University of Minnesota



T. A. c. Sweden, Communication No. 226/2003\, U.N. Doc. CAT/C/34/D/226/2003 (2005).


 


Convention Abbreviation: CAT
Comité contre la Torture

Trente-quatrième session

2 - 20 mai 2005


ANNEXE

Décision du Comité contre la Torture en vertu de l'article 22

de la Convention contre la Torture et Autres Peines

ou Traitements Cruels, Inhumains ou Dégradants

- Trente-quatrième session -



Communication No. 226/2003


Présentée par: T. A. (représentée par un conseil, Mme Gunnel Stenberg)

Au nom de: T. A. et sa fille S. T.

État partie: Suède

Date de la communication: 16 janvier 2003

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l'article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 6 mai 2005,

Ayant achevé l'examen de la requête no 226/2003, présentée par Mme T. A. en vertu de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont communiquées par la requérante, son conseil et l'État partie,

Adopte ce qui suit:


Décision du Comité contre la torture au titre
de l'article 22 de la Convention




1.1 La requérante est Mme T. A., de nationalité bangladaise, qui soumet la requête en son nom et au nom de sa fille, S. T., née en 1996. La mère et la fille sont en attente d'expulsion de Suède vers le Bangladesh. Mme T. A. affirme que son expulsion vers ce pays constituerait une violation par la Suède des articles 3 et 16 et peut-être de l'article 2 de la Convention. Elle est représentée par Mme Gunnel Stenberg.

1.2 Le 20 janvier 2003, le Comité a transmis la requête à l'État partie, en application du paragraphe 3 de l'article 22 de la Convention. Conformément au paragraphe 1 de l'article 108 de son règlement intérieur, il l'a prié de ne pas expulser la requérante et sa fille vers le Bangladesh tant que leur requête serait à l'examen. Le 11 mars 2003, l'État partie a informé le Comité qu'il surseoirait à l'exécution de l'arrêté d'expulsion en attendant que le Comité examine la requête.


Rappel des faits présentés par la requérante

2.1 La requérante et sa fille sont arrivées en Suède le 13 octobre 2000 munies d'un visa de touriste pour rendre visite à la sœur de la requérante. Elles ont déposé une demande d'asile le 9 novembre 2000. Le 24 septembre 2001, le Conseil des migrations a rejeté leur demande et ordonné leur expulsion. Le 25 février 2002, la Commission de recours des étrangers a confirmé la décision du Conseil des migrations. Deux nouvelles demandes de permis de résidence fondées sur des motifs humanitaires ont aussi été rejetées par la Commission. Une troisième demande a été présentée le 17 décembre 2002. La Commission de recours des étrangers a rejeté, le 19 décembre 2002, une demande de sursis à exécution de l'arrêté d'expulsion. La requérante affirme qu'elle a ainsi épuisé tous les recours internes.

2.2 Devant le Conseil des migrations, la requérante a indiqué qu'elle était devenue membre active du Parti Jatiya au Bangladesh en 1994 et que son mari militait au sein de ce parti depuis bien avant cette date. En 1996, elle a été nommée secrétaire de l'association féminine locale du Parti à Mirpur Thana, où vivait sa famille. Elle avait pour tâche d'informer le public du travail accompli par le Parti, de prendre la parole dans les réunions et de participer aux manifestations. En 1999, à la suite d'une scission au sein du Parti, elle et son mari sont restés dans la fraction dirigée par Ershad.

2.3 Le 7 septembre 1999, à la suite d'une manifestation au cours de laquelle une grenade avait été lancée, la police a arrêté la requérante. Pendant sa détention, Mme T. A. a été victime de mauvais traitements et blessée à l'orteil. Elle a été libérée le lendemain. Le 23 novembre 1999, des membres de la Ligue Awami ont brutalisé la requérante et son époux. Ils ont accusé ce dernier du meurtre d'un des membres de la Ligue au cours d'une manifestation à laquelle il avait participé. Vers le 21 janvier 2000, une main coupée a été placée devant la maison du couple. Le 10 avril 2000, d'autres membres de la Ligue ont saccagé le domicile de M. et Mme T. A. et demandé à la requérante de leur dire où se trouvait son mari, qui vivait alors en cachette. La requérante a signalé l'incident à la police qui a refusé de mener une enquête lorsqu'elle a su que les responsables appartenaient à la Ligue Awami.

2.4 Le 16 août 2000, la police, accompagnée par des membres de la Ligue Awami, a arrêté la requérante et sa fille au domicile de ses parents où elles s'étaient réfugiées. L'enfant, qui avait alors 4 ans, a été poussée si violemment qu'elle est tombée et s'est blessée au front. La requérante a été conduite au poste de police, accusée de trafic d'armes, soumise à des actes de torture et violée pour qu'elle fasse des aveux. Ses agresseurs l'ont frappée avec la crosse d'un fusil, suspendue par les pieds jusqu'à ce qu'elle commence à saigner du nez, déshabillée et brûlée à la cigarette. On lui a versé de l'eau dans les narines. Elle a été ensuite violée et a fini par perdre conscience. Elle a été libérée le lendemain après que son père eut soudoyé des policiers. Elle a été obligée de signer un document dans lequel elle s'engageait à s'abstenir de toute activité politique et à ne pas quitter la ville ou le pays. Après sa libération, la requérante a été soignée dans une clinique privée au Bangladesh. Depuis son arrivée en Suède, elle est en contact avec ses proches, qui lui ont fait savoir que la police bangladaise continuait à la rechercher.

2.5 Comme preuve de ses activités politiques, la requérante a présenté au Conseil des migrations un reçu attestant le paiement de ses droits d'adhésion au Parti Jatiya et une attestation de ce parti indiquant qu'elle avait rejoint ses rangs en 1994 et qu'elle y avait été élue vice-secrétaire en janvier 1996. Elle a également fourni un rapport médical, daté du 17 août 2000, établi par un hôpital au Bangladesh qui confirmait qu'elle avait été physiquement agressée et violée. Le rapport précisait qu'elle avait plusieurs traces de brûlures de cigarette sur sa cuisse droite et sa main droite, des contusions au poignet, une coupure à un doigt de sa main droite et un hématome au dos et qu'elle saignait du vagin au-dessus de la vulve. La requérante a également présenté un certificat médical établi par un psychologue, le 22 mai 2001, indiquant que son état mental s'était détérioré, qu'elle souffrait d'insomnie, de nausées, qu'elle vomissait et qu'elle avait des sueurs froides, des difficultés à se concentrer et à parler, des accès de faiblesse et de vives réminiscences du viol qu'elle avait subi. Un autre certificat, établi par un psychologue suédois le 7 septembre 2001, montrait qu'elle souffrait de troubles post-traumatiques caractérisés par des cauchemars, des réminiscences et plusieurs symptômes physiques prononcés. Le même certificat précisait que la fille de la requérante souffrait de constipation, n'avait pas d'appétit et avait des difficultés à dormir. L'enfant souffrait d'un traumatisme caractérisé du fait de l'attente d'une décision quant à l'octroi d'un permis de résidence.

2.6 La requérante souligne que le Conseil des migrations n'a pas contesté qu'elle ait été torturée et violée. Il a cependant conclu que ces actes étaient imputables non pas à l'État bangladais mais à des agents de police agissant à titre individuel. Le Conseil des migrations a également souligné que le Parti Jatiya participait à une coalition avec le Parti national bangladais (ci-après dénommé BNP) qui est actuellement au pouvoir.

2.7 Devant la Commission de recours des étrangers, la requérante a contesté les conclusions du Conseil des migrations. Elle a nié que la fraction Ershad du Parti Jatiya soit alliée au BNP et a fait observer qu'au moment de la présentation de son recours à la Commission le chef de cette fraction, M. Ershad, avait quitté le Bangladesh. Pour ce qui est des actes de torture et du viol, elle a fait valoir que la police faisait partie de l'État bangladais mais qu'il était vain de déposer des plaintes contre des policiers parce qu'elles ne faisaient jamais l'objet d'enquêtes et que généralement la situation de la victime se détériorait si elle décidait de porter plainte. Elle a cité des rapports du Département d'État des États-Unis et d'Amnesty International selon lesquels la torture était fréquente et pratiquée de manière routinière au Bangladesh. Elle a également soumis trois certificats, datés des 20 et 22 novembre 2001 et du 22 février 2002, respectivement, montrant que les troubles post-traumatiques dont elle souffrait s'étaient aggravés et qu'il y avait un sérieux risque de suicide. Un certificat indiquait que la fille de la requérante avait des cauchemars et des réminiscences de l'incident durant lequel la maison familiale avait été saccagée au Bangladesh, et que son développement émotionnel en avait pâti.

2.8 Dans sa décision du 25 février 2002, la Commission de recours des étrangers a estimé que la torture et le viol n'étaient pas imputables à l'État mais à des policiers agissant de manière isolée, que la requérante avait travaillé pour un parti légal et en avait été un membre ordinaire sans influence notable et qu'en raison des changements politiques intervenus au Bangladesh, il n'y avait pas de sérieux motif de croire qu'elle serait arrêtée et torturée par la police en cas de renvoi dans son pays.

2.9 Comme pièces jointes à ses nouvelles demandes de permis de résidence fondées sur des motifs humanitaires déposées le 20 mai et le 1er juillet 2002, la requérante a soumis d'autres certificats médicaux attestant la détérioration de sa santé mentale et de celle de sa fille. Ces certificats, qui étaient datés des 19 et 22 avril et du 7 mai 2002, montraient que l'état de santé mentale de la requérante avait empiré après la décision de la Commission de recours des étrangers. Elle souffrait d'une dissociation mentale et avait la sensation de vivre au présent le traumatisme qu'elle avait subi. Elle avait des tendances suicidaires de plus en plus marquées. Sa fille présentait quant à elle les symptômes d'un grave traumatisme. Le 26 mai 2002, la requérante a fait une tentative de suicide et a été conduite au service psychiatrique de l'hôpital St. Goran à Stockholm le même jour pour y subir un traitement psychiatrique obligatoire. Le 26 mars 2002, un psychiatre a certifié qu'elle souffrait de graves troubles mentaux et probablement d'une psychose. Le traitement psychiatrique obligatoire administré à la requérante était destiné à prévenir le risque de suicide. Selon un autre expert, la santé mentale de la requérante s'était encore aggravée après sa sortie de l'hôpital le 6 août 2002. Elle ne pouvait plus s'occuper de sa fille qui avait été placée dans une autre famille. L'expert a suggéré que la requérante bénéficie de soins ambulatoires parce que sa santé mentale s'était aggravée durant son séjour à l'hôpital. En ce qui concerne la fille de la requérante, le certificat médical indiquait qu'elle avait sombré dans un état grave et dangereux et qu'elle aurait besoin d'une psychothérapie de longue durée.

2.10 La Commission de recours des étrangers a rejeté les nouvelles demandes de la requérante au motif que les éléments de preuve présentés ainsi que l'évaluation de l'état général de l'intéressée ne justifiaient pas la délivrance de permis de résidence. Pour ce qui est de la fille de la requérante, la Commission est arrivée à la conclusion qu'elle avait des attaches familiales au Bangladesh où il y avait son père, ses grands-parents maternels et les frères et sœurs de sa mère, que la requérante et sa fille ne séjournaient en Suède que depuis deux ans, qu'il était dans l'intérêt supérieur de l'enfant qu'elle retrouve un environnement familier et que c'était dans un tel environnement que les soins dont elle avait besoin pourraient être le mieux assurés.

2.11 Le 17 décembre 2002, une nouvelle demande de permis de résidence fondée sur des motifs humanitaires a été déposée. Les nouveaux éléments soumis consistaient en des rapports établis par des experts qui avaient été en contact avec la requérante et sa fille, ainsi qu'un rapport du service de la famille du bureau de la sécurité sociale à Rinkeby adressé à Bromstergarden, organisme chargé d'évaluer les besoins des enfants, l'aptitude des mères à prendre soin d'eux ainsi que de questions relatives au regroupement de la mère et de l'enfant et de l'organisation de réunions de soutien. Selon ces éléments de preuve, l'état mental de la requérante s'était tellement détérioré qu'elle était complètement coupée de sa fille. Cet état d'aliénation non seulement empêchait la mère d'assurer à sa fille les soins dont elle avait besoin, mais menaçait gravement l'équilibre psychique de cette dernière. En outre, un rapport concluait que la requérante avait décidé de se donner la mort et de tuer sa fille si elle était obligée de retourner au Bangladesh. Tant la requérante que sa fille avaient besoin d'un contact continu avec un psychothérapeute.


Teneur de la plainte

3.1 La requérante affirme qu'il y a de sérieux motifs de croire qu'elle serait torturée si elle était renvoyée au Bangladesh. Elle fait valoir que les critères établis à l'article 3 de la Convention sont remplis. Ni le Conseil des migrations ni la Commission de recours des étrangers n'a remis de quelque manière que ce soit en question ses déclarations sur ses activités politiques, les arrestations par la police, le fait que ces arrestations étaient motivées par ses activités politiques, la torture et le viol dont elle avait été victime ou ses affirmations selon lesquelles la police avait continué à la rechercher après son départ du Bangladesh. Elle soutient qu'elle risque le même traitement si elle est renvoyée dans son pays.

3.2 La requérante affirme qu'eu égard aux témoignages médicaux versés dans son dossier, l'exécution de l'arrêté d'expulsion constituerait en lui-même une violation de l'article 16 de la Convention et peut-être aussi de l'article 2 compte tenu de l'état psychique fragile dans lequel elle et sa fille se trouvent et des troubles post-traumatiques aigus dont elle souffre par suite des persécutions et des tortures dont elle a été victime.

3.3 La requérante fait valoir que la description des tortures dont elle a été victime coïncide avec ce que l'on sait de manière générale de la pratique de la torture par la police bangladaise. Elle se réfère à plusieurs rapports émanant de gouvernements et d'organisations non gouvernementales internationales. Selon ces rapports, la torture pratiquée par la police à l'encontre des opposants politiques est non seulement autorisée par le pouvoir politique mais aussi perpétrée à son instigation et soutenue par lui. En outre, les tribunaux nationaux ne sont pas indépendants et les décisions des juridictions supérieures ne sont souvent pas respectées par l'exécutif.

3.4 La requérante conteste la conclusion de la Commission de recours des étrangers selon laquelle, en raison du changement de situation au Bangladesh à la suite des élections d'octobre 2001, elle ne risque plus d'être torturée en cas de renvoi. Elle déclare que ces élections n'ont pas modifié la situation politique au Bangladesh au point où l'on peut considérer que les motifs de persécution n'existent plus. Le changement de gouvernement ne signifie pas en lui-même que les personnes qui ont fait l'objet de fausses accusations du fait de leurs activités politiques seraient acquittées. Elles risquaient encore d'être arrêtées par la police et de subir des mauvais traitements et des actes de torture.


Observations de l'État partie sur la recevabilité et le fond de la requête

4.1 Le 2 avril 2003, l'État partie a formulé ses observations sur la recevabilité et le fond de la requête. Il reconnaît que tous les recours internes ont été épuisés mais affirme que la requête est irrecevable dans la mesure où l'allégation de la requérante, selon laquelle elle risque de subir un traitement contraire à l'article 3 de la Convention en cas de renvoi au Bangladesh, n'a pas été suffisamment étayée pour que sa plainte puisse être jugée compatible avec l'article 22 de la Convention.

4.2 L'État partie conteste aussi l'affirmation selon laquelle l'exécution de l'arrêté d'expulsion constituerait en elle-même une violation des articles 2 ou 16 de la Convention compte tenu de la fragilité psychique de la requérante et de sa fille. En effet, l'exécution d'un arrêté d'expulsion ne peut être considérée comme un acte de torture au sens de l'article premier de la Convention, et l'article 2 s'applique seulement à des actes pouvant être assimilés à la torture au sens de l'article premier. En conséquence, l'article 2 n'est pas applicable en l'espèce. Quant à l'article 16, il protège les personnes privées de leur liberté ou qui sont sous le pouvoir ou le contrôle effectif de la personne responsable du traitement ou de la peine, et la requérante peut difficilement être considérée comme une victime dans ce sens. La requête devrait donc être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 2 de l'article 22 de la Convention.

4.3 Sur le fond et en ce qui concerne l'allégation de violation de l'article 3 de la Convention, l'État partie indique que, même si la situation générale des droits de l'homme au Bangladesh est problématique, des améliorations ont été constatées ces dernières années. Le Bangladesh est une démocratie parlementaire depuis 1991. Sous le premier gouvernement issu du BNP qui a été au pouvoir de 1991 à 1996, des efforts croissants ont été faits pour protéger les droits de l'homme. En 1996, un nouveau gouvernement issu de la Ligue Awami était arrivé au pouvoir par le biais d'élections considérées généralement comme libres et régulières par les observateurs. Le BNP est retourné au pouvoir après les élections du 1er octobre 2001. Bien que la violence soit un élément constant dans la vie politique du pays et que les affrontements entre les partisans des différents partis politiques et entre ceux-ci et la police au cours de rassemblement et de manifestations soient fréquents, un vaste éventail de groupes de défense des droits de l'homme sont généralement autorisés à avoir des activités dans le pays. La police recourrait à la torture et à des mauvais traitements lorsqu'elle interroge des suspects, et le viol de détenues dans les prisons ou en garde à vue constitue un problème. Toutefois, aucun incident de ce type n'a été signalé en 2001. La police serait souvent réticente à mener des enquêtes sur des personnes appartenant au parti au pouvoir. Néanmoins, les tribunaux supérieurs font preuve de beaucoup d'indépendance et prononcent souvent des jugements contre le gouvernement dans des affaires controversées d'ordre pénal, civil et même politique. La Commission de recours des étrangers a effectué un voyage d'étude au Bangladesh en octobre 2002. Selon son rapport confidentiel, il n'y a pas de persécutions institutionnalisées dans ce pays et la persécution pour des raisons politiques est rare au niveau communautaire. L'État partie ajoute que le Bangladesh est partie à la Convention et, depuis 2001, au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

4.4 L'État partie rappelle que les autorités appliquent le même critère que celui qui est énoncé à l'article 3 de la Convention à chaque demandeur d'asile. Dans le cas de la requérante, le Conseil des migrations a pris sa décision à l'issue de deux entretiens approfondis avec elle. L'État partie considère qu'il convient d'accorder tout le crédit voulu aux conclusions des services d'immigration suédois. Selon lui, le renvoi de la requérante au Bangladesh ne constituerait pas une violation de l'article 3 de la Convention.

4.5 L'État partie considère que, même si des certificats médicaux attestent que la requérante a été torturée par le passé, cela ne signifie pas qu'elle a étayé son affirmation selon laquelle elle risque de l'être à l'avenir en cas de renvoi au Bangladesh. La requérante affirme qu'elle risque d'être torturée parce qu'elle est membre du Parti Jatiya et parce qu'elle est encore recherchée par la police. Or, aux élections d'octobre 2001, ce parti a remporté 14 sièges au Parlement. La Ligue Awami qui persécutait la requérante a perdu le pouvoir. Comme ce parti n'est plus au gouvernement, la requérante n'a plus de raison de craindre d'être persécutée par la police. Qui plus est, elle n'a occupé aucun poste important au sein du Parti Jatiya. La requérante n'a pas apporté de preuve à l'appui de son affirmation selon laquelle elle est encore recherchée par la police ou qu'elle risque d'être persécutée ou torturée en cas de retour au Bangladesh.

4.6 L'État partie fait valoir que, même si elle risque encore d'être persécutée par la Ligue Awami, il s'agit d'une entité non gouvernementale dont les actes ne peuvent être imputés aux autorités bangladaises. Selon la jurisprudence du Comité les persécutions de ce type ne relèvent pas de l'article 3 de la Convention. En outre, la requérante ne serait exposée à de telles persécutions que dans une zone déterminée et elle pourrait améliorer sa sécurité en allant dans une autre région du pays.

4.7 L'État partie souligne aussi que la requérante a été libérée par la police le 17 août 2000 et qu'elle n'a apparemment fait aucun effort pour quitter le pays à ce moment-là. Elle a obtenu un visa le 22 août 2000. Bien qu'elle affirme qu'elle se cachait et qu'elle était recherchée par la police, elle a pu se rendre à l'ambassade de Suède à Dhaka le 28 août 2000 pour que le visa soit apposé sur son passeport. Ces faits indiquent que même à cette période-là elle ne courait peut-être pas le risque d'être arrêtée. D'autre part, bien qu'elle affirme avoir été obligée de se cacher en avril 2000, elle n'a eu aucun mal à obtenir un passeport pour elle et pour sa fille en mai 2000. En outre, elle n'a demandé l'asile qu'à peu près deux mois après son arrivée en Suède. Un véritable demandeur d'asile n'aurait pas attendu près de deux mois avant de s'adresser aux autorités. Qui plus est, elle a déclaré que son mari se cachait depuis janvier ou avril 2000 pour échapper aux persécutions de la Ligue Awami et qu'elle n'avait pas été en mesure de le contacter depuis lors. Cela ne l'a pas empêchée, lorsqu'elle a demandé le visa, de donner la même adresse pour elle et son mari.

4.8 L'État partie conclut que la requérante n'a pas fourni suffisamment de preuves, et les circonstances qu'elle a invoquées ne sont pas suffisantes pour conclure qu'elle court personnellement un risque prévisible et réel d'être torturée. L'État partie, à qui le Comité avait demandé des renseignements complémentaires sur les activités politiques de la requérante ainsi que sur la situation de son mari et sur les activités politiques de celui-ci, a fait savoir qu'il n'en avait aucune connaissance et n'était pas en mesure de donner des renseignements complémentaires sur ces points.

4.9 Pour ce qui est de la violation présumée des articles 2 et 16, l'État partie soutient que l'application d'un arrêté d'expulsion ne saurait être considérée comme un acte de torture, même si la requérante souffre de problèmes psychiques et qu'elle ne peut être considérée comme une victime de la torture au sens de l'article 2 ou d'un traitement cruel, inhumain ou dégradant au sens de l'article 16. En outre, l'État partie rappelle la jurisprudence du Comité relative à l'article 16 selon laquelle l'aggravation de l'état de santé de la requérante qui pourrait résulter de son expulsion ne constitue pas le type de traitement cruel, inhumain ou dégradant visé à l'article 16 de la Convention. L'État partie déclare que c'est seulement dans des circonstances très exceptionnelles et lorsqu'il y a des considérations humanitaires impérieuses que l'exécution d'un arrêté d'expulsion peut constituer en elle-même une violation de l'article 16 de la Convention. Les certificats médicaux présentés par la requérante indiquent qu'elle souffre de troubles post-traumatiques aigus et que son état de santé s'est détérioré par suite de la décision de ne pas l'autoriser à rester en Suède et de l'expulser au Bangladesh. Cela dit, aucun élément de preuve n'a été fourni pour démontrer qu'elle avait de sérieux motifs de craindre un renvoi au Bangladesh. En outre, son mari, ses parents et plusieurs autres membres de sa famille sont au Bangladesh et peuvent la soutenir et lui venir en aide. Les services d'immigration suédois n'ont de surcroît utilisé aucune mesure de coercition à son encontre ou à l'encontre de sa fille.


Commentaires de la requérante sur les observations de l'État partie au sujet de la recevabilité et du fond de la requête

5.1 Pour ce qui est de la recevabilité de la requête, la requérante affirme que les éléments de preuve présentés remplissent les conditions minimales requises pour qu'une requête soit déclarée compatible avec l'article 22 de la Convention. Elle fait valoir que l'État partie n'a pas contesté ces faits.

5.2 La requérante affirme que l'exécution de l'arrêté d'expulsion doit être considérée au moins comme un traitement cruel, inhumain ou dégradant de la part des autorités suédoises. Elle soutient que les éléments de preuve fournis au Comité montrent clairement que l'exécution de cet arrêté constituerait un tel traitement tout au moins pour sa fille. Les services de sécurité sociale suédois n'ont pas jugé que l'exécution d'un tel ordre n'irait pas à l'encontre de l'intérêt supérieur de l'enfant. Elle souligne aussi que sa fille et elle sont sous le contrôle effectif des autorités suédoises.

5.3 Pour ce qui est du fond de la communication, la requérante affirme que la situation des droits de l'homme au Bangladesh est pire que celle qui est décrite par le Gouvernement. En outre, en procédant à son évaluation, le Conseil des migrations n'a pas eu accès au dossier médical présenté ultérieurement dans le cadre de la procédure. Il est donc possible de considérer que ses conclusions sont fondées sur des données insuffisantes.

5.4 La requérante conteste l'allégation de l'État partie selon laquelle, puisque la Ligue Awami n'est plus au pouvoir au Bangladesh, Mme T. A. n'a plus aucune raison de craindre d'être persécutée par la police. Elle affirme qu'elle appartient à une fraction du Parti Jatiya (Ershad) qui est encore, dans une large mesure, dans l'opposition. Selon des rapports unanimes émanant de plusieurs sources, la police pratique la torture de manière routinière, sur une vaste échelle et en toute impunité. D'après un rapport récent d'Amnesty International, la torture est depuis de nombreuses années la violation des droits de l'homme la plus répandue au Bangladesh, les hommes politiques de l'opposition font partie de ceux qui en sont victimes, le BNP bloque toute procédure judiciaire contre la torture et l'impunité des auteurs est générale. Elle affirme que rien n'a véritablement changé au Bangladesh: les membres de la fraction Ershad du Parti Jatiya sont encore dans l'opposition; les opposants politiques, qu'ils occupent des postes importants ou fassent partie de la base, sont arrêtés et torturés par la police. En 2002, 732 femmes ont été violées, 106 ont été assassinées après avoir été violées, 104 personnes sont mortes durant leur garde à vue et 83 ont succombé à la torture.

5.5 La requérante explique que son passeport et celui de sa fille avaient été délivrés le 14 mai 2000 et qu'elles avaient demandé un visa à l'ambassade de Suède à Dhaka le 25 juin 2000, en vue de rendre visite à une sœur. Ces événements s'étaient produits avant l'arrestation du 16 août 2000. Après sa libération le 17 août 2000, elle a d'abord séjourné dans une clinique pour soigner ses blessures et c'est là où elle a appris qu'un visa lui avait été accordé. Comme elle était encore malade, il lui a fallu un certain temps pour préparer son départ. Elle précise qu'elle n'a pas demandé l'asile dès son arrivée en Suède parce qu'elle ne s'était pas encore remise des tortures qu'elle avait subies. Elle a décidé de demander l'asile lorsqu'elle a appris que la police bangladaise la recherchait encore. Elle ajoute qu'elle a donné la même adresse pour son mari lors de la demande de visa pour des raisons pratiques pour éviter d'être interrogée par le personnel de l'ambassade et parce qu'il était courant qu'une épouse procède ainsi au Bangladesh. La sœur de la requérante a séjourné au Bangladesh de décembre 2002 à février 2003 où elle a appris que la police la recherchait encore.

5.6 La requérante note que les autorités de l'État partie doivent dûment tenir compte de la manière dont le traitement qui lui est réservé peut affecter sa fille et dans quelle mesure un traitement qui peut ne pas être qualifié d'inhumain ou de dégradant lorsqu'il est infligé à un adulte peut être considéré comme tel lorsque c'est un enfant qui le subit.

5.7 En réponse à une demande d'informations complémentaires du Comité concernant ses activités politiques et la situation et les activités de son époux, la requérante a indiqué qu'elle n'avait pas pu avoir d'activités politiques en Suède parce que le Parti Jatiya n'avait plus de présence active dans ce pays. Elle n'avait pas non plus été en mesure d'avoir une telle activité au Bangladesh. Toutefois, elle continuait d'intéresser les autorités bangladaises. Ses parents, avec lesquels elle était restée en contact, lui avaient dit que quatre policiers en civil s'étaient présentés chez eux en septembre 2004 et avaient voulu savoir où elle et son mari se trouvaient. Lorsque les parents de Mme T. A. leur avaient dit qu'ils l'ignoraient, ils avaient fouillé la maison. Les parents de la requérante ont également déclaré que la police recherchait régulièrement Mme T. A.


Délibérations du Comité

6.1 Avant d'examiner toute plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si elle est recevable en vertu de l'article 22 de la Convention. Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 5 a) de l'article 22 de la Convention, que la même question n'a pas été et n'est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d'enquête ou de règlement. Il note également que les recours internes ont été épuisés, comme l'a reconnu l'État partie, et que la requérante a donné suffisamment de détails sur les faits et les motifs de sa requête aux fins de la recevabilité. En conséquence, le Comité considère que la requête est recevable et procède à son examen quant au fond.

7.1 Le Comité doit déterminer d'abord si le renvoi de la requérante au Bangladesh constituerait une violation de l'obligation qu'a l'État partie en vertu de l'article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a de sérieux motifs de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture.

7.2 Le Comité doit examiner s'il y a de sérieux motifs de croire que la requérante risque personnellement d'être torturée à son retour au Bangladesh. Pour ce faire, le Comité doit tenir compte de tous les éléments conformément au paragraphe 2 de l'article 3 de la Convention, y compris l'existence d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme graves, flagrantes ou massives. Il s'agit cependant de déterminer si l'intéressé risque personnellement d'être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. Dès lors, l'existence dans un pays d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir que l'individu risque d'être soumis à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs particuliers donnant à penser que l'intéressé courrait personnellement un risque. À l'inverse l'absence d'un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l'homme ne signifie pas qu'une personne ne peut pas être considérée comme risquant d'être soumise à la torture dans les circonstances particulières qui sont les siennes.

7.3 Le Comité prend note de l'argument de l'État partie selon lequel, comme la Ligue Awami est actuellement dans l'opposition, il n'y a plus de risque que la requérante soit harcelée par les autorités à l'instigation de membres de ce parti. L'État partie fait valoir en outre que la requérante n'a rien à craindre des formations politiques actuellement au pouvoir puisqu'elle est membre d'un des partis représentés au Parlement. Toutefois, l'État partie ne conteste pas le fait que la requérante a été persécutée, détenue, violée et torturée par le passé. Le Comité note l'affirmation de la requérante selon laquelle elle appartient à une fraction du Parti Jatiya qui est actuellement dans l'opposition et que la torture d'opposants politiques par des agents de l'État est une pratique courante. En outre, les actes de torture dont a été victime la requérante semblent lui avoir été infligés non seulement en tant que châtiment pour ses propres activités politiques mais aussi en tant que représailles contre celles de son époux et de l'implication présumée de ce dernier dans un assassinat politique. Le Comité note également que l'époux de la requérante continue de se cacher, que les tortures dont elle a été victime sont récentes et ont été certifiées par des médecins et que la requérante continue d'être recherchée par la police au Bangladesh.

7.4 Dans ces circonstances, le Comité considère qu'il existe des motifs sérieux de croire que Mme T. A. risque d'être torturée si elle est renvoyée au Bangladesh. Étant parvenue à cette conclusion, le Comité n'a pas besoin d'examiner les autres griefs de la requérante.

8. Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que, dans les circonstances particulières de la cause, l'expulsion de la requérante et de sa fille constituerait une violation de l'article 3 de la Convention.

9. Le Comité prie l'État partie, conformément au paragraphe 5 de l'article 112 de son règlement intérieur, de l'informer, dans un délai de 90 jours à compter de la date de la transmission de la présente décision, des mesures qu'il aura prises en application de celle-ci.




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[Adopté en anglais (version originale), en espagnol en français et en russe. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]




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