University of Minnesota


P.R. (nom supprimé) c. Espagne, Communication No. 160/2000, U.N. Doc. CAT/C/25/D/160/2000 (2001).


Présentée par : P. R. (nom supprimé) (représenté par un conseil)

Au nom de : L'auteur


État partie
: Espagne


Date de la communication
: 9 février 2000


Le Comité contre la torture , institué conformément à l'article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,


Réuni le 23 novembre 2000,


Adopte la décision suivante:

 

Décision concernant la recevabilité

1. L'auteur de la communication est M. P. R., de nationalité espagnole, qui se déclare victime de violations par l'Espagne des articles 12 et 13 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par un conseil. Le Comité a porté la communication à l'attention de l'État partie, conformément au paragraphe 3 de l'article 22 de la Convention, le 11 avril 2000.

Rappel des faits présentés par l'auteur

2.1 L'auteur raconte que le 29 octobre 1997, vers 3 heures du matin, alors qu'il se trouvait avec deux compagnons sur la rue Victoria à Murcie, il s'est adressé à deux policiers pour leur demander s'ils connaissaient un établissement ouvert où il pourrait prendre un verre. L'un des policiers ayant répondu que ce n'était pas une heure pour boire, l'auteur s'est tourné vers ses compagnons et a fait un commentaire désobligeant à l'égard du policier. Immédiatement après, les deux policiers se sont jetés sur l'auteur et l'ont frappé à coups de poing et de matraque; ils l'ont fait tomber et ont continué à le rouer de coups. D'autres policiers, que les premiers avaient appelés en renfort, s'étaient également mis à le frapper. Ils lui avaient ensuite passé les menottes de telle façon qu'il en avait ressenti une vive douleur et ils l'avaient conduit au commissariat de police de la rue Correos; il avait été par la suite relâché. L'auteur avait dû recevoir des soins au service des urgences de Molina de Segura pour les coups et blessures subis.


2.2 Le 31 octobre 1997, l'auteur a porté plainte contre les policiers auprès de la juridiction d'instruction no 1, qui était de permanence ce jour-là. Toutefois, la plainte n'a pas donné lieu à une enquête.


2.3 De leur côté, les policiers que l'auteur accusait de l'avoir agressé avaient présenté le jour même, c'est-à-dire le 29 octobre 1997, une plainte contre l'auteur pour outrage à représentant de l'autorité publique. D'après la plainte, à 4 h 55, l'auteur de la communication s'était adressé à eux pour leur demander où il pourrait trouver un bar ouvert. Les policiers lui avaient répondu qu'il n'en trouverait pas à cette heure et l'auteur s'était mis à les insulter. Les policiers lui avaient demandé de présenter ses papiers d'identité mais il avait refusé et avait proféré de nouvelles insultes. Ils avaient alors entrepris de faire monter l'auteur dans le véhicule de police, ce à quoi il avait opposé une résistance; ils l'avaient ensuite conduit au commissariat aux fins d'identification.


2.4 La juridiction d'instruction no 6 de Murcie, saisie de la plainte, a engagé une procédure pour fautes et a convoqué les parties pour un procès oral, le 25 novembre 1997. Au cours de l'audience, l'auteur a fait valoir qu'il avait porté plainte contre les policiers devant la juridiction qui était de permanence. Au vu de cet élément, le juge a suspendu l'audience, et le 27 novembre, a demandé à la juridiction d'instruction no 1 de lui renvoyer la plainte de l'auteur car il se considérait compétent pour l'instruction de cette affaire. Le juge a finalement rendu son jugement le 17 mars 1998. Il a considéré que les expressions employées par l'auteur quand il s'est adressé aux policiers constituaient l'infraction d'outrage léger à représentant de l'autorité et l'a condamné à une amende et au paiement des frais de justice. Le juge précise dans son jugement que l'auteur et les témoins proposés ne se sont pas présentés à l'audience. Il indique en outre dans un paragraphe du jugement que l'auteur a porté plainte pour avoir été agressé alors qu'il était conduit au commissariat de police. Or, dans un autre paragraphe, le juge indique que, étant donné que ni le procureur ni l'auteur ou son représentant n'a formulé d'accusation pendant l'audience et qu'aucune preuve n'a été apportée à l'appui de la plainte, il convient d'acquitter les policiers.


2.5 L'auteur a fait appel de cette décision auprès de l' Audiencia Provincial , le 21 avril 1998; il demandait l'annulation du jugement et l'ouverture d'une enquête sur les faits qu'il avait dénoncés auprès de la juridiction d'instruction de permanence, considérant que ces faits pouvaient tomber sous le coup des articles 173 à 177 du Code pénal et être qualifiés de «tortures et autres délits contre l'intégrité morale». L'auteur avait fait valoir que, dans le cadre de l'enquête, il aurait fallu ouvrir une enquête préliminaire et entendre les déclarations des policiers, de la victime et des témoins. Il avait également fait valoir que l'infraction dont il avait été reconnu coupable aurait dû être jugée conjointement avec les faits que lui-même avait dénoncés, lesquels n'étaient à aucun titre susceptibles de faire l'objet de la procédure pour fautes. Enfin, il avait fait valoir que la non-ouverture d'une enquête était incompatible avec l'article 12 de la Convention.


2.6 L' Audiencia Provincial a débouté l'auteur le 17 juin 1998. Dans son jugement, cette juridiction d'appel indique que, lors de l'audience du 25 novembre 1997, l'avocat qui représentait l'auteur s'est limité à demander que la plainte formulée par son client soit jointe à celle qui faisait l'objet de la procédure, ce que le juge avait accepté puisqu'il avait suspendu l'audience et avait fixé une nouvelle date. L'auteur ne s'était pas présenté à la nouvelle audience, sans le moindre motif. Étant donné qu'il n'avait pas défendu sa cause quand il le devait, le juge n'avait pas d'autre possibilité que de la déclarer non fondée, étant donné l'absence de preuve à charge. Dans son jugement, le juge conclut que c'est l'inaction de la partie qui a mis fin à la procédure judiciaire.


2.7 L'auteur réfute les arguments du juge. Il affirme qu'il s'est bien présenté à l'audience, avec seulement quelques minutes de retard vu que les faits pour lesquels il avait porté plainte présentaient des éléments constitutifs d'une infraction pénale (il avait formulé une plainte et présenté des preuves), ils auraient dû faire l'objet d'une enquête d'office, même si aucune des parties ne les avaient invoqués à l'audience.


2.8 Le 3 juillet 1998, l'auteur a formé un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel en invoquant une violation des dispositions suivantes: l'article 15 de la Constitution (droit à l'intégrité physique) et les articles correspondants de la Convention; l'article 24 de la Constitution qui garantit le droit à un procès équitable, étant donné que les faits dénoncés dans la plainte ne pouvaient pas être jugés selon une procédure pour fautes mais auraient dû l'être selon la procédure pénale ordinaire parce qu'il s'agissait d'un délit dont le juge d'instruction n'aurait pas dû se saisir. D'après l'auteur, l'article 24 de la Constitution a également été violé car il garantit le droit à un jugement contradictoire; en effet, bien que dans son arrêt l' Audiencia Provincial eût indiqué que le ministère public s'était opposé au recours et avait demandé la confirmation du jugement frappé d'appel, l'auteur n'avait jamais été informé de l'opposition du procureur, ce qui l'avait privé de la possibilité de la contester. L'auteur invoque aussi la jurisprudence du Comité contre la torture en ce qui concerne l'article 13 de la Convention L'auteur cite un extrait de la décision du Comité dans la communication no 59/1996 ( Blanco Abad c. Espagne ) qui dispose au paragraphe 8.6: «Le Comité note que l'article 13 de la Convention n'exige pas qu'une plainte pour torture soit présentée en bonne et due forme selon la procédure prévue dans la législation interne et ne demande pas non plus une déclaration expresse de la volonté d'exercer l'action pénale; il suffit que la victime se manifeste, simplement, et porte les faits à la connaissance d'une autorité de l'État pour que naisse pour celui-ci l'obligation de la considérer comme une expression tacite mais sans équivoque de son désir d'obtenir l'ouverture d'une enquête immédiate et impartiale, comme le prescrit cette disposition de la Convention». Voir A/53/44, rapport du Comité contre la torture, Documents officiels de l'Assemblée générale, cinquante-troisième session ..


2.9 Le Tribunal constitutionnel a rejeté le recours par un arrêt en date du 19 janvier 2000, en faisant valoir entre autres motifs que du point de vue constitutionnel, aucun des jugements attaqués n'était vicié. Il a ajouté que la façon dont l'auteur avait agi dans la procédure avait été déterminante pour les juges qui avaient statué puisqu'il s'était limité à demander que sa plainte contre les agents de la police locale soit jointe à celle qui faisait l'objet du procès oral, mais sans formuler d'accusation contre eux. En conséquence, l'allégation de l'auteur qui se plaignait d'une violation du droit à l'intégrité physique était dénuée de tout fondement.


Teneur de la plainte


3.1 L'auteur affirme que les faits exposés représentent une violation de la part de l'Espagne de l'article 12 de la Convention parce que, bien qu'il y eût des motifs raisonnables de croire qu'un acte de torture ou de mauvais traitement avait été commis, les autorités judiciaires n'avaient pas procédé immédiatement à une enquête impartiale. L'auteur ni le témoin pas plus que le médecin qui avait constaté les lésions corporelles n'avait été interrogé. La procédure prévue par la législation espagnole pour le délit de torture n'avait pas non plus été observée.


3.2 L'auteur ne partage pas l'avis des autorités judiciaires qui affirment que c'est son inaction qui a mis fin à la procédure. Il considère qu'il y a eu violation de l'article 13 de la Convention, conformément auquel une simple déclaration de la victime portant les faits à la connaissance d'une autorité est suffisante. L'article 13 n'exige pas une plainte en bonne et due forme (qui en l'espèce a bien existé) ni n'exige de déclaration expresse de volonté d'exercer l'action pénale en cas de délit.


Observations de l'État partie concernant la recevabilité


4. Dans sa réponse du 8 juin 2000, l'État partie fait valoir qu'à aucun moment l'auteur n'a indiqué que sa plainte devait faire l'objet de la procédure pénale applicable aux délits. Au contraire, lors de l'audience pour fautes son avocat a demandé que la plainte contre la police soit examinée en même temps que celle dont lui-même faisait l'objet. Cela signifie que l'auteur a accepté que sa plainte soit examinée dans le cadre de la procédure pour fautes. La juridiction no 6 a convoqué à l'audience pour fautes l'auteur «en qualité de plaignant et de défendeur». Toutefois, ni lui ni son avocat ne s'est présenté à l'audience au cours de laquelle toutes les preuves et investigations devaient être effectuées. C'est donc le défendeur qui, en ne se présentant pas à l'audience, est responsable de n'avoir pas maintenu sa plainte et de n'avoir pas avancé de moyen de défense. Après sa défection, l'auteur ne s'est pas opposé, verbalement ou par écrit, à la procédure pour fautes. Ce n'est qu'en se pourvoyant en appel que l'auteur s'est élevé pour la première fois contre le fait que sa plainte n'ait pas fait l'objet de la procédure applicable aux délits. Cette plainte est toutefois contradictoire avec son comportement antérieur et inopportune puisqu'elle n'a pas été formulée à temps ni dans les formes, bien que l'auteur ait bénéficié du ministère d'un avocat dès les premiers moments. Par conséquent la communication doit être déclarée irrecevable pour non-épuisement des recours internes.


Commentaires de l'auteur


5.1 L'auteur réaffirme que bien qu'il ait déposé auprès des autorités judiciaires une plainte accompagnée d'un rapport médical attestant les multiples coups et contusions reçus, il n'y a jamais eu d'enquête rapide, sérieuse et impartiale comme l'exige la Convention. Il explique que le Code pénal espagnol établit clairement des différences entre la qualification de torture, qui est un délit (art. 174), et les coups et blessures qui constituent une faute (art. 617). En particulier, le délit de torture est puni d'un emprisonnement de deux à six ans assorti d'une mise à pied du fonctionnaire de deux à quatre ans alors que les coups et blessures, qui représentent donc une faute, sont punis d'un emprisonnement de fin de semaine de trois à six fins de semaine ou d'une amende, sans être assorti d'une peine accessoire. D'après l'auteur, aux fins de la Convention, l'enquête approfondie, immédiate et impartiale doit être exigée pour le délit de torture et non pour la faute de coups et blessures car s'il en était autrement la protection contre la torture que la Convention cherche à garantir serait inefficace. Il ajoute que la procédure applicable aux délits est distincte de celle qui est applicable aux fautes. En cas de délit, l'instruction est confiée au juge d'instruction et le jugement aux juridictions pénales ou à une Audiencia provincial alors que les affaires de fautes sont jugées par les juges d'instruction eux-mêmes.


5.2 L'auteur signale en outre que l'arrêt de l' Audiencia provincial ne fait nullement mention de la Convention alors que lui-même en avait fait état dans son recours. En outre, l'argument avancé dans cet arrêt est incompatible avec la Convention laquelle n'exige pas en effet que l'enquête soit demandée par la victime elle-même et encore moins quand celle-ci a porté plainte par écrit, acte qui, selon la jurisprudence du Comité, n'est même pas nécessaire pour que soit ouverte une enquête immédiate et impartiale. Enfin, l'auteur réfute l'argument de l'État partie pour qui sa plainte est inopportune et maintient que le pourvoi en appel était un moyen approprié pour obtenir la rectification du vice constituée par l'absence d'enquête immédiate, approfondie et impartiale. L' Audiencia Provincial n'a pas respecté son obligation d'impartialité en contournant le cadre légal applicable à un acte délictueux qui doit être poursuivi «d'office» par les autorités judiciaires de l'État. L'auteur conclut qu'il a épuisé tous les recours judiciaires disponibles, y compris le recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel.


Délibérations du Comité


6.1 Avant d'examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité contre la torture doit déterminer si elle est recevable en vertu de l'article 22 de la Convention. Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a de l'article 22 de la Convention, que la même question n'a pas été examinée et n'est pas en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement. Le Comité note que l'État partie a présenté des objections à la recevabilité en faisant valoir que les recours internes n'avaient été épuisés.


6.2 L'auteur de la communication ne conteste pas que, lors de l'audience tenue le 25 novembre 1997 dans le cadre de la procédure orale pour fautes menée par la juridiction d'instruction no 6 de Murcie, qui était saisie de la plainte déposée le 29 octobre 1997 par les policiers contre l'auteur, c'est son propre avocat qui a demandé la suspension de l'audience en invoquant l'existence de la plainte portée par son client contre les policiers devant la juridiction d'instruction no 1 de Murcie, qui se trouvait être de permanence le jour des faits, le 31 octobre 1997, et qui a demandé de plus que les deux affaires soient examinées conjointement. Par conséquent, la jonction de la plainte déposée par l'auteur contre les policiers à celle que les policiers avaient portée contre l'auteur, et qui faisait l'objet de la procédure orale pour fautes, a expressément été demandée par l'auteur.


6.3 Entre l'audience du 25 novembre 1997, qui a été suspendue, et la nouvelle audience convoquée pour le 17 mars 1998, par décision du 12 décembre 1997, afin de reprendre l'examen des deux plaintes, l'auteur, ne pouvant pas ne pas savoir que la procédure orale pour fautes se poursuivait, n'a pas demandé, alors qu'il le pouvait, que sa plainte fasse l'objet d'une procédure pénale ordinaire, comme il le réclame maintenant en fondant sa communication au Comité sur ce motif.


7. En se fondant sur les considérations qui précèdent, le Comité déclare, conformément au paragraphe 1 c de l'article 107 du règlement intérieur, que la communication est irrecevable et constitue un abus du droit de présenter une communication en vertu de l'article 22 de la Convention.


8. Cette décision sera communiquée à l'État partie et à l'auteur de la communication.



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