 
    Observations finales du Comité contre la Torture, Yugoslavie, U.N. Doc. A/54/44, paras. 35-52 (1998).
 Convention Abbreviation: CAT
  COMITÉ CONTRE LA TORTURE
  Vingt et unième session 
  9-20 novembre 1998
  
  
  
  EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES EN APPLICATION DE L'ARTICLE 
  19 DE LA CONVENTION
  
  Observations finales du Comité contre la Torture
  
  
  Yougoslavie
  
  
  Le Comité a examiné le rapport initial de la Yougoslavie (CAT/C/16/Add.7) à 
  ses 348e, 349e et 354e séances, tenues les 11 et 16 novembre 1998 (CAT/C/SR.348, 
  349 et 354) et a adopté les conclusions et recommandations suivantes :
  
  
  1. Introduction 
  
  
  
  
  La Yougoslavie a signé la Convention contre la torture et autres peines ou traitements 
  cruels, inhumains ou dégradants le 18 avril 1989 et l'a ratifiée le 20 juin 
  1991. Elle a reconnu la compétence du Comité contre la torture pour recevoir 
  et examiner des communications au titre des articles 21 et 22 de la Convention.
  
  
  
  
  
  Le rapport initial de la Yougoslavie était attendu en 1992. Le Comité se déclare 
  préoccupé de ce que ce rapport n'ait été présenté que le 20 janvier 1998. Il 
  contient des informations générales, des informations sur les instruments internationaux, 
  les autorités compétentes, les procédures disciplinaires et judiciaires à l'encontre 
  de fonctionnaires de police et des renseignements sur l'application des articles 
  2 à 16 de la Convention.
  
  
  
  
  
  2. Aspects positifs 
  
  
  
  
  
  Au nombre des aspects positifs, on peut mentionner que les dispositions de l'article 
  25 de la Constitution de la République fédérale de Yougoslavie interdisent toute 
  violence à l'égard d'une personne privée de liberté ainsi que toute extorsion 
  d'aveux ou de déclaration. Cet article proclame que nul ne doit être soumis 
  à la torture, ni à des peines ou traitements dégradants. La même norme figure 
  dans les Constitutions des républiques constitutives de Serbie et du Monténégro.
  
  
  
  
  
  Le Code pénal yougoslave définit les infractions pénales de privation illégale 
  de liberté, d'extorsion d'aveux et de sévices infligés dans l'exercice de fonctions. 
  Des dispositions analogues figurent dans les Codes pénaux de la Serbie et du 
  Monténégro. La loi de procédure pénale, applicable sur toute l'étendue de la 
  République fédérale de Yougoslavie, contient une disposition selon laquelle 
  toute extorsion d'un aveu ou d'une déclaration d'un accusé ou de toute autre 
  personne poursuivie est interdite et punie par la loi. Le Code stipule aussi 
  qu'il est interdit de porter atteinte à la personnalité ou à la dignité de l'accusé 
  au cours de sa détention.
  
  
  
  
  
  Les règlements applicables à la police en Yougoslavie prévoient des mesures 
  disciplinaires et autres, notamment la suspension et des poursuites pénales, 
  sanctionnant les actes des agents de police qui violent les dispositions de 
  la Convention.
  
  
  
  
  
  La réforme législative en cours dans le domaine du droit pénal, et plus particulièrement 
  de la procédure pénale, envisage des dispositions spécifiques qui, espèreton, 
  contribueront à une meilleure prévention de la torture en Yougoslavie.
  
  
  
  
  
  3. Facteurs et difficultés entravant l'application des dispositions de la 
  Convention 
  
  
  
  
  
  Le Comité a tenu compte de la situation dans laquelle la Yougoslavie se trouve 
  actuellement, notamment en ce qui concerne les troubles et les frictions ethniques 
  qui secouent la province du Kosovo. Il souligne cependant qu'en aucun cas des 
  circonstances exceptionnelles ne peuvent être invoquées pour justifier le nonrespect 
  des dispositions de la Convention.
  
  
  
  
  
  4. Sujets de préoccupation 
  
  
  
  
  
  Les principales préoccupations du Comité tiennent à la nonconformité des textes 
  législatifs à la Convention et, plus grave encore, à la situation en ce qui 
  concerne l'application de la Convention dans la pratique.
  
  
  
  
  
  En ce qui concerne la législation, le Comité est préoccupé par l'absence dans 
  le droit pénal yougoslave de dispositions définissant la torture en tant que 
  crime spécifique conformément à l'article premier de la Convention. L'incorporation 
  de la définition figurant à l'article premier de la Convention, conformément 
  au paragraphe 1 de l'article 4 et au paragraphe 1 de l'article 2, nécessite 
  un traitement législatif spécifique autant que systématique en droit pénal positif. 
  L'article 4 de la Convention exige que tout État partie veille à ce que tous 
  les actes de torture constituent des infractions au regard de son droit pénal. 
  L'incorporation mot pour mot de cette définition dans le Code pénal yougoslave 
  permettrait de rendre la formule par laquelle celuici définit actuellement 
  «l'extorsion d'aveux» plus précise, plus claire et plus efficace.
  
  
  
  
  
  L'un des moyens essentiels de prévention de la torture est l'existence, dans 
  les lois de procédure, de dispositions détaillées sur l'irrecevabilité d'aveux 
  obtenus illégalement et d'autres éléments de preuve viciés. Sur ce point, le 
  rapport de l'État partie (par. 70) ne mentionne que les «principes généraux» 
  de la législation pénale nationale. Or, l'absence de normes procédurales détaillées 
  sur l'exclusion des éléments de preuve viciés peut avoir pour effet de rendre 
  plus difficile l'application concrète de ces principes généraux et d'autres 
  normes pertinentes de la loi sur la procédure pénale. Quelle que soit la procédure 
  légale, les juges qui statuent au principal ne devraient jamais être autorisés 
  à connaître d'éléments de preuve obtenus en violation de l'article premier de 
  la Convention.
  
  
  
  
  
  Le fait de réglementer la détention avant jugement revêt une importance particulière 
  pour la prévention de la torture. Deux questions sont déterminantes à cet égard, 
  à savoir la détention au secret et l'accès à un défenseur. L'article 23 de la 
  Constitution yougoslave prévoit que toute personne détenue doit pouvoir consulter 
  rapidement un défenseur. Il semble en découler que l'accès à un défenseur doit 
  être accordé immédiatement après l'arrestation. Or, l'article 196 de la loi 
  de procédure pénale autorise, dans certains cas précis, la police à maintenir 
  une personne en détention pendant une période de 72 heures sans que celleci 
  ait accès à un défenseur ou à un magistrat instructeur. Le rapport ne dit mot 
  de la durée de la détention après la mise en accusation et avant jugement, qui 
  ne devrait pas être indûment prolongée.
  
  
  
  
  
  En ce qui concerne la situation effective en Yougoslavie, le Comité est extrêmement 
  préoccupé par les nombreuses relations d'actes de torture commis par les forces 
  de la police d'État que lui ont faites des organisations non gouvernementales. 
  Parmi les informations fiables communiquées au Comité par des organisations 
  non gouvernementales figurent de nombreuses descriptions d'actes de brutalité 
  et de torture perpétrés par la police, notamment dans les régions du Kosovo 
  et du Sandjak. Les actes de torture commis par la police et plus particulièrement 
  par ses unités spéciales consistent notamment en coups de poing, coups de gourdin 
  ou de matraque métallique, principalement sur la tête, dans la région des reins 
  ou sur la plante des pieds, entraînant des mutilations et même la mort dans 
  certains cas. Il y a eu des cas de torture par électrochocs. Par ailleurs, le 
  Comité est préoccupé de ce que, selon des informations fiables, des aveux obtenus 
  par la torture ont été admis comme élément de preuve par des tribunaux, même 
  dans les cas où le recours à la torture avait été confirmé par les examens médicaux 
  effectués avant le jugement.
  
  
  
  
  
  Le Comité est aussi profondément préoccupé de l'absence d'enquête, de poursuites 
  et de sanction suffisante de la part des autorités compétentes (art. 12 de la 
  Convention) à l'égard des tortionnaires présumés ou des individus soupçonnés 
  de violer l'article 16 de la Convention, ainsi que des réactions insuffisantes 
  aux plaintes des victimes, qui se traduisent par une impunité de facto des auteurs 
  d'actes de torture. L'impunité de jure des auteurs de torture et autres peines 
  ou traitements cruels, inhumains ou dégradants résulte notamment des amnisties, 
  suspensions de peine et rétablissements dans leurs fonctions d'agents suspendus 
  qui ont été accordés par les autorités. Nulle part dans le rapport ni dans la 
  déclaration orale de la délégation yougoslave, on ne trouve mention de ce que 
  fait le Gouvernement yougoslave pour réadapter les victimes de la torture, du 
  montant des indemnités qu'elles reçoivent ou de la véritable étendue des réparations 
  qui leur sont accordées.
  
  
  
  
  
  Le Comité espère qu'à l'avenir, il sera possible d'effacer cette divergence 
  déconcertante entre le rapport yougoslave et l'apparente réalité des abus commis. 
  Toutefois, le Comité est également inquiet de ce que l'État partie semble ne 
  pas avoir la volonté politique de se conformer aux obligations qui lui incombent 
  en vertu de la Convention.
  
  
  
  
  
  5. Recommandations 
  
  
  
  
  
  Le Comité invite l'État partie à honorer les obligations légales, politiques 
  et morales auxquelles il a souscrit en ratifiant la Convention. Il compte que 
  le deuxième rapport périodique de la Yougoslavie, qui aurait déjà dû être présenté, 
  traitera des allégations de torture sous juridiction yougoslave et y répondra 
  directement. Il compte en particulier que l'État partie fournira des informations 
  sur toutes les allégations spécifiques de torture communiquées à ses représentants 
  au cours du dialogue qu'ils ont eu avec le Comité. Conformément aux articles 
  10, 12, 13 et 14 de la Convention, le Comité serait heureux de recevoir des 
  informations sur toutes les activités éducatives que le Gouvernement yougoslave 
  a l'intention d'entreprendre en vue de prévenir la torture et les violations 
  de l'article 16 de la Convention. En outre, le Comité accueillerait avec intérêt 
  toute information sur les mesures législatives et pratiques que l'État partie 
  a l'intention de prendre pour fournir aux victimes de la torture les réparations, 
  les indemnités et la réadaptation appropriées.
  
  
  
  
  
  Le Comité recommande que l'expression «crime de torture» soit incorporée à la 
  lettre dans les codes pénaux yougoslaves. Pour réduire la fréquence de la torture 
  en Yougoslavie, il recommande à l'État partie de garantir dans la loi et dans 
  la pratique l'indépendance de la magistrature, de garantir la possibilité de 
  consulter sans restriction un défenseur immédiatement après l'arrestation, de 
  réduire la durée de la garde à vue à une période maximale de 48 heures, de réduire 
  la durée de la détention avant jugement et après mise en accusation, de déclarer 
  strictement irrecevables tous les éléments de preuve obtenus directement ou 
  indirectement par la torture, d'octroyer des réparations civiles effectives 
  et d'engager des poursuites pénales vigoureuses dans toutes les affaires de 
  torture et de violation de l'article 16 de la Convention.
  
  
  
  
  
  Enfin, le Comité invite l'État partie à présenter son deuxième rapport périodique 
  avant le 30 novembre 1999.