University of Minnesota



Heli Arfahad Saut Villamar et Flor Osorio Cancino c. Canada, Communication No. 163/2000, U.N. Doc. CAT/C/33/D/163/2000/Rev.1 (2004).


 


Convention Abbreviation: CAT


Présentée par
: Heli Arfahad Saut Villamar et Flor Osorio Cancino
(représentés par un conseil, M. Oscar Fernando Rodas)

Au nom de: Heli Arfahad Saut Villamar et Flor Osorio Cancino

État partie: Canada

Date de la requête: 28 février 2000

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l'article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 24 novembre 2004,

Adopte ce qui suit:


DÉCISION CONCERNANT LA RECEVABILITÉ


1.1 Les requérants sont Heli Arfahad Saut Villamar, né en 1973, et son épouse, Flor Osorio Cancino, née en 1975, tous deux de nationalité mexicaine. Ils ont demandé l'asile le 28 mai 1999, cinq mois après leur arrivée au Canada. Leur demande a été rejetée par la Commission canadienne de l'immigration et du statut de réfugié le 6 janvier 2000. La Cour fédérale du Canada a confirmé cette décision le 26 mai 2000. Les requérants affirment que leur renvoi forcé au Mexique constituerait une violation, par le Canada, de l'article 3 de la Convention.

1.2 Conformément au paragraphe 3 de l'article 22 de la Convention, le Comité a porté la requête à l'attention de l'État partie le 27 avril 2000.

1.3 Il ressort des observations de l'État partie datées du 30 juillet 2003 que la demande d'asile des requérants a été rejetée le 6 janvier 2000. Ils ont quitté le Canada le 18 juillet 2000 en exécution d'un ordre d'expulsion (1). Mme Cancino est revenue au Canada le 8 décembre 2000 avec un permis de travail. M. Saut Villamar est revenu au Canada le 9 décembre 2000 sans permis de résidence; il n'a pas demandé le statut de réfugié et a donc été renvoyé au Mexique le lendemain. Il est revenu au Canada le 24 octobre 2001 et a déposé une demande d'admission au statut de réfugié fondée sur de nouveaux motifs (différents de ceux qui sont exposés dans la présente communication). Le 7 février 2003, la Section du statut de réfugié a estimé qu'il n'était pas crédible en raison d'importantes contradictions dans ses déclarations et a refusé de lui accorder le statut de réfugié. Le requérant n'a pas formé de recours contre cette décision (2) .


Rappel des faits présentés par les requérants

2.1 En novembre 1997, les requérants se sont installés à Tuxla, Las Rosas, dans l'État du Chiapas, chez l'oncle de la requérante, Oscar Cancinos, qui les a engagés dans le magasin qu'il tenait. La requérante y a travaillé comme vendeuse et le requérant comme chauffeur. Oscar Cancinos leur a confié la gestion du commerce après leur mariage, le 19 février 1998.

2.2 Oscar Cancinos a quitté le commerce le 15 mars 1998 et est parti pour la capitale, mais il a demandé au couple de lui verser 15 % des bénéfices mensuels, disant qu'il viendrait les chercher en personne. Le couple s'est occupé du commerce, mais la femme a remarqué que des personnes en civil les surveillaient. Craignant que ce soient des voleurs, le couple a demandé à leurs employés de ne pas garder beaucoup d'argent dans la caisse. Le requérant a en outre porté plainte auprès de la police.

2.3 Le 20 septembre 1998, Oscar Cancinos est revenu, accompagné d'inconnus armés. La femme, qui était seule, lui a dit que son mari était sorti faire des achats et qu'il serait bientôt de retour. Oscar Cancinos a demandé aux inconnus de l'attendre car il était le seul à savoir où se trouvait l'argent. Lorsque le requérant est arrivé, l'un des individus l'a braqué avec une arme et lui a ordonné de sortir. Oscar Cancinos a alors réagi, donnant un coup à l'inconnu sur la main dans laquelle il tenait l'arme. L'homme a lâché l'arme et Oscar Cancinos en a profité pour courir à l'intérieur de la maison, poursuivi par les deux autres inconnus. Il est cependant parvenu à s'échapper. Les inconnus se sont alors retournés contre les requérants: l'un d'eux a braqué son arme sur Mme Osorio Cancino, tandis que les autres s'en seraient pris à M. Saut Villamar. Mme Osorio Cancino a réussi à s'échapper, laissant son mari seul avec les inconnus.

2.4 Mme Osorio Cancino s'est rendue chez un autre oncle, qui est immédiatement parti rejoindre son mari. À son retour, il lui a dit qu'il l'avait retrouvé inconscient devant le magasin et qu'il avait apparemment été battu. Il l'a emmené dans une clinique où il a été soigné, puis il a porté plainte auprès de la police. Cependant, la police lui aurait répondu qu'Oscar Cancinos était membre de l'armée zapatiste et que les requérants étaient ses complices.

2.5 Les requérants se sont réfugiés à Mexico, où ils ont été cachés par la famille du requérant. Ils affirment que selon certaines rumeurs leur oncle serait parti rejoindre les zapatistes dans les montagnes.

2.6 Les requérants ont quitté le Mexique le 12 décembre 1998 et sont arrivés au Canada le même jour. Ils ont demandé le statut de réfugié le 28 mai 1999. Le 6 janvier 2000, la Section du statut de réfugié de la Commission canadienne de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que les auteurs n'étaient pas des «réfugiés au sens de la Convention». La requérante, après avoir été entendue, n'a pas été jugée crédible, et le requérant n'a pas fait de déposition en raison des troubles de mémoire dont il souffrirait depuis les événements susmentionnés. Les requérants ont alors déposé une demande d'autorisation de contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de réfugié. Le 26 mai 2000, la Cour fédérale du Canada a rejeté cette demande. Le 9 décembre 2000, le requérant est revenu au Canada, sans permis de résidence. N'ayant pas demandé l'asile, il a été renvoyé au Mexique le lendemain.


Teneur de la plainte

3.1 Les requérants soutiennent que leur renvoi au Mexique constituerait une violation, par le Canada, de l'article 3 de la Convention. Ils allèguent que leurs droits ont été gravement violés au Mexique, et croient qu'ils seraient à nouveau persécutés s'ils y retournaient.

3.2 À l'appui de ces allégations, M. Saut Villamar soumet un certificat médical attestant qu'il ne serait pas apte à témoigner en son nom propre devant la Section du statut de réfugié, et qu'il n'a aucun souvenir de l'agression subie au Mexique ou de sa vie avant cette agression. Il ne serait plus capable de reconnaître des visages familiers, et une psychologue a recommandé que son épouse le représente dans la procédure relative à sa requête.


Observations de l'État partie sur la recevabilité

4.1 Dans une note verbale datée du 30 juillet 2003, l'État partie affirme que, s'agissant de la requérante, Mme Osorio Cancino, la communication est incompatible avec le paragraphe 5 de l'article 22 de la Convention, étant donné qu'elle jouissait du statut légal de travailleur temporaire au Canada.

4.2 L'État partie affirme que la communication ne contient pas d'éléments suffisants pour étayer l'allégation des requérants selon laquelle leur renvoi au Mexique constituerait une violation de l'article 3 de la Convention. Les faits et les allégations présentés au Comité seraient identiques à ceux qui ont été soumis aux autorités nationales. Ces dernières ont conclu que ces faits et ces allégations étaient incohérents, et ont constaté des lacunes importantes dans les récits des requérants au sujet de points essentiels et déterminants, notamment en ce qui concerne leur séjour au Chiapas et l'identité des agresseurs de M. Villamar. Invoquant une perte de mémoire, celui-ci a refusé de témoigner devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié.

4.3 L'État partie affirme en outre que la communication est irrecevable étant donné que les requérants n'ont pas épuisé les recours internes disponibles avant de s'adresser au Comité. Ils n'ont pas demandé à être dispensés de l'application régulière de la loi sur l'immigration pour des raisons d'ordre humanitaire (3).

4.4 Selon l'État partie, l'examen des considérations humanitaires est une procédure administrative statutaire permettant aux requérants de présenter à un agent de l'immigration de nouveaux faits ou de nouveaux éléments de preuve en leur faveur. Dans le cadre d'une telle demande, les requérants auraient pu mentionner toutes circonstances personnelles d'ordre humanitaire et pas seulement les risques auxquels leur expulsion vers le Mexique les exposerait. En cas de rejet de cette demande, les requérants auraient pu présenter une demande d'autorisation de contrôle judiciaire de cette décision. Afin que la Cour fédérale donne son autorisation, il aurait suffi de démontrer qu'il existait une «cause raisonnable d'action» justifiant un redressement des torts causés si la demande avait été satisfaite (4) .

4.5 L'État partie fait valoir que les requérants auraient pu déposer auprès de la Cour fédérale une demande de sursis à l'exécution de la mesure de renvoi pendant la durée de la procédure de contrôle judiciaire. Il aurait alors été possible de faire appel de la décision de la Cour fédérale devant la Cour d'appel fédérale si le juge de première instance avait certifié que l'affaire soulevait une question de portée générale et énoncé cette question. La décision de la Cour d'appel fédérale aurait elle-même été susceptible d'appel devant la Cour suprême du Canada.

4.6 L'État partie ajoute qu'une demande de résidence permanente au Canada fondée sur des considérations humanitaires constituait un recours susceptible de donner satisfaction aux requérants.

4.7 L'État partie rappelle que, dans l'affaire (5), le Comité avait déclaré la communication irrecevable au motif que le requérant n'avait pas présenté une telle demande pour motifs d'ordre humanitaire et n'avait donc pas épuisé les recours internes.

4.8 S'agissant du requérant, M. Saut Villamar, l'État partie note à propos de sa deuxième demande d'asile que celui-ci n'a pas présenté de demande d'autorisation de contrôle judiciaire concernant la décision négative de la Section du statut de réfugié. Ce recours lui est toujours ouvert, même si le délai de 15 jours prévu par la loi sur l'immigration et la protection des réfugiés pour le dépôt de cette demande est dépassé. Dans la mesure où le requérant démontre l'existence de raisons spéciales expliquant ce retard, un juge de la Cour fédérale pourrait lui accorder une prolongation du délai. L'État partie fait observer toutefois que le requérant était tenu de respecter les délais, et cite une affaire soumise à la Cour européenne des droits de l'homme (6) dans laquelle la Cour avait conclu que, même dans les cas d'expulsion vers un pays où il pourrait exister un risque de traitement contraire à l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, les formes et les délais établis par le droit interne doivent normalement être observés. La plainte avait été rejetée pour non-épuisement des recours internes.

4.9 L'État partie note que, dans l'affaire (7), le Comité avait estimé que le requérant n'avait pas épuisé les recours internes disponibles s'il n'avait pas présenté de demande de contrôle judiciaire d'une décision négative de la Section du statut de réfugié ni de demande de dispense ministérielle. Dans l'affaire P. S. c. Canada(8), le Comité avait déclaré la communication irrecevable au motif que le requérant n'avait pas déposé de demande d'autorisation de contrôle judiciaire de la décision lui refusant la dispense ministérielle.

4.10 Selon l'État partie, M. Saut Villamar ne sera pas expulsé du Canada avant d'avoir eu la possibilité de présenter une demande d'examen des risques liés à son retour dans son pays. La loi sur l'immigration et la protection des réfugiés prévoit qu'une personne au Canada faisant l'objet d'une mesure de renvoi peut demander à être protégée si elle craint que son renvoi ne l'expose au risque d'être persécutée pour l'un des motifs énoncés dans la Convention relative au statut des réfugiés, ou d'être soumise à la torture au sens de l'article premier de la Convention contre la torture, ou à des traitements cruels, ou ne mette sa vie en danger. Une décision négative à l'issue de l'examen des risques avant renvoi peut faire l'objet d'une demande d'autorisation de contrôle judiciaire auprès de la Cour fédérale.

4.11 Enfin, l'État partie fait valoir que le requérant peut déposer une demande de résidence permanente pour motifs d'ordre humanitaire.

4.12 Quant à la requérante, Mme Osorio Cancino, l'État partie souligne qu'elle jouit du statut de travailleur temporaire au Canada jusqu'au 8 décembre 2003. Après cette date, elle pourrait demander le statut de réfugié si elle craignait de retourner au Mexique, et, si elle faisait l'objet d'une mesure de renvoi, elle pourrait présenter une demande d'examen des risques avant renvoi. Elle pourrait aussi présenter une demande de résidence permanente dans le cadre du Programme des aides familiaux résidents. Enfin, elle pourrait présenter une demande de résidence permanente au Canada si des considérations d'ordre humanitaire le justifiaient. Dans chaque cas, la décision prise serait sujette à un contrôle judiciaire.

4.13 Selon l'État partie, les requérants n'ont pas épuisé les recours internes qui leur étaient ouverts et n'ont pas établi que ces recours excéderaient des délais raisonnables ou qu'il est peu probable qu'ils leur donnent satisfaction. La requête devrait donc être déclarée irrecevable.


Commentaires du requérant sur les observations de l'État partie

5. Les observations de l'État partie ont été transmises aux requérants pour commentaires le 19 août 2003. Malgré un rappel envoyé le 2 octobre 2003, ils n'ont fait parvenir aucune réponse.


Délibérations du Comité

6.1 Avant d'examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité contre la torture doit décider si elle est ou non recevable en vertu de l'article 22 de la Convention. Le Comité s'est assuré que la même question n'a pas été et n'est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d'enquête ou de règlement.

6.2 Conformément à l'alinéa b du paragraphe 5 de l'article 22 de la Convention, le Comité n'examine aucune communication sans s'être assuré que le particulier a épuisé tous les recours internes disponibles; cette règle ne s'applique pas s'il est établi que les procédures de recours ont excédé des délais raisonnables ou qu'il est peu probable qu'elles donnent, à l'issue d'un procès équitable, satisfaction à la victime présumée.

6.3 Le Comité a pris note des explications données par l'État partie le 30 juillet 2003, selon lesquelles les requérants ont quitté le pays le 18 juillet 2000 en exécution de la mesure de renvoi dont ils faisaient l'objet. Entre-temps, l'État partie a indiqué qu'après leur expulsion en juillet 2000 les requérants étaient revenus au Canada - la requérante en décembre 2000, avec un permis de travail valable, et le requérant en octobre 2001, après avoir demandé l'asile pour des motifs différents de ceux exposés dans la présente communication. Compte tenu de ce qui précède, et en l'absence de commentaires des requérants sur les observations de l'État partie ou de toute autre information (sur leur situation actuelle), le Comité considère que les requérants n'ont pas suffisamment étayé leur plainte aux fins de la recevabilité. Par conséquent, il estime que la communication est manifestement infondée.

7. En conséquence, le Comité décide:

a) Que la communication est irrecevable;

b) Que la présente décision sera communiquée aux auteurs de la communication et à l'État partie.

[Adopté en anglais (version originale), en français, en espagnol et en russe. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]



Notes

1. La date exacte à laquelle cette mesure a été prise n'est pas indiquée.

2. L'État partie déclare cependant que M. Saut Villamar ne sera pas expulsé du Canada sans avoir eu la possibilité de demander un examen des risques auxquels son renvoi dans son pays l'exposerait.

3. Art. 114 2) de la loi sur l'immigration (1976): «Le gouverneur en conseil peut, par règlement, autoriser le ministre à accorder, pour des raisons d'ordre humanitaire, une dispense d'application d'un règlement pris aux termes du paragraphe 1) ou à faciliter l'admission de toute autre manière.».

4. La Cour fédérale peut intervenir lorsqu'il lui est démontré qu'un organe administratif a commis une erreur de compétence, a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier, a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait, ou a agi de toute autre façon contraire à la loi.

5. L. O. c. Canada, communication no 95/1997, constatations adoptées le 5 septembre 2000.

6. Bahaddar c. Pays-Bas, requête no 145/1996/764/965.

7. R. K. c. Canada, communication no 47/1996.

8. P. S. c. Canada, communication no 86/1997.

 



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