques de discrimination raciale portés devant les tribunaux et de l'efficacité, en l'espèce, des recours tels que l'habeas corpus.

289. S'agissant de l'article 7, les membres ont souhaité savoir quelle formation en matière de droits de l'homme était dispensée aux fonctionnaires de la police et des services de sécurité. Des détails ont également été demandés sur les efforts menés par le Gouvernement pour mieux faire connaître la Convention.

290. Les membres ont suggéré que le Guatemala envisage de faire la déclaration prévue à l'article 14 de la Convention et d'accepter l'amendement apporté au paragraphe 6 de l'article 18 de la Convention concernant le financement des dépenses des membres du Comité.

291. Répondant aux questions des membres, le représentant de l'État partie a reconnu les insuffisances du rapport et il a indiqué que son gouvernement présenterait en temps voulu un rapport détaillé qui pourrait être examiné à la quarante-septième session du Comité. Il serait également répondu aux questions en suspens dans le prochain rapport périodique de l'État partie qui devrait être présenté en février 1996. Afin de faciliter la préparation de ces rapports, le représentant a, au nom de son gouvernement, invité le rapporteur de pays du Comité à se rendre au Guatemala.

292. Le représentant de l'État partie a clarifié certaines ambiguïtés du rapport et il a précisé que des informations de nature ethnique pourraient être recueillies lors des prochains recensements nationaux, afin d'aider l'État à s'acquitter de ses obligations en matière de présentation de rapports.

293. Il a été relevé qu'un certain nombre d'évolutions positives intervenues dans le pays n'avaient pas été reflétées dans le rapport, notamment les lois donnant effet à l'article 70 de la Constitution et l'établissement du Fonds de développement autochtone.

294. Le représentant de l'État partie a reconnu qu'il y avait eu des problèmes avec les PAC, mais il a dit que beaucoup d'efforts étaient faits pour désarmer ces patrouilles et les transformer en comités pour la paix et le développement. On a souligné les efforts entrepris pour améliorer les services de police ainsi que les initiatives présidentielles visant à transformer l'armée en force volontaire composée exclusivement d'adultes.

295. Les mesures prises par le Gouvernement pour faciliter le retour des réfugiés et des personnes déplacées avaient été décrites et le représentant a donné des informations complémentaires sur certains points tels que le montant de l'indemnité octroyée aux agriculteurs dont les récoltes avaient été détruites par l'armée durant les opérations militaires.

296. Les réformes du système judiciaire avaient été notées et le représentant a indiqué que le Gouvernement s'attachait en priorité à assurer l'indépendance du pouvoir judiciaire et la sécurité personnelle des juges et des magistrats.

297. Le représentant a également attiré l'attention sur les mesures prises pour lutter contre la pauvreté et assurer les services sociaux essentiels (logement, soins médicaux, éducation, etc.) et il a souligné le degré de priorité élevé accordé à ces domaines par le Gouvernement. La procédure de ratification de la Convention No 169 de l'OIT était en cours au Congrès guatémaltèque.

Conclusions

298. À sa 1098e séance, le 17 mars 1995, le Comité a adopté les conclusions ci-après.

a) Introduction

299. Le Comité se félicite de la reprise du dialogue avec le Gouvernement guatémaltèque, et exprime sa satisfaction à l'État partie pour son rapport détaillé; il le remercie également d'avoir présenté un document de base (HRI/CORE/1/Add.47). Le Comité constate avec satisfaction que les renseignements qui lui ont été communiqués de vive voix par la délégation lorsque celle-ci a présenté le rapport en séance et a répondu aux questions qui ont été posées au cours du dialogue lui ont permis de se faire une idée plus nette de la situation dans l'État partie. Néanmoins, le Comité regrette que le rapport ne fournisse pas de renseignements sur les mesures qui donnent effet à la Convention, comme il est demandé dans le paragraphe 1 de l'article 9 de la Convention elle-même. À cet égard, il prend note de la déclaration de la délégation selon laquelle l'État partie est disposé à poursuivre le dialogue avec le Comité dans un proche avenir et à lui fournir de plus amples renseignements sur les mesures prises pour donner effet à la Convention.

b) Facteurs positifs

300. On se réjouit des mesures qui ont été prises en vue de parvenir à une paix durable et d'assurer le bon déroulement du processus démocratique commencé en 1985. On note en outre que, conformément à la Constitution, la primauté a été accordée, par rapport à la législation nationale, à tous les instruments concernant les droits de l'homme qui ont été ratifiés par le Guatemala ou auxquels ce pays a adhéré, y compris la Convention pour l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, et que ces instruments peuvent être invoqués directement devant les tribunaux.

301. Il est pris bonne note des mesures prises par les autorités militaires pour traduire devant les tribunaux le personnel militaire impliqué dans des actes de caractère pénal, ainsi que des efforts visant à réduire le nombre des PAC et à examiner la question de leur utilité.

302. Il faut se réjouir également de la création, en 1994, de 3 000 postes d'enseignant, y compris 800 pour l'éducation bilingue.

c) Facteurs et difficultés entravant l'application de la Convention

303. On note avec une profonde préoccupation qu'en raison du conflit armé la société guatémaltèque se caractérise encore par un degré considérable de militarisation, ce qui est pour une bonne part à l'origine des excès commis par des éléments des forces armées contre la population civile en général et contre les personnes appartenant aux communautés autochtones en particulier.

d) Principaux sujets de préoccupation

304. On ne peut accepter ce qui est dit dans le paragraphe 87 du rapport, à savoir que la discrimination raciale n'est exercée sous aucune forme à l'encontre de personnes, de groupes de personnes ou d'institutions. Une discrimination de fait persiste au Guatemala à l'encontre des communautés autochtones qui représentent la majorité du peuple guatémaltèque. On note avec préoccupation qu'aucune protection légale n'est fournie dans la pratique à l'égard de cette discrimination.

305. C'est avec une profonde inquiétude que l'on constate la discrimination largement répandue qui affecte les communautés autochtones, et qui les exclut de la jouissance de leurs droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels. On regrette l'absence de dispositions suffisantes pour donner effet aux dispositions de la Convention. On déplore en particulier que, contrairement aux dispositions de l'alinéa c) de l'article 5 de la Convention, les personnes appartenant aux communautés autochtones ne soient pas en mesure de participer dans des conditions d'égalité à la conduite des affaires publiques à tous les échelons.

306. Il faut regretter que la législation nationale ne réponde pas aux exigences de l'article 4 de la Convention, qui prévoit l'adoption d'une législation pénale précise.

307. C'est un sujet de préoccupation que de voir les nombreux excès commis à l'encontre des populations autochtones par des éléments des forces militaires et par les PAC, y compris les cas d'exécutions sommaires et d'autres actes cruels, inhumains ou dégradants, de menaces et de recrutement forcé dans l'armée.

308. On déplore particulièrement que ces crimes ne fassent pas l'objet d'enquêtes et que leurs auteurs ne soient pas poursuivis.

309. On déplore encore que les personnes qui appartiennent à des communautés autochtones ne soient pas au courant des procédures de recours, que sur le plan pratique il leur soit difficile d'utiliser leur propre langue au cours des procédures judiciaires et que d'une façon générale des faiblesses apparaissent dans le système judiciaire, et aussi que tout cela se traduise par une relative impunité pour les auteurs de violations.

310. Préoccupantes également sont les conditions d'extrême pauvreté et d'exclusion sociale dont souffrent en particulier les populations autochtones maya quiche. Ces conditions affectent la jouissance de droits garantis en vertu de l'article 5 de la Convention, tels que le droit de posséder des biens, le droit au travail, le droit de fonder des syndicats et de s'affilier à des syndicats, le droit au logement, les droits concernant la santé et l'éducation, etc.

311. On s'inquiète particulièrement de ce que le taux d'analphabétisme soit particulièrement élevé dans les communautés autochtones.

e) Suggestions et recommandations

312. Le Comité demande que le prochain rapport de l'État partie comporte des renseignements détaillés sur la mise en oeuvre des dispositions de la Convention.

313. Le Comité recommande également au Gouvernement de prendre des mesures pratiques pour mettre en oeuvre la Convention, en particulier pour ce qui concerne les personnes appartenant à des communautés autochtones. Il ne faut épargner aucun effort pour faire en sorte que ces personnes puissent effectivement jouir de leurs droits économiques, sociaux, culturels, civils et politiques conformément à l'article 5 de la Convention.

314. Le Comité souligne que l'État partie doit s'acquitter des obligations qui lui incombent en vertu de l'article 4 de la Convention, et que les mesures législatives nécessaires doivent être prises pour donner effet aux dispositions de cet article.

315. Le Comité recommande que, dans le prochain rapport périodique, des renseignements plus nombreux soient fournis au sujet de la mise en oeuvre des dispositions de l'article 5 de la Convention. L'État partie est prié de fournir des renseignements détaillés au sujet des mesures qui ont été prises en ce qui concerne l'intégration politique, sociale et économique des communautés autochtones, ainsi que leur existence physique et leur patrimoine culturel; au sujet des efforts visant à réduire la militarisation de la société et l'influence des PAC, au sujet des affaires concernant des plaintes pour discrimination raciale qui ont été portées devant les tribunaux, des peines infligées aux auteurs d'actes de discrimination raciale et des recours et réparations fournis aux personnes qui ont été victimes de discrimination raciale.

316. Le Comité engage instamment le Gouvernement à examiner la question de la formation des fonctionnaires chargés de l'application des lois à la lumière de la Recommandation générale XIII du Comité, et à améliorer cette formation.

317. Le Comité recommande à l'État partie d'envisager de ratifier la Convention No 169 de l'OIT, concernant les peuples indigènes et tribaux dans les pays indépendants.

318. Le Comité suggère à l'État partie d'envisager de déclarer, conformément au paragraphe 1 de l'article 14 de la Convention, qu'il reconnaît la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications émanant de personnes ou de groupes de personnes relevant de sa juridiction qui se plaignent d'être victimes d'une violation de l'un quelconque des droits énoncés dans la Convention.

319. Le Comité suggère à l'État partie d'assurer la diffusion de son rapport périodique, des comptes rendus analytiques des débats et des conclusions adoptées à ce sujet.

f) Mesures diverses

320. Le Comité prend note avec satisfaction de la proposition de l'État partie selon laquelle il présenterait des renseignements supplémentaires lors de la quarante-septième session, au mois d'août 1995, et de la décision de présenter un nouveau rapport périodique en février 1996, et il espère que ces propositions seront suivies d'effet. De plus, le Comité se déclare sensible à l'invitation officielle en vertu de laquelle il enverrait l'un de ses membres au Guatemala pour aider l'État partie à appliquer la Convention.



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