University of Minnesota


 

R. (nom supprimé) c. France, Communication No. 52/1996, U.N. Doc. CAT/C/19/D/52/1996 (1997).


Présentée par : R. (nom supprimé)


Au nom de : L'auteur


État partie : France


Date de la communication : 20 juin 1996


Le Comité contre la torture, institué conformément à l'article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,


Réuni le 10 novembre 1997,


Adopte la décision suivante :

Décision concernant la recevabilité

1. L'auteur de la communication est R., citoyen algérien résidant actuellement en France et menacé d'expulsion. L'auteur affirme que cette expulsion constituerait une violation de l'article 3 de la Convention contre la torture et autres peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants.


Rappel des faits présentés par l'auteur


2.1 L'auteur déclare qu'il est devenu en février 1988 membre du Front islamique du salut (FIS) en Algérie. Il a été arrêté une première fois en octobre 1988 pour avoir participé à une manifestation organisée à Sidi-Bel Abbes. Il aurait pénétré par effraction dans un «monoprix» et lancé un cocktail Molotov sur le foyer des officiers. Il a été jugé coupable et condamné à six mois de prison ainsi qu'à 2 000 dinars algériens de dommages et intérêts. Libéré, il a été licencié par son employeur. Il s'est ensuite consacré à ses activités politiques en faveur du FIS.


2.2 En juin 1989, il a été à nouveau arrêté parce qu'il distribuait des tracts de propagande en faveur du FIS. Il a été condamné à deux mois de prison.


2.3 En novembre 1990, il a été arrêté pour la troisième fois et maintenu en détention pendant une période indéterminée. Il aurait été soumis à la torture à l'initiative du commissaire de police, forcé de garder des positions douloureuses, les mains attachées derrière les jambes, suspendu avec un chiffon dans la bouche. Une fois relâché, il a été envoyé à l'h_pital par les policiers qui ont fait croire à une tentative de suicide Deux certificats médicaux en date du 14 novembre 1990 et du 2 septembre 1993, ainsi qu'un certificat d'admission à l'h_pital en date du 8 août 1993 attestent que R. a été hospitalisé du 4 au 13 novembre 1990.. L'auteur déclare en outre que les marques qui subsistent à la suite des tortures subies sont toujours visibles, s'agissant en particulier de cicatrices autour des chevilles Un certificat médical daté du 18 janvier 1993 atteste que les marques constatées sur le corps de l'auteur sont compatibles avec les sévices qu'il décrit..


2.4 En mars 1992, l'auteur et deux autres membres du FIS ont été arrêtés. L'auteur dit avoir été faussement accusé d'avoir commis une agression, en décembre 1990, contre un h_tel. L'auteur n'indique pas quelle peine a été prononcée contre lui lorsqu'il a été jugé coupable. Au bout de deux mois de détention, l'auteur a entamé une grève de la faim pour prouver son innocence. Au bout d'un mois, il a été mis en liberté provisoire sous contr_le judiciaire en raison de son état de santé. En juin 1992, pendant qu'il était en liberté provisoire, l'auteur a quitté l'Algérie et s'est enfui en France.


2.5 En France, sa demande d'asile ayant été rejetée, l'auteur a demandé un permis de séjour qui lui a été refusé par le préfet du Val-d'Oise le 12 août 1993. Son appel a été également rejeté.


2.6 En novembre 1993, il a été publié un arrêté de reconduite à la frontière à l'encontre de l'auteur. Son recours a été rejeté par le tribunal administratif de Versailles.


La plainte


3. L'auteur soutient que s'il rentre en Algérie, il sera arrêté et torturé à nouveau parce qu'il participe aux activités politiques du FIS. Il déclare que si elle maintient son arrêté de reconduite à la frontière, la France violerait l'article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.


Observations de l'État partie sur la recevabilité de la communication


4. Le 25 septembre 1996, le Comité, par l'intermédiaire de son Rapporteur spécial, a adressé la communication à l'État partie pour observations et l'a prié de ne pas expulser l'auteur tant que sa communication était en examination par le Comité.


5.1 Dans une réponse datée du 9 décembre 1996, l'État partie conteste la recevabilité de la plainte.


5.2 L'État partie rappelle que l'auteur est entré sur le territoire français le 15 juin 1992 et qu'il a déposé une demande d'asile le 11 août 1992. Sa demande a été rejetée le 30 septembre par l'OFPRA aux motifs que les explications sommaires et confuses de l'auteur et leur manque de crédibilité ne permettaient pas d'établir la réalité de son engagement politique et le bien-fondé de ses craintes de persécutions par les autorités algériennes. Le 29 juin 1993, le CRR a confirmé cette décision.


5.3 Le 12 août 1993, une invitation à quitter le territoire français fut notifiée à l'auteur. Celui-ci n'y ayant pas déféré dans le délai imparti s'est vu notifier par le préfet du Val-d'Oise, le 25 novembre 1993, un arrêté de reconduite à la frontière. L'auteur a formé un recours contre cet arrêté devant le tribunal administratif de Versailles. Le tribunal rejeta le recours, le 26 novembre 1993, comme irrecevable pour manque d'exposé des faits et des moyens.


5.4 L'État partie note que l'auteur a déposé une demande de titre de séjour qui a été rejetée le 12 août 1993 par le préfet du Val-d'Oise. Contre cette décision, l'auteur a déposé un recours hiérarchique qui a été rejeté par le Ministre de l'intérieur le 30 août 1993. Le 13 juin 1995, le tribunal administratif de Versailles a rejeté la requête déposée par l'auteur contre cette décision. Le 10 novembre 1995, l'auteur faisait appel de ce dernier jugement devant le Conseil d'État.


5.5 L'État partie soutient que les voies de recours internes n'ont pas été épuisées. Selon l'État partie, l'auteur pouvait demander l'annulation devant le juge administratif de l'invitation à quitter le territoire français, ce qu'il n'a pas fait. L'État partie fait valoir également que le Conseil d'État n'a pas encore statué sur l'appel de l'auteur contre le refus de titre de séjour.


5.6 Enfin, l'État partie souligne que l'auteur n'a pas épuisé les voies de recours contre l'arrêté qui ordonnait sa reconduite à la frontière. L'État partie fait observer que sa requête devant le tribunal administratif de Versailles a été rejetée parce qu'elle était irrecevable faute d'avoir été motivée. L'État partie soutient qu'il est de jurisprudence constante, en raison du caractère subsidiaire du recours devant les organismes internationaux, que les voies de recours internes ne sont pas épuisées du seul fait que les recours internes ont été exercés; il faut aussi que les autorités nationales aient été saisies régulièrement. Se référant à la jurisprudence de la Commission européenne, l'État partie fait valoir qu'ainsi n'a pas épuisé les voies de recours internes l'auteur d'une communication dont le recours interne a été déclaré irrecevable parce que n'ayant pas été introduit dans les conditions, notamment de forme et de délai, prévues par le droit national. Comme l'auteur n'a pas saisi le juge dans les formes requises, l'État partie soutient qu'il n'a donc pas fait valoir le grief tiré d'une violation de l'article 3 de la Convention, un moyen qui aurait été tout à fait opérant.


5.7 L'État partie fait observer que ce recours contre l'arrêté de reconduite est particulièrement efficace puisqu'il est suspensif de la décision administrative de reconduite et puisque le juge doit statuer dans un délai de 48 heures à compter de sa saisine.


Commentaires de l'auteur


6.1 Par lettre du 10 février 1997, l'auteur fait savoir que le tribunal administratif de Versailles, lors du jugement du 13 juin 1995 concernant le refus de son permis de séjour, ne s'est pas basé sur les documents qui lui avaient été envoyés et qui justifiaient son insertion dans la société française. Il ajoute qu'il n'a pas reçu une convocation pour se présenter au jugement.


6.2 L'auteur soutient que son avocat a présenté un recours contre l'invitation à quitter le territoire français en date du 12 août 1993, qui a été rejeté.


6.3 L'auteur explique qu'il n'a jamais été informé des nombreuses voies de recours qui s'offraient à lui. Il a donc ignoré qu'il pouvait demander l'annulation de l'invitation à quitter le territoire français devant le juge administratif.


6.4 Il fait savoir que la procédure devant le Conseil d'État durera probablement trois ans et qu'il ne peut donc attendre cette réponse.


6.5 Enfin, l'auteur envoie des justificatifs prouvant son insertion dans la société française.


Délibérations du Comité


7.1 Avant d'examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité contre la torture doit décider si elle est ou non recevable en vertu de l'article 22 de la Convention.


7.2 Conformément à l'alinéa b) du paragraphe 5 de l'article 22 de la Convention, le Comité n'examine aucune communication sans s'être assuré que l'auteur a épuisé tous les recours internes disponibles; cette règle ne s'applique pas s'il est établi que les procédures de recours ont excédé ou excéderaient des délais raisonnables ou qu'il est peu probable qu'elles donneraient satisfaction à la victime présumée. En l'espèce, l'auteur n'a pas demandé devant le juge administratif l'annulation de l'invitation de quitter le territoire français, il n'a pas achevé sa requête devant le tribunal administratif de Versailles contre l'arrêté de reconduite à la frontière, et le rejet de sa demande de titre de séjour fait l'objet d'un recours en appel devant le Conseil d'État. L'auteur n'a pas invoqué de circonstances indiquant que ces recours auraient peu de chances d'aboutir. Le Comité constate que les conditions prescrites à l'article 22, paragraphe 5 b) de la Convention ne sont pas remplies.


8. Le Comité décide en conséquence :


a) Que la communication est irrecevable en l'état;

b) Que la présente décision sera communiquée à l'auteur de la communication et à l'État partie.

 



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