University of Minnesota


 

Jamal Omer Mohamed c. Grèce, Communication No. 40/1996, U.N. Doc. CAT/C/18/D/40/1996 (1997).


Présentée par : Jamal Omer Mohamed


Au nom de : L'auteur


État partie : Grèce


Date de la communication : 8 février 1996 (date de la lettre initiale)


Date de la décision de recevabilité : 14 novembre 1996


Le Comité contre la torture, institué conformément à l'article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,


Réuni le 28 avril 1997,


Ayant achevé l'examen de la communication No 40/1996 présentée par M. Jamal Omer Mohamed au Comité contre la torture en vertu de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,


Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par l'auteur de la communication, son conseil et l'État partie,


Adopte ses constatations au titre du paragraphe 7 de l'article 22 de la Convention,

 

1. L'auteur de la communication est M. Mohamed Jamal Omer, citoyen éthiopien de Dire Dawa, né en 1970, résidant actuellement en Grèce. M. Mohamed se dit victime d'une violation par la Grèce de l'article 3 de la Convention contre la torture.


Rappel des faits présentés par l'auteur


2.1 L'auteur dit avoir été arrêté en Éthiopie, en 1988, par des représentants des "kebele" (administration locale Il est fait régulièrement référence aux "kebele" sans autre explication. Il semblerait que les "kebele" soient des comités de quartier ou de secteur.) alors qu'il avait commencé à donner des cours dans une mosquée locale, en novembre de la même année. Il a été accusé d'activités "antirévolutionnaires" et détenu pendant une période non spécifiée.


2.2 Début 1989, il a été désigné par ses pairs à l'école pour participer à un stage politique d'un mois à Addis-Abeba, avec l'approbation de l'administration locale. À l'issue du stage, l'auteur a été informé qu'il était envoyé dans une région éloignée du pays pour recruter des soldats pour les forces gouvernementales parmi les paysans. La région en question, peuplée en majorité par des Oromos, serait un fief du Front de libération de l'Oromo (FLO).


2.3 L'auteur, et d'autres participants au stage politique, eux aussi désignés pour cette mission, dont l'objectif était de briser l'influence du FLO dans la région, tentèrent en vain de s'y opposer, la considérant impossible. Ils durent céder, sous peine d'être exécutés. Leur arrivée dans la région provoqua des incidents et la population leur jeta des pierres. Des militants locaux du FLO les menacèrent de mort s'ils ne quittaient pas la région dans les 48 heures. L'auteur décida de quitter la région sans délai et rentra chez lui. Il fut déclaré disparu par les autorités. À Dire Dawa, il fut arrêté, à une date non spécifiée, par l'administration locale et détenu pendant une période non spécifiée, pour avoir collaboré avec le FLO. Il dit avoir été torturé pendant sa détention.


2.4 À l'appui de ses allégations, l'auteur se réfère à un document (joint) établi à Athènes, le 20 novembre 1994, par le Centre de réadaptation médicale des victimes de la torture. Ce rapport indique que l'auteur a été examiné par un neurologue et un orthopédiste et interrogé par un psychologue à six reprises en octobre 1994. Il en ressort qu'il a subi diverses formes de torture et qu'il a par la suite souffert de graves maux de tête et de douleurs au genou et au pied droits. Il est aussi fait référence à la traduction d'un rapport établi par un h_pital d'Athènes, daté du 1er février 1995, concernant un électroencéphalogramme.


2.5 L'auteur est tombé malade à la suite des mauvais traitements subis. En proie à une forte fièvre et à des vomissements constants, il a été hospitalisé à Dire Dawa. Alors qu'il se trouvait à l'h_pital, une fusillade a éclaté en ville entre soldats gouvernementaux et militants du FLO, pendant laquelle le courant a été coupé. Profitant de la confusion qui a suivi, il s'est enfui. Il affirme que c'est alors qu'"... un garde a abattu mon père". Les opérations de recherche lancées contre lui s'intensifiant, il a décidé de quitter le pays.


2.6 L'auteur dit être entré en Somalie en décembre 1989 et y avoir été arrêté le 1er janvier 1990 et détenu pendant cinq mois pour entrée illégale. Il affirme qu'après sa libération, le personnel du Bureau des Nations Unies en Somalie lui a conseillé "de se faire enregistrer par les services de la police". La police aurait toutefois refusé de l'inscrire comme réfugié "... en raison de la situation politique et de [son] appartenance à la tribu Aderic". L'auteur affirme que, grâce à l'aide d'un ami en Somalie qui lui a procuré un passeport et un billet d'avion, il a réussi à se rendre en Turquie, à une date non précisée. La police turque l'aurait informé que les Africains n'étaient pas autorisés à demander le statut de réfugié et l'aurait contraint, pour des raisons pratiques, à passer en Grèce, à une date non précisée.


2.7 À son arrivée en Grèce, l'auteur a été informé par le HCR qu'avant de pouvoir se faire enregistrer par eux comme réfugié, il devait se faire enregistrer par la police grecque. Lorsqu'il s'est présenté à la police grecque pour se faire enregistrer, on lui a dit qu'il devait d'abord s'adresser à la Commission internationale catholique pour les migrations (CICM) pour obtenir un document certifiant son pays d'origine. Or, cette organisation ne délivrait plus ce genre de document depuis 1991. Sans ce document, le Ministère grec de l'ordre public a refusé, dans une décision datée du 27 octobre 1992, de l'enregistrer, de même que le Conseil grec pour les réfugiés et le HCR. Selon l'auteur, au moment de son arrivée en Grèce, il lui avait été demandé d'indiquer un pays tiers vers lequel il ne verrait pas d'objection à être expulsé et il avait mentionné le Canada. Sa demande d'asile en Grèce a été rejetée au motif "qu'après un séjour illégal de deux ans dans ce pays, elle visait à faciliter son transfert au Canada".


Teneur de la plainte


3.1 L'auteur dit que son refoulement en Éthiopie constituerait une violation par la Grèce de l'article 3 de la Convention contre la torture. Bien qu'il ne fasse pas l'objet d'un arrêté d'expulsion, il craint d'être expulsé à tout moment du fait qu'il n'a ni permis d'asile, ni permis de séjour, ni permis de travail.


3.2 Pour étayer ses affirmations selon lesquelles il serait torturé s'il retournait en Éthiopie, l'auteur se réfère à un rapport d'Amnesty International publié en avril 1995 sur la situation des droits de l'homme en Éthiopie et, en particulier, au cas d'un certain Hussein, de Dire Dawa, qui, accusé en 1993 d'avoir collaboré avec le FLO, avait été détenu et torturé. Il évoque aussi le cas de M. Temteme Addisalem Mengistu, qui avait quitté la Grèce pour retourner en Éthiopie après avoir obtenu du Conseil grec pour les réfugiés l'assurance que sa sécurité était garantie, et qui avait été arrêté dès son arrivée en octobre 1994.


Observations de l'État partie


4. Le 28 février 1996, le Comité, par l'intermédiaire de son Rapporteur spécial, a adressé la communication à l'État partie pour qu'il lui fasse part de ses observations quant à sa recevabilité.


5.1 Dans une réponse datée du 19 avril 1996, l'État partie conteste la recevabilité de la plainte. Il note que, selon lui, l'allégation de violation de l'article 3 de la Convention contre la torture n'est pas fondée, l'auteur n'ayant pas été expulsé de Grèce et n'ayant pas non plus fait l'objet d'un arrêté d'expulsion. Il fait observer en outre que l'auteur n'a pas fourni d'éléments prouvant qu'il risquait d'être torturé s'il retournait en Éthiopie.


5.2 Pour ce qui est des procédures internes, l'État partie reconnaît que le Ministre de l'ordre public a rejeté le 27 octobre 1992 la demande d'asile de l'auteur jugée "manifestement abusive", les allégations de l'auteur étant infondées au regard de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés4, et que sa décision est sans appel. Pour des raisons humanitaires, le Ministre n'a pas ordonné l'expulsion de l'auteur, lui donnant un délai d'un mois pour quitter la Grèce pour le pays de son choix.


5.3 L'État partie note que l'auteur est passé secrètement de Turquie en Grèce, le 3 janvier 1991, avec l'aide d'un réseau de clandestins et qu'il n'a pas demandé l'asile à l'époque. Trois mois plus tard, il s'est fait enregistrer auprès des responsables du programme des migrations en vue d'émigrer au Canada. Un an et demi plus tard, le 3 septembre 1992, il a demandé l'asile en Grèce en prétextant qu'il était opposé au régime de son pays. Toutefois, dans sa demande, il n'a pas mentionné le changement de gouvernement qui avait eu lieu dans son pays d'origine depuis qu'il l'avait quitté.


Commentaires de l'auteur


6.1 Commentant les observations de l'État partie, l'auteur reconnaît qu'il n'a pas été expulsé mais il affirme qu'en tant que victime de tortures et réfugié politique, il a droit à l'asile. Il dit craindre d'être expulsé à tout moment.


6.2 Réitérant ce qu'il a déjà dit à ce propos dans la communication (voir par. 2.7 ci-dessus), l'auteur explique qu'il n'a pas pu demander l'asile immédiatement pour des "raisons administratives". Il explique en outre qu'à son arrivée en Grèce, il n'avait pas l'intention d'émigrer au Canada. Toutefois, lorsqu'il avait demandé l'asile en Grèce, on lui avait dit qu'il ne pouvait pas rester dans le pays et qu'il serait expulsé s'il ne partait pas pour un pays tiers de son choix. C'est ainsi qu'il avait été contraint de choisir un pays et qu'il avait choisi le Canada. Il nie s'être fait inscrire auprès des responsables du programme des migrations vers le Canada après avoir passé trois mois en Grèce.


6.3 Il répète qu'il s'est enfui de son pays et qu'il a ensuite été expulsé de Turquie et conduit à la frontière grecque. Il n'a pas tenté de s'introduire clandestinement en Grèce et n'a pas eu recours aux services d'un "réseau de passeurs clandestins". En ce qui concerne la situation dans son pays, il affirme qu'il courrait un grave danger s'il y retournait, citant à l'appui de son affirmation un rapport d'Amnesty International publié en avril 1995 sur les violations des droits de l'homme commises par le gouvernement de transition.


Décision du Comité concernant la recevabilité


7.1 À sa dix-septième session, le Comité a examiné la question de la recevabilité de la communication. Il s'est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l'article 22 de la Convention, que la même question n'avait pas été examinée et n'était pas en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement. Le Comité a en outre considéré que tous les recours internes ouverts à l'auteur avaient été épuisés, conformément au paragraphe 5 b) de l'article 22 de la Convention. Le Comité a constaté qu'il n'y avait aucun obstacle à la recevabilité de la communication.


7.2 Le Comité a demandé à l'auteur, pour faciliter l'examen de la communication quant au fond, de fournir des informations plus précises et plus détaillées en ce qui concerne sa crainte d'être personnellement exposé au risque d'être torturé s'il rentrait maintenant en Éthiopie. Le Comité a, en outre, demandé à l'État partie de l'informer des conséquences éventuelles qu'aurait pour l'auteur son refus de quitter le pays, ainsi que le lui avait demandé le Ministre de l'ordre public.


8. En conséquence, le 14 novembre 1996, le Comité a décidé que la communication était recevable.


Observations de l'auteur


9.1 Dans une communication datée du 28 janvier 1997, l'auteur réitère ses allégations, à savoir qu'il a été emprisonné du 5 novembre au 6 décembre 1988, puis à nouveau à partir du 28 juin 1989. La deuxième fois, il a été accusé d'avoir collaboré avec le FLO. Il déclare que cette accusation demeure, puisque le FLO est également opposé au présent Gouvernement. Il ajoute que le FLO l'accuse d'être un espion du Gouvernement.


9.2 Pour les raisons susmentionnées, l'auteur indique qu'il serait en grand danger s'il devait retourner en Éthiopie. Il se réfère à un rapport d'Amnesty International daté de juillet 1996, qui montre que la situation des droits de l'homme en Éthiopie demeure inacceptable.


Observations de l'État partie


10.1 Dans une communication datée du 8 mars 1997, l'État partie indique à nouveau que l'auteur n'a pas été expulsé du pays et précise qu'il continue de résider en Grèce pour des raisons humanitaires. L'État partie fait donc valoir qu'il n'y a pas eu infraction aux dispositions de l'article 3 de la Convention.


10.2 L'État partie reconnaît que, à l'époque, un demandeur d'asile dont la requête avait été rejetée comme abusive n'avait aucun recours, mais il fait valoir que l'absence d'un tel recours ne constitue pas en tant que telle une violation de la Convention contre la torture. L'État partie ajoute que la loi a été modifiée depuis lors.


10.3 L'État partie fait également observer qu'un individu a toujours la possibilité de contester devant le Conseil d'État la légalité d'une décision administrative.


Délibérations du Comité


11.1 Le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été communiquées par les parties, conformément au paragraphe 4 de l'article 22 de la Convention.


11.2 Aux termes de l'article 3 de la Convention, le Comité doit décider si l'expulsion, le refoulement ou l'extradition d'un individu serait contraire à l'obligation qu'a l'État partie de ne pas exposer cet individu au risque d'être soumis à la torture. Le Comité n'est pas à même de déterminer si le demandeur a droit à l'asile en vertu de la législation d'un pays ou s'il peut invoquer la protection de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés.


11.3 Dans le cas présent, le Comité note que l'État partie n'a pas ordonné l'expulsion, le refoulement ni l'extradition de l'auteur vers l'Éthiopie et a indiqué que celui-ci résidait toujours en Grèce pour des raisons humanitaires. Il ressort également de la communication de l'État partie que, si les autorités devaient ordonner sa déportation à un stade ultérieur, l'auteur aurait la possibilité de faire appel de cette décision. Le Comité est donc d'avis que les faits dont il est saisi n'indiquent pas qu'il y ait eu violation de la Convention par la Grèce.


12. Le Comité contre la torture, agissant conformément au paragraphe 7 de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, constate que les faits tels qu'ils ont été établis par le Comité ne révèlent pas de violation de l'article 3 de la Convention.

 



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