G.T. (nom supprimé) c. Suisse, Communication No. 137/1999, U.N. Doc. CAT/C/23/D/137/1999 (2000).
Présentée par : G. T. (nom supprimé) [représenté
par un conseil]
Au nom de : L'auteur
État partie : Suisse
Date de la communication : 27
mai 1999
Le Comité contre la torture , institué conformément à l'article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dé ;gradants,
Réuni le 2 mai 2000,
Ayant achevé l'examen de la communication No 137/1999 présentée au Comité contre la torture en vertu de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dé ;gradants,
Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,
Adopte la décision suivante :
1.1L'auteur de la communication est M.
G.T., citoyen turc d'origine ethnique kurde, né en 1975, vivant actuellement
en Suisse où il a demandé asile le 27 juillet 1995. Cette demande ayant été
rejetée, il soutient que son rapatriement forcé vers la Turquie constituerait
une violation par la Suisse de l'article 3 de la Convention contre la torture.
Il est représenté par un conseil.
1.2Conformément au paragraphe 3 de l'article
22 de la Convention, le Comité a porté la communication à l'attention de l'État
partie le 18 juin 1999. Dans le mê me temps, le Comité, agissant en vertu du
paragraphe 9 de l'article 108 de son règlement intérieur, a demandé à l'État
partie de ne pas expulser l'auteur vers la Turquie tant que sa communication
serait en cours d'examen. Le 18 octobre 1999, l'État partie a informé le Comité
que des mesures avaient été prises pour faire en sorte que l'auteur ne soit
pas renvoyé vers la Turquie tant que sa communication serait pendante devant
le Comité.
Rappel des faits présentés
par l'auteur
2.1L'auteur est originaire du sudest
de la Turquie; il est né le 25 novembre 1975 à Dogan Köy, village situé près
d'Erzincan, et y a vécu jusqu'en 1993. Il affirme qu'à cette époque, les villageois
étaient soumis à la torture par l'armée turque et les jeunes gens étaient systématiquement
arrêtés, soupçonnés d'ê ;tre partisans, maquisards ou guérilleros, et torturés;
et ce, particulièrement dans le village de Dogan Köy qui, d'après l'auteur,
était notoirement connu pour son attachement au Parti des travailleurs du Kurdistan
(PKK).
2.2Au cours de sa jeunesse, l'auteur
quitta ce village avec ses parents pour aller s'établir à Istanbul. Étudiant,
il fut fort actif en politique. Sympathisant de l'organisation YCK, branche
jeunesse du PKK, jusqu'en 1992, l'auteur participait aux manifestations, aux
ré unions, à la distribution de tracts. Il recueillait en outre de l'argent
pour la cause et participait au recrutement de nouveaux adeptes.
2.3Le 29 mai 1995, l'auteur quitta la
Turquie pour rejoindre en Suisse son frère, citoyen helvétique. Ce départ était
é galement motivé par sa crainte de devoir effectuer son service militaire.
Il introduisit une demande d'asile le 27 juillet 1995 qui fut rejetée le 3 novembre
de la même année. Appelée à statuer sur son recours, la Commission suisse de
recours en matière d'asile confirma la décision de rejet initiale le 29 avril
1999.
2.4Depuis son établissement en Suisse,
l'auteur allègue que la police s'est rendue chez ses parents à Istanbul à plusieurs
reprises à cause de sa qualité d'opposant actif et de dé serteur. Après quelques
visites, et sous la pression, les parents ont avoué à la police que l'auteur
s'était ré fugié en Suisse et y avait demandé asile. En consé quence, le consulat
de Turquie à Genève a, par deux fois, envoyé à son frère des convocations à
se rendre au consulat afin que l'auteur s'explique sur sa situation en Suisse
et sur le problème de son service militaire. L'auteur n'y a pas donné suite.
2.5Outre les faits relevés cidessus,
l'auteur invoque des problèmes vécus par des membres de sa famille et qui pourraient
lui causer préjudice en cas de retour. Il affirme à ce propos que deux de ses
cousines et deux de ses cousins, qui habitaient dans son village natal et ont
eu des activités politiques actives dans la guérilla du PKK, ont été tués durant
des affrontements avec l'armée turque. Le visage de l'une des deux jeunes filles
était tellement abîmé que son identification ne fut rendue possible que par
la présence d'une dent en or.
Teneur de la plainte
3.1L'auteur affirme que son retour forcé
en Turquie constituerait une violation par la Suisse de ses obligations au regard
de la Convention, puisque, vu les raisons qui ont motivé son départ de Turquie,
il existe des motifs sérieux de croire qu'il risquerait d'être torturé ;.
3.2Après avoir donné un bref aperçu historique
de la question kurde, l'auteur souligne que la torture est institutionnalisée
en Turquie et que, selon Amnesty International, sur près de 250 000 personnes
arrêtées entre 1980 et 1988 pour des raisons politiques, presque toutes ont
été torturées. L'auteur rappelle également que, selon Amnesty International,
2 500 personnes ont été tuées durant la seule année 1996, au cours de laquelle
l'état d'urgence est resté en vigueur sans discontinuité. Pendant l'état d'urgence,
la durée maximale de la garde à vue est de dix jours dont quatre au secret.
Or il est communément admis que la dé tention au secret favorise les actes de
torture. Ainsi, un nommé C.S., après avoir déserté durant son service militaire,
explique avoir été l'objet de tra
3.3Toujours selon Amnesty International,
le Comité européen pour la prévention de la torture a affirmé, dans sa deuxième
déclaration publique sur la Turquie, que la torture restait largement répandue
dans le pays et que de nouveaux instruments de torture avaient été trouvés en
1992 au siège de la police de Dyarbakir et d'Ankara, notamment un instrument
modifié pour administrer des décharges électriques et un autre pour suspendre
une personne par les bras. Amnesty International rappelle aussi le jugement
de la Cour européenne des droits de l'home ayant déclaré les forces de sécurité
turques responsables de l'incendie de maisons dans un village du sudest de
la Turquie.
3.4À propos du service militaire, l'auteur
relève que, selon Amnesty International, il n'y a pas en Turquie de droit à
l'objection de conscience et qu'aucun service civil n'est prévu en remplacement
du service militaire. En outre, selon Denise Graf, citée par l'auteur comme
une des personnes qui connaît le mieux la situation des insoumis et des réfractaires
en Turquie, les soldats turcs d'origine kurde sont régulièrement envoyés dans
les provinces soumises à l'état d'urgence. Il existe des risques réels pour
que les soldats d'origine kurde qui doivent faire leur service militaire dans
ces régions soient soumis à des mauvais traitements, surtout si euxmêmes, ou
un membre de leur famille, ont eu des activités politiques.
3.5L'auteur estime que s'il était renvoyé
en Turquie, il serait immédiatement arrêté à l'aéroport d'Ankara et devrait
avouer avoir demandé l'asile en Suisse pour les diffé rentes raisons exposées
cidessus. Il serait alors incorporé dans l'armée et envoyé dans la région dont
il est issu, où il subirait des mauvais traitements et devrait commettre des
exactions contre les siens. Au cours de son service militaire, il serait jugé
pour sa désertion et devrait purger sa peine à l'issue de son service militaire,
peine durant laquelle il subirait encore des mauvais traitements.
Observations de l'État partie
sur la recevabilité et le bienfondé de la communication
4.1L'État partie n'a pas contesté la
recevabilité de la communication et, dans une lettre datée du 20 dé cembre 1999,
a formulé des observations sur son bien fondé.
4.2L'État partie rappelle que la Commission
suisse de recours en matière d'asile a procédé à un examen circonstancié des
allégations de l'auteur au sujet des risques de persécution qu'il encourrait
éventuellement en cas de retour en Turquie.
4.3À propos des risques liés à sa désertion,
la Commission a tout d'abord estimé que la législation de l'É tat partie sur
l'asile ne permet pas à une personne d'obtenir le statut de réfugié sur la seule
base de son aversion au service militaire ou de sa peur du combat. En outre,
il faut en effet prouver soit que la punition pour insoumission ou désertion
est totalement disproportionnée pour des motifs déterminants en matière d'asile,
soit que le déserteur serait persécuté pour les mêmes motifs, par exemple, dans
le cas présent, si l'État turc appelait au service militaire des groupes de
population en fonction de critères politiques ou analogues. Tel n'est, selon
les informations mises à la disposition de la Commission, pas le cas en Turquie
où les appels se font uniquement sur base de la nationalité et de la naissance
de l'appelé. L'origine ethnique kurde de l'auteur ne représenterait donc pas
un risque pour lui d'être envoyé sur le front de l'est. De plus, la Commission
a soulevé que l'auteur n'avait apporté aucune pièce tendant à prouver qu'il
était recherché par les autorités turques pour ce motif. La Commission rappelle
même que c'est uniquement parce qu'il lui avait été demandé, lors de sa demande
d'asile, s'il avait eu des problèmes avec l'armée que l'auteur a mentionné cette
insoumission au service militaire; il avait jusque là confirmé qu'il n'avait
pas d'autres motifs pour demander l'asile. À ce moment, l'auteur a en outre
été très évasif sur les questions qui lui étaient posées à propos de son service
militaire, démontrant par là qu'il ne connaissait pas la procédure de recrutement,
ce qui, étant donné la
4.4Quant aux activités politiques de
l'auteur, l'État partie souligne que la même Commission a considéré que ses
dires n'étaient pas suffisamment étayés, qu'il n'avait jamais été arrêté ou
fait l'objet d'une procédure pour cette raison, et qu'il avait déjà affirmé
avoir quitté son pays uniquement parce qu'il ne voulait pas servir dans l'armée
turque.
4.5S'agissant plus généralement de persécutions
en raison de son appartenance ethnique kurde, la Commission suisse de recours
en matière d'asile a relevé que l'auteur résidait dans l'ouest de la Turquie
(Bursa, et ensuite Istanbul) où ses problèmes n'étaient pas si importants et,
en tout cas, pas plus importants que ceux vécus par le reste de la population
kurde de cette région.
4.6Sous l'angle de l'article 3 de la
Convention, l'État partie rappelle que le risque de torture doit non seulement
être é valué sous l'angle de la situation générale par rapport aux droits de
l'homme qui règne dans le pays en question, mais é galement sous l'angle d'éléments
qui tiennent à la personnalité même de l'auteur. L'État partie souligne donc
qu'il doit exister un risque prévisible, réel et personnel que l'auteur soit
torturé dans le pays vers lequel il est renvoyé.
4.7L'État partie rappelle que lors de
son examen d'autres communications émanant de ressortissants turcs, le Comité
avait souligné que la situation des droits de l'homme en Turquie était pré occupante,
et ce particulièrement pour les militants du PKK qui étaient fréquemment torturés.
Cependant, dans les cas où le Comité avait constaté une violation de l'article
3 de la Convention, il avait préalablement constaté ; que les auteurs étaient
engagés politiquement au sein du PKK ou avaient été détenus et torturés avant
leur départ, ou encore avaient des preuves supplémentaires par rapport à leurs
allégations. Par contre, dans les cas où le Comité n'avait pas constaté de violation,
il avait considé ré que l'auteur n'avait jamais fait l'objet de poursuites pour
des faits précis ou que les poursuites n'étaient pas dirigées contre lui, mais
contre des membres de sa famille, ou encore que depuis son départ de Turquie,
l'auteur ou les membres de sa famille n'avaient ni été intimidés ni recherchés
et il n'avait plus collaboré avec le PKK.
4.8En l'espèce, l'État partie renvoie
tout d'abord à la jurisprudence du Comité selon laquelle le seul risque d'arrestation
ne constitue pas en soi la preuve d'un risque de torture. L'auteur doit encore
prouver que son acte de désertion et ses activités politiques sont la cause
d'un risque réel de torture en cas de retour.
4.9L'État partie souligne le temps mis
par l'auteur à demander l'asile et considère que cela ne correspond pas à l'attitude
d'une personne qui craint d'être torturée en cas de retour dans son pays. Il
estime même que ce n'est que suite à son arrestation par la police fribourgeoise
le 8 juillet 1995 que l'auteur a demandé l'asile en vue d'éviter l'expulsion
immédiate.
4.10Les éléments précédents ont également
conduit l'État partie à présumer que l'auteur n'avait en réalité pas quitté
la Turquie le 2 juin 1995 comme il le prétendait. Il ressort en effet du dossier
de l'auteur que ce dernier aurait obtenu un visa pour la Suisse le 15 juin 1992.
Or il ne figure aucune mention sur son passeport qui confirmerait son retour
en Turquie à l'expiration de ce visa. Dans cette mesure, et compte tenu des
informations selon lesquelles les contrôles de passeport à l'entrée du territoire
turc sont assez rigoureux, l'État partie en conclut que l'auteur est en fait
arrivé sur le territoire suisse le 15 juin 1992, et non le 2 juin 1995, et y
a vécu illégalement jusqu'à la date de sa demande d'asile. Les affirmations
selon lesquelles l'auteur se serait engagé au sein du PKK durant l'année 1993
perdent dès lors d'autant plus de crédibilité, puisqu'il devait vraisemblablement
être en Suisse à cette époque.
4.11La crainte de l'auteur d'être arrêté
suite à ses activités politiques, notamment en raison de l'arrestation de certains
de ses camarades qui avaient participé à la même manifestation, est incompatible
avec les dires de l'auteur selon lesquels ils participaient aux manifestations
sous des noms de code; de cette maniè re, ni l'auteur ni ses camarades ne pouvaient
en effet connaître leurs noms respectifs.
4.12L'État partie souligne également
que l'auteur a invoqué ; dans sa communication trois nouveaux arguments qu'il
n'avait jamais soulevés durant sa demande d'asile alors que rien n'empêchait
qu'ils le soient. Il s'agit de la notoriété de son village natal pour son attachement
au PKK, des prétendues recherches mené es par la police au domicile de ses parents
en Turquie, et de la mort de deux de ses cousins et deux de ses cousines suite
à leurs activités au sein du PKK. Outre le fait qu'il est surprenant qu'ils
n'aient pas été soulevés antérieurement, ces arguments ne pourraient justifier
les risques de torture invoqués par l'auteur dans la mesure où ce dernier a
quitté son village natal en 1990 et n'a jamais parlé de problèmes qu'il aurait
vécus dans les différents endroits où il a séjourné par la suite. De la même
manière, en plus du fait que la mort des membres de sa famille n'est étayée
par aucune preuve, la persé cution et la mort de certains membres de sa famille
ne permettent pas de conclure, selon la jurisprudence du Comité, au risque de
torture pour l'auteur.
4.13Quant aux nouvelles pièces que l'auteur
a produites concernant son refus de répondre à la conscription, l'État partie
fait remarquer que l'attestation émanant du maire de Calgi peut être mise en
doute. Outre le fait que la délivrance de ce type d'attestation n'est pas dans
les attributions d'un maire de village, le document n'apporte en effet aucun
élément concret concernant la manière dont son auteur a reçu les informations,
ce qui porte l'État partie à croire qu'il s'agit d'un document de complaisance.
De plus, il est surprenant que ce document ait été traduit par le traducteur
juré du consulat de Turquie à Genève alors que c'est justement ce dernier qui
avait mené les recherches en vue de le retrouver. Les craintes de l'auteur relatives
à ces recherches sont incompatibles avec cette demande de service. En ce qui
concerne la lettre de son frère dans laquelle il est confirmé que l'auteur avait
reçu du consulat de Turquie deux convocations militaires en 1997 et 1998, l'État
partie n'est pas convaincu par l'explication selon laquelle le frère aurait
gardé ces convocations s'il avait prévu les problèmes de l'auteur alors que
ce dernier était au moment des convocations justement en appel de la décision
de l'Office des réfugiés. De plus, il y a contradiction entre l'auteur et son
frère à propos des dates des convocations, ces dernières ayant eu lieu en 1995
et 1997 pour le premier et entre 1997 et 1998 pour le deuxième.
4.14L'État partie insiste encore sur
le fait que le recrutement dans l'armée turque se fait uniquement sur la base
de la nationalité et de la date de naissance des appelés et qu'en raison du
système d'enregistrement de la population en Turquie, un recrutement sur la
base d'une appartenance ethnique serait impossible techniquement. L'envoi systématique
de conscrits kurdes dans le sudest de la Turquie ne serait pas non plus logique
dans la mesure où l'État turc est obligé de disposer dans cette région de soldats
qui lui sont totalement dévoués et en qui il a une confiance totale. Enfin,
les juges compétents en matière de désertion n'ont jusqu'à présent infligé que
des peines très légères en ce qui concerne l'insoumission.
Observations supplémentaires
de l'auteur
5.1Par une lettre du 25 février 2000,
l'auteur a formulé ; ses remarques à propos des observations de l'État partie
sur le bienfondé de la communication.
5.2En ce qui concerne la décision de
la Commission suisse de recours en matière d'asile, l'auteur avance comme exemple
d'envoi de soldat à ; l'est pour combattre d'autres Kurdes le cas de A. P.,
cité par Denise Graf, qui est mort en service durant l'été 1999, mais dont on
ignore encore les raisons du décès.
5.3À propos des convocations, l'auteur
avance que c'est bien son frère qui lui a appris qu'un ordre de marche avait
été émis à son nom en Turquie et qui a reçu les deux convocations. Le frère
devait, selon ces convocations, se pré senter au consulat de Turquie à Genève
pour expliquer la situation de l'auteur. Le consulat n'a malheureusement pas
gardé copie des convocations qui sont selon l'usage renvoyées en Turquie aprè
s un mois. En outre, l'auteur mentionne qu'il a bien précisé que c'était "sauf
erreur" qu'il citait les dates de 1995 et 1997; l'argument de l'État partie
sur ce point est donc sans pertinence.
5.4L'auteur rappelle qu'outre la peine
de deux à trois ans d'emprisonnement qui est infligée aux réfractaires, ces
derniers ne sont pas libérés de leur service militaire à l'issue de la peine;
c'est précisément cette injustice que l'auteur dénonce.
5.5L'auteur confirme que ses activités
politiques consistaient en la participation à des manifestations, à des réunions,
la distribution de tracts, l'accueil de personnes et la collecte de fonds.
5.6Sous l'angle de l'article 3 de la
Convention, l'auteur craint outre la peine qu'il encourt pour désertion et les
tortures qu'il subira durant cette peine, le fait d'être envoyé au front et
le risque d'ê tre tué lors d'un affrontement.
5.7En ce qui concerne le laps de temps
entre son arrivée en Suisse et sa demande d'asile, l'auteur avait déjà expliqué
à la Commission suisse des recours en matière d'asile que ce retard n'avait
aucune incidence sur les raisons de sa demande d'asile. En outre, le frère de
l'auteur lui avait conseillé de se reposer avant d'introduire sa demande parce
qu'il avait peur et était stressé.
5.8Au sujet de la date de son arrivée
en Suisse, l'auteur conteste que les contrôles à l'entrée en Turquie soient
systé matiques. Il relève en outre qu'il avait 17 ans à l'é poque de son retour,
ce qui lui donnait une physionomie qui n'est pas de nature à attirer l'attention
des douaniers.
5.9L'auteur confirme le caractère officiel
de l'attestation du maire de Calgi et souligne que l'interprète du consulat
est souvent choisi à Fribourg comme traducteur et sait agir dans la discrétion
en respectant le secret professionnel.
5.10L'auteur réitère ses affirmations
selon lesquelles les réfractaires kurdes sont régulièrement envoyés sur le front
du sudest pour combattre d'autres Kurdes et se réfè ;re à ce titre encore une
fois aux propos de Denise Graf.
5.11Enfin, l'auteur avance comme faits
nouveaux qu'il a perdu son père le 11 février 2000 à Bursa et que par crainte
il n'a pas voulu se rendre à l'enterrement alors que toute sa famille y allait.
En outre, l'évolution du conflit entre l'État turc et les Kurdes fait croire
à l'auteur que les risques restent aussi importants pour sa personne. S'appuyant
sur différents articles de presse, il fait notamment référence aux exactions
commises par le Hezbollah contre les Kurdes et au fait que l'annonce du PKK
d'abandonner la lutte armée est surtout destinée à sauver la tête de son dirigeant.
Pour démontrer que le conflit continue bel et bien, l'auteur rappelle que trois
maires kurdes ont récemment été arrêtés pour leurs liens présumés avec le PKK.
Délibérations du Comité
6.1Avant d'examiner toute plainte contenue
dans une communication, le Comité contre la torture doit décider si elle est
ou non recevable en vertu de l'article 22 de la Convention. Le Comité s'est
assuré, comme il est tenu de le faire conformément à ; l'alinéa a) du paragraphe
5 de l'article 22 de la Convention, que la même question n'a pas été examiné
e et n'est pas en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête
ou de règlement. Dans le cas d'espèce, le Comité note aussi que tous les recours
internes sont épuisé ;s et que l'État partie n'a pas contesté la recevabilité.
Il estime donc que la communication est recevable. L'État partie et l'auteur
ayant chacun formulé des observations sur le fond de la communication, le Comité
procède à l'examen quant au fond.
6.2Le Comité doit se prononcer sur le
point de savoir si le renvoi de l'auteur vers la Turquie violerait l'obligation
de l'État partie, en vertu de l'article 3 de la Convention, de ne pas expulser
ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de
croire qu'elle risque d'être soumise à la torture.
6.3Le Comité doit décider, comme le prévoit
le paragraphe 1 de l'article 3, s'il existe des motifs sérieux de croire que
l'auteur risquerait d'être soumis à la torture s'il était renvoyé en Turquie.
Pour prendre cette décision, le Comité doit tenir compte de toutes les considérations
pertinentes, conformément au paragraphe 2 de l'article 3, y compris l'existence
d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes
ou massives. Toutefois, le but de cette analyse est de déterminer si l'intéressé
risquerait personnellement d'être soumis à la torture dans le pays où il serait
renvoyé. Il s'ensuit que l'existence, dans un pays, d'un ensemble de violations
systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue
pas en soi une raison suffisante d'é tablir qu'une personne donnée serait en
danger d'être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister
d'autres motifs qui donnent à penser que l'intéressé serait personnellement
en danger. Pareillement, l'absence d'un ensemble de violations flagrantes et
systématiques des droits de l'homme ne signifie pas qu'une personne ne puisse
pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.
6.4Le Comité rappelle son observation
générale sur l'application de l'article 3, qui se lit comme suit :
6.6Sur la base des informations soumises
par l'auteur, le Comité constate que les événements motivant son départ de la
Turquie remontent à 1995. Néanmoins, les élé ments avancés par l'État partie
quant à la date ré elle de l'arrivée de l'auteur en Suisse n'ont pas conduit
l'auteur à développer des arguments convaincants pour le Comité ou à produire
des preuves de sa présence en Turquie durant la période litigieuse.
6.7Le Comité constate en outre que l'auteur
n'a fourni aucune piè ce susceptible de prouver son appartenance et ses activités
au sein du PKK ou du YCK.
6.8Enfin, le Comité estime que les éléments
avancés par l'auteur au sujet de son appel sous les drapeaux ont été entachés
d'incohérence, qu'il est surprenant que l'auteur n'ait pas été en mesure de
produire les prétendues convocations du consulat de Turquie à Genève, et que
le seul document présenté dans le but de prouver la réalité de cet appel ne
contient aucun élément permettant de constater l'authenticité des faits qu'il
invoque.
6.9Se fondant sur les considérations
cidessus, le Comité est d'avis que les informations dont il est saisi ne montrent
pas qu'il existe des motifs sérieux de croire que l'auteur risque personnellement
d'être soumis à la torture s'il est renvoyé en Turquie.
7.Le Comité contre la torture, agissant
en vertu du paragraphe 7 de l'article 22 de la Convention contre la torture
et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, estime que
la dé cision de l'État partie de renvoyer l'auteur en Turquie ne fait apparaître
aucune violation de l'article 3 de la Convention.