University of Minnesota


Mme Hanan Ahmed Fouad Abd El Khalek Attia c. Suède, Communication No. 199/2002, U.N. Doc. CAT/C/31/D/199/2002 (2003).


 

Présentée par : Mme Hanan Ahmed Fouad Abd El Khalek Attia (représentée par M. Bo Johansson du Swedish Refugee Advice Centre)

Au nom de : La requérante

État partie : Suède

Date de la requête : 28 décembre 2001

Le Comité contre la torture , institué en vertu de l'article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 17 novembre 2003,

Ayant achevé l'examen de la requête no 199/2002, présentée par Mme Hanan Ahmed Fouad Abd El Khalek Attia en vertu de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par la requérante, son conseil et l'État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l'article 22
de la convention

1.1 La requérante est Mme Hanan Ahmed Fouad Abd El Khalek Attia, citoyenne égyptienne, née le 13 juillet 1964, qui se trouve actuellement en Suède. Elle affirme qu'en la renvoyant en Égypte, la Suède violerait l'article 3 de la Convention. Elle est représentée par un conseil.

1.2 Le 14 janvier 2002, en application du paragraphe 9 de l'article 108 du règlement intérieur du Comité, l'État partie a été prié de ne pas expulser la requérante vers l'Égypte tant que sa requête serait en cours d'examen devant le Comité. Il a été dit que cette demande pourrait être reconsidérée à la lumière des renseignements détaillés fournis par l'État partie sur le lieu où se trouvait le mari de la requérante et ses conditions de détention. Le 18 janvier 2002, comme suite à la demande du Comité, le Conseil suédois des migrations a décidé de surseoir à la décision d'expulsion jusqu'à nouvel avis; en conséquence, la requérante séjourne pour l'instant légalement en Suède.


Rappel des faits présentés par la requérante

2.1 En 1982, le mari de la requérante, M. A., a été arrêté en raison de ses liens de parenté avec un de ses cousins qui avait été arrêté parce qu'il était soupçonné d'être impliqué dans l'assassinat de l'ancien Président égyptien, Anouar Sadate. Avant d'être libéré en mars 1983, M. A. aurait été soumis à la «torture et d'autres formes de mauvais traitements physiques». M. A, qui militait activement au sein du mouvement islamique, avait achevé ses études en 1986 et épousé la requérante. Il avait échappé aux recherches de la police à plusieurs reprises mais connu des difficultés, comme l'arrestation de son avocat, lorsqu'il avait intenté une action civile en 1991 contre le Ministère des affaires intérieures pour les souffrances endurées pendant son séjour en prison.

2.2 En 1992, M. A. a, pour des raisons de sécurité, quitté l'Égypte pour l'Arabie saoudite et de là pour le Pakistan où la requérante et ses enfants l'ont rejoint. N'ayant pu obtenir le renouvellement de leurs passeports, confisqués par l'ambassade d'Égypte au Pakistan, ils sont partis pour la Syrie sous des noms d'emprunt soudanais. Là, ils ont reçu la visite de parents d'Égypte, que les autorités ont arrêtés et dont ils ont confisqué les passeports à leur retour en Égypte pour essayer de savoir où se trouvait M. A. En décembre 1995, la famille s'est installée en Iran sous les mêmes identités soudanaises.

2.3 En 1998, M. A. a été jugé par contumace pour activités terroristes par une juridiction militaire supérieure d'Égypte en même temps que 100 autres personnes. Il a été reconnu coupable d'appartenance à un groupe fondamentaliste islamique, le Jihad, visant à renverser le Gouvernement égyptien, et a été condamné, sans possibilité d'appel, à 25 ans d'emprisonnement. En 2000, craignant, en raison du rapprochement entre l'Égypte et l'Iran, d'être renvoyés en Égypte, M. A. et sa famille ont acheté des billets d'avion sous des noms d'emprunt saoudiens pour le Canada et ont demandé l'asile lors d'une escale à Stockholm (Suède), le 23 septembre 2000.

2.4 Dans sa demande, M. A. a dit qu'il avait été condamné par contumace à la «réclusion à perpétuité» et que s'il était renvoyé en Égypte, il serait exécuté comme d'autres accusés, selon ses dires, l'avaient été. La requérante a affirmé que si elle était renvoyée, elle serait emprisonnée pendant de nombreuses années du fait qu'elle était mariée avec M. A. et serait jugée coupable par association. Le 23 mai 2001, le Conseil des migrations a invité le Conseil national de la police suédoise (Branche spéciale) à donner son avis sur la question, et celui-ci, par l'intermédiaire de sa Branche spéciale, a donc interrogé par la suite M. A. Le 3 octobre 2001, le Conseil des migrations a procédé à une «audition» de M. A. et de la requérante qui étaient représentés par un conseil. Le 30 octobre 2001, le Conseil national de la police suédoise (Branche spéciale) a informé le Conseil des migrations que M. A. jouait un rôle de premier plan au sein d'une organisation coupable d'actes de terrorisme et était responsable des activités de cette organisation. Le cas de M. A. et de la requérante a donc été renvoyé, le 12 novembre 2001, au Gouvernement pour décision conformément à l'article 11, paragraphe 2.2, du chapitre 7 de la loi sur les étrangers. Pour le Conseil des migrations, d'après les informations dont il disposait, M. A. pouvait être considéré comme répondant aux conditions requises pour obtenir le statut de réfugié, mais selon l'évaluation de la Branche spéciale de la police, que le Conseil n'avait aucune raison de contester, il en allait tout autrement. Il appartenait donc au Gouvernement d'apprécier le besoin éventuel de protection de M. A. par rapport à l'évaluation faite par la Branche spéciale. Le 13 novembre 2001, la Commission de recours des étrangers à laquelle le dossier avait été transmis, a souscrit aux conclusions du Conseil des migrations sur le fond et a estimé également qu'il incombait au Gouvernement de trancher.

2.5 Le 18 décembre 2001, le Gouvernement a rejeté la demande d'asile de M. A. et de la requérante. Les raisons de ce rejet ne sont pas mentionnées dans le texte de la présente décision à la demande de l'État partie et avec l'assentiment du Comité. En conséquence, il a été ordonné d'expulser M. A. immédiatement et la requérante dès que possible. Le 18 décembre 2001, M. A a été expulsé tandis que la requérante échappait à la police; on ne sait toujours pas où elle se trouve.


Teneur de la plainte


3.1 La requérante fait valoir que sa situation est étroitement associée à celle de son mari, M. A., qui nie tout lien avec des terroristes. Elle affirme qu'elle présenterait un grand intérêt pour les autorités égyptiennes, celles-ci pensant qu'elle détient des informations précieuses sur son mari et ses activités. Il existe donc manifestement un risque qu'elle soit mise en détention et que les autorités égyptiennes essaient de lui soutirer des informations par la violence et la torture.

3.2 La requérante critique le fait que l'on ne sache rien de la teneur et des sources des renseignements obtenus par la Branche spéciale sur M. A., faisant observer que de toute façon, il était clair que les autorités égyptiennes voulaient le placer en détention en raison de sa condamnation antérieure. La requérante conteste la valeur des garanties de sécurité fournies par les autorités égyptiennes. Elle n'en connaît ni le contenu ni l'auteur. En tout état de cause, les autorités égyptiennes chercheraient probablement davantage à poursuivre leurs propres objectifs qu'à respecter les assurances données à des États étrangers. Dans une communication ultérieure, la requérante se réfère à un document (action urgente) daté du 10 janvier 2002 émanant d'Amnesty International qui estimait que la requérante risquerait d'être torturée si elle retournait en Égypte en raison de ses liens familiaux. En outre, Amnesty International jugeait insuffisantes les garanties de sécurité données étant donné qu'on ne savait pas où se trouvait M. A. depuis son arrivée en Égypte le 18 décembre 2002 et qu'aucune information à ce sujet n'avait été donnée à sa famille, son conseil ou toute autre personne.

3.3 La requérante fait valoir que contrairement à la Convention relative au statut des réfugiés, la Convention contre la torture ne contient pas de clause d'exclusion pour motifs de sécurité et qu'elle confère donc une protection absolue. De plus, la décision d'expulsion n'est pas susceptible d'appel et une nouvelle demande ne peut être présentée que si les circonstances ont changé, ce qui n'est pas le cas.

3.4 De manière générale, la requérante se réfère à des informations du Département d'État des États-Unis datées de 2000 selon lesquelles les droits de l'homme fondamentaux ne sont pas pleinement respectés en Égypte. Elle soutient que les forces de sécurité maltraitent et torturent les personnes soupçonnées d'avoir des liens avec des groupes terroristes et procèdent à des arrestations massives. Selon un rapport de 1997 d'Amnesty International, un certain nombre de femmes ont été victimes de violations des droits de l'homme, notamment de détention arbitraire, à cause de leurs liens familiaux avec de telles personnes.


Observations de l'État partie sur la recevabilité et le fond de la requête

4.1 Dans des observations datées du 8 mars 2002, l'État partie conteste à la fois la recevabilité et le fond de la requête. Il considère que l'argument de la requérante selon lequel elle a des motifs sérieux de craindre d'être torturée en cas de retour en Égypte n'a pas été, compte tenu des garanties de sécurité données et des autres arguments avancés concernant le fond, suffisamment étayé pour qu'il soit possible de conclure que la requête est compatible avec l'article 22 de la Convention. (1)

4.2 S'agissant du fond, l'État partie expose les mécanismes particuliers de la loi sur les étrangers de 1989 applicables à des cas comme celui de la requérante. Bien que les demandes d'asile soient normalement traitées par le Conseil des migrations puis par la Commission de recours des étrangers, dans certaines circonstances, l'un ou l'autre de ces organes peut renvoyer le dossier de l'affaire au Gouvernement en y joignant son propre avis. Tel est le cas si la question est jugée importante pour la sécurité du Royaume ou la sécurité en général ou pour les relations de l'État avec une puissance étrangère (art. 11, par. 2.2 du chapitre 7 de la loi). Si le Conseil des migrations renvoie une affaire, il doit d'abord la soumettre à la Commission de recours des étrangers qui formule son propre avis.

4.3 Un étranger nécessitant une protection en raison d'une crainte fondée de persécution de la part des autorités ou d'autres parties pour les raisons énoncées dans la Convention relative au statut des réfugiés (selon l'article 2 du chapitre 3 de la loi) peut toutefois se voir refuser un permis de résidence dans certains cas exceptionnels, suite à une évaluation de ses activités antérieures et des besoins de sécurité du pays (art. 4 du chapitre 3 de la loi). Toutefois, aucune personne risquant d'être torturée ne peut se voir refuser un permis de résidence (art. 3 du chapitre 3 de la loi). En outre, si une personne s'est vu refuser un permis de résidence et fait l'objet d'une décision d'expulsion, sa situation doit être réévaluée avant que cette décision ne soit exécutée pour lui éviter tout risque notamment de torture ou autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

4.4 L'État partie rappelle la résolution 1373, en date du 28 septembre 2001, du Conseil de sécurité dans laquelle celui-ci engage les États membres à refuser de donner asile à ceux qui financent, organisent, appuient ou commettent des actes de terrorisme ou en recèlent les auteurs. Le Conseil a demandé aux États membres de prendre les mesures appropriées, conformément aux normes internationales relatives aux droits de l'homme et au droit des réfugiés afin de s'assurer que les demandeurs d'asile n'ont pas organisé ou facilité la perpétration d'actes de terrorisme et n'y ont pas participé. Il a également demandé aux États membres de veiller, conformément au droit international, à ce que les auteurs ou les organisateurs d'actes de terrorisme ou ceux qui facilitent de tels actes ne détournent pas à leur profit le statut de réfugié. À cet égard, l'État partie se réfère à la déclaration du Comité en date du 22 novembre 2001, dans laquelle ce dernier a exprimé l'espoir que la riposte à la menace du terrorisme international adoptée par les États parties serait conforme aux obligations qu'ils ont contractées en vertu de la Convention.

4.5 En ce qui concerne le cas d'espèce, l'État partie expose en détail les informations recueillies par ses services de sécurité qui l'ont conduit à considérer que M. A. posait une grave menace à la sécurité. À la demande de l'État partie, ces informations ont été transmises au conseil de la requérante dans le cadre de la procédure confidentielle prévue par l'article 22 de la présente Convention mais ne sont pas reproduites dans la présente décision qui sera rendue publique.

4.6 L'État partie fait observer que le 12 décembre 2002, après le renvoi de l'affaire au Gouvernement par le Conseil des migrations et la Commission de recours des étrangers, un secrétaire d'État du Ministère des affaires étrangères a rencontré un représentant du Gouvernement égyptien au Caire (Égypte). À la demande de l'État partie et avec l'accord du Comité, aucune information sur l'identité de l'interlocuteur n'est fournie dans le texte de la présente décision. Étant donné que l'État partie envisageait de ne pas assurer à M. A. la protection prévue par la Convention relative au statut des réfugiés, le but de cette visite était de déterminer s'il était possible, sans violer les obligations internationales de la Suède, y compris celles qui découlent de la Convention, de renvoyer M. A. et sa famille en Égypte. Après avoir examiné plusieurs options, notamment la possibilité de demander aux autorités égyptiennes des assurances quant au traitement qui leur serait réservé, le Gouvernement de l'État partie a conclu qu'il était à la fois possible et judicieux de demander si l'on pouvait lui donner des garanties que M. A. et sa famille seraient traités conformément au droit international à leur retour en Égypte. À défaut de telles garanties, ce retour ne serait pas envisageable. Le 13 décembre 2002, les garanties requises ont été données par l'interlocuteur officiel susmentionné.

4.7 L'État partie expose ensuite en détail les raisons pour lesquelles il a rejeté, le 18 décembre 2001, la demande d'asile de M. A. et de la requérante. Ces raisons ne figurent pas dans le texte de la présente décision à la demande de l'État partie et avec l'accord du Comité.

4.8 En réponse à la demande d'information du Comité sur le lieu où se trouvait M. A. et ses conditions de détention (voir par. 1.2 ci-dessus), l'État partie indique qu'il est actuellement incarcéré à la prison de Tora, au Caire, en détention provisoire en attendant un nouveau procès dont les préparatifs sont en cours. Il s'agirait d'un établissement d'assez haut niveau où il occuperait une cellule du type de celles qui sont normalement réservées aux personnes condamnées pour des infractions commises sans recours à la violence. Conformément à l'accord conclu avec les autorités égyptiennes, l'Ambassadeur de Suède en Égypte a rencontré M. A. le 23 janvier 2002 dans le bureau du directeur de la prison. Il n'avait ni menottes ni chaînes aux pieds. Il portait des vêtements ordinaires et avait les cheveux et la barbe taillés de près. Il semblait bien nourri et ne présentait pas de signes extérieurs de violence physique. Il n'avait, semble-t-il, aucune hésitation à parler librement et a dit à l'Ambassadeur qu'il n'avait pas à se plaindre de la façon dont il était traité en prison. En réponse à la question de savoir s'il avait subi des sévices, M. A. n'a fait aucune allégation en ce sens. Lorsqu'on lui a dit que les garanties données par les autorités égyptiennes excluaient qu'il puisse être condamné à mort ou exécuté, il a été visiblement soulagé.

4.9 Le 10 février 2002, la radio nationale suédoise a rendu compte d'une visite de l'un de ses correspondants à M. A. dans le bureau d'un haut responsable de la prison de Tora. Il était vêtu d'une veste et d'un pantalon bleu foncé et ne portait pas de traces visibles de mauvais traitements physiques. Il avait bien quelques problèmes à se déplacer mais il mettait cela sur le compte d'un mal de dos ancien. Il s'est plaint de ne pas être autorisé à lire, de ne pas avoir de radio et de ne pas avoir la permission de faire de l'exercice.

4.10 Le 7 mars 2002, l'Ambassadeur de Suède a de nouveau rendu visite à M. A. à la prison de Tora. Rien dans son apparence n'indiquait qu'il ait pu être soumis à la torture. Il a expliqué que son mal de dos le gênait considérablement et qu'on lui avait donné des médicaments pour le dos et pour un ulcère à l'estomac. Il avait récemment déposé une demande de transfert dans un hôpital de façon à être mieux soigné et espérait qu'elle serait accordée. À la demande de l'Ambassadeur, il a ôté sa chemise et son maillot de corps et s'est retourné; il ne portait pas de traces de torture.

4.11 S'agissant de l'application de la Convention, l'État partie rappelle la jurisprudence constante du Comité selon laquelle un particulier doit montrer que le risque de torture est prévisible et encouru personnellement et réellement. L'existence d'un tel risque ne doit pas reposer sur de simples supputations ou soupçons et il n'est pas nécessaire qu'il soit hautement probable. Pour l'évaluation d'un tel risque, qui est prévue dans le droit suédois, les assurances données par le Gouvernement égyptien revêtent une grande importance. En l'absence de jurisprudence du Comité sur l'effet de telles assurances, l'État partie se réfère aux décisions pertinentes rendues par les organes européens en vertu de la Convention européenne des droits de l'homme.

4.12 Dans l'affaire Aylor-Davis c. France (décision du 20 janvier 1994), il a été estimé que les garanties obtenues du pays de destination, les États-Unis, écartaient le risque d'une condamnation à mort de la requérante. La peine de mort ne pouvait être infligée que si elle était effectivement requise par le procureur. Par contre, dans l'affaire Chahal c. Royaume-Uni (arrêt du 15 novembre 1996), la Cour n'a pas été persuadée que les assurances données par le Gouvernement indien qu'un séparatiste sikh «jouir[ait] de la même protection juridique que tout autre citoyen indien et qu'il n'a[vait] aucune raison de craindre de se voir infliger des mauvais traitements d'aucune sorte par les autorités indiennes» offriraient une garantie suffisante de sécurité. Sans mettre en doute la bonne foi du Gouvernement indien, la Cour a relevé que malgré les efforts de réforme déployés notamment par le Gouvernement indien et les tribunaux, les violations des droits de l'homme commises par des membres des forces de sécurité au Penjab et ailleurs en Inde continuaient de poser un problème tenace. La jurisprudence donne à penser par conséquent que des garanties peuvent être acceptées lorsqu'on pense que les autorités du pays de destination maîtrisent la situation.

4.13 Selon ce critère, le cas d'espèce ressemble davantage à l'affaire Aylor-Davis. Les garanties ont été données par un haut représentant du Gouvernement égyptien. L'État partie fait observer que pour être suivies d'effet, les assurances doivent être données par quelqu'un censé être en mesure de veiller à ce qu'elles soient appliquées comme c'est, selon l'État partie, le cas en l'espèce. De plus, lors de la rencontre de décembre entre le Secrétaire d'État suédois et le représentant du Gouvernement égyptien, il a été indiqué clairement à ce dernier quels étaient les enjeux pour la Suède: l'article 3 ayant un caractère absolu, on a expliqué longuement pourquoi il fallait que les garanties soient effectives. Le Secrétaire d'État a réaffirmé qu'il était important pour la Suède de respecter ses obligations internationales, y compris la Convention, et que de ce fait des conditions précises devaient être remplies pour qu'une expulsion soit possible. Il était donc nécessaire d'obtenir des garanties écrites que M. A. bénéficierait d'un procès équitable, qu'il ne serait pas soumis à la torture ou à d'autres traitements inhumains et qu'il ne serait pas condamné à mort ni exécuté. Le procès serait suivi par l'ambassade de Suède au Caire et M. A. devrait pouvoir recevoir régulièrement des visites, même après avoir été condamné. En outre, sa famille ne devait pas être l'objet de mesures de harcèlement sous quelque forme que ce soit. Il a été précisé que la Suède se trouvait dans une position difficile et que le fait pour l'Égypte de ne pas respecter les garanties données auraient des conséquences importantes dans l'avenir pour d'autres affaires concernant l'Europe.

4.14 L'État partie donne des indications détaillées sur ces garanties, indications qui ne figurent pas dans le texte de la décision à la demande de l'État partie et avec l'accord du Comité. L'État partie fait observer que les garanties en question sont nettement plus importantes que celles qui ont été données dans l'affaire Chahal et sont formulées de manière beaucoup plus ferme et en termes positifs. L'État partie souligne également que l'Égypte est partie à la Convention, que l'interdiction de la torture est énoncée dans la Constitution égyptienne et que le fait de commettre ou d'ordonner de commettre des actes de torture constitue une infraction majeure en droit pénal égyptien.

4.15 L'État partie note que la requérante craint d'être soumise à un traitement interdit par la Convention parce qu'elle est l'épouse de M. A. Elle ne dit pas à titre personnel qu'elle exerce une activité politique ni qu'elle a été mise en détention ou maltraitée en Égypte. De ce fait et compte tenu des assurances données, il a été décidé qu'elle ne répondait pas aux conditions requises pour obtenir le statut de réfugié. Toutefois, étant donné ses liens étroits avec M. A., et la situation générale en Égypte, on peut considérer qu'elle a besoin de la protection que lui assurent les garanties obtenues. Pour évaluer les perspectives de respect de ces garanties, il est naturellement intéressant de savoir dans quelle mesure les garanties correspondantes données à propos de M. A. ont été respectées et au vu de ce qui s'est passé dans le cas de celui-ci, on peut supposer que les garanties seront aussi effectivement respectées en ce qui concerne la requérante. L'État partie fait observer à cet égard que les cas de M. A. et de la requérante ont bénéficié d'une large attention sur le plan international de même qu'en Suède. On peut considérer que, le sachant, les autorités égyptiennes seront suffisamment avisées pour faire en sorte que la requérante ne subisse pas de mauvais traitements.

4.16 L'État partie conclut qu'il a agi dans cette affaire en pleine conformité avec ses obligations internationales en vertu des instruments relatifs aux droits de l'homme, y compris de la Convention, tout en respectant ses engagements au titre de la résolution 1373 (2001) du Conseil de sécurité. La requérante n'a pas, en l'espèce, démontré qu'il existait des motifs sérieux de croire qu'elle risquait d'être torturée si elle retournait en Égypte et son expulsion ne constituerait donc pas une violation de la Convention.


Commentaires de la requérante sur les observations de l'État partie


5.1 Par une lettre datée du 20 janvier 2003, la requérante a répondu aux observations de l'État partie. Elle affirme que M. A. n'était impliqué dans aucune activité terroriste et que la résolution 1373 (2001) n'est donc pas applicable; de toute façon elle ne pouvait supplanter d'autres obligations internationales telles que celles qui découlent de la Convention. Au Pakistan, il avait été engagé par le Croissant-Rouge koweïtien pour des missions humanitaires et, en Iran, il avait fait des études sur l'islam à l'université de façon à obtenir une bourse et à subvenir ainsi aux besoins de sa famille. Elle conteste ensuite certains aspects des informations de la Branche spéciale de la police suédoise concernant les activités présumées de M. A.

5.2 D'après la requérante, le rapport de la Branche spéciale de la police suédoise ne prouvait pas que M. A. avait participé à des actes terroristes. En tout état de cause, rien n'indiquait qu'il avait commis de tels actes en Suède. Leur conseil n'avait pu prendre connaissance de ce rapport puisque tout le texte, à part la phrase d'introduction et la conclusion selon laquelle il constituait une menace pour la sécurité nationale, avait été masqué et qu'il était donc très difficile d'en réfuter les conclusions. De même, la décision du 18 décembre 2001 rejetant la demande d'asile et ordonnant l'expulsion, décision qui avait été exécutée le jour même dans le cas de M. A. et n'était parvenue à la requérante que le lendemain, ne contenait aucun détail sur les informations recueillies par la Branche spéciale de la police.

5.3 S'agissant des assurances données par les autorités égyptiennes, la requérante soutient qu'elles ne sont pas suffisamment explicites et qu'on ne sait pas dans quelle mesure les Égyptiens ont fait en sorte qu'elles soient respectées compte tenu en particulier du fait qu'elles ont été données le lendemain du jour où elles ont été demandées. La requérante fait observer que la Suède n'a pas exigé des autorités égyptiennes qu'elles lui indiquent comment serait traité M. A. à son arrivée et par la suite ni qu'elles lui donnent l'assurance que des visites régulières d'inspection pourraient avoir lieu. La requérante fait observer par ailleurs que même si la torture est interdite par la Constitution et la loi, dans la pratique, les organes de sécurité y ont fréquemment recours.

5.4 Quant au journaliste de la radio qui a rendu visite à M. A., il a informé le conseil de la requérante qu'il avait demandé à M. A. s'il avait été torturé et que ce dernier avait dit qu'il ne pouvait pas répondre. Selon le conseil, on peut donc supposer qu'il l'avait été et qu'il a pu le faire comprendre au journaliste alors qu'il avait l'impression que ce n'était pas possible avec l'Ambassadeur. De plus, le conseil de M. A. en Égypte serait d'avis qu'il a été torturé.

5.5 La requérante conteste l'interprétation faite par l'État partie de la jurisprudence des organes européens. Elle estime que son cas ressemble davantage à l'affaire Chahal dans laquelle les garanties offertes par l'Inde n'ont pas été jugées suffisantes. Contrairement à l'Égypte, l'Inde est un État démocratique doté d'un système judiciaire efficace. Les organes de sécurité font l'objet d'un contrôle général et le risque de torture est limité au Penjab, une petite région. En revanche, en Égypte, la torture est très répandue et pratiquée par de nombreux organes, en particulier par les services de sécurité. Si les garanties données par les autorités indiennes étaient insuffisantes, il en est a fortiori de même de celles des Égyptiens. En outre, selon la requérante, la position et les responsabilités du représentant qui a donné les assurances, amoindrit leur valeur. La requérante pense aussi que les assurances données par le Gouvernement égyptien sont comparables à celles fournies dans l'affaire chahal et non pas plus importantes.

5.6 En ce qui concerne l'effet prophylactique de la publicité donnée à cette affaire, la requérante fait observer que cette médiatisation ne semble pas avoir entraîné une amélioration de la situation de M. A. et que de toute façon on ne sait pas très bien combien de temps peut durer un tel effet. On ne peut donc guère compter sur ce facteur pour protéger la requérante.

5.7 La requérante en conclut que les garanties égyptiennes sont insuffisantes et inappropriées au vu de l'expérience de M. A. et de la surveillance exercée dans son cas ainsi que de la réalité des pratiques des services de sécurité égyptiens. Elle a toujours des motifs sérieux de croire qu'en sa qualité d'épouse d'un terroriste présumé, elle risquerait d'être soumise à la torture en Égypte, et ce dans le but d'obtenir des informations sur M. A. ou d'exercer une contrainte sur ce dernier.


Observations supplémentaires des parties

6.1 Dans des observations supplémentaires datées du 27 septembre 2002, l'État partie a mis le Comité au courant de l'évolution de la situation de M. A. Après les deux visites déjà mentionnées, l'Ambassadeur de Suède lui a de nouveau rendu visite les 14 avril, 27 mai, 24 juin, 22 juillet et 9 septembre 2002, soit une fois par mois en principe. Lors de la troisième visite en avril, M. A. était correctement habillé et semblait aller bien compte tenu des circonstances. Il n'avait pas de difficultés à se déplacer et ne semblait pas avoir maigri. Lorsqu'on lui a demandé si les autorités égyptiennes avaient manqué à leur parole et si on l'avait maltraité, il s'est d'abord montré évasif, affirmant que son seul problème était l'absence d'informations concernant la réouverture de son procès. À une nouvelle question sur la façon dont il avait été traité, il a répondu qu'il n'avait pas subi de violences physiques ni été maltraité de toute autre façon. Il s'est seulement plaint de problèmes de sommeil dus à son mal de dos. Un médecin l'avait vu la veille et promis de lui faire passer un examen complet. Lorsqu'on lui a finalement demandé si l'atmosphère amicale dans laquelle se déroulait la visite était la preuve qu'il allait bien et qu'il était bien traité, il a fait signe que oui de la tête.

6.2 La quatrième visite de l'Ambassadeur de Suède, en mai, s'est déroulée dans des conditions analogues à celles de la précédente; M. A. avait l'air d'aller bien et d'être en bonne santé. Il a dit au personnel de l'ambassade qu'on l'avait soigné pour une infection rénale. Ses problèmes de dos s'étaient apparemment améliorés et on lui avait promis de lui faire passer une radio. Il s'est plaint des conditions générales de détention, notamment de l'absence de lit digne de ce nom et de toilettes dans sa cellule. Des membres de sa famille pourraient bientôt lui rendre visite.

6.3 Lors de la cinquième visite en juin, cette fois encore de l'Ambassadeur de Suède, M. A. avait l'air d'aller bien et pouvait se déplacer sans difficultés. Il ne semblait pas avoir maigri. Aucune nouvelle information n'a été donnée concernant son état de santé. Il a de nouveau évoqué ses problèmes de dos et le fait qu'on avait promis de le soigner. Des membres de sa famille étaient venus le voir la veille et il avait été convenu qu'il recevrait régulièrement des visites de sa famille et de son conseil tous les 15 jours. Il était conscient des tâches de l'ambassade et semblait apprécier les visites. Il comprenait ce que l'ambassade voulait savoir et il a répondu de manière simple et directe aux questions de l'Ambassadeur. Au moment du départ, on l'a vu discuter, semble-t-il, de manière décontractée avec deux surveillants.

6.4 Lors de la sixième visite de l'Ambassadeur, en juillet, M. A. avait l'air d'aller bien; il était bien habillé et n'avait pas de difficultés à se déplacer. L'atmosphère était décontractée, les conditions de détention n'avaient apparemment pas changé. On n'a rien appris de nouveau sur son état de santé et les soins reçus. Il a dit qu'il n'était pas maltraité et qu'il attendait une visite de sa famille un peu plus tard dans la journée. La septième visite, en septembre, cette fois encore avec l'Ambassadeur, s'est à nouveau déroulée dans une atmosphère décontractée. L'état de santé de M. A. n'avait pas changé; il avait passé une radio au début du mois et en attendait les résultats. Les conditions de détention étaient toujours les mêmes. Il avait pu recevoir des visites de sa famille tous les 15 jours. Il avait été interrogé un mois auparavant mais n'avait rien appris de nouveau au sujet de la réouverture de son procès.

7.1 Le 22 octobre 2002, la requérante a répondu aux observations supplémentaires de l'État partie. Le 23 janvier 2002, ses beaux-parents avaient rendu visite à M. A. à la prison de Tora, en compagnie d'un avocat égyptien. Sa belle-mère affirme qu'il marchait avec difficulté et était soutenu par un surveillant. Il paraissait pâle, faible, apparemment en état de choc et prêt à s'effondrer. Il aurait eu les yeux, les joues et les pieds enflés, et le nez plus gros que d'habitude et ensanglanté. Il a dit qu'il avait été attaché et suspendu la tête en bas durant son transport à la prison puis qu'il avait eu les yeux constamment bandés et qu'on l'avait soumis à des méthodes d'interrogatoire sophistiquées, lui administrant notamment des décharges électriques. On lui avait dit que les garanties données au Gouvernement suédois n'avaient aucune valeur. Cette visite aurait été alors interrompue par l'arrivée de l'Ambassadeur de Suède.

7.2 Les parents de M. A. ont rendu publics ses propos. Ils ont poursuivi en vain leurs efforts pour le voir et ont été informés que cela dépendrait de leur comportement. Le 16 avril, quasiment sans préavis, ils lui ont à nouveau rendu visite en prison. Il aurait dit à voix basse à sa mère qu'on lui avait de nouveau administré des décharges électriques après la visite du mois de janvier et qu'il avait été placé à l'isolement pendant environ 10 jours. Il avait les bras et les jambes attachés derrière le dos et il ne pouvait pas se soulager. Il a dit qu'il avait parlé à l'Ambassadeur de Suède de la torture et que des responsables de la prison l'avaient engagé à refuser toute nouvelle visite de l'Ambassadeur. Il a déclaré que certains d'entre eux lui avaient dit que sa femme serait bientôt de retour et avaient menacé de lui faire subir des violences sexuelles ainsi qu'à sa mère. Il avait été maintenu à l'isolement dans une cellule de 2 m2, sans fenêtre, ni chauffage ni lumière, et lorsqu'il n'était pas attaché, il ne pouvait aller aux toilettes qu'une fois par jour, ce qui lui avait provoqué des problèmes rénaux.

7.3 À partir du mois d'avril, ses parents ont pu lui rendre visite tous les mois, et à partir de juillet tous les 15 jours, dans un lieu différent de celui où l'Ambassadeur l'avait rencontré. À plusieurs reprises, d'autres visites ont été refusées pour diverses raisons. On aurait engagé les parents à ne pas dévoiler d'informations sur M. A. et à encourager la requérante à revenir en Égypte. Les parents ne pouvaient apparemment pas fournir davantage d'informations de peur que M. A. ne subisse des représailles.

7.4 Tout en reconnaissant qu'il y a des contradictions entre les comptes rendus des visites faits par l'État partie et ceux faits par les parents, la requérante fait observer qu'ils concordent sur certains points, par exemple pour ce qui est des conditions de détention et du caractère un peu évasif des réponses de M. A. Forcément, les contacts diplomatiques sont formels et il est normal que M. A. hésite à révéler certaines choses à portée de voix des surveillants pour risquer ensuite d'en subir les conséquences. Selon les normes internationales, en pareille situation, l'entretien avec un détenu doit se dérouler en privé et sans surveillance et un membre qualifié de la profession médicale doit pouvoir examiner un détenu en cas de soupçon de torture. Le fait que ces normes n'ont pas été respectées amoindrit la valeur des observations de l'État partie. D'après la requérante, les représentants diplomatiques de l'État partie ne sont pas médicalement qualifiés pour détecter des signes de torture et ils risquent d'interpréter ce qu'ils voient dans un sens favorable à leur Gouvernement. Par contre, les parents connaissent bien mieux la manière d'être de leur fils qui peut leur parler à voix basse hors de portée de voix des surveillants. Quant au correspondant de la radio suédoise, il n'a pu voir que le visage et les mains de M. A. Quoi qu'il en soit, celui-ci s'est plaint de douleurs dans le dos et se déplaçait avec difficulté et n'a fait aucun commentaire lorsqu'on lui a demandé directement s'il avait été torturé.

7.5 En conséquence, la requérante affirme que l'État partie ne s'est pas acquitté de la responsabilité qui lui incombe d'apporter la preuve que M. A. n'a pas été torturé. En clair, l'intérêt des organes de sécurité de l'État à obtenir des informations, au besoin par la torture, l'emporte sur l'intérêt plus large en matière de politique étrangère à respecter leurs engagements internationaux. Étant donné que M. A. fait toujours l'objet d'une enquête, semble-t-il en rapport avec des attentats contre l'ambassade d'Égypte à Islamabad (Pakistan) en 1995 et contre un car de touristes à Louxor (Égypte) en 1997, il est probable, selon elle, qu'on l'arrêtera, qu'on l'interrogera et qu'on la torturera dans le but de lui soutirer des informations ou d'inciter son mari à coopérer avec les enquêteurs.

8.1 Le 29 janvier 2003, la requérante a produit une note d'information datée de janvier 2003 émanant d'Amnesty International, dans laquelle cette organisation émettait l'avis que la requérante risquerait d'être torturée en cas de renvoi, et que les garanties fournies n'étaient pas effectives. Amnesty International mentionne également le cas de proches parents d'autres prisonniers politiques qui auraient été arrêtés et soumis à des mauvais traitements. La requérante se réfère également à un avis personnel de Thomas Hammarberg, Secrétaire général du Centre international Olof Palme, qui a estimé que le suivi de la situation de M. A. posait des problèmes.

9.1 Le 26 mars 2003, l'État partie a donné des informations actualisées sur les contacts qu'il avait eus avec M. A. depuis ses précédentes observations. Après septembre 2002, l'ambassade de Suède avait continué à suivre sa situation, lui rendant visite en novembre 2002, janvier 2003 et mars 2003. Lors de la huitième visite de l'Ambassadeur et d'autres membres de l'ambassade, le 4 novembre 2002, M. A. n'avait pas de difficultés à se déplacer et donnait l'impression d'être en bonne santé, et il avait indiqué qu'on lui avait fait passer un examen du dos, ce matin-là. Il devait être examiné un peu plus tard par un spécialiste. D'après lui, il avait pu recevoir davantage de soins à la suite des visites de l'Ambassadeur. Il a confirmé qu'il n'avait pas été soumis à de mauvais traitements physiques, se plaignant simplement d'être détenu dans un quartier de la prison réservé aux prévenus alors qu'il était condamné. Il n'avait reçu aucune information concernant la réouverture de son procès. À l'issue de l'entretien, l'Ambassadeur a conclu que rien n'indiquait que les autorités égyptiennes n'aient pas tenu leur promesse tout en admettant que la détention était psychologiquement éprouvante.

9.2 La neuvième visite de l'Ambassadeur et de ses collaborateurs a eu lieu le 19 janvier 2003. M. A. avait l'air d'aller bien et avait dans la mesure du possible observé le ramadan. Depuis le mois de décembre il n'était plus séparé des autres détenus. Ces derniers pouvaient circuler assez librement dans la journée et étaient enfermés dans leur cellule à partir de 16 heures jusqu'à 8 heures du matin. Il appréciait de pouvoir aller et venir dans la cour de la prison. Bien que sa cellule soit surpeuplée la nuit, sa situation s'était généralement améliorée. D'autres examens du dos avaient été prévus à l'hôpital de la prison. Aucune autre information n'avait été donnée concernant la réouverture de son procès et son avocat ne lui avait rendu visite qu'une seule fois. En revanche, sa famille venait le voir tous les 15 jours. L'Ambassadeur a trouvé qu'il était plus ouvert et plus détendu. Il semblait très tourmenté par l'incertitude concernant la réouverture future de son procès et une nouvelle condamnation.

9.3 La dixième visite, cette fois d'un haut fonctionnaire du Ministère des affaires étrangères de Stockholm ainsi que de l'Ambassadeur et de membres du personnel de l'ambassade, a eu lieu le 5 mars 2003; elle a duré une heure et s'est déroulée dans une atmosphère détendue. Le directeur de la prison a informé les visiteurs que M. A. était détenu dans le quartier de la prison réservé aux condamnés à des peines de 3 à 25 ans d'emprisonnement. M. A. paraissait content de recevoir une nouvelle visite. Il avait l'air d'aller bien et de pouvoir se déplacer sans problèmes. Il a dit qu'il avait été transféré en janvier 2003 à cause de ses problèmes de santé et qu'on lui avait fait passer un examen (IRM) du dos. Étant pharmacien, il pouvait s'administrer lui-même ses médicaments. Il a dit qu'il était traité comme les autres détenus. En ce qui concerne sa représentation en justice, il avait pris un nouvel avocat qui cherchait à lui obtenir une remise de peine.

9.4 L'État partie décrit ensuite certaines allégations formulées par M. A. et les mesures qu'il a prises en guise de réponse et invite le Comité à tirer une série de conclusions des faits décrétés. À la demande de l'État partie et avec l'accord du Comité, les détails fournis à ce sujet ne sont pas reproduits dans le texte de la présente décision.

9.5 À propos de cette affaire, l'État partie appelle l'attention du Comité sur le rapport intérimaire (2) sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants soumis par le Rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme, en application de la résolution 56/143 de l'Assemblée générale en date du 19 décembre 2001. Dans ce rapport, le Rapporteur spécial a demandé à tous les États «de veiller à ce qu'en aucun cas les personnes qu'ils ont l'intention d'extrader, pour qu'elles répondent du chef de terrorisme ou d'autres chefs, ne soient livrées, à moins que le gouvernement du pays qui les reçoit ne garantisse de manière non équivoque aux autorités qui extradent les intéressés que ceux-ci ne seront pas soumis à la torture ou à aucune autre forme de mauvais traitement lors de leur retour et qu'un dispositif a été mis en place afin de s'assurer qu'ils sont traités dans le plein respect de la dignité humaine» (par. 35). L'État partie affirme, à la lumière des informations présentées, qu'il a agi conformément aux recommandations du Rapporteur spécial. Avant de décider d'expulser M. A., des garanties ont été obtenues de la personne la mieux placée au sein de l'administration égyptienne pour faire en sorte qu'elles soient respectées. Les garanties fournies correspondent sur le fond aux conditions énoncées par le Rapporteur spécial. En outre, un mécanisme de contrôle a été mis en place et fonctionne depuis plus d'un an.

9.6 L'État partie conclut que les garanties concernant M. A. ayant été respectées, on peut supposer que les assurances données à propos de la requérante protégeront cette dernière contre le risque de torture de la part des autorités égyptiennes. La requérante n'a donc pas étayé l'argument selon lequel il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risquerait d'être soumise à la torture en cas de renvoi en Égypte. Par conséquent, l'exécution de la décision d'expulsion ne constituerait pas dans les circonstances actuelles une violation de l'article 3.

10.1 Par une lettre du 23 avril 2003, la requérante, tout en reconnaissant que les visites évoquées ont bien eu lieu, soutient que la conclusion selon laquelle M. A. est bien traité n'est pas justifiée étant donné que les modalités de contrôle de sa situation n'ont pas été conformes aux normes internationales généralement acceptées. En particulier, les visites ne se sont pas déroulées en privé et il n'a été procédé à aucun examen médical; on pouvait donc s'attendre à ce qu'il hésite à s'exprimer librement. M. A. aurait dit à sa mère qu'en janvier 2003 il avait compris que les mauvais traitements continueraient, qu'il essaie ou non de le cacher, c'est pourquoi il en avait parlé. D'après la requérante, cet incident montre aussi que les parents de M. A. n'ont rien exagéré et que ce qu'ils ont dit reflète bien ses conditions réelles de détention. À l'appui de ces affirmations, la requérante se réfère aux questions soulevées par l'État partie au paragraphe 9.4 ci-dessus.

10.2 La requérante dit qu'on ne dispose d'aucune information sur le moment où un nouveau procès pourrait finalement avoir lieu. On ne sait toujours pas si les accusations portées contre M. A. peuvent être prouvées dans le cadre d'une action en justice présentant toutes les garanties d'une procédure régulière. De l'avis de la requérante, il n'est pas surprenant que les autorités égyptiennes nient que la torture ait été pratiquée. Mais, selon elle, l'on comprend difficilement pourquoi un détecteur de mensonges a été utilisé si la preuve ainsi obtenue n'est pas admissible devant un tribunal. L'État partie dit que des examens médicaux ont été effectués mais il n'en a pas fourni la preuve et leur objectivité serait contestable.

10.3 En ce qui concerne les garanties non équivoques recommandées par le Rapporteur spécial, la requérante fait valoir que les renseignements qui ont été fournis concernant les mauvais traitements infligés démontrent que ces garanties n'ont pas été suffisantes comme le préconise le Rapporteur spécial. C'est pourquoi, la requérante, qui a des liens étroits avec son mari, a suivi ses activités en exil et y sera donc inévitablement associée, est fondée à croire qu'elle court un risque élevé d'être soumise à la torture. Son renvoi en Égypte constituerait donc une violation de l'article 3 de la Convention.


Délibérations du Comité


11.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité contre la torture doit déterminer si la communication est recevable en vertu de l'article 22 de la Convention. Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l'article 22 de la Convention, que la même question n'a pas fait l'objet d'un examen et n'est pas en cours d'examen devant d'autres instances internationales d'enquête ou de règlement. S'agissant de l'argument de l'État partie selon lequel la plainte n'est pas suffisamment étayée, aux fins de la recevabilité, le Comité estime que la requérante a fourni assez d'éléments pour lui permettre d'examiner la plainte quant au fond. En l'absence d'autres obstacles à la recevabilité de la requête opposés par l'État partie, le Comité procède à l'examen de la communication sur le fond.

12.1 Le Comité doit déterminer si, en renvoyant la requérante en Égypte, l'État partie manquerait à l'obligation qui lui est faite en vertu de l'article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'il risque d'être soumis à la torture. Pour ce faire, le Comité rappelle sa pratique constante consistant à se prononcer sur cette question telle qu'elle se présentait au moment où la plainte a été examinée et non pas au moment où elle a été soumise.(3) Il s'ensuit que les faits survenus entre le moment où une communication est soumise et celui où elle est examinée par le Comité peuvent présenter un intérêt et jouer un rôle dans la décision du Comité sur toute question soulevée au titre de l'article 3.

12.2 Le Comité doit déterminer s'il y a des motifs sérieux de croire que la requérante risquerait personnellement d'être soumise à la torture à son retour en Égypte. Cela signifie que le Comité n'a pas à déterminer si l'expulsion de M. A. a constitué une violation par la Suède de ses obligations en vertu de l'article 3 ou de tous autres articles de la Convention et encore moins s'il a subi des tortures aux mains des autorités égyptiennes. Pour évaluer le risque couru par la requérante, le Comité doit tenir compte de tous les éléments pertinents, conformément au paragraphe 2 de l'article 3 de la Convention, y compris l'existence, dans le pays, d'un ensemble systématique de violations graves, flagrantes et massives des droits de l'homme. Le Comité rappelle cependant qu'il s'agit de déterminer si la personne concernée risque personnellement d'être soumise à la torture dans le pays vers lequel elle serait renvoyée. Dès lors, l'existence, dans un pays, d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir qu'une personne risque d'être soumise à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser qu'elle courrait personnellement un tel risque. À l'inverse, l'absence d'un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l'homme ne signifie pas qu'une personne ne peut pas être considérée comme risquant d'être soumise à la torture dans sa situation particulière.

12.3 En l'espèce, le Comité relève que le mari de la requérante, M. A., a été renvoyé en Égypte en décembre 2001, soit près de deux ans avant que le Comité examine l'affaire. Le Comité note que sa détention a depuis fait l'objet d'une surveillance grâce aux visites régulières de l'Ambassadeur, du personnel de l'ambassade et de représentants de rang élevé de l'État partie ainsi que de la famille de M. A., qu'il aurait été mieux soigné et que ses conditions de détention se seraient améliorées. Le Comité relève que la requérante fonde son allégation uniquement sur sa relation avec son époux et soutient qu'elle risque d'être torturée du fait de ce lien. Le Comité rappelle à cet égard une de ses décisions antérieures par laquelle il a rejeté des allégations faisant état d'un risque d'être torturé en raison de liens de parenté avec la direction d'une organisation terroriste présumée – en soi, ces liens familiaux sont généralement insuffisants pour fonder une plainte au titre de l'article 3.(4) Au vu du temps écoulé, le Comité juge aussi satisfaisantes les garanties données contre tout traitement abusif (5), garanties qui couvrent aussi la requérante et dont les autorités de l'État partie vérifient régulièrement le respect sur place. Il est aussi utile de noter aux fins de l'examen de cette affaire par le Comité que l'Égypte, qui est partie à la Convention, a l'obligation de traiter convenablement les détenus relevant de sa juridiction et que tout manquement à cette obligation constituerait une violation de la Convention. Compte tenu des considérations qui précèdent, le Comité estime qu'il n'existe pas actuellement pour la requérante de risque sérieux d'être personnellement torturée si elle retournait en Égypte.

13. Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, estime que la requérante n'a pas étayé ses craintes d'être soumise à la torture si elle retournait en Égypte et conclut en conséquence que le renvoi de la requérante dans ce pays à l'heure actuelle ne constituerait pas une violation par l'État partie de l'article 3 de la Convention.



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[Adopté en anglais (version originale), en espagnol, en français et en russe. Paraîtra ultérieurement en arabe et en chinois dans le rapport annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]




Notes


1. Voir par exemple, Y. c. Suisse, communication no 18/1994, décision adoptée le 17 novembre 1994.
2. A/57/173, 2 juillet 2002.

3. Voir, par exemple, H. M. H. I. c. Australie, communication no 177/2001, décision adoptée le 1er mai 2002.

4. Voir par exemple M. V. c. Pays-Bas, communication no 201/2002, décision adoptée le 30 mai 2003.

5. Le Comité contre la torture a pris connaissance des dispositions des garanties fournies et les a examinées.



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