University of Minnesota



Mafhoud Brada c. France, Communication No. 195/2002 , U.N. Doc. CAT/C/34/D/195/2002 (2005).


 


Convention Abbreviation: CAT
Comité contre la Torture

Trente-quatrième session

2 - 20 mai 2005


ANNEXE

Décision du Comité contre la Torture en vertu de l'article 22

de la Convention contre la Torture et Autres Peines

ou Traitements Cruels, Inhumains ou Dégradants

- Trente-quatrième session -



Communication No. 195/2002




Présentée par: Mafhoud Brada (représenté par un conseil, M. de Linares, de l'Action des chrétiens pour l'abolition de la torture (ACAT))

Au nom de: Mafhoud Brada

État partie: France

Date de la requête: 29 novembre 2001 (date de la lettre initiale)




Le Comité contre la torture, institué en vertu de l'article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 17 mai 2005,

Ayant achevé l'examen de la requête no 195/2002 présentée par M. Mafhoud Brada en vertu de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l'État partie,

Adopte ce qui suit:



Décision au titre du paragraphe 7 de l'article 22
de la Convention




1.1 Le requérant, M. Mafhoud Brada, de nationalité algérienne, résidait en France au moment de l'introduction de la présente requête et faisait l'objet d'un arrêté d'expulsion à destination de son pays d'origine. Il affirme que son rapatriement forcé vers l'Algérie constituerait une violation par la France de l'article 3 de la Convention contre la torture. Le requérant est représenté par l'Action des chrétiens pour l'abolition de la torture, organisation non gouvernementale.

1.2 Conformément au paragraphe 3 de l'article 22 de la Convention, le Comité a porté la requête à l'attention de l'État partie par une note verbale en date du 19 décembre 2001. Dans le même temps, le Comité, agissant en vertu du paragraphe 9 de l'article 108 de son règlement intérieur, a demandé à l'État partie de ne pas expulser le requérant vers l'Algérie tant que sa requête serait en cours d'examen. Le Comité a réitéré cette demande par note verbale datée du 26 septembre 2002.

1.3 Par lettre du conseil du requérant du 21 octobre 2002, le Comité a été informé que le requérant avait été expulsé vers l'Algérie le 30 septembre 2002 par un vol à destination d'Alger et qu'il était porté disparu depuis son arrivée en Algérie.


Rappel des faits présentés par le requérant

2.1 Le requérant, pilote de chasse depuis 1993, appartenait à l'escadron algérien de défense aérienne, basé à Béchar en Algérie. À partir de 1994, cet escadron était régulièrement appelé en renfort d'actions menées par hélicoptère pour bombarder les zones de maquis islamistes dans la région de Sidi Bel Abbes. Les avions de chasse disposaient de bombes incendiaires. Le requérant et d'autres pilotes avaient conscience que l'utilisation de telles armes était prohibée. Après avoir constaté les résultats de ces armes sur le terrain grâce à des photos prises par des militaires du renseignement − images de cadavres d'hommes, de femmes, d'enfants et d'animaux − quelques pilotes ont commencé à douter du bien-fondé de telles opérations.

2.2 En avril 1994, le requérant et un autre pilote ont signifié, lors d'un briefing, leur refus de participer à des opérations de bombardement de la population civile, et ce malgré le risque de lourdes sanctions pénales à leur encontre. Un officier supérieur a alors brandi son arme de poing vers le collègue du requérant, lui signalant que le refus d'exécution de missions «signifiait la mort». Alors que les deux pilotes maintenaient leur refus d'obéissance, le même officier a chargé son arme et l'a braquée en direction du collègue du requérant. Ce dernier fut atteint mortellement alors qu'il tentait de s'échapper par une fenêtre. Le requérant, voulant fuir à son tour, a sauté par une autre fenêtre et s'est cassé la cheville. Il a alors été arrêté et transféré au centre d'interrogatoire de la direction régionale de la sécurité (troisième région militaire de Béchar). Le requérant a été détenu durant trois mois, interrogé régulièrement sur ses liens avec les islamistes et fréquemment torturé (bastonnades, brûlures de l'organe génital).

2.3 Le requérant a finalement été relaxé en raison de l'inexistence de preuves de sympathie envers les islamistes et au vu du contenu positif des rapports sur ses états de service au sein de l'armée. Le requérant fut alors interdit de vol et assigné à la base aérienne de Béchar. Expliquant que régulièrement des militaires soupçonnés d'être proches ou sympathisants des islamistes «disparaissaient» ou étaient assassinés, le requérant s'est alors évadé de la base afin de se réfugier à Ain Defla, région de résidence de sa famille. Le requérant explique par ailleurs qu'il avait reçu des lettres de menaces de groupes islamistes, lui demandant de déserter sous peine d'être exécuté et avait transmis ses lettres de menace à la police.

2.4 Plus tard, alors que le requérant aidait un ami à laver sa voiture, un véhicule s'est arrêté à leur hauteur et une rafale de mitraillette a été tirée dans leur direction. L'ami du requérant a été tué sur-le-champ, et ce dernier a eu la vie sauve car il était à l'intérieur de la voiture. L'officier de police du village a alors conseillé au requérant de partir immédiatement. Le 25 novembre 1994, le requérant parvenait à fuir son pays, arrivait à Marseille, et rejoignait un de ses frères à Orléans (Indre). En août 1995, le requérant avait présenté une demande d'asile, laquelle a été plus tard rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Le requérant effectuant ses démarches en l'absence d'un conseil n'a pas été en mesure de déposer un recours auprès de la Commission des recours des réfugiés.

2.5 Le requérant ajoute que, depuis son départ d'Algérie, ses deux frères ont été victimes d'arrestations et d'actes de torture. L'un d'eux est mort en garde à vue. En outre, depuis sa désertion, deux télégrammes du Ministère de la défense sont arrivés au domicile du requérant à Abadia, lui demandant de se présenter d'urgence au commandement des forces aériennes de Cheraga pour une «affaire le concernant». En 1998, le requérant a été condamné en France à huit années de réclusion pour des faits de viol commis en 1995. Cette peine fut assortie d'une interdiction temporaire du territoire d'une durée de 10 ans. Suite à une remise de peine, le requérant était libéré le 29 août 2001.

2.6 Entre-temps, en date du 23 mai 2001, le préfet de l'Indre prenait à l'encontre du requérant un arrêté d'expulsion. Par une décision du même jour, il fixait l'Algérie comme pays de destination. Le 12 juillet 2001, le requérant a saisi le tribunal administratif de Limoges d'une requête contestant l'arrêté d'expulsion et la décision de renvoi vers son pays d'origine. Par ordonnance du 29 août 2001, le juge des référés du tribunal a ordonné la suspension de l'exécution de la décision fixant le pays de renvoi, considérant que les risques que représenterait un retour en Algérie pour la sécurité du requérant étaient de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision d'expulsion. Néanmoins, par jugement du 8 novembre 2001, le tribunal administratif a rejeté la demande en annulation de l'arrêté, y compris relativement au pays de renvoi.

2.7 Le 4 janvier 2002, le requérant a interjeté appel de ce jugement devant la cour administrative d'appel de Bordeaux. Le requérant fait valoir à cet égard que ce recours n'est pas suspensif. Il se réfère également à une jurisprudence récente du Conseil d'État qui démontrerait la non-efficacité des recours internes dans deux cas similaires. (1) Dans ces affaires d'expulsion vers l'Algérie, le Conseil d'État a écarté les risques encourus pour les personnes concernées alors que par la suite les autorités algériennes ont exhumé une condamnation à mort par contumace. Le 30 septembre 2002, le requérant était expulsé vers l'Algérie par un vol à destination d'Alger et serait porté disparu depuis lors.


Teneur de la plainte

3.1 L'auteur estime que son expulsion vers l'Algérie constituerait une violation par la France de l'article 3 de la Convention dans la mesure où il existe des risques réels qu'il soit soumis à la torture dans son pays d'origine en raison des faits évoqués plus haut.

3.2 En outre, le requérant fait valoir, à l'appui de certificats médicaux, qu'il présente une pathologie grave au plan neuropsychiatrique nécessitant des soins permanents et dont l'interruption serait grave pour son état de santé. Ses médecins ont, en outre, estimé ces symptômes compatibles avec ses allégations de torture. De plus, le requérant présente des marques de torture sur le corps.


Observations de l'État partie sur la recevabilité de la requête

4.1 Par une note verbale datée du 28 février 2002, l'État partie conteste la recevabilité de la requête.

4.2 À titre principal, l'État partie soutient que le requérant n'a pas épuisé les voies de recours internes au sens de l'article 22, paragraphe 5 de la Convention. En effet, à la date d'introduction de la requête devant le Comité, le recours interjeté devant la cour administrative d'appel de Bordeaux à l'encontre du jugement confirmant l'arrêté d'expulsion du requérant était toujours pendant. En outre, il n'existe aucun élément permettant d'établir que la procédure puisse excéder un délai raisonnable.

4.3 Quant à l'argument du requérant selon lequel ce recours n'est pas suspensif de la mesure d'expulsion, l'État partie fait valoir que le requérant avait la possibilité d'introduire une requête en référé-suspension de la mesure d'expulsion devant le juge des référés de la cour administrative d'appel. Le requérant avait d'ailleurs utilisé avec succès cette voie de recours devant le tribunal administratif de Limoges.

4.4 À titre subsidiaire, l'État partie soutient que la requête présentée au Comité ne répond pas aux conditions de l'article 107, paragraphe 1 b) du règlement intérieur aux termes desquels «la communication doit être présentée par le plaignant lui-même ou par des parents ou des représentants désignés ou par d'autres personnes au nom d'une prétendue victime lorsqu'il appert que celle-ci est dans l'incapacité de présenter elle-même la communication et que l'auteur de la communication peut justifier qu'il agit au nom de la victime». Or, il ne ressort pas des pièces du dossier que le requérant ait désigné l'Action des chrétiens pour l'abolition de la torture comme représentant, et il n'est nullement établi que le requérant soit dans l'incapacité de lui délivrer un tel mandat. Il convient donc de vérifier si le représentant apparent, signataire de la requête, a été valablement autorisé à agir au nom du requérant.


Commentaires du conseil

5.1 Par une lettre du 21 octobre 2002, le conseil a formulé ses commentaires relativement aux observations de l'État partie sur la recevabilité de la requête.

5.2 Relativement à l'épuisement des voies de recours internes, le conseil fait valoir que, conformément aux principes généraux du droit international, les voies de recours internes qui doivent être épuisées sont celles qui sont efficaces, adéquates ou suffisantes, c'est-à-dire qui offrent une chance sérieuse d'apporter un remède effectif à la violation alléguée. En l'espèce, le recours en annulation introduit devant la cour administrative d'appel de Bordeaux était toujours pendant. Cette procédure n'étant pas suspensive, l'arrêté d'expulsion pris à l'encontre du requérant a été mis à exécution le 30 septembre 2002. Les recours internes se sont donc révélés inefficaces et inadéquats.

5.3 En outre, se trouvant sous la protection du Comité par la demande faite à l'État partie de ne pas renvoyer le requérant vers l'Algérie durant l'examen de sa requête, ce dernier n'a pas jugé utile de multiplier les procédures internes, et notamment un référé-suspension.

5.4 En tout état de cause, l'exécution de l'arrêté d'expulsion en dépit de la pertinence des arguments développés durant la procédure devant la cour administrative d'appel de Bordeaux a eu pour effet de rendre ce recours ineffectif. Même si la cour faisait désormais droit à la demande d'annulation du requérant, il est illusoire de penser que l'Algérie renverrait ce dernier vers la France.

5.5 Eu égard au grief de non-respect de l'article 107, paragraphe 1, du règlement intérieur du Comité, le conseil renvoie à une attestation signée par le requérant de sa main le 29 novembre 2001 et permettant à l'Action des chrétiens pour l'abolition de la torture d'agir en son nom auprès du Comité.


Évaluation faite par le Comité dans sa décision sur la recevabilité de l'inobservation par l'État partie de la demande de mesures provisoires de protection adressée par le Comité en application de l'article 108 de son règlement intérieur

6.1 Le comité fait observer que tout État partie qui fait la déclaration au titre de l'article 22 de la Convention reconnaît que le Comité contre la torture a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers qui se déclarent victimes de violations d'une des dispositions énoncées dans la Convention. En faisant cette déclaration, les États parties s'engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité en lui donnant les moyens d'examiner les communications qui lui sont soumises et, après l'examen, de faire part de ses constatations à l'État partie et au requérant. En ne respectant pas la demande de mesures conservatoires qui lui est faite, l'État partie contrevient gravement aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 22 de la Convention parce qu'il empêche le Comité de mener à bonne fin l'examen de la requête faisant état d'une violation de la Convention et rend l'action du Comité sans objet et l'expression de ses constatations sans valeur.

6.2 Le Comité conclut que l'adoption de mesures provisoires de protection en application de l'article 108 du règlement intérieur conformément à l'article 22 de la Convention est essentielle au rôle confié au Comité en vertu de cet article. Le non-respect de cette disposition, en particulier par une action irréparable comme l'expulsion d'une victime alléguée, anéantit la protection des droits consacrés dans la Convention.


Décision du Comité concernant la recevabilité

7.1 À sa trentième session, le Comité a examiné la question de la recevabilité de la requête et, dans une décision du 29 avril 2003, l'a déclarée recevable.

7.2 En ce qui concerne la qualité pour agir de l'Action des chrétiens pour l'abolition de la torture, le Comité a constaté que l'attestation signée par le requérant en date du 29 novembre 2001 et permettant à ladite organisation d'agir en son nom auprès du Comité se trouvait dans le dossier qui lui avait été soumis et a considéré, à ce titre, que la requête répondait aux conditions des articles 98, paragraphe 2, et 107, paragraphe 1, de son règlement intérieur.

7.3 Relativement à la question de l'épuisement des voies de recours internes, le Comité a noté qu'en date du 2 janvier 2002, le requérant avait introduit devant la cour administrative d'appel de Bordeaux un recours en annulation à l'encontre du jugement du tribunal administratif de Limoges confirmant l'arrêté d'expulsion et que ce recours n'était pas suspensif. Concernant l'argument de l'État partie selon lequel le requérant avait la possibilité d'introduire une requête en référé-suspension devant le juge des référés de cette juridiction en vue de suspendre l'exécution de la mesure d'expulsion, mais ne l'avait pas utilisée, le Comité a noté que l'État partie n'avait pas indiqué que le requérant devait introduire cette requête en référé-suspension dans un délai précis, ce qui impliquait que cette requête aurait pu être introduite en principe jusqu'au moment où la cour administrative d'appel statuait sur le bien-fondé du recours en annulation.

7.4 Le Comité a noté également que la requête n'était pas un abus du droit de présenter une communication et n'était pas incompatible avec les dispositions de la Convention.

7.5 Le Comité a constaté également qu'après avoir présenté ses observations sur la recevabilité de la requête, l'État partie avait, le 30 septembre 2002, mis en œuvre la mesure d'expulsion du requérant vers l'Algérie.

7.6 Dans les circonstances du cas présent, le Comité a estimé que c'est au moment où il examinait la recevabilité de la requête qu'il devait décider si les voies de recours internes étaient épuisées. Or, selon le Comité, il n'était pas contestable que, la mesure d'expulsion ayant été exécutée avant la décision de la cour administrative d'appel sur le recours en annulation, le requérant avait, à partir de son expulsion vers l'Algérie, été privé d'utiliser la possibilité qui lui était offerte d'introduire une requête en référé-suspension.

7.7 Le Comité a relevé que lorsqu'il demandait des mesures provisoires de protection, comme celles tendant à empêcher l'expulsion du requérant vers l'Algérie, c'est parce qu'il considérait qu'il existait un risque de préjudice irréparable. Dans de tels cas, un recours qui reste ouvert après que l'acte que les mesures conservatoires visent à empêcher s'est produit est par définition inutile car le préjudice irréparable ne peut pas être évité si le recours interne aboutit ensuite à une décision favorable au requérant. En pareil cas, il n'y a plus de recours utile à épuiser après que l'acte que la demande provisoire vise à empêcher s'est produit. Dans le cas d'espèce, le Comité a estimé qu'aucun recours approprié n'était ouvert au requérant maintenant qu'il avait été expulsé en Algérie même si les juridictions internes de l'État partie se prononçaient en sa faveur à l'issue des procédures qui étaient toujours en cours après l'extradition.

7.8 En outre, d'après le Comité, dans le cas d'espèce, le fondement essentiel du recours en annulation avait pour but d'empêcher l'expulsion du requérant vers l'Algérie. Dans ce cas précis, le fait d'exécuter la mesure d'expulsion rendait le recours en annulation sans intérêt dès lors qu'il vidait de son sens l'effet qu'il tendait à accomplir. Il n'était en effet pas envisageable que, le cas échéant, le recours en annulation aboutissant en faveur du requérant, celui-ci puisse être rapatrié en France. Dans les circonstances de l'espèce, selon le Comité, le recours en annulation était si intrinsèquement lié au but d'empêcher l'expulsion, et donc à une mesure de suspension de l'arrêté d'expulsion, qu'il ne pouvait être considéré comme une voie de recours efficace si la mesure d'expulsion était exécutée avant qu'il n'aboutisse.

7.9 Dans cette mesure, le Comité a estimé que le renvoi du requérant vers l'Algérie, en dépit de la demande qui a été faite à l'État partie au titre de l'article 108 du règlement intérieur, et avant l'examen de la recevabilité de la requête, rendait sans objet les recours qui étaient ouverts au requérant en France et que la requête était dès lors recevable au sens de l'article 22, paragraphe 5, de la Convention.


Observations de l'État partie sur les mesures provisoires de protection et sur le fond de la communication

8.1 Les 26 septembre et 21 octobre 2003, l'État partie a transmis ses observations.

8.2 Relativement aux mesures provisoires (par. 6.1 et 6.2) et au fait que le Comité ait réaffirmé que «l'inobservation de la demande de mesures provisoires de protection adressée en application de l'article 108 du règlement intérieur, en particulier sous la forme d'une action irréparable comme l'est l'expulsion du requérant, anéantit la protection des droits consacrés dans la Convention», l'État partie fait part de son opposition ferme à une telle interprétation. D'après l'État partie, l'article 22 de la Convention n'attribue au Comité aucun pouvoir de prendre des mesures s'imposant aux États parties, ni dans le cadre de l'examen des communications qui lui sont présentées, ni même d'ailleurs à l'issue de cet examen, le paragraphe 7 de cet article prévoyant en effet seulement que le Comité «fait part de ses constatations à l'État partie intéressé et au particulier». Seul le règlement intérieur du Comité, dont les dispositions ne sauraient créer par elles-mêmes des obligations à la charge des États parties, prévoit l'indication de telles mesures conservatoires. La seule inobservation d'une telle demande du Comité ne saurait donc en aucun cas être considérée, quelles que soient les circonstances, comme «anéantissant la protection des droits consacrés par la Convention» ou «rend(ant) l'action du Comité sans objet». L'État partie explique que dans le cadre d'une coopération de bonne foi avec le Comité, l'État partie, saisi d'une demande de mesures conservatoires, est seulement tenu d'examiner très attentivement cette demande et, dans la mesure du possible, de tenter de la mettre en œuvre. Il précise s'être jusqu'à présent toujours conformé aux demandes de mesures conservatoires, ce qui ne saurait être interprété comme traduisant la mise en œuvre d'une obligation juridique à cet égard.

8.3 Sur le fond de la communication et les raisons de la mesure d'expulsion, l'État partie estime que la requête est dépourvue de fondement pour les raisons suivantes. Premièrement, le requérant n'a jamais établi, ni dans le cadre des procédures internes, ni à l'appui de sa communication, qu'il courait des risques sérieux au sens de l'article 3 de la Convention. L'État partie rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle il appartient à celui qui prétend courir des risques en cas de renvoi vers un pays donné d'établir, au moins au-delà d'un doute raisonnable, le caractère sérieux de ses craintes. Le Comité a également souligné «que pour que l'article 3 de la Convention soit applicable, la personne concernée doit courir un risque réel et prévisible d'être torturée dans le pays vers lequel elle est renvoyée et que le danger couru doit être personnel et actuel», (2) l'invocation d'une situation générale ou de certains cas particuliers n'étant pas suffisante à cet égard. D'après l'État partie, en l'espèce, si le requérant se présente comme un pilote de chasse, officier de l'armée algérienne, ayant déserté pour des raisons d'ordre humanitaire, il n'apporte aucune preuve. Ainsi, pour établir qu'il serait déserteur, le requérant se borne à produire devant le Comité deux télégrammes de l'armée de l'air algérienne adressés au domicile de sa famille, lesquels sont extrêmement succincts, se bornant à lui demander de «(se) présenter aux commandements des forces aériennes de Béchar pour affaire (le) concernant», sans d'ailleurs aucun détail ni aucune mention de grade ou ancien grade. Or, selon l'État partie, il parait très difficilement crédible que le requérant n'ait pu produire aucun autre document de nature à soutenir les craintes dont il fait état.

8.4 Deuxièmement, le requérant établirait-il même qu'il était pilote de chasse et déserteur, son récit comporte diverses contradictions et invraisemblances ôtant tout sérieux aux craintes invoquées. En effet, il fait valoir en particulier que début mars lorsqu'il aurait refusé avec un autre pilote de participer à des opérations de bombardement de la population civile, il savait encourir de lourdes peines pour défaut d'obéissance, peines dont il relève qu'elles étaient aggravées pour les officiers et étaient celles prononcées en temps de guerre du fait de la situation en Algérie, parmi lesquelles figurait la peine de mort pour les officiers. Or, alors même que l'autre pilote aurait été abattu sur place pour ce même refus d'obéissance, le requérant aurait pour les mêmes faits été libéré après trois mois seulement de prison, la seule sanction à son égard après avoir été relaxé des soupçons de sympathie islamiste étant une interdiction de vol et l'assignation sur la base aérienne. De même, après sa désertion de la base aérienne pour s'enfuir dans le village de sa famille, le requérant aurait fait l'objet d'une tentative d'élimination par des tirs de mitraillette provenant d'une voiture des services de renseignements, son voisin étant abattu sur place, lui-même en réchappant une fois de plus alors qu'il était la seule cible.

8.5 Enfin, l'État partie estime que le comportement personnel du requérant lui-même rend invraisemblables ses allégations. En effet, s'il allègue avoir déserté en 1994 pour des raisons humanitaires d'objection de conscience, cela selon lui en s'exposant consciemment à un risque de sanction très lourde, un tel souci humanitaire apparaît totalement contradictoire avec son comportement violent et délictueux dès son arrivée en France et par la suite. En effet, un an à peine après sa prétendue désertion pour motif d'objection de conscience, le requérant s'est rendu coupable de faits criminels de droit commun d'une particulière gravité, à savoir un viol aggravé, sous la menace d'une arme et a fait preuve d'une dangerosité persistante pour la société lors de son incarcération pour ce crime à travers deux tentatives d'évasion avec violences.

8.6 En tout état de cause, l'État partie soutient que les craintes alléguées par le requérant ne sont pas susceptibles d'être retenues comme des risques sérieux de tortures et traitements inhumains ou dégradants au sens de l'article 3 de la Convention. En effet, le requérant faisait valoir deux types de risques en cas de renvoi en Algérie, les uns résultant de sa désertion et consistant en l'application des sanctions du Code pénal militaire algérien prévues en ce cas, et les autres liés à la possibilité d'être dans le futur à nouveau accusé de sympathie envers les islamistes. L'État partie considère que les risques d'emprisonnement et autres sanctions pénales pour désertion ne sont pas susceptibles à eux seuls d'établir une violation de l'article 3 de la Convention puisqu'il ne s'agit là que de la répression légale d'un délit de droit commun considéré comme tel dans la majorité des États parties à la Convention. Il importe de relever que, si le requérant fait valoir que les peines encourues en cas de désertion peuvent dans des cas extrêmes aller jusqu'à la peine de mort, il ne prétend pas qu'il encourait lui-même cette peine. De fait, selon l'État partie, il ne pouvait l'encourir: il résulte de son propre récit qu'il ne se serait agi que d'une désertion à titre individuel, en dehors des opérations de combat, après avoir été suspendu de vol et assigné à la base aérienne, alors qu'il résulte tant de ses écritures que des éléments de législation algérienne réunis par Amnesty International et produits en faveur du requérant que la peine de mort ne serait éventuellement applicable que dans le cas d'une désertion en groupe de la part d'officiers. En second lieu, si le requérant fait valoir qu'il aurait été soupçonné de sympathie avec les islamistes et soumis à la torture dans le cadre des interrogatoires qui auraient suivi ce refus d'obéissance, il résulte, selon l'État partie, de la jurisprudence du Comité (3) que des faits de torture passés, dont il serait même établi qu'ils ont effectivement été infligés dans le cadre de faits entrant dans le champ de la Convention, ne suffisent pas en tout état de cause à établir l'existence de risques réels et actuels pour le futur. En l'espèce, l'État partie souligne qu'il résulte des écritures mêmes du requérant qu'il a été relaxé des accusations de sympathie envers les islamistes. En outre, l'État partie estime que le risque éventuel que le requérant soit l'objet de nouvelles accusations de sympathie envers les islamistes dans le futur ne parait pas sérieux au sens de l'article 3 de la Convention, ni crédible au regard de son propre récit. En effet, il résulte du récit du requérant que son dossier militaire aurait été tel que les autorités militaires l'avaient lavé de tout soupçon à cet égard et qu'il a été relaxé de ces accusations. Il est ensuite peu crédible d'imaginer qu'il aurait été libéré et assigné sur la base aérienne même si le moindre doute avait pu être conservé à cet égard par les autorités militaires. Pour l'avoir ainsi maintenu sur la base aérienne même, les autorités militaires s'étaient de toute évidence persuadées elles-mêmes qu'aucun soupçon de sympathie envers le G.I.A. ne pouvait être retenu à son encontre. Sur ce point, l'État partie relève qu'aucun grief recevable devant le Comité n'aurait pu être tiré des allégations du requérant selon lesquelles il aurait ainsi reçu des menaces de mort de la part de groupes islamistes armés, de telles menaces émanant d'une entité non gouvernementale qui n'occupe pas le pays étant en tout état de cause étrangères au champ d'application de la Convention. De même, l'État partie relève que, si le requérant établit par des certificats médicaux souffrir d'une pathologie neuropsychiatrique, il n'établit pas que cette maladie, sur laquelle il ne donne aucune précision, ne pourrait être adéquatement traitée en Algérie.

8.7 L'État partie soutient que les risques allégués par le requérant ont fait l'objet d'un examen approfondi et équitable dans le cadre des procédures internes. Il rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle il appartient aux tribunaux des États parties à la Convention et non au Comité d'apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d'espèce, sauf s'il peut être établi que la manière dont ces faits et ces éléments de preuve ont été appréciés était manifestement arbitraire ou équivalait à un déni de justice. (4) En effet, la question qui se pose devant le Comité est de savoir si le refoulement du requérant vers le territoire d'un autre État violait les obligations de la France en vertu de la Convention, ce qui signifie qu'il convient d'examiner si les autorités françaises, lorsqu'elles ont décidé d'exécuter la mesure d'éloignement prise à l'égard de l'intéressé, pouvaient raisonnablement considérer au vu des informations dont elles disposaient, qu'il serait exposé à des risques réels en cas de retour. En l'espèce, les risques allégués par le requérant en cas de renvoi dans son pays d'origine avaient fait l'objet en France de quatre examens successifs en six ans par trois autorités administratives différentes et une juridiction, qui toutes ont conclu à l'absence de caractère sérieux des risques allégués. En effet, par un jugement du 8 novembre 2001, le tribunal administratif de Limoges a rejeté la requête en annulation présentée le 16 juillet 2001 par le requérant contre l'arrêté d'expulsion du 21 mai 2001 et la décision fixant l'Algérie comme pays de destination, ouvrant la possibilité d'exécuter la mesure d'éloignement. Le tribunal a considéré que les allégations de l'intéressé n'étaient «assorties d'aucune justification». En outre, le requérant, qui a interjeté appel de ce jugement devant la cour administrative d'appel de Bordeaux le 4 janvier 2002 ne prétend pas devant le Comité que la manière dont les faits et éléments de preuve dont il s'est prévalu devant le tribunal administratif ont été appréciés par cette juridiction «aurait été manifestement arbitraire ou équivaudrait à un déni de justice». Auparavant, la demande du requérant tendant à obtenir le statut de réfugié politique auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) avait été rejetée le 23 août 1995 au motif qu'il n'avait pas apporté d'éléments suffisants de nature à établir qu'il se trouvait personnellement dans l'un des cas prévus par l'article premier A) 2) de la Convention relative au statut des réfugiés. Le requérant s'était abstenu ensuite de saisir la Commission de recours des réfugiés (CRR), juridiction indépendante qui réexamine en fait et en droit les décisions de l'OFPRA, acquiesçant ainsi à la décision prise à cet égard. La situation du requérant avait encore été examinée par le Ministre de l'intérieur le 19 décembre 1997 dans le cadre de la circulaire du 24 juin 1997 relative à la régularisation du séjour de certaines catégories d'étrangers en situation irrégulière. Ce texte autorise les préfets à délivrer un titre de séjour aux personnes invoquant des risques en cas de retour dans leur pays d'origine. À nouveau, le requérant s'était borné à affirmer être un ex-militaire ayant déserté l'armée algérienne et avoir été menacé par le G.I.A. Faute de précision, et en l'absence de toute justification de ses allégations, sa demande a été rejetée. Une fois encore, le requérant n'a pas contesté cette décision devant la juridiction interne compétente. Enfin avant de prendre une décision fixant l'Algérie comme pays de renvoi, le préfet de l'Indre avait procédé à un nouvel examen au regard des risques encourus en cas de retour dans ce pays.

8.8 Ainsi, selon l'État partie, force est de constater que, à la date de l'exécution de la mesure d'expulsion, la situation du requérant avait été équitablement examinée sans qu'il n'établisse encourir des risques sérieux et actuels de torture ou traitements inhumains en cas de renvoi en Algérie. À l'appui de sa requête devant le Comité, l'État partie affirme que le requérant ne produit toujours pas d'éléments permettant de retenir l'existence de tels risques.

8.9 Dans ces conditions, l'État partie était convaincu que le recours présenté par le requérant devant le Comité présentait un caractère purement dilatoire, abusant ainsi de la tradition de l'État partie, jusqu'à présent toujours respectée, de suspendre une mesure d'éloignement dans l'attente de la décision du Comité sur la recevabilité de la requête.

8.10 L'État partie explique qu'en dépit de ce caractère dilatoire, le Gouvernement français se serait incliné devant la demande de mesures conservatoires du Comité, pourtant dépourvues de caractère contraignant, si le maintien sur le territoire français du requérant, criminel de droit commun à la dangerosité avérée, n'avait pas en outre présenté un risque particulièrement disproportionné pour l'ordre public et la sécurité des tiers au regard de l'absence de bénéfice effectif que le requérant pouvait espérer retirer de son recours. Or, il est constaté que le requérant s'est rendu coupable dès la première année de son séjour en France d'un viol aggravé, commis sous la menace d'une arme, crime pour lequel il a été incarcéré dès juillet 1995 et condamné par la cour d'assises du Loiret à une peine de huit années de réclusion assortie d'une interdiction judiciaire du territoire d'une durée de 10 ans. Il a, en outre, démontré le caractère ancré et persistant de sa dangerosité pour l'ordre public par deux tentatives violentes d'évasion durant son incarcération, en septembre 1995 et juillet 1997, qui l'une et l'autre ont été sanctionnées par des peines d'emprisonnement de huit mois. Dans cette situation gravement préjudiciable pour la sécurité publique, l'État partie explique avoir néanmoins retardé l'exécution de la mesure d'expulsion le temps de procéder à un dernier examen de la situation du requérant pour apprécier la possibilité de le maintenir sur le sol français comme le souhaitait le Comité. Or, il a été retenu, une fois de plus, qu'il n'établissait pas le caractère sérieux des craintes alléguées et que, dans ces conditions, rien ne pouvait justifier de maintenir plus longtemps sur le territoire français une personne qui avait largement fait preuve de sa dangerosité pour l'ordre public et dont la requête devant le Comité ne relevait de toute évidence que d'une manœuvre dilatoire, en dépit de l'évidente bonne foi à cet égard des associations de protection des droits de l'homme qui ont soutenu devant le Comité la demande présentée par lui. L'État partie souligne tout particulièrement qu'une assignation à résidence n'aurait présenté, en l'espèce, aucune garantie étant donné les antécédents violents du requérant en matière de tentatives d'évasion. Dans ces conditions, l'État partie a retenu que le renvoi du requérant vers son pays d'origine n'était en l'espèce pas susceptible de présenter un «risque sérieux» au sens de l'article 3 de la Convention.

8.11 Concernant la situation actuelle du requérant, l'État partie explique que les autorités algériennes, saisies par le Gouvernement français d'une demande de renseignements à son sujet, ont indiqué le 24 septembre 2003 que l'intéressé vivait en Algérie où il demeure dans la région de sa famille.


Commentaires du conseil

9.1 Les 29 octobre et 14 novembre 2003, le conseil a fait part de ses commentaires sur les observations de l'État partie. Relativement au caractère contraignant des demandes de mesures conservatoires, il rappelle que dans deux cas, (5) dans lesquels des États parties à la Convention avaient procédé à des expulsions contre l'avis du Comité, ce dernier a considéré que les mesures de mise en œuvre de ses compétences, au regard desquelles il est possible de ranger notamment le règlement intérieur en application duquel la demande de suspension a été formulée, constituaient une obligation conventionnelle.

9.2 Concernant les raisons de l'exécution de la mesure d'expulsion avancées par l'État partie, le conseil soutient que le requérant a suivi une formation de pilote de chasse en Pologne. D'autre part, d'après le conseil, l'acte criminel et les deux tentatives d'évasion un an plus tôt du requérant n'excluent pas qu'il ne se serait pas révolté contre les bombardements de populations civiles. À ce sujet, le conseil fait état d'un grand malaise à l'époque au sein de l'armée algérienne tel qu'illustré par la fuite en Espagne d'un lieutenant algérien en 1998. Eu égard à l'argument de l'État partie selon lequel le requérant n'aurait pas établi qu'il courait des risques sérieux de torture en cas de renvoi en Algérie, les tortures passées ne suffisant pas à établir l'existence de risques réels et actuels pour le futur, le conseil affirme que le requérant a été effectivement torturé, qu'il a été très discret sur les séquelles touchant à ses parties génitales par pudeur, qu'il a dû être soigné pour des troubles psychiatriques y relatifs, et que le tribunal administratif n'a reçu que des informations très vagues sur ces tortures, pour lesquelles un certificat médical a été produit devant la cour administrative d'appel de Bordeaux. Pour l'avenir, selon le conseil, dès lors que les incriminations pouvant frapper le requérant s'étaient aggravées du fait de sa désertion et de sa fuite en France, le risque de torture de la part notamment de la sécurité militaire algérienne était suffisamment sérieux pour qu'il fût pris en considération. Concernant la position de l'État partie sur le fait que les risques allégués par le requérant avaient déjà fait l'objet d'un examen approfondi et équitable dans le cadre des procédures internes, le conseil reconnaît que l'OFPRA a rejeté la demande de statut de réfugié du requérant pour des motifs que le conseil déclare ignorer dans la mesure où celui-ci se trouvait alors en prison. En outre, il reconnaît que le requérant n'a pas saisi la CRR. Le conseil constate que le tribunal administratif de Limoges a également refusé d'annuler la décision fixant l'Algérie comme pays de renvoi alors que le juge des référés avait suspendu la désignation du pays de renvoi. Enfin, l'argumentation plus détaillée du requérant auprès de la Cour administrative de Bordeaux aurait dû inviter l'administration à plus de prudence et donc à suspendre l'expulsion.

9.3 Relativement à la dangerosité du requérant et aux risques encourus pour la sécurité publique, le conseil fait valoir que le requérant a commis un acte grave, sans pour autant faire courir un risque sérieux à la population. Il ajoute que le requérant a épousé le 18 mars 1999 une personne de nationalité française, et a eu une enfant. À sa sortie de prison, une tentative d'expulsion n'a pas eu de suite alors que l'administration aurait pu faire une nouvelle tentative. D'après le conseil, ce n'est qu'à la suite d'un incident fortuit, à savoir une altercation avec des vigiles, que l'arrêté d'expulsion a été réactivé.

9.4 Relativement à la situation actuelle du requérant, le conseil estime les informations de l'État partie imprécises. Il indique être sans nouvelles de la part du requérant, de même que sa famille en France, et que son frère à Alger nie la présence du requérant à l'adresse fournie par l'État partie. Quand bien même celui-ci se trouverait au lieu précisé par l'État partie et malgré le fait qu'il s'agit d'un lieu isolé, le conseil s'interroge sur les raisons de l'absence de communications de la part du requérant, ce qui pourrait signifier la disparition de ce dernier.


Commentaires supplémentaires du conseil

10. Le 14 janvier 2004, le conseil a transmis copie de l'arrêté de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 18 novembre 2003 annulant le jugement du tribunal administratif de Limoges du 8 novembre 2001, et la décision du 23 mai 2001 par laquelle le préfet de l'Indre a prononcé le renvoi du requérant dans son pays d'origine. En ce qui concerne la décision d'expulser le requérant, la cour d'appel a suivi le raisonnement suivant:

«Considérant



Observations de l'État partie sur les commentaires supplémentaires

11.1 Le 14 avril 2004, l'État partie a estimé que la question se posant devant le Comité était de savoir si le refoulement du requérant vers le territoire d'un autre État avait violé les obligations de la France en vertu de la Convention, ce qui signifiait qu'il convenait d'examiner si les autorités françaises, lorsqu'elles avaient décidé d'exécuter la mesure d'éloignement de l'intéressé pouvaient raisonnablement considérer, au vu des informations dont elles disposaient, qu'il serait exposé à des risques réels en cas de retour. L'État partie rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle celui qui soutient courir des risques en cas de renvoi vers un pays donné a la charge d'établir, au moins au-delà d'un doute raisonnable, le caractère sérieux de ses craintes. Or, d'après l'État partie, pas plus devant le tribunal administratif que devant les autorités administratives, le requérant n'avait produit d'éléments de preuve permettant d'étayer le bien-fondé des craintes qu'il alléguait éprouver en cas de renvoi en Algérie. Saisi par le requérant d'une requête en annulation de la décision ordonnant son éloignement à destination de l'Algérie par ordonnance du 29 août 2001, le juge des référés du tribunal administratif de Limoges avait ordonné la suspension de la décision fixant le pays de destination pour l'éloignement du requérant dans l'attente du jugement au fond, afin de préserver la situation du requérant au cas où ses craintes s'avéreraient fondées. Néanmoins, après avoir constaté que les allégations du requérant n'étaient assorties d'aucun élément de justification, le tribunal administratif a ensuite rejeté la requête en annulation par un jugement au fond du 8 novembre 2001.

11.2 Par arrêt du 18 novembre 2003 rendu sur l'appel du requérant contre le jugement susmentionné du tribunal administratif de Limoges du 8 novembre 2001, la cour administrative de Bordeaux a jugé que, eu égard à la gravité des faits commis, le préfet de l'Indre avait légalement pu considérer que la présence du requérant sur le territoire français constituait une menace grave pour l'ordre public, et que son éloignement ne portait pas, dans ces conditions, une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale.

11.3 Dans un second temps, la cour a annulé le jugement du tribunal administratif de Limoges et la décision du préfet de l'Indre renvoyant l'intéressé dans son pays d'origine sur le fondement de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme et de l'article 27 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 prohibant l'éloignement d'un étranger à destination d'un pays lorsqu'il est établi qu'il y serait exposé à des traitements contraires à ceux de l'article 3 de la Convention.

11.4 Selon l'État partie, il importe de souligner tout particulièrement que, pour ce faire, la cour administrative d'appel s'est prononcée sur le fondement d'éléments dont elle relève expressément qu'ils étaient nouveaux. Elle en a déduit que, dans ces conditions, les allégations du requérant devaient être considérées comme établies en l'absence de contradiction par le Ministre de l'intérieur et a en conséquence annulé la décision fixant le pays de destination.

11.5 L'État partie souligne que le considérant de la cour relatif à l'absence de contradiction par le Ministère de l'intérieur ne saurait être compris comme révélateur d'une volonté de l'administration de reconnaître le caractère probant des conclusions du requérant. Ce n'est qu'en raison des règles de procédure contentieuse résultant de l'article R.612.6 du Code de justice administrative que le juge n'a pu prendre en compte les éléments en défense produits par l'administration. En effet, le mémoire en défense produit par le Ministère de l'intérieur est parvenu à la cour quelques jours après la clôture de l'instruction.

11.6 En outre, l'État partie explique que l'élément essentiel retenu par la cour pour fonder sa décision d'annulation est précisément la décision par laquelle le Comité a retenu la recevabilité de la requête de l'auteur. Or, en se prononçant sur cette recevabilité, le Comité n'a pris aucune position sur le bien-fondé de cette requête, ni sur l'établissement par le requérant, au-delà d'un doute raisonnable des faits invoqués par celui-ci, ces éléments ne pouvant être appréciés que dans le cadre de la décision sur le bien-fondé de la requête. L'État partie conclut que, eu égard à sa motivation, la décision d'annulation retenue par la cour administrative d'appel ne conforte en rien la position du requérant devant le Comité.

11.7 Dans ces conditions, l'État partie rappelle que le Comité a récemment réaffirmé qu'il appartenait aux tribunaux des États parties à la Convention et non au Comité d'apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d'espèce, sauf s'il est établi que la manière dont ces faits et ces éléments de preuve ont été appréciés était manifestement arbitraire ou équivalait à un déni de justice. (6) Or, à cet égard, l'arrêt ainsi communiqué de la cour administrative d'appel démontre précisément que la manière dont les juridictions internes ont examiné les faits et éléments de preuve produits par le requérant ne saurait être considérée comme ayant été manifestement arbitraire ou équivalant à un déni de justice.

11.8 En conclusion, l'État partie maintient qu'il ne saurait être retenu en l'espèce que la France aurait méconnu ses obligations conventionnelles en renvoyant l'intéressé dans son pays d'origine, après avoir, avant de prendre cette décision d'éloignement, vérifié à plusieurs reprises que le requérant ne pouvait raisonnablement être considéré comme exposé à des risques en cas de retour. Au regard de la jurisprudence du Comité, il ne saurait être retenu que les autorités françaises pouvaient raisonnablement considérer qu'il serait exposé à des risques réels en cas de retour, lorsqu'elles ont décidé d'exécuter la mesure d'éloignement prise à l'égard de l'intéressé.


Commentaires du conseil

12. Dans ses commentaires du 11 juin 2004, le conseil maintient que l'État partie a violé l'article 3 de la Convention. Il ajoute être entré en contact téléphonique avec le requérant, lequel a déclaré avoir été remis par la police française, dans l'avion, à des agents algériens, avoir quitté l'aéroport d'Alger dans un fourgon, avoir été remis aux services secrets algériens qui l'ont retenu en divers lieux durant un an et demi avant de le relâcher, sans document d'aucune sorte dans l'attente semble-t-il d'un jugement, le jugement par contumace ayant été annulé. L'auteur affirme enfin avoir été gravement torturé.


Examen au fond

13.1 En vertu du paragraphe 1 de l'article 3 de la Convention, le Comité doit décider s'il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risque d'être soumis à la torture à son retour en Algérie. Le Comité fait observer d'emblée que dans les cas où une personne a été expulsée alors que sa plainte était examinée, le Comité évalue ce que l'État partie savait ou aurait dû savoir au moment de l'expulsion. Les événements ultérieurs sont pertinents pour cette évaluation de ce que l'État partie savait effectivement ou était censé savoir au moment de l'expulsion.

13.2 Pour ce faire, il doit, conformément au paragraphe 2 de l'article 3 de la Convention, tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris l'existence d'un ensemble systématique de violations des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives. Il s'agit toutefois de déterminer si l'intéressé risquerait personnellement d'être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. En conséquence, l'existence d'un ensemble de violations flagrantes, graves ou massives des droits de l'homme dans un pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure qu'un individu risquerait d'être victime de torture à son retour dans ce pays; il faut qu'il existe en outre des motifs particuliers de penser que l'intéressé serait personnellement en danger. De même, l'absence d'un ensemble systématique de violations flagrantes des droits de l'homme ne signifie pas qu'une personne ne peut pas être considérée comme risquant d'être soumise à la torture dans les circonstances particulières qui sont les siennes. Le Comité rappelle que, conformément à son observation générale no 1 relative à l'application de l'article 3 de la Convention, il accorde «un poids considérable» aux constatations de fait des organes de l'État partie.

13.3 Tout d'abord, le Comité constate que lors de l'expulsion de l'auteur le 30 septembre 2002, l'appel interjeté par le requérant devant la cour administrative d'appel de Bordeaux dès le 4 janvier 2002 était toujours pendant et contenait des arguments supplémentaires contre son expulsion, qui n'avaient pas été présentés au préfet de l'Indre quand celui-ci avait rendu la décision d'expulsion mais dont les autorités de l'État partie avaient ou auraient dû avoir connaissance à la date où le requérant avait été expulsé. Plus important encore, le 19 décembre 2001, le Comité avait demandé à titre de mesures de protection qu'il soit sursis à l'expulsion du requérant jusqu'à ce qu'il ait pu examiner l'affaire au fond, car il avait établi, par l'intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des mesures provisoires de protection, que dans la présente affaire le requérant avait avancé des arguments suffisants pour faire craindre un préjudice irréparable. Cette mesure provisoire de protection, sur laquelle le requérant était en droit de compter, a été renouvelée et réitérée le 26 septembre 2002.

13.4 Le Comité souligne qu'en ratifiant la Convention et en reconnaissant volontairement la compétence du Comité en vertu de l'article 22, l'État partie s'est engagé à coopérer de bonne foi au déroulement de la procédure de plainte individuelle instituée par cet article et à lui donner plein effet. La décision de l'État partie de procéder à l'expulsion malgré la demande de mesures provisoires du Comité annule l'exercice effectif du droit de plainte conféré par l'article 22 de la Convention et rend la décision finale du Comité sur le fond vaine et vide de sens. Le Comité conclut donc qu'en expulsant le requérant de la manière dont il l'a fait, l'État partie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 22 de la Convention.

13.5 Sur la question de la violation de l'article 3, le Comité note que la cour administrative d'appel de Bordeaux, à la suite de l'expulsion du requérant, a établi après examen des éléments produits que le requérant risquait bien de subir des traitements contraires à l'article 3 de la Convention européenne, constatation qui pouvait englober la torture (voir plus haut par. 10.1). En conséquence, la décision d'expulser le requérant était, au regard du droit interne, illégale.

13.6 Le Comité relève que l'État partie est généralement lié par les conclusions de la cour d'appel, l'État partie se bornant à indiquer que la cour n'avait pas pris en compte le mémoire en défense du Ministère de l'intérieur parce qu'il lui était parvenu après les délais prescrits par la procédure contentieuse. Le Comité estime toutefois que ce manquement de l'État partie ne saurait être imputé au requérant et, de plus, que considérer que les conclusions de la cour en auraient été différentes relève de l'hypothèse. Selon la déclaration de l'État partie lui-même (voir par. 11.7), à laquelle le Comité souscrit, l'arrêt de la cour administrative d'appel, qui établit notamment que l'expulsion du requérant a eu lieu en violation de l'article 3 de la Convention européenne, ne peut pas être considéré au vu des informations dont le Comité est saisi comme manifestement arbitraire ou représentant un déni de justice. Par conséquent, le Comité conclut également, dans les circonstances de l'espèce, que le requérant a montré que son renvoi constituait une violation de l'article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

14. Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, est d'avis que l'expulsion du requérant vers l'Algérie a constitué une violation de l'article 3 et de l'article 22 de la Convention.

15. Conformément au paragraphe 5 de l'article 112 de son règlement intérieur, le Comité souhaite recevoir, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures que l'État partie aura prises pour donner suite aux présentes constatations, notamment pour réparer la violation de l'article 3 de la Convention et pour déterminer, en consultation avec le pays (qui est aussi un État partie à la Convention) dans lequel le requérant a été renvoyé, le lieu où il réside et quel est son sort.






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[Adopté en français (version originale), en anglais, en espagnol et en russe. Paraîtra ultérieurement en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]


Notes

1. Le requérant fait référence aux affaires Chalabi et Hamani.

2. M. U. S. c. Finlande, requête no 197/2002, constatations adoptées le 1er mai 2003.

3. Ibid.

4. G. K. c. Suisse, requête no 219/2002, constatations adoptées le 7 mai 2003.

5. Núñez Chipana c. Venezuela, requête no 110/1998, constatations adoptées le 10 novembre 1998, et T. P. S. c. Canada, requête no 99/1997, constatations adoptées le 16 mai 2000.

6. Op. cit.

 



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