University of Minnesota


V.V. (nom supprimé) c. Canada, Communication No. 47/1996, U.N. Doc. CAT/C/20/D/47/1996 (1998).


 

Présentée par : V. V. (nom supprimé) (représenté par avocat)

Au nom de : L'auteur

État partie : Canada

Date de la communication : 15 mars 1996

Le Comité contre la torture , institué conformément à l'article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 19 mai 1998,

Adopte la décision suivante :

 

Décision concernant la recevabilité

 

1. L'auteur de la communication est V. V., citoyen sri-lankais d'origine tamoule résidant actuellement au Canada, où il a demandé le statut de réfugié, et menacé de renvoi. L'auteur affirme que son expulsion constituerait une violation de l'article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Les faits présentés par l'auteur

2.1 L'auteur déclare qu'en juillet 1983, il vivait avec son père, son frère et sa soeur à Vauvniya, Sri Lanka, et qu'à la suite d'émeutes intercommunautaires, il a dû chercher refuge dans un camp où il est resté trois mois. En 1990, son père a perdu un oeil à la suite du bombardement du village. En août 1990, des membres des LTTE («Liberation Tigers of Tamil Eelam») ont volé la camionnette de son père et l'ont utilisée pour attaquer une banque. L'auteur a alors été arrêté par les militaires et conduit au camp militaire de Vauvniya où il a été interrogé, battu et torturé. L'auteur dit qu'il a été frappé avec des planches recouvertes de clous, exposé à une flamme, frappé à coups de bottes à pointe de métal et menacé du «traitement au fil de fer barbelé». Au bout de 25 jours, il a pu soudoyer quelqu'un et retourner chez son père. En août 1990 également, des combattants tamouls sont venus au domicile de sa famille et ont exigé de l'argent que la famille a donné. En décembre 1990, puis de nouveau en mars 1991, les soldats sont revenus pour demander davantage d'argent.

2.2 En août 1991, l'auteur a ouvert une entreprise avec un associé dont la soeur était ministre de l'éducation, et le frère un inspecteur de police. L'auteur dit que cela lui a créé des problèmes parce qu'«on a pensé qu'[il] soutenait le Gouvernement». En 1992, le beau-frère et le frère de son associé ont été tués par les LTTE. L'auteur a alors décidé de s'installer à Colombo. Il ajoute qu'à cause des émeutes et des incidents violents qui avaient lieu à l'époque, il a dû fermer son entreprise.

2.3 À Colombo, aussi bien les LTTE que le Parti démocratique du peuple eelam (EPDP) lui ont demandé de l'argent en échange de leur protection. L'auteur ne s'est pas senti en sécurité et a alors décidé de payer quelqu'un pour le faire sortir du pays.

2.4 L'auteur est arrivé au Canada le 17 novembre 1992 en provenance des États-Unis d'Amérique et a demandé le statut de réfugié le même jour. Le 16 juillet 1993, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté sa demande estimant que son récit était incohérent et qu'il n'avait pas fourni de preuve que ses craintes de persécution étaient fondées. Le 10 mars 1994, la demande d'autorisation de recours contre la décision de la Commission présentée par l'auteur a été rejetée par la Cour fédérale. Le 29 novembre 1995, la demande qu'il avait déposée sur la base de la procédure ultérieure d'évaluation des risques a été rejetée. Le fonctionnaire chargé de procéder à cette évaluation a estimé entre autres que l'auteur n'avait pas été harcelé par la police à laquelle il avait signalé sa présence à Colombo, que c'étaient les jeunes Tamouls qui risquaient le plus d'être emprisonnés alors que l'auteur avait 46 ans et que le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés ne demandait plus que par mesure de précaution seuls les demandeurs d'asile tamouls déboutés qui avaient de la famille ou des amis établis à Colombo soient renvoyés dans leur pays, normalisant ainsi son approche.

2.5 En janvier 1996, l'auteur a demandé un permis de résidence pour raisons humanitaires qui lui a été refusé par les autorités d'immigration. L'auteur affirme avoir épuisé tous les recours internes.

La teneur de la plainte

3.1 L'auteur dit craindre pour sa vie s'il retourne dans son pays. Il affirme que compte tenu des lourdes opérations militaires menées par le Gouvernement dans sa région d'origine, il lui est impossible d'y retourner et qu'à Colombo, tous les Tamouls sont considérés avec suspicion en raison des attentats suicides à la bombe. Selon l'auteur, de nombreux Tamouls ont été arrêtés à la suite de ces attentats et certains d'entre eux ont été torturés. L'auteur affirme en outre que sa famille a été victime de la violence à Sri Lanka. Il rappelle qu'il a déjà été arrêté une fois et torturé et présente un certificat médical daté du 20 mars 1996 qui indique qu'il a une bosse sur le front, une cicatrice provenant d'une ancienne brûlure sur l'avant-bras gauche et une cicatrice sur la jambe droite.

3.2 L'auteur prie le Comité de demander au Canada de ne pas le renvoyer à Sri Lanka. Il fait valoir qu'il existe à Sri Lanka un ensemble de violations systématiques graves, flagrantes ou massives des droits de l'homme.

3.3 Enfin, l'auteur affirme qu'il est bien intégré dans la société canadienne, que plusieurs membres de sa famille résident au Canada, qu'il a trouvé un emploi et que son employeur le soutient dans ses démarches pour rester au Canada.

Observations de l'État partie sur la recevabilité de la communication

4. Le 4 décembre 1996, le Comité, par l'intermédiaire de son Rapporteur spécial, a adressé la communication à l'État partie pour observations et l'a prié de ne pas expulser l'auteur tant que sa communication serait en cours d'examen.

5.1 Dans une réponse datée du 25 mars 1997, l'État partie conteste la recevabilité de la plainte.

5.2 L'État partie rappelle que l'auteur a quitté son pays le 30 octobre 1992 et est arrivé au Canada vers le 15 novembre 1992. Il a, le même jour, revendiqué le statut de réfugié. Le 20 juillet 1993, le tribunal compétent, la section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, a rejeté la revendication de l'auteur en raison de son absence de crédibilité. La Cour fédérale du Canada a refusé sa demande d'autorisation afin d'introduire un contr_le judiciaire à l'encontre de la décision de la section du statut.

5.3 Un agent du Ministère de la citoyenneté et de l'immigration a évalué si le renvoi de l'auteur risquerait de l'exposer personnellement à la torture ou à des traitements cruels, inhumains ou dégradants. L'auteur n'a pas demandé à la Cour fédérale de réviser cette décision. En outre, l'auteur a demandé, aux termes du paragraphe 114(2) de la loi sur l'immigration, d'être exempté, pour des motifs humanitaires, de l'application régulière de la loi sur l'immigration et qu'il lui soit permis de présenter, au Canada, une demande de résidence permanente. Les 8 et 30 janvier 1996, après examen du dossier, il a été conclu que l'auteur n'avait pas établi des motifs humanitaires justifiant une exemption de l'application des dispositions régulières de la loi sur l'immigration. L'auteur n'a pas demandé à la Cour fédérale de réviser ces décisions. Le 2 avril 1996, il a été renvoyé vers les États-Unis.

5.4 L'État partie souligne que la communication du Comité lui a été envoyée le 4 décembre 1996, soit plusieurs mois après le renvoi de l'auteur.

5.5 Le 3 juillet 1996, l'auteur est revenu des États-Unis au Canada et a de nouveau revendiqué le statut de réfugié. La nouvelle revendication a engagé un tout nouveau processus identique à celui suivi lors de la première revendication. Ainsi, l'auteur a fait l'objet d'une mesure d'interdiction de séjour conditionnelle le 3 juillet 1996 et sa revendication a été référée à la section du statut pour étude de son mérite. La mesure de renvoi ne deviendra exécutoire que si et lorsqu'une décision négative sera rendue par la section du statut sur la revendication du statut de réfugié.

5.6 La communication de l'auteur vise à empêcher qu'il soit renvoyé à Sri Lanka en exécution de la mesure de renvoi prononcée contre lui le 28 décembre 1992 et devenue exécutoire le 29 novembre 1995. L'auteur a été renvoyé du Canada le 2 avril 1996. Sa communication est donc totalement dénuée d'objet et devrait être déclarée inadmissible.

5.7 En outre, une nouvelle situation à été créée par la seconde revendication du statut de réfugié de l'auteur, situation totalement distincte de celle à l'origine de la communication et qui ne fait pas l'objet de la communication.

5.8 Si le Comité désire néanmoins, malgré la disparition de l'objet, étudier le processus suivi lors de la première revendication du statut de réfugié de l'auteur et les décisions alors prises, l'État partie soutient que l'auteur n'a pas épuisé ses recours à l'égard d'au moins trois décisions prises aux termes de la loi sur l'immigration, soit la décision concluant à l'absence de risques de retour et celles concluant à l'absence de motifs humanitaires justifiant une exemption de l'application de la loi sur l'immigration.

5.9 L'objet de l'article 3 de la Convention contre la torture n'est pas d'interdire toute expulsion, refoulement ou extradition mais plut_t d'interdire l'expulsion, le refoulement ou l'extradition vers un pays où il y a des motifs sérieux de croire que la personne peut être soumise à la torture.

5.10 En l'occurrence, les faits ont démontré l'absence du bien-fondé de la communication de l'auteur puisque, contrairement à la crainte alléguée dans sa communication, il n'a pas été renvoyé vers Sri Lanka, mais plut_t vers les États-Unis, d'où il était entré au Canada.

5.11 Même si le Comité concluait qu'il peut étudier la situation postérieure au renvoi de l'auteur vers les États-Unis, l'État partie soutient que la communication devrait quand même être jugée inadmissible parce que l'auteur n'a pas établi un fondement minimum à sa communication. En effet, il n'est actuellement aucunement menacé d'être renvoyé du Canada puisque sa revendication du statut de réfugié est pendante devant le tribunal chargé d'en décider.

5.12 En outre, le pays vers lequel il serait, le cas échéant, renvoyé n'est pas déterminé actuellement. Ainsi que le laisse voir le renvoi du 2 avril 1996, conformément en cela à l'entente avec les autorités américaines, l'auteur, le cas échéant, sera plus vraisemblablement renvoyé vers les États-Unis puisqu'il est entré au Canada par ce pays.

5.13 Le Comité contre la torture a très clairement établi que l'auteur doit établir, à tout le moins prima facie à l'étape de l'admissibilité, qu'il risque personnellement d'être torturé. Les informations récentes n'appuient pas les affirmations selon lesquelles les Tamouls sont en danger à Colombo. Ainsi, selon un document du Haut Commissariat pour les réfugiés, daté du 9 septembre 1996, la torture et les autres formes de mauvais traitements ne sont pas pratiquées par la police et les autorités à Colombo.

5.14 Le Gouvernement canadien soutient que l'auteur de la communication n'a pas établi prima facie qu'il risque d'être retourné à Sri Lanka ni qu'il risque personnellement d'être l'objet de torture dans l'éventualité où il serait renvoyé à Sri Lanka.

5.15 L'étude de la seconde revendication du statut de réfugié est toujours pendante. Dans l'hypothèse d'une décision négative sur cette revendication, l'auteur pourrait demander à être compris dans la catégorie des «demandeurs non reconnus du statut de réfugié», a savoir une personne qui risque, par exemple, d'être torturée ou soumise à des traitements inhumains ou dégradants, dans le pays où elle serait renvoyée.

5.16 L'auteur pourra en plus demander, à nouveau, aux termes du paragraphe 114(2) de la loi sur l'immigration, à être exempté, pour des motifs humanitaires, de l'application régulière de cette loi et être autorisé à présenter, au Canada, une demande de résidence permanente.

5.17 La décision quant à la revendication du statut de réfugié, si elle est négative, pourra faire l'objet d'une demande d'autorisation afin d'introduire une demande de contr_le judiciaire auprès de la Cour fédérale. Il en va de même pour la décision relative à la catégorie des «demandeurs non reconnus du statut de réfugié» ainsi que la décision relative à l'exemption de l'application régulière de la loi pour des motifs humanitaires.

Commentaires de l'auteur

6.1 Par lettre du 15 mai 1997, l'auteur fait savoir qu'il avait été victime de torture, ainsi que confirmé dans le rapport d'un médecin canadien membre du Réseau d'intervention auprès des personnes ayant subi la violence organisée (RIVO) qui a été soumis au Comité.

6.2 Un traité entre le Canada et les États-Unis pour faciliter le contr_le des revendicateurs et des immigrants et qui sera signé probablement cette année mettra fin à cette possibilité d'être refoulé vers les États-Unis après avoir été refusé au Canada. Les revendicateurs du droit d'asile qui ont demandé l'asile au Canada et qui auront été refusés, n'auront plus le droit de se rendre aux États-Unis pour revendiquer et vice-versa. Les deux pays échangeront des informations et bloqueront l'accès de leur territoire aux revendicateurs rejetés par l'autre partenaire de cette entente.

6.3 En ce qui concerne sa deuxième revendication, ses chances de succès sont à peu près nulles, puisque, selon la pratique habituelle, la décision de la Commission de l'immigration sera fondée presque entièrement sur la première décision négative et sur les notes sténographiques de son premier témoignage.

6.4 Lorsque l'État partie mentionne que le requérant dispose d'un recours pour les risques de retour avant d'être de nouveau expulsé, il faut savoir qu'actuellement seulement 3 % des dossiers sont acceptés dans le cadre de cette procédure.

6.5 En ce qui concerne l'épuisement des recours internes, l'auteur a interjeté appel du refus de sa revendication par une demande de révision à la Cour fédérale, demande qui a été rejetée. La procédure appelée «risques de retour» a ensuite été engagée. La demande a cependant été rejetée au motif que l'auteur pourrait aller se réfugier à Colombo. Ce motif n'a aucun sens puisque cette ville était depuis plus d'un an la cible d'attentats terroristes.

6.6 À ce moment là, les recours ordinaires étaient terminés. L'auteur a encore fait une demande au Ministre de l'immigration pour l'obtention d'un permis de résidence pour des raisons humanitaires, recours spécial et coûteux. Dans les 24 heures, il a reçu une décision négative, délai qui laisse un doute sur le sérieux de la procédure.

6.7 Les fonctionnaires d'immigration ont informé l'avocate qu'elle pourrait faire des représentations devant un arbitre avant le renvoi de l'auteur. Cependant, le jour où l'audition devait avoir lieu, l'avocate a appris que l'auteur avait été renvoyé deux jours plus t_t.

6.8 L'auteur considère que sa demande devant le Comité s'applique à sa situation passée, présente et future tant que le risque d'être renvoyé à Sri Lanka persiste. Il a donc demandé au Comité de suspendre l'étude de son cas en attendant que la décision sur sa nouvelle demande d'asile soit rendue.

Délibérations du Comité

7.1 Avant d'examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité contre la torture doit décider si elle est ou non recevable en vertu de l'article 22 de la Convention.

7.2 Contrairement à l'avis de l'État partie, le Comité considère que la communication de l'auteur concerne aussi la seconde revendication du statut de réfugié, car son objet est identique à celui de la première revendication.

7.3 Conformément à l'alinéa b) du paragraphe 5 de l'article 22 de la Convention, le Comité n'examine aucune communication sans s'être assuré que l'auteur a épuisé tous les recours internes disponibles; cette règle ne s'applique pas s'il est établi que les procédures de recours ont excédé ou excéderaient des délais raisonnables ou qu'il est peu probable qu'elles donneraient satisfaction à la victime présumée. En l'espèce, l'auteur a revendiqué le statut de réfugié, mais la section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié n'a pas encore pris une décision à son égard. L'auteur n'a pas signalé que ce délai dans la prise d'une telle décision soit excessif. Une fois la décision rendue, d'autres voies de recours sont encore disponibles. Dans ces circonstances, le Comité constate que les conditions prescrites à l'article 22, paragraphe 5 b) de la Convention ne sont pas remplies.

8. Le Comité décide en conséquence :

a) Que la communication est irrecevable en l'état;

b) Qu'en application de l'article 109 de son règlement intérieur, la présente décision pourra être reconsidérée s'il reçoit de l'auteur ou en son nom une demande écrite contenant des renseignements d'où il ressort que les motifs d'irrecevabilité ne sont plus valables;

c) Que la présente décision sera communiquée à l'auteur de la communication et à l'État partie.



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