University of Minnesota



M. Mostafa Dada c. Canada, Communication No. 258/2004, U.N. Doc. CAT/C/35/D/258/2004 (2005).


 


Convention Abbreviation: CAT


Décision du Comité contre la torture au titre de l'article 22 de la Convention




1.1 Le requérant est M. Mostafa Dadar, de nationalité iranienne, né en 1950, et actuellement détenu au Canada en attendant son expulsion vers l'Iran. Il affirme que son expulsion constituerait une violation de l'article 3 de la Convention contre la torture. La Convention est entrée en vigueur pour le Canada le 24 juillet 1987. Le requérant est représenté par un conseil, M. Richard Albert.

1.2 Conformément au paragraphe 3 de l'article 22 de la Convention, le Comité a porté la communication à l'attention de l'État partie le 30 novembre 2004. En application du paragraphe 1 de l'article 108 de son règlement intérieur, il a prié l'État partie de ne pas procéder à l'expulsion du requérant vers l'Iran tant qu'il serait saisi de la requête. L'État partie a accédé à cette demande.


Exposé des faits

2.1 De 1968 à 1982, le requérant était membre de l'armée de l'air iranienne avec le grade de capitaine. En décembre 1978, au plus fort des émeutes et des manifestations généralisées dans tout le pays, et avant la prise de pouvoir de l'ayatollah Khomeiny, le requérant a été chargé de commander les opérations d'application de la loi martiale et affecté à la base aérienne «Jusk». Il dit que cette charge lui avait été confiée notamment parce qu'il était un opposant notoire de l'ayatollah Khomeiny et très fidèle au Chah.

2.2 Le 13 février 1979, l'ayatollah Khomeiny étant devenu Président de l'Iran, le requérant a été arrêté et incarcéré à la prison de Qasr à Téhéran pendant près de trois mois. Il était fréquemment soumis à des interrogatoires et roué de coups. Le 2 mai 1979 il a été remis en liberté et peu de temps après affecté à la base aérienne de Mehrabad à Téhéran.

2.3 En décembre 1980, le requérant a été renvoyé de l'armée de l'air en raison de sa loyauté envers le régime monarchiste mais, en février 1981, il a été rappelé. Il a conservé son grade de capitaine et a été affecté à la station radar de Karaj, dans la province de Téhéran. En juillet 1981, il a été renvoyé une deuxième fois de l'armée de l'air pour avoir exprimé des sentiments d'allégeance à l'égard du Chah. Il a ensuite rejoint l'Association nationale du Mouvement iranien («NIMA»), qui a organisé une tentative de coup d'État contre le régime Khomeiny en 1982. En mars 1982, à la suite du coup d'État, de nombreux membres de cette association ont été exécutés. Le requérant a été arrêté, conduit à la prison d'Evin à Téhéran et gravement torturé. Il a également été maintenu au secret. Le 9 juillet 1982, il a subi un simulacre d'exécution. Par trois fois, les autorités ont appelé son frère pour lui annoncer son exécution. Le requérant joint la copie d'un article de presse faisant état de son incarcération et de son procès.

2.4 En décembre 1984, le requérant a été reconnu coupable de tentative d'atteinte à la sûreté de l'État et a été transféré à la prison de Mehr-Shar, près de la ville de Karaj. D'après le requérant, cette prison est en partie souterraine et il ne voyait pas la lumière du jour la plupart du temps. En mai 1985, il a été transféré à la prison de Gezel Hessar et là, son état de santé s'est considérablement dégradé et il est devenu paralysé du tronc.

2.5 En juillet 1987, il a obtenu une autorisation médicale lui permettant de quitter la prison pendant deux jours pour se faire soigner. À ce moment-là, des membres de sa famille étaient en contact avec une organisation promonarchiste connue sous le nom d'Organisation royaliste Sepah, basée à Londres. Des dispositions ont été prises par l'intermédiaire de cette organisation pour lui faire quitter l'Iran. Le requérant a mis à profit son permis de sortie de deux jours pour s'enfuir au Pakistan avec sa femme.

2.6 Le Bureau à Karachi du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a délivré au requérant une carte d'identité et l'a envoyé au Canada; c'est ainsi qu'il est entré au Canada avec sa femme en tant que résident permanent, le 2 décembre 1988.

2.7 Le requérant dit que quand il était au Pakistan il a participé activement à des opérations pour le compte du Chah. Il joint des copies de quatre lettres d'un officier du Chah, dont les dates s'échelonnent entre 1987 et 1989, qui se réfère à ses activités. Dans la dernière lettre, datée du 24 janvier 1989, on peut lire ce qui suit: «Nous tenons à vous féliciter pour votre arrivée au Canada en tant que résident permanent. Nous apprécions votre sens du devoir et vous remercions. Nous n'avons pas d'activités au Canada ni dans un autre pays comme le Canada pour lesquelles nous pourrions avoir besoin de vos services. Nous ne manquerons pas de faire appel à vous dès que nous aurons besoin de vous.». Le requérant joint également une copie d'une lettre datée du 4 avril 2005 émanant du secrétariat de Reza Pahlavi: «Étant donné les états de service de M. Mostafa Dadar et ses activités politiques étendues et remarquées, son retour en Iran dans les circonstances présentes l'exposerait assurément aux méthodes utilisées fréquemment par les religieux intolérants d'Iran, c'est-à-dire l'emprisonnement immédiat, la torture et même l'exécution.».

2.8 Au Canada, le requérant a suivi un traitement pour dépression grave, angoisse et tendances suicidaires. Les médecins ont diagnostiqué des troubles post-traumatiques chroniques, consécutifs au traitement qu'il avait subi en prison. Le requérant est aujourd'hui divorcé de sa femme, dont il a deux enfants nés au Canada.

2.9 Le 31 décembre 1996, le requérant a été reconnu coupable de voies de fait graves et condamné à un emprisonnement de huit ans. Il avait agressé une femme avec laquelle il s'était récemment lié et celle-ci avait dû être hospitalisée en soins intensifs ainsi que dans le service de psychiatrie pendant plusieurs semaines, sans pouvoir parler ni marcher. Elle souffre aujourd'hui d'invalidité permanente. Au procès, le requérant a plaidé non coupable. Il n'a jamais varié depuis lors. Il énumère les irrégularités qui, d'après lui, ont été commises au procès. Par exemple, il dit que le juge n'a pas tenu compte du fait qu'on l'avait retrouvé sur les lieux de l'agression dans un état de somnolence et de stupeur dû à une drogue. Il venait de se réveiller d'un sommeil artificiel, ayant en effet absorbé une grande quantité de sédatifs avant le moment de l'agression. La Cour d'appel du Nouveau-Brunswick l'a débouté de son recours. Il a présenté une demande d'autorisation de former recours auprès de la Cour suprême du Canada, qui a été rejetée en 1999.

2.10 Le requérant indique que, quand il était détenu au Canada, on lui a proposé de rencontrer un représentant du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS). Après la mort de Zahra Kazemi, une reporter canadienne née en Iran qui est morte en détention en Iran en 2003, il a donné au SCRS des renseignements précis sur l'endroit où elle avait été arrêtée et détenue, la nature des tortures qu'elle avait subies, l'hôpital où elle avait été transportée, etc. Il avait obtenu ces renseignements en téléphonant à ses sources en Iran. Le requérant donne ce détail pour prouver qu'il est encore en contact avec les forces d'opposition en Iran.

2.11 Le 30 octobre 2000, le Ministre de la citoyenneté et de l'immigration a rendu un avis de danger en application de la loi sur l'immigration, déclarant que le requérant représentait un danger pour le public. Suite à cette décision, son expulsion a été ordonnée le 18 juin 2001. Le 20 août 2001, le requérant a déposé une demande de révision judiciaire de l'avis de danger du Ministre en faisant valoir un manquement au droit à une procédure équitable, entre autres motifs. Le 5 novembre 2001, le Ministre a accédé à sa demande et l'avis de danger a été annulé. Le 11 avril 2002, la Commission nationale des libérations conditionnelles a accordé au requérant la libération conditionnelle. Le 15 mai 2002, son placement en rétention a été ordonné par le Ministre de la citoyenneté et de l'immigration en application de l'article 103 de l'ancienne loi sur l'immigration, parce qu'il était réputé représenter un danger pour la population canadienne (1) . Il est en détention depuis cette date.

2.12 Le 21 novembre 2002, le Ministre de la citoyenneté et de l'immigration a rendu un deuxième avis de danger, lequel a été annulé par ordonnance de la Cour fédérale du Canada en date du 8 juillet 2003.

2.13 Le 8 mars 2004, le Ministre a rendu un troisième avis de danger qui a été confirmé après le dépôt par le requérant d'une demande de révision judiciaire. Dans cet avis, il est indiqué que le requérant avait été reconnu coupable des infractions ci-après: vol d'une somme inférieure à 5 000 dollars en décembre 1995, qui lui avait valu d'être condamné à une amende de 100 dollars; voies de fait sur la personne de sa femme, le 12 juillet 1995, qui lui avait valu une condamnation à quatre jours d'emprisonnement et à un an de probation; voies de fait graves, le 14 janvier 1997, pour laquelle il avait été condamné à un emprisonnement de huit ans. Dans cet avis, le Ministre citait un rapport du Service correctionnel du Canada sur la révision des motifs de la détention, en date du 18 octobre 2001, et ajoutait: «Ce rapport indique également que le risque que M. D. représente pour la population est faible mais peut aller jusqu'à modéré s'il se trouve pris dans une relation familiale "conflictuelle".».

2.14 En ce qui concerne le risque de torture, le Ministre déclare: «Toutefois, je ne peux pas ignorer la situation qui règne en ce moment en Iran pour déterminer si une personne qui a été considérée comme devant bénéficier du statut de réfugié peut être refoulée. Je ne peux pas ignorer non plus le dossier préparé par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié au sujet du manque de vigueur du mouvement monarchiste en Iran actuellement. Je ne doute pas que la situation des droits de l'homme en Iran soit précaire mais je suis d'avis que l'appartenance passée de M. D. à cette organisation présenterait peu d'intérêt pour les autorités iraniennes; je note toutefois qu'il déclare être toujours partisan de ce mouvement. M. D. a quitté l'Iran il y a environ 17 ans et son incarcération remonte à 21 ans. (…) Au cas où je ferais erreur et où M. D. serait effectivement soumis à la torture ou à des traitements ou à des peines cruelles et inusitées ou serait exécuté, je me fonde sur les principes dégagés par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Suresh. Dans cette affaire, la Cour suprême avait relevé: (…) "Nous n'excluons pas la possibilité que, dans des circonstances exceptionnelles, l'expulsion de quelqu'un qui risque la torture puisse être justifiée."».

2.15 Le requérant signale que le Service correctionnel du Canada est le principal organe chargé de déterminer le risque que pourront représenter les délinquants s'ils sont remis en liberté. Le rapport d'un agent de libération conditionnelle du Service est l'un des instruments les plus objectifs dont le Service dispose pour se prononcer sur la dangerosité de la personne qui fait l'objet du rapport, si elle est remise en liberté. La procédure d'établissement d'un rapport qui préside à l'appréciation du risque repose sur les éléments du dossier, des expertises psychologiques, les résultats de la participation du détenu à des programmes, etc. Le rapport qui concerne le requérant concluait qu'il n'y avait pas de motifs raisonnables de croire qu'il risquait de commettre une infraction entraînant un préjudice grave avant l'extinction de sa peine conformément à la loi.

2.16 Le requérant a également adressé au Comité copie de deux rapports d'expertise psychologique qui concluaient qu'il représentait un risque faible pour la population et un risque modéré dans le contexte d'une relation conjugale.

2.17 Le requérant conteste le bien-fondé de l'avis de danger parce qu'il y est dit que depuis 1996 il n'y a eu en Iran ni arrestations ni exécutions de monarchistes pour des motifs politiques. Il affirme que le fondateur du Parti de la nation iranienne, une organisation politique monarchiste, et cinq de ses collègues ont été sommairement exécutés en 1998 à Téhéran par des membres du Service du renseignement iranien. Les monarchistes sont très actifs en Iran mais ne veulent pas monter une campagne de terreur pour atteindre leurs buts.

2.18 Le requérant ajoute que l'avis de danger repose en grande partie sur les allégations faites par son ancienne femme, qu'il faut considérer comme empreintes d'une forte animosité contre lui du fait de leur séparation et de leur divorce.

2.19 Le requérant a demandé la révision judiciaire du troisième avis de danger. En date du 12 octobre 2004, la Cour fédérale du Canada a confirmé l'avis. Le 22 février 2005, le requérant a fait une demande de remise en liberté pour motifs humanitaires. Le 31 mars 2005, il a déposé une demande en application du paragraphe 2 de l'article 84 de la loi sur l'immigration et la protection des réfugiés pour obtenir sa remise en liberté, qui est prévue pour un étranger qui n'a pas été expulsé dans les 120 jours suivant la date à laquelle la Cour fédérale a jugé le certificat produit à cet effet raisonnable.


Teneur de la plainte

3. Le requérant affirme qu'il existe des motifs sérieux de croire qu'il serait soumis à la torture s'il était renvoyé en Iran, en violation de l'article 3 de la Convention. Il cite des rapports faisant état de la pratique généralisée de la torture en Iran. S'il était expulsé vers ce pays, on chercherait à obtenir de lui des renseignements qui mettraient en danger non seulement sa propre vie mais aussi la vie de plusieurs autres personnes en Iran qui ont participé à un moment ou à un autre à ses activités contre le régime iranien ou ont coopéré avec lui.


Observations de l'État partie sur la recevabilité et le fond de la requête

4.1 Dans une réponse datée du 24 mars 2005, l'État partie fait savoir qu'il ne conteste pas la recevabilité de la requête au motif du non-épuisement des recours internes, encore qu'il relève que le requérant n'a pas déposé de demande en application du paragraphe 1 de l'article 25 de la loi sur l'immigration et la protection des réfugiés alors que dans sa requête au Comité il avait signalé qu'il avait l'intention de le faire. En revanche, l'État partie fait valoir que la requête est irrecevable parce que le requérant n'a pas apporté d'éléments montrant qu'il y aurait violation de l'article 3 de la Convention. Si le Comité devait conclure à la recevabilité de la requête, l'État partie affirme, en se fondant sur les mêmes arguments, que l'affaire est dénuée de fondement.

4.2 L'État partie dit qu'en juillet 1995 le requérant a été condamné pour voies de fait sur la personne de son ancienne femme, Mme J. Ils se sont séparés en 1995. Ils ont deux enfants qui vivent avec leur mère. Sur décision du juge, le requérant n'a pas le droit de voir ses enfants afin de préserver leur sécurité et leur bien-être. En décembre 1995, il a été condamné pour le vol d'une somme de moins de 5 000 dollars à une amende de 100 dollars. En janvier 1997, il a été reconnu coupable de voies de fait graves sur la personne de son amie de l'époque et condamné à un emprisonnement de huit ans. Il a commis l'agression alors qu'il était sous probation après sa condamnation pour l'agression de 1995.

4.3 Pendant toute la procédure d'appel, le requérant a affirmé qu'il n'avait pas commis les faits reprochés. Or il avait fait plusieurs déclarations qui équivalent effectivement à reconnaître ses crimes et avait même exprimé des remords à l'égard de la victime. À ce sujet, l'État partie renvoie aux déclarations que le requérant avait faites à propos du rapport sur l'avis ministériel daté du 30 octobre 2000.

4.4 Le rapport sur l'avis ministériel daté du 15 octobre 2000 concluait qu'il n'y avait guère lieu de douter que le requérant ait subi des traitements durs et inhumains en Iran. En se fondant sur le rapport sur les pratiques en matière de droits de l'homme du Département d'État des États-Unis pour 1999, le Ministre relevait également qu'il risquait à son retour d'être soumis à des traitements durs et inhumains. Néanmoins, il concluait que le danger que le requérant représentait pour la société canadienne l'emportait sur le risque qu'il pourrait courir s'il retournait en Iran. C'est sur la base de ce rapport que l'expulsion du requérant a été ordonnée, le 18 juin 2001. Le 14 novembre 2001, pour des raisons de vices de procédure, la Cour fédérale a ordonné l'annulation de l'avis du Ministre et a renvoyé l'affaire aux autorités aux fins d'un nouvel examen.

4.5 Un deuxième avis ministériel défavorable au requérant a été rendu le 21 novembre 2002. La conclusion de l'évaluation du risque encouru donnée dans la demande d'avis du Ministre, datée du 17 juillet 2002, était qu'il n'existait pas de motifs sérieux de croire que le requérant risquait d'être soumis à la torture et qu'il était improbable qu'il subisse d'autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, s'il était renvoyé en Iran. Cette appréciation reposait sur le fait que le requérant n'avait donné aucun détail au sujet de son implication actuelle dans les activités de l'organisation NIMA, qu'il s'était écoulé 20 ans depuis qu'il avait participé à la tentative de coup d'État et 16 ans depuis qu'il avait quitté l'Iran. Le 21 novembre 2002, le Ministre a rendu son avis. Il relevait que la situation en Iran s'était un peu améliorée mais que, comme le requérant s'était évadé de prison, il courait le risque d'être arrêté de nouveau et d'être soumis de nouveau à la torture. Le Ministre concluait néanmoins que le risque important que le requérant représentait pour la population au Canada l'emportait sur le risque que le requérant soit de nouveau arrêté et torturé une fois renvoyé en Iran. Le 8 juillet 2003, pour des raisons de vices de procédure, la Cour fédérale du Canada a ordonné l'annulation de l'avis et a renvoyé l'affaire aux autorités aux fins d'un nouvel examen.

4.6 Un troisième avis ministériel a été rendu le 8 mars 2004. La conclusion était que le requérant, comme d'autres personnes expulsées, risquait d'être fouillé et interrogé longuement quand il rentrerait en Iran afin d'obtenir des preuves de ses activités à l'étranger hostiles au Gouvernement. Toutefois cela ne suffisait pas en soi à constituer un risque grave de torture ou d'autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Dans son rapport, le Ministre rappelait qu'il s'était écoulé 21 ans depuis que le requérant avait fait de la prison pour ses activités politiques et que, depuis 1997, l'Iran connaissait un vaste mouvement de réforme. De plus, il était difficile de croire que le requérant était un personnage important dans la société iranienne. Dans l'avis, le Ministre évoquait également la situation des promonarchistes en Iran, et citait deux documents qui avaient été établis par la Direction de la recherche de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié en mars 2000 et en octobre 2002. Le premier concluait que les monarchistes n'étaient plus du tout organisés ni actifs en Iran. Dans le second, il était indiqué que les manifestations de monarchistes étaient dispersées à l'aide de gaz lacrymogènes et de matraques et que quelques arrestations avaient lieu. La conclusion de l'avis était que l'appartenance antérieure du requérant à une organisation promonarchiste, qui ne représentait plus une menace pour le régime au pouvoir, n'intéresserait guère les autorités iraniennes.

4.7 Le rapport signalait également certaines incohérences au sujet des circonstances de l'évasion de prison du requérant. Dans une enquête fondée sur des témoignages, datée du 1er septembre 1998, l'ancienne femme du requérant disait qu'il avait été condamné à deux ans d'emprisonnement et remis en liberté une fois la peine purgée, avec une remise de 22 jours pour bonne conduite. De plus, un rapport d'expertise psychologique daté du 8 décembre 1998 indiquait que le requérant était allé au Pakistan après avoir été libéré.

4.8 L'avis ministériel indiquait également que le requérant n'avait produit aucun élément spécifique pour montrer qu'il avait effectivement continué à avoir des activités politiques au Canada. Il n'avait pas signalé que les autorités iraniennes l'avaient activement recherché à un moment quelconque et n'avait fait aucune mention d'actes de harcèlement dont sa famille aurait été l'objet de la part d'agents du Gouvernement. Étant donné qu'il avait été incarcéré pendant un certain nombre d'années et qu'avant sa détention il avait mené ce qui semblait être une existence isolée, il était peu probable qu'il ait continué des activités politiques de quelque importance.

4.9 L'État partie conclut que le requérant n'a pas apporté d'éléments montrant qu'il y a des motifs sérieux de croire que son renvoi vers l'Iran aurait pour conséquence prévisible de l'exposer personnellement à un risque réel d'être torturé. Il ne conteste pas que le requérant ait participé à une tentative de coup d'État ou qu'il ait fait à une époque de la prison pour ce motif, mais l'État partie affirme qu'il n'a pas prouvé qu'il courrait le moindre risque d'être soumis à la torture s'il était expulsé en Iran du fait de sa participation aux activités de la NIMA. Le requérant avait produit un article de journal écrit en farsi et une lettre du secrétariat de Reza II, datés l'un et l'autre de 1988. Il n'avait pas apporté le moindre document récent qui permettait de penser que les autorités iraniennes s'intéressaient encore à lui ou avaient l'intention de le poursuivre ou de l'arrêter et de le soumettre à un quelconque traitement contraire à l'article 3 de la Convention. Sa participation à une tentative de coup d'État qui avait eu lieu plus de 20 ans auparavant ne peut pas être considérée comme appartenant au passé récent.

4.10 Le requérant n'a apporté aucun élément montrant que les membres de sa famille restés en Iran ont été victimes de représailles de la part des autorités iraniennes du fait de ses opinions politiques ni pour l'avoir aidé dans son évasion alléguée de prison et sa fuite d'Iran. En fait, la seule chose qui existe dans le dossier est la simple affirmation du requérant qui dit qu'il sera torturé ou exécuté s'il retourne en Iran. Étant donné les hésitations perpétuelles du requérant quant à la question de savoir s'il s'est livré ou non à des voies de fait graves, ainsi que d'autres incohérences relevées par la Cour fédérale dans son exposé des motifs de rejet de la demande de révision judiciaire, l'État partie fait valoir que le requérant manque de crédibilité et qu'il ne faut pas se fier à sa seule parole.

4.11 Pour ce qui est de ses activités depuis son départ d'Iran, tout ce que le requérant a apporté comme preuve est sa propre déclaration, peu fiable, dans laquelle il affirme qu'il a continué ses activités politiques au Canada. En l'absence d'éléments de preuve crédibles et récents, il est impossible de conclure qu'il court actuellement et personnellement un danger prévisible. Enfin, si la situation des droits de l'homme en Iran demeure problématique, le requérant n'a apporté aucun élément pour montrer qu'il risque personnellement d'être soumis à la torture.

4.12 L'État partie fait valoir que, par trois fois, une évaluation du risque a été conduite avant de conclure que le requérant représentait un danger pour le public et qu'il devait être expulsé. Le requérant a donc eu trois fois la possibilité d'objecter qu'il courait un risque. C'est ce qu'il a fait, et il a longuement exposé sa situation particulière. Aucune des trois évaluations distinctes n'a abouti à la conclusion que le requérant courrait un risque réel d'être torturé s'il était renvoyé en Iran. En fait, la dernière évaluation a établi que les autorités iraniennes ne s'intéresseraient quasiment pas à lui. Cette conclusion a été confirmée par la Cour fédérale.

4.13 L'État partie fait valoir que le Comité ne doit pas se substituer aux autorités canadiennes pour ce qui est d'établir s'il y a des motifs sérieux de croire que le requérant court personnellement le risque d'être soumis à la torture s'il est refoulé, étant donné que les procédures menées par les autorités canadiennes ne font apparaître aucune erreur manifeste ni un caractère déraisonnable et qu'elles n'ont pas été entachées d'abus de procédure, de mauvaise foi, de partialité manifeste ou d'irrégularités graves. Il appartient aux juridictions nationales des États parties à la Convention d'apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée et le Comité ne doit pas s'ériger en organe de quatrième ressort qui serait compétent pour procéder à une nouvelle appréciation des conclusions de fait ou à un réexamen de l'application de la législation nationale.

4.14 Si donc la requête devait être déclarée recevable, l'État partie demande au Comité de conclure, en se fondant sur les mêmes arguments, qu'elle est dénuée de fondement.


Commentaires du requérant sur les observations de l'État partie

5. Dans une lettre datée du 11 juillet 2005, le requérant affirme que l'avis de danger du 8 mars 2004 repose en grande partie sur les affirmations de son ancienne femme. Or les déclarations de celle-ci doivent être considérées comme empreintes d'une forte animosité à son égard du fait de leur séparation et de leur divorce. Il donne des exemples de déclarations faites par sa femme afin de démontrer qu'elle n'est pas un témoin digne de foi. Par exemple, dans une déclaration à la police, elle a feint de ne pas connaître l'amie du requérant, ce qui n'était pas vrai car les deux femmes se connaissaient déjà avant l'agression. D'après un rapport de police daté du 23 mai 1996, la police s'est rendue chez elle le 27 avril 1996 parce qu'elle avait appelé en disant que le requérant l'avait menacée. Or, malgré cette plainte, le requérant n'avait pas été inquiété. Il faut en conclure que le requérant ne l'avait pas menacée et que ce qu'elle avait dit à la police était un mensonge.


Observations supplémentaires de l'État partie

6.1 Dans une lettre datée du 29 juillet 2005, l'État partie donne la liste des sources qui ont été consultées avant d'établir l'avis ministériel, relativement au rôle des monarchistes en Iran. Des rapports et des publications des Nations Unies, du Département d'État des États-Unis ainsi que d'organisations non gouvernementales montraient l'existence de violations des droits de l'homme en Iran, y compris l'usage de la torture, à l'encontre de groupes particuliers de personnes. Il s'agit d'une façon générale de dissidents politiques notoires, de journalistes, de femmes, de jeunes et de personnes appartenant à une minorité religieuse. Les rapports ne font guère état des monarchistes. Le peu qui est dit de la situation des monarchistes se rapporte à la période suivant immédiatement la révolution de 1979. Le requérant a cité le nom de plusieurs individus appartenant à la NIMA, qui auraient été exécutés. Or la date des exécutions était le 9 novembre 1982.

6.2 Le requérant mentionne l'assassinat en 1998 de Dariush et Parvaneh Forouhar, fondateurs du Parti de la nation iranienne, comme exemple d'un cas récent d'actes de torture contre des monarchistes en Iran. S'il n'est pas en mesure de faire des observations sur les circonstances de ces morts, l'État partie relève que ni le rapport de 2004 du Département d'État des États-Unis, cité par le requérant, ni aucun autre rapport consulté par le Gouvernement canadien ne qualifie les Forouhar ou le Parti de la nation iranienne de «monarchistes purs et durs». Ils sont au contraire qualifiés de «militants politiques notoires» ou de «détracteurs notoires du Gouvernement». De plus, d'après Human Rights Watch, M. Forouhar avait également été prisonnier politique sous le régime du Chah Pahlavi, fondateur du mouvement monarchiste, ce qui fait douter de l'appartenance des Forouhar à une «organisation politique monarchiste pure et dure» affirmée par le requérant. L'État partie conclut que le lien entre les Forouhar et les monarchistes n'a pas été mis en évidence.

6.3 L'État partie donne des renseignements sur d'autres personnes qui seraient monarchistes, afin de montrer qu'il n'y a pas eu d'arrestations ou de poursuites pour motif politique à l'encontre de monarchistes depuis plusieurs années. De plus, de son propre aveu, le requérant n'a pas été en contact avec des monarchistes depuis qu'il a quitté le Pakistan, en 1988. Donc son engagement auprès de ce mouvement ne peut pas être considéré comme suffisamment important pour retenir l'attention des autorités iraniennes.


Commentaires supplémentaires du requérant

7.1 Par lettre datée du 27 septembre 2005, le requérant se réfère à l'un des avis de danger qui se fondait sur des sources d'après lesquelles, en février 2001, la police iranienne avait employé des gaz lacrymogènes pour disperser une manifestation de monarchistes et avait arrêté des dizaines de manifestants et en avait blessé un certain nombre d'autres. Il ajoute que les Forouhar, bien qu'ils aient été des prisonniers politiques sous le Chah Pahlavi, étaient devenus promonarchistes. Il cite d'autres personnes qui seraient monarchistes ou promonarchistes et qui ont été arrêtées après juillet 1999, accusées d'avoir organisé une manifestation contre le régime iranien et exécutées le 15 mars 2003.

7.2 Il existe deux grands groupes d'opposition au régime actuel en Iran: le MEK et les monarchistes. Le MEK a participé à des actes terroristes et ne saurait donc prétendre remplacer le régime actuel. Les monarchistes ont plusieurs chaînes de télévision dans différents pays et sont très actifs dans la diffusion d'une information critique à l'égard du régime en place.

7.3 Le requérant insiste sur le fait qu'il est activement engagé aux côtés des monarchistes depuis 1988. Il mentionne les lettres du 24 janvier 1989 et du 4 avril 2005 (voir par. 2.7) et dit qu'il attend que les monarchistes l'appellent pour prêter ses services. Il réaffirme que le 20 juin 2003 il a été interrogé par le Service canadien du renseignement de sécurité, qui a proposé d'utiliser ses services.

7.4 En ce qui concerne les sources citées par l'État partie, le requérant fait valoir que la majorité des organisations internationales de défense des droits de l'homme n'ont pas eu avec les prisonniers du régime iranien les contacts directs qui leur auraient permis d'apprécier avec exactitude l'ampleur de la brutalité avec laquelle le régime traite ses détracteurs, y compris les monarchistes.

7.5 Le requérant rappelle que la situation des droits de l'homme en Iran est loin d'être bonne et cite le rapport de 2002 d'Amnesty International qui signalait que la torture et les mauvais traitements, y compris l'incarcération de prisonniers d'opinion, étaient toujours pratiqués.


Délibérations du Comité

8.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture détermine si la requête est recevable en vertu de l'article 22 de la Convention. Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l'article 22 de la Convention, que la même question n'avait pas été examinée et n'était pas en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement. Le Comité note également que l'État partie ne conteste pas la recevabilité de la requête au motif du non-épuisement des recours internes et que le requérant a suffisamment étayé ses allégations aux fins de la recevabilité. En conséquence, le Comité déclare la requête recevable et procède à son examen quant au fond.

8.2 Le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant en Iran, l'État partie manquerait à l'obligation qui lui est faite en vertu de l'article 3 de la Convention de ne pas expulser ni refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture.

8.3 En procédant à l'évaluation du risque de torture, le Comité tient compte de tous les éléments pertinents, y compris de l'existence dans l'État intéressé d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives. Néanmoins, il s'agit de déterminer si l'intéressé court personnellement un risque dans le pays dans lequel il serait renvoyé. Dès lors, l'existence d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir qu'il risque d'être soumis à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l'intéressé courrait personnellement un risque. À l'inverse, l'absence d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives ne signifie pas qu'une personne ne peut pas être considérée comme courant le risque d'être soumise à la torture dans les circonstances qui sont les siennes.

8.4 Le Comité rappelle son observation générale relative à l'article 3, dans laquelle il déclare qu'il doit déterminer s'il y a des motifs sérieux de croire que le requérant risque d'être soumis à la torture s'il est renvoyé dans le pays concerné, et que l'existence d'un tel risque doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. Il n'est pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable, mais ce risque doit être encouru personnellement et actuellement.

8.5 En procédant à l'appréciation du risque de torture encouru en l'espèce, le Comité note que le requérant dit avoir été torturé et incarcéré à plusieurs occasions par les autorités iraniennes en raison de ses activités contre le régime actuel et qu'à son arrivée au Canada, les médecins ont déclaré qu'il souffrait de troubles post-traumatiques chroniques. L'État partie ne conteste pas ces éléments.

8.6 Même si les tortures et l'emprisonnement subis par le requérant ont eu lieu entre 1979 et 1987, c'est-à-dire dans un passé qui n'est pas récent, le requérant fait valoir qu'il continue d'être actif dans le mouvement d'opposition iranien. L'État partie a exprimé des doutes sur la nature de cet engagement. Toutefois, rien dans les informations dont le Comité est saisi ne permet d'affirmer que cet engagement est inexistant. À cet égard, le requérant a présenté un certain nombre de lettres faisant référence à ses activités en tant que membre du groupe d'opposition monarchiste. Dans l'une d'elles, on dit craindre qu'il soit emprisonné, torturé puis exécuté s'il retourne en Iran dans les circonstances présentes. Il a également fourni des renseignements à l'appui de ses dires selon lesquels les monarchistes sont toujours actifs dans le pays comme à l'étranger et qu'ils continuent d'être persécutés en Iran. De surcroît, l'État partie n'a pas contesté le fait que le requérant collaborait avec le Service canadien du renseignement de sécurité en 2003. Le requérant a fourni ces renseignements au Comité pour montrer qu'il poursuit son action dans le mouvement d'opposition iranien.

8.7 Le Comité n'ignore pas la situation des droits de l'homme en Iran et relève que les autorités canadiennes ont également pris cette question en considération quand elles ont apprécié le risque de torture encouru par le requérant s'il est renvoyé dans son pays. Il note à ce sujet que, d'après les autorités canadiennes, il ne fait aucun doute que le requérant serait interrogé s'il était renvoyé en Iran, comme toutes les personnes qui rentrent dans ce pays à la suite d'une expulsion. Le Comité estime que la possibilité d'être interrogé à son retour accroît le risque encouru par le requérant.

8.8 Le Comité note que les arguments du requérant et les éléments qu'il a apportés pour les étayer ont été examinés par les autorités de l'État partie. Il prend note également de l'observation de l'État partie selon laquelle le Comité n'est pas un organe de quatrième ressort. Si le Comité accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l'État partie, il a la faculté d'apprécier librement les faits dans les circonstances de chaque affaire. En l'espèce, il note que les autorités canadiennes ont apprécié les risques que le requérant encourrait s'il retournait en Iran et ont conclu que les autorités iraniennes ne s'intéresseraient guère à lui. Toutefois, les mêmes autorités canadiennes n'ont pas exclu que leur appréciation puisse être fausse et que le requérant soit effectivement soumis à la torture. En l'espèce, elles ont conclu que le danger que représentait le requérant pour les citoyens canadiens devait l'emporter sur le risque de torture et que le requérant devait donc être expulsé du Canada. Le Comité rappelle que l'interdiction faite à l'article 3 de la Convention est absolue. En conséquence, l'argument de l'État partie selon lequel le Comité n'est pas un organe de quatrième ressort ne peut prévaloir et le Comité ne peut conclure que l'État partie a examiné l'affaire de façon pleinement satisfaisante au regard de la Convention.

8.9 Dans ces circonstances, le Comité considère qu'il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risque d'être soumis à la torture s'il est renvoyé en Iran.

9. Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que l'expulsion du requérant vers l'Iran constituerait une violation de l'article 3 de la Convention.

10. Le Comité engage instamment l'État partie, en application du paragraphe 5 de l'article 112 du règlement intérieur, à l'informer dans les 90 jours suivant la date de transmission de la présente décision, des mesures qu'il aura prises pour donner effet à celle-ci.

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[Adopté en anglais (version originale), en espagnol, en français et en russe. Paraîtra ultérieurement en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]



Notes


1. À ce moment-là, il ne faisait pas l'objet d'un avis de danger valable puisque le premier avis avait déjà été annulé.

 

 



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