University of Minnesota



M. Luis Jacinto Rocha Chorlango c. Sweden, Communication No. 218/2002, U.N. Doc. CAT/C/33/D/218/2002 (2004).


 

Communication No. 218/2002 : Sweden. 23/11/2004.
Convention Abbreviation: CAT
Comité contre la Torture

Trente-troisième session

8 - 26 novembre 2004


ANNEXE

Décision du Comité contre la Torture en vertu de l'article 22

de la Convention contre la Torture et Autres Peines

ou Traitements Cruels, Inhumains ou Dégradants

Trente-troisième session



Requête No. 218/2002


Présentée par: M. Luis Jacinto Rocha Chorlango (non représenté par un conseil)

Au nom de: M. Luis Jacinto Rocha Chorlango

État partie: Suède

Date de la requête: 16 septembre 2002

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l'article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 22 novembre 2004,

Ayant achevé l'examen de la requête no 218/2002 présentée par M. Luis Jacinto Rocha Chorlango en vertu de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant et l'État partie,

Adopte ce qui suit:



Décision du Comité contre la torture au titre

de l'article 22 de la Convention


1. Le requérant est Luis Jacinto Rocha Chorlango, de nationalité équatorienne, né en 1977, actuellement en attente d'expulsion de Suède vers l'Équateur. Il affirme qu'il risque d'être soumis à la torture s'il est renvoyé en Équateur, ce qui constituerait une violation de l'article 3 de la Convention. Il n'est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1 Le requérant a effectué son service militaire en 1997 puis a suivi une période de formation militaire de janvier à la fin mai 2000. Alors qu'il se trouvait à la base militaire de Cononaco, il dit avoir assisté, le 13 mai 2000, à la torture et à l'exécution sommaire de deux guérilleros des Forces armées révolutionnaires d'Équateur – Armée du peuple (FARE-DP) par des agents des services de renseignements de l'armée équatorienne. À la suite de cet incident, il a commencé à recevoir des menaces de la part de membres des FARE-DP et de l'armée. Il a parlé de l'incident à son frère, qui faisait également partie des forces armées. Le 8 novembre 2000, son frère aurait été torturé à mort dans un camp militaire. Avant de mourir, il aurait été menacé par ses supérieurs. Après la mort de son frère, le requérant a continué à être la cible de menaces et s'est vu contraint de déménager à plusieurs reprises dans le pays. Les menaces allant croissant, il a décidé de quitter l'Équateur. Le 23 mars 2001, il est arrivé en Suède, où il a déposé une demande d'asile, le 27 avril 2001.

2.2 Le 19 juin 2001, le Bureau suédois des migrations a rejeté sa demande d'asile. Le 2 septembre 2002, la Commission de recours des étrangers a confirmé la décision du Bureau des migrations.

Teneur de la plainte

3.1 Le requérant affirme qu'il risque d'être soumis à la torture, aux mauvais traitements, à la disparition forcée ou à l'exécution sommaire s'il est renvoyé en Équateur et que, dans ces circonstances, ce renvoi constituerait une violation de l'article 3 de la Convention.

Observations de l'État partie sur la recevabilité et le fond

4.1 Dans une lettre datée du 11 décembre 2002, l'État partie confirme que le requérant a épuisé tous les recours internes et fait valoir que la requête est irrecevable au motif que le requérant n'a pas suffisamment étayé l'affirmation selon laquelle il courrait le risque d'être torturé en cas de renvoi en Équateur.

4.2 L'État partie rappelle que le requérant a eu deux entretiens avec les autorités de l'immigration. Lors de son premier entretien avec le Bureau des migrations, le requérant a déclaré avoir assisté le 13 mai 2000, alors qu'il se trouvait au camp de Cononaco pour y suivre une période de formation militaire, à la torture et au meurtre, par l'armée, de deux membres des FARE-DP qui avaient été capturés avec cinq autres. Deux des prisonniers avaient réussi à s'échapper et avaient ensuite persécuté le requérant pour l'obliger à divulguer l'identité des tortionnaires et meurtriers de leurs camarades. Ils avaient également identifié le frère du requérant, un soldat, auquel ils avaient téléphoné le 8 novembre 2000, et l'avaient par la suite torturé et maltraité à tel point qu'il en était mort. Avant sa mort, le frère du requérant avait dit à un collègue qu'ils en avaient après le requérant lui-même.

4.3 Lors du second entretien avec le Bureau des migrations, le requérant a donné une version plus détaillée de l'incident. Il a indiqué que les FARE-DP étaient très actives dans la jungle des zones frontalières, où elles tentaient d'instaurer une guérilla permanente. Le requérant avait rendu visite à son frère le 25 mai 2000 et lui avait fait part de l'incident. Vers la fin juin 2000, son frère avait commencé à recevoir des menaces téléphoniques; il avait découvert que des hauts responsables de l'armée étaient impliqués dans l'affaire. Le 8 novembre 2000, le frère du requérant avait été agressé et brutalisé par deux inconnus au sortir de son domicile. Il avait été conduit à l'hôpital militaire, où il avait succombé à ses blessures. Sa femme avait déclaré le décès à la police, qui n'avait pas mené d'enquête. Les membres des FARE-DP avaient continué de téléphoner au domicile du défunt, si bien que sa famille avait dû déménager. Le requérant a ajouté n'avoir jamais informé la police de l'incident survenu dans la jungle, de crainte d'être assassiné par les FARE-DP. Il n'avait jamais été contacté personnellement ni menacé par des membres des FARE-DP. Le conseil du requérant a signalé au Bureau des migrations que des membres des FARE-DP étaient entrés par effraction au domicile du frère du requérant à Quito et avaient détruit une partie de son mobilier.

4.4 Le 19 juillet 2001, le Bureau des migrations a rejeté la demande d'asile du requérant et a ordonné son renvoi en Équateur, en faisant valoir que l'Équateur était une démocratie à part entière depuis plusieurs années, que le requérant était resté en Équateur pendant près d'un an après avoir été témoin des actes de torture et homicides en cause, qu'il n'avait jamais été persécuté ou menacé personnellement par des membres des FARE-DP et que, en dépit des efforts déployés par les forces gouvernementales pour réprimer les FARE-DP, le requérant n'avait pas sollicité la protection des autorités. Le Bureau a conclu que le requérant n'avait pas démontré être exposé à un risque de persécution. Le requérant a fait appel de cette décision, affirmant qu'il risquait d'être torturé et que les forces gouvernementales étaient dans l'incapacité de juguler les activités des FARE-DP. Il a ajouté que si l'on venait à connaître les faits qui avaient poussé les FARE-DP à proférer des menaces à son encontre, sa vie serait en danger car il aurait alors à craindre des représailles de la part des forces gouvernementales ou de la police. Le 2 septembre 2002, la Commission de recours des étrangers a rejeté sa requête, se rangeant à l'avis du Bureau des migrations. Elle a en outre fait observer que le requérant avait demandé l'asile plus d'un mois après son arrivée en Suède. Concernant l'affirmation selon laquelle il risquait d'être persécuté par les forces gouvernementales ou la police, la Commission a noté que le requérant était de garde lorsqu'il a assisté à l'incident au camp de Cononaco et que l'armée ne pouvait donc ignorer qu'il était au courant. Tout au long de la période durant laquelle le requérant était resté en Équateur après l'incident, ni l'armée ni la police ne semblaient avoir manifesté beaucoup d'intérêt pour lui.

4.5 S'agissant de la situation générale des droits de l'homme en Équateur, l'État partie fait observer que des progrès étaient perceptibles même si, selon certaines sources (1) la pauvreté touchait encore bien des régions et la police continuait à torturer et maltraiter en toute impunité des suspects et des détenus. Des groupes nationaux et internationaux de défense des droits de l'homme exerçaient leurs activités sans restriction dans le pays et le Gouvernement avait chargé certains de ces groupes d'assurer la formation aux droits de l'homme des membres des forces armées et des policiers. L'Équateur avait ratifié la Convention contre la torture le 30 mars 1988, reconnaissant la compétence du Comité en matière de réception et d'examen des requêtes individuelles.

4.6 S'agissant du risque encouru par le requérant d'être torturé par des membres des FARE-DP, l'État partie a rappelé que, selon la jurisprudence du Comité, la question de savoir si un État partie avait l'obligation de s'abstenir d'expulser une personne risquant - sans le consentement exprÞs ou tacite du Gouvernement - d'Ûtre torturÚe par une entitÚ non gouvernementale n'entrait pas dans le champ d'application de l'article 3 de la Convention. L'╔tat partie a ajoutÚ que les autoritÚs Úquatoriennes ne tolÚraient manifestement pas les activitÚs des FARE-DP, qu'elles considÚraient comme criminelles et liaient Ó une sÚrie d'enlÞvements et d'assassinats (2) et que rien ne prouvait l'incapacité desdites autorités à protéger de manière adéquate le requérant contre les FARE-DP.

4.7 Au sujet de l'affirmation du requérant selon laquelle il risquerait d'être torturé par des membres des forces gouvernementales, l'État partie a souligné que, devant les autorités de l'immigration suédoises, le requérant n'avait que brièvement mentionné le risque qu'il encourrait d'être assassiné par les forces gouvernementales si elles venaient à apprendre ce dont il avait été témoin à Cononaco. Le requérant n'avait en revanche rien dit de persécutions à son égard de la part des autorités équatoriennes et avait même clairement indiqué n'avoir jamais eu un quelconque problème avec les forces de police équatoriennes ou d'autres autorités. Il avait également déclaré que, n'ayant jamais été accusé de quoi que ce soit, il avait pu obtenir l'autorisation de quitter le territoire. En outre, le requérant avait fourni des renseignements contradictoires au sujet de l'identité des individus ayant menacé puis tué son frère. Il avait déclaré aux autorités suédoises de l'immigration que son frère avait reçu des menaces de membres des FARE-DP alors que dans sa communication au Comité il indiquait que son frère avait tout d'abord été menacé par ses supérieurs. L'État partie a en outre souligné que le requérant avait quitté l'Équateur avec l'autorisation des forces armées et de la police, ce qui donnait à penser qu'il n'était pas recherché par les autorités équatoriennes. Les forces armées avaient également dû apprendre que le requérant avait assisté à l'incident de Cononaco; pourtant, ni l'armée ni la police ne semblaient s'être beaucoup intéressées à lui.

4.8 L'État partie a estimé pour conclure que le requérant n'avait pas étayé l'affirmation selon laquelle il courrait un risque réel et prévisible d'être soumis à la torture en cas de renvoi en Équateur.

Délibérations du Comité

5.1 Avant d'examiner toute plainte contenue dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si celle-ci est recevable en vertu de l'article 22 de la Convention. Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l'article 22 de la Convention, que la même question n'a pas été et n'est pas en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement. Il note également que l'État partie ne conteste pas l'épuisement des recours internes.

5.2 S'agissant des allégations du requérant concernant le risque qu'il courrait d'être torturé par des membres des FARE-DP, le Comité rappelle que, selon sa jurisprudence, la question de savoir si l'État partie a l'obligation de s'abstenir d'expulser une personne qui risquerait - sans le consentement exprÞs ou tacite du Gouvernement - de se voir infliger des souffrances ou des douleurs par une entitÚ non gouvernementale n'entre pas dans le champ d'application de l'article 3 de la Convention, Ó moins que l'entitÚ non gouvernementale occupe le territoire vers lequel le requÚrant serait renvoyÚ et exerce une autoritÚ quasi gouvernementale sur ce territoire. (3) Le Comité note que le requérant n'a pas contesté les arguments de l'État partie selon lesquels les autorités équatoriennes ne tolèrent pas les activités menées par les FARE-DP dans les zones frontalières du pays, qu'elles considèrent comme criminelles et lient à une série d'enlèvements et d'assassinats. En conséquence, le Comité décide que cette partie de la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 de l'article 22 de la Convention.

5.3 S'agissant du risque que les forces gouvernementales soumettent le requérant à la torture en cas de renvoi, le Comité note que les informations présentées par le requérant pour étayer sa communication sont générales et vagues et ne prouvent en rien que le requérant courrait un risque personnel et prévisible d'être soumis à la torture s'il était renvoyé en Équateur. Les renseignements fournis au Comité par le requérant ne cadrent pas avec son récit des faits aux autorités suédoises de l'immigration. Le requérant n'a pas apporté d'éléments d'information fiables prouvant qu'il a été torturé dans le passé, qu'il a eu un quelconque problème avec la police ou qu'il a suscité un quelconque intérêt de l'armée ou de la police quand il vivait en Équateur, même après les événements du camp de Cononaco. Dans ces circonstances, le Comité considère que les arguments avancés sont insuffisants pour lui permettre de conclure à la recevabilité de la requête. Il constate que la requête telle qu'elle est formulée ne soulève pas de grief au regard de la Convention.

5.4 Le Comité considère, en application de l'article 22 de la Convention et de l'article 107 b) de son règlement intérieur révisé, que la requête est manifestement dénuée de fondement. En conséquence, le Comité décide que la requête est irrecevable.

6. Le Comité contre la torture décide:

a) Que la requête est irrecevable; et

b) Que la présente décision sera communiquée au requérant et, pour information, à l'État partie.

[Adoptée en anglais (version originale), en espagnol, en français et en russe. Paraîtra ultérieurement en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]


Notes
1. Rapports de pays 2001 du Département d'État des États-Unis d'Amérique sur les pratiques en matière de droits de l'homme et rapport 2002 d'Amnesty International.

2. Voir les rapports de pays 2001 du Département d'État des États-Unis d'Amérique sur les pratiques en matière de droits de l'homme.

3. Voir la communication no 191/2001, S.S. c. Pays-Bas, décision du 5 mai 2003, par. 6.4.

 



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