University of Minnesota



Observations finales du Comité contre la torture, Espagne, U.N. Doc. CAT/C/ESP/CO/5 (2009).



CAT/C/ESP/CO/5

9 décembre 2009

Français

Original: espagnol

 

Comité contre la torture

Quarante-troisième session

2-20 novembre 2009

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19 de la Convention

Observations finales du Comité contre la torture

Espagne

1. Le Comité contre la torture a examiné le cinquième rapport périodique de l’Espagne (CAT/C/ESP/5) à ses 913e et 914e séances (CAT/C/SR.913 et 914), les 12 et 13 novembre 2009, et a adopté à sa 923e séance, le 19 novembre (CAT/C/SR.923), les observations finales ci-après.

A. Introduction

2. Le Comité accueille avec satisfaction le cinquième rapport périodique de l’Espagne, qui suit les directives pour la présentation des rapports, ainsi que les réponses apportées à la liste des points à traiter. Il relève aussi avec satisfaction les efforts constructifs consentis par la délégation plurisectorielle de l’État partie pour apporter des renseignements et des explications supplémentaires au cours du dialogue.

B. Aspects positifs

3. Le Comité accueille avec satisfaction la ratification des instruments internationaux ci-après:

a) Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (4 avril 2006);

b) Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (24 septembre 2009);

c) Convention relative aux droits des personnes handicapées et Protocole facultatif se rapportant à la Convention (3 décembre 2007);

d) Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (2 avril 2009).

4. Le Comité relève avec satisfaction les efforts que l’État partie continue de déployer pour réviser la législation, les politiques et les procédures en vue de garantir une meilleure protection des droits de l’homme, en particulier du droit de ne pas être soumis à la torture ni à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, en particulier:

a) L’adoption de la loi de mémoire (loi no 52/2007), du 26 décembre, par laquelle l’État reconnaît et étend les droits et prévoit des mesures en faveur des personnes qui ont souffert de persécutions ou de violences pendant la guerre civile et la dictature, y compris le droit d’obtenir une déclaration de réparation;

b) La révision de l’article 154 du Code civil, tendant à supprimer explicitement tout doute ou lacune pouvant excuser toute forme de violence ou de châtiment corporel sur les enfants;

c) L’instruction émise conjointement en décembre 2005 par le Secrétaire général de l’État et le Commissaire général de la police, accompagnée d’une notice explicative sur la procédure d’asile à distribuer à toutes les personnes qui pénètrent clandestinement en Espagne par la mer et aux personnes placées dans les Centres de rétention pour étrangers des Canaries ou d’Andalousie;

d) L’arrêt du Tribunal suprême no 829/2006 dans lequel M. Hamed Abderrahman Ahmed était acquitté du crime de terrorisme, attendu que les accusations portées contre lui reposaient sur des interrogatoires menés pendant la détention de l’intéressé à Guantanamo, lieu qualifié de «zone grise dans l’ordre juridique, lequel est défini par une multitude de traités et de conventions signés par la communauté internationale»;

e) L’adoption, en Conseil des ministres, le 12 décembre 2008, du Plan pour les droits de l’homme;

f) L’adoption, le 12 décembre 2008, du Plan de lutte contre la traite à des fins d’exploitation sexuelle, et son suivi par la création et la mise sur pied du Forum espagnol contre la traite;

g) Le fait que non seulement depuis 1995 (année de l’abolition de la peine de mort en temps de guerre) la peine de mort est abolie en tout temps, mais aussi que l’État partie participe activement aux colloques internationaux pour promouvoir un moratoire mondial sur les exécutions capitales.

5. Le Comité constate avec satisfaction que l’État partie a adressé des invitations à différents titulaires de mandat au titre des procédures spéciales, dont dernièrement au Rapporteur spécial sur la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste.

6. Le Comité note avec appréciation que l’Espagne n’a pas créé de système de justice parallèle pour lutter contre le fléau du terrorisme et relève qu’elle a reconnu à plusieurs reprises le caractère absolu de l’interdiction de la torture et le fait qu’en aucun cas des circonstances exceptionnelles ne pourraient être invoquées pour la justifier.

C. Principaux motifs de préoccupation et recommandations

1. Définition de la torture et crime de torture

7. Le Comité prend note avec satisfaction de la modification de l’article 174 du Code pénal par la loi organique no 15/2003 incorporant dans la définition de la torture le membre de phrase «ou pour tout autre motif, fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit», qui répond comme il convient à une préoccupation exprimée précédemment par le Comité. Néanmoins, le Comité, − malgré les explications données à ce sujet par la délégation de l’État partie − considère qu’il y aurait lieu d’inclure explicitement, dans la définition de l’article 174 du Code pénal, deux autres éléments importants pour le rendre pleinement conforme à l’article premier de la Convention: que l’acte de torture peut avoir été commis par «toute autre personne agissant à titre officiel» et que la finalité de la torture peut s’étendre aux fins «d’intimider ou de faire pression sur cette personne ou une tierce personne» (art. 1er).

Le Comité encourage l’État partie à continuer d’aligner la définition de la torture contenue à l’article 174 du Code pénal sur l’article premier de la Convention.

8. Le Comité constate que l’article 174 du Code pénal punit les faits de torture «d’un emprisonnement de deux à six ans si l’atteinte est grave et d’un à trois ans si elle ne l’est pas», ce qui ne semble pas être tout à fait conforme au paragraphe 2 de l’article 4 de la Convention, qui prévoit l’obligation de tout État partie de rendre tous les actes de torture passibles de peines appropriées qui prennent en considération leur gravité (art. 1er et 4).

L’État partie devrait rendre tous les actes de torture passibles de peines appropriées à la mesure de leur gravité, conformément au paragraphe 2 de l’article 4 de la Convention. De plus, l’État partie devrait veiller à ce que, dans tous les cas, les actes de torture soient considérés comme des infractions graves, étant donné qu’il y va nécessairement et intrinsèquement de la notion même de torture.

2. Garanties fondamentales

9. Le Comité s’inquiète de l’information émanant de différentes sources qui signalent que les déclarations faites par les détenus devant la police pourraient être utilisées au procès − dans des conditions déterminées et à la suite d’un changement de jurisprudence du Tribunal suprême. Il prend note à ce sujet de la teneur du paragraphe 21 des réponses de l’État partie à la liste des points à traiter, où il est clairement dit que «conformément à l’ordonnancement juridique espagnol, et afin de décider de la culpabilité ou de l’innocence de l’inculpé, ne pourront être prises en compte que les preuves produites pendant la procédure orale en présence de l’autorité judiciaire, de l’inculpé et de l’avocat qu’il aura désigné» (art. 2 et 15).

L’État partie − comme lui-même l’a rappelé dans ses réponses à la liste des points à traiter − devrait veiller au respect du principe selon lequel, dans tous les cas, le moment essentiel, pour que l’on puisse attribuer de la valeur à la preuve administrée, doit être celui de la procédure orale. Ce principe général a encore plus de poids en tant que garantie du principe énoncé à l’article 15 de la Convention − qui interdit que toute déclaration obtenue par la torture puisse être invoquée comme un élément de preuve − dans le cas où, malheureusement, il est permis de procéder, dans les locaux de la police, à l’interrogatoire du détenu en l’absence de l’avocat de son choix ou dans le cas où l’avocat est empêché de s’entretenir en privé avec le détenu (si l’intéressé est placé au secret par exemple).

10. Le Comité note que, selon la Mesure no 96 du Plan pour les droits de l’homme, soucieux d’améliorer les garanties offertes aux personnes placées en détention, le Gouvernement propose une révision du paragraphe 4 de l’article 520 de la loi de procédure criminelle afin de réduire le délai actuel maximal de huit heures dans lequel le détenu doit pouvoir exercer son droit à bénéficier des services d’un avocat. Il constate toutefois avec préoccupation que, parmi les droits énumérés à l’article 520 de la loi de procédure criminelle, le droit de solliciter l’habeas corpus n’est pas expressément cité (art. 2).

L’État partie devrait mettre sans délai en application la version révisée du paragraphe 4 de l’article 520 de la loi de procédure criminelle afin de réduire le délai actuel maximal de huit heures dans lequel le détenu doit pouvoir exercer son droit à bénéficier des services d’un avocat. En outre, le Comité − qui partage le souci du Défenseur du peuple à ce sujet − encourage l’État partie à procéder ultérieurement à une révision de ce même article 520 pour faire en sorte qu’au moment critique où il est procédé à l’arrestation, alors qu’il est donné lecture de ses droits à l’intéressé, on inclue parmi ceux-ci son droit de solliciter sa comparution immédiate devant un juge.

11. Le Comité prend note de l’instruction no 12/2007 du Secrétariat d’État à la sécurité, relative au comportement exigé des membres des forces de police et de sécurité de l’État pour garantir les droits des personnes en état d’arrestation ou en garde à vue. S’il s’agit en principe d’une mesure positive, le Comité considère que le rang occupé dans la hiérarchie des textes par cette instruction tendant à renforcer les garanties en question n’est pas à la hauteur de l’enjeu (art. 2).

L’État partie devrait régler ce qui touche aux droits fondamentaux comme le droit à la liberté et le droit à l’intégrité de la personne par une norme appropriée qui ne consiste pas en une simple décision d’un Secrétariat d’État adressée à son personnel.

3. Régime de mise au secret

12. Le Comité prend note des dispositions adoptées pour améliorer les garanties dont bénéficient les détenus placés au secret, en particulier: a) de ce qui est connu sous le nom de «Protocole Garzón», qui prévoit des visites par un médecin de confiance du détenu (encore que ce protocole n’ait pas été appliqué uniformément); b) de la Mesure no 97 c) du Plan pour les droits de l’homme, qui prévoit que le détenu soumis à ce régime peut être examiné non seulement par le médecin légiste, mais aussi par un autre médecin membre du système public de santé, librement désigné par le responsable du futur mécanisme national de prévention de la torture; et c) de la Mesure no 97 b) qui dispose que − conformément aux recommandations de divers organismes internationaux des droits de l’homme − l’État partie prendra les mesures législatives et techniques pour faire procéder à l’enregistrement vidéo ou autre support audiovisuel de toute la durée de la mise au secret du détenu dans les locaux

de la police. Le Comité prend également note avec satisfaction de l’engagement pris dans la Mesure no 97 a) d’interdire expressément la mise au secret de mineurs. Il lui faut malgré tout réitérer sa préoccupation − partagée par tous les organes régionaux et internationaux de protection des droits de l’homme compétents − devant le fait que le régime de mise au secret appliqué par l’État partie dans les affaires impliquant des terroristes et des groupes armés, qui peut durer jusqu’à treize jours, nuit aux garanties de l’état de droit en ce qui concerne les mauvais traitements et les actes de torture. Le Comité demeure tout spécialement préoccupé par les restrictions que ce régime impose à l’accès aux garanties et aux droits fondamentaux accordés partout dans le monde aux personnes privées de liberté et à leur exercice (art. 2).

L’État partie doit revoir le régime de la mise au secret en vue de l’abolir et veiller à ce que tout individu privé de liberté ait accès aux droits fondamentaux suivants:

a) Droit de choisir son avocat;

b) Droit d’être examiné par le médecin de son choix;

c) Droit à ce qu’un membre de sa famille ou une personne qu’il a désignée soit informé du placement en détention et du lieu de détention où il se trouve à tout moment;

d) Droit de s’entretenir en privé avec un avocat (droit actuellement restreint même lorsqu’il s’agit d’un avocat commis d’office).

L’État partie devrait aussi mettre en œuvre et renforcer les mesures prévues dans le Plan pour les droits de l’homme dans la Mesure no 97; à ce propos, il est particulièrement important que le système d’enregistrement prévu s’étende à tous les commissariats de police du pays et soit installé dans les cellules et salles d’interrogatoire et ne soit pas limité aux espaces communs.

4. Principe du non-refoulement

13. Le Comité prend note de la position de l’État partie qui estime que les garanties diplomatiques ne vont pas à l’encontre du principe consacré à l’article 3 de la Convention − s’il est par exemple créé des dispositifs de contrôle supplémentaires expressément acceptés et respectés par le pays intéressé. À ce sujet, le Comité tient à réitérer la position qu’il a déjà eu l’occasion d’exprimer antérieurement et réaffirme que les États parties ne peuvent en aucun cas recourir aux assurances diplomatiques comme garanties contre la torture ou les mauvais traitements lorsqu’il y a des motifs sérieux de croire qu’une personne risque d’être soumise à la torture si elle retourne dans son pays (art. 3).

S’il recourt aux assurances diplomatiques dans toute autre situation que celles qui doivent être exclues en vertu de l’article 3 de la Convention, l’État partie doit faire figurer, dans son prochain rapport, des informations sur le nombre de cas d’extradition ou d’expulsion subordonnés à l’obtention d’assurances ou de garanties diplomatiques qui ont été recensés depuis l’examen du présent rapport, sur les conditions minimales exigées par l’État partie au titre de ces assurances ou garanties, sur les mesures de suivi qu’il a prises en pareil cas et sur la valeur juridiquement contraignante des assurances ou garanties données.

14. Le Comité prend note des informations données par la délégation de l’État partie au sujet des allégations selon lesquelles depuis 2002 des aéroports espagnols ont été utilisés pour transférer des prisonniers dans le cadre de ce que l’on appelle le programme de «transferts illégaux», ainsi que de la condamnation de telles pratiques par l’État partie et du fait qu’il s’est engagé à enquêter et à faire la lumière sur les actes dénoncés (art. 3 et 12).

Le Comité engage instamment l’État partie à poursuivre sa coopération sur les investigations que les autorités judiciaires ont entreprises sur la question et à faire figurer dans son prochain rapport périodique tous les renseignements utiles.

15. Le Comité accueille avec satisfaction l’adoption, en octobre 2009, de la loi portant réglementation du droit d’asile et de protection subsidiaire dont l’objectif est de s’inscrire dans un système européen commun d’asile qui garantisse le niveau de protection maximal aux réfugiés et aux personnes persécutées. Néanmoins, il craint que, selon la nouvelle loi, on ne se serve éventuellement, pour rejeter les demandes d’asile, de la clause d’exception à l’interdiction du refoulement énoncée au paragraphe 2 de l’article 33 de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Il est préoccupé en particulier par le fait que, d’après la loi en question, les demandes peuvent être rejetées avec la procédure accélérée, y compris à la frontière même, sans que chaque requête ait pu être examinée au fond et que chaque élément d’appréciation possible ait pu être pris en considération (art. 3).

L’État partie doit revoir l’application des clauses d’exclusion dans la nouvelle loi, pour garantir qu’en aucun cas il ne pourra être contrevenu au principe du non-refoulement énoncé à l’article 3 de la Convention.

16. Le Comité prend note des accords bilatéraux de rapatriement assisté de mineurs que l’Espagne a signés avec le Maroc et le Sénégal. Cependant il est préoccupé par l’absence, dans l’application de ces accords, de garanties assurant l’identification des enfants qui pourraient avoir besoin d’une protection internationale et, par conséquent, avoir droit de bénéficier de l’asile (art. 3).

L’État partie doit veiller à ce que les accords bilatéraux de rapatriement assisté de mineurs signés par lui contiennent des garanties suffisantes pour assurer la protection contre le refoulement des enfants victimes de la traite, de la prostitution et de la pornographie, ainsi que de ceux qui ont été impliqués dans des conflits ou qui ont fui leur pays par crainte fondée de persécutions. Le Comité tient à souligner que l’enfant ne doit être renvoyé dans son pays d’origine que s’il y va de son intérêt supérieur.

5. Compétence pour les actes de torture

17. Le Comité reconnaît que les tribunaux de l’État partie ont été pionniers dans l’application de la compétence universelle pour les crimes internationaux, notamment le crime de torture. Il prend note de la modification apportée récemment dans ce domaine par la loi organique no 1/2009 du 3 novembre, qui établit les conditions de l’exercice de cette compétence (art. 5 et 7).

L’État partie devrait veiller à ce que cette réforme ne fasse pas obstacle à l’exercice de sa compétence pour toutes les autres infractions de torture, conformément aux articles 5 et 7 de la Convention, et en particulier au principe aut dedere aut judicare consacré dans ces articles.

6. Formation

18. Le Comité relève que la Mesure no 103 du Plan pour les droits de l’homme prévoit l’organisation de cours et de programmes de formation initiale et continue portant sur le comportement exigé de tous les membres des forces de police et de sécurité de l’État, afin de garantir le respect des droits des personnes détenues ou sous garde policière. Il note de plus que des cours portant sur les droits de l’homme et le Protocole d’Istanbul (Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants) vont être intégrés dans le plan de formation continue à partir de 2010 (art. 10).

L’État partie devrait:

a) Continuer d’élaborer et de mettre en œuvre des programmes de formation théorique et pratique à l’intention de tous les fonctionnaires, notamment des agents des forces de l’ordre et des agents pénitentiaires, de façon à leur faire parfaitement connaître les dispositions de la Convention et du Protocole facultatif s’y rapportant afin qu’ils ne tolèrent jamais les exactions ou les violations;

b) Faire en sorte que tous les personnels concernés reçoivent une formation spécifique les rendant en mesure de reconnaître les signes de torture et de mauvais traitements;

c) Concevoir et appliquer une méthodologie pour évaluer l’efficacité des programmes de formation et leur incidence, mesurée en termes de réduction des cas de torture et de mauvais traitements.

7. Conditions de détention

19. Le Comité relève avec appréciation le programme-cadre de prévention des suicides établi par la Direction générale des institutions pénitentiaires avec l’instruction no 14/2005 qui, d’après les informations données, a permis de faire baisser le nombre de suicides, mais il continue de considérer que le nombre de suicides et de morts violentes tant dans les locaux de garde à vue que dans les établissements pénitentiaires est élevé (art. 11).

L’État partie devrait poursuivre ses efforts pour faire baisser le nombre de suicides et de morts violentes dans tous les lieux de détention. Le Comité invite aussi instamment l’État partie à faire procéder sans délai à des enquêtes approfondies et impartiales sur tous les décès en détention et à offrir une indemnisation appropriée aux familles des victimes dans les cas voulus.

20. Le Comité regrette de n’avoir pas reçu d’informations suffisantes sur les mesures adoptées pour donner suite aux graves préoccupations exprimées par le Défenseur du peuple dans son rapport de 2009 en ce qui concerne les conditions dans les centres de protection des mineurs ayant des problèmes de comportement et en situation sociale difficile. En particulier, le Comité est préoccupé par les informations dénonçant un usage excessif de la mise à l’isolement dans nombre de ces centres ainsi que l’administration de médicaments sans garanties suffisantes (art. 11 et 12).

L’État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour garantir des conditions humaines et dignes dans les centres de protection des mineurs ayant des problèmes de comportement et en situation sociale difficile. Il devrait également enquêter de façon approfondie sur toute plainte pour sévices ou mauvais traitements commis dans ces centres.

8. Loi d’amnistie et imprescriptibilité des faits de torture

21. Le Comité note que l’État partie a fait observer que la Convention contre la torture était entrée en vigueur le 26 juin 1987, alors que les faits visés dans la loi d’amnistie de 1977 sont antérieurs à l’adoption de celle-ci mais il tient à réaffirmer que, eu égard au principe de la reconnaissance du caractère de jus cogens de l’interdiction de la torture, les poursuites pour faits de torture ne doivent pas être limitées par le principe de légalité ni par l’effet de la prescription. Le Comité a reçu en outre différentes interprétations de l’alinéa c de l’article premier de la loi d’amnistie − qui prévoit que l’amnistie ne s’appliquera pas si les actes ont «impliqué des atteintes graves à la vie ou à l’intégrité des personnes» − dans le sens où cet alinéa exclurait dans tous les cas les actes de torture des faits amnistiés (art. 12, 13 et 14).

L’État partie devrait veiller à ce que les actes de torture, qui comprennent également les disparitions forcées, ne puissent pas faire l’objet d’une amnistie. À ce sujet, le Comité engage l’État partie à poursuivre et à renforcer ses efforts visant à aider les familles des victimes à faire la lumière sur le sort des disparus, les identifier et obtenir l’exhumation, dans les cas où c’est possible. Le Comité rappelle aussi que, conformément à l’article 14 de la Convention, l’État partie doit assurer réparation à toute victime d’actes de torture et garantir le droit à une indemnisation.

22. Le Comité est préoccupé par le fait que le crime de torture, entendu comme une infraction autonome visée à l’article 174 du Code pénal se prescrit au bout de quinze ans au maximum, et qu’il est imprescriptible uniquement s’il est constitutif d’un crime contre l’humanité − c’est-à-dire quand il est commis dans le cadre d’une agression généralisée ou systématique contre la population civile ou une partie de la population civile (art. 607 bis du Code pénal) (art. 1, 4 et 12).

L’État partie devrait garantir l’imprescriptibilité des actes de torture dans tous les cas.

Données relatives aux plaintes pour torture et mauvais traitements

23. Le Comité relève que la Mesure no 102 du Plan pour les droits de l’homme prévoit la collecte de données actualisées sur les cas dans lesquels il peut s’être produit une restriction ou une violation des droits des personnes placées sous la garde de la police. Il note toutefois qu’il est impossible actuellement d’obtenir des données relatives aux plaintes pendant la garde à vue. De plus, s’il apprécie les renseignements complémentaires apportés par écrit sur cette question, le Comité relève également que les données sur les cas de torture dans les établissements pénitentiaires, qui sont certes disponibles, sont souvent imprécises et contradictoires, en particulier en ce qui concerne les résultats des enquêtes sur des faits de torture, les condamnations judiciaires et les peines prononcées (art. 2, 12 et 13).

L’État partie devrait mettre en œuvre dans les meilleurs délais la Mesure no 102 du Plan pour les droits de l’homme et faire en sorte que soient rassemblées des données exactes et fiables relatives aux actes de torture et aux mauvais traitements en garde à vue et dans les autres lieux de détention. Ces statistiques devraient renseigner également sur la suite donnée aux plaintes pour torture et mauvais traitements, y compris sur les résultats des enquêtes menées à bien, et sur les condamnations judiciaires et les sanctions pénales ou disciplinaires éventuellement prononcées.

10. Violence contre les femmes

24. Le Comité accueille avec satisfaction les mesures prises par l’État partie pour lutter contre la violence à l’égard des femmes comme, par exemple, la loi organique relative aux mesures de protection complète contre la violence à l’égard des femmes (2004). Il reste toutefois préoccupé par les informations faisant état d’un nombre inacceptable d’actes de violence contre la femme, notamment au foyer, qui finissent souvent par la mort de la victime (art. 16).

Le Comité invite instamment l’État partie à intensifier ses efforts pour placer la lutte contre la violence à l’égard des femmes parmi les priorités de son agenda politique. Le Comité recommande également à l’État partie de développer les campagnes de sensibilisation du public au sujet de toutes les formes de violence à l’égard des femmes.

25. Le Comité est préoccupé par la situation de vulnérabilité particulière des femmes migrantes en situation irrégulière victimes de violence sexiste, étant donné que la législation en vigueur oblige les fonctionnaires de police à ouvrir une procédure pour vérifier la régularité de la situation des femmes migrantes qui dénoncent des actes de violence et de mauvais traitements. À ce sujet, le Comité relève qu’il existe un projet de réforme de la loi organique no 4/2000 (relative aux droits et libertés des étrangers en Espagne et à leur intégration sociale), dont l’objectif est de favoriser le dépôt de plaintes pour des faits constitutifs de violence sexiste et de prévoir la possibilité pour les femmes étrangères qui portent plainte de ne pas encourir de sanctions administratives en raison de leur séjour irrégulier sur le territoire (art. 13 et 16).

L’État partie devrait accélérer l’adoption du projet de réforme de la loi organique no 4/2000, afin de permettre que la femme étrangère en situation irrégulière dont il est reconnu qu’elle est victime de violence sexiste puisse demander et obtenir un permis de séjour et de travail en raison de circonstances exceptionnelles.

11. Violence pour motif racial

26. Le Comité prend note des efforts de l’État partie pour lutter contre le racisme et la xénophobie qui se sont traduits, entre autres choses, par l’adoption de nombreux textes législatifs dans ce domaine et du Plan stratégique pour la citoyenneté et l’intégration (2007-2010). Toutefois, il est préoccupé par les informations indiquant une plus grande fréquence des actes d’intolérance et des incidents de violence raciste dirigés contre les migrants et les personnes d’une ethnie ou d’une religion différente et par les allégations selon lesquelles la réponse des autorités face à de tels actes ne serait pas toujours diligente et adéquate (art. 13 et 16).

L’État partie devrait renforcer ses efforts pour enquêter de façon approfondie sur tous les actes de violence raciste et punir les responsables comme il convient. Les mesures d’ordre législatif, les enquêtes et les actions judiciaires qui répondent à ces phénomènes odieux devraient s’accompagner d’une plus grande information et sensibilisation de la population.

12. Armes neutralisantes «Taser»

27. le Comité note que les membres des Forces de police et de sécurité de l’État n’utilisent pas les armes neutralisantes de type «Taser» mais il a appris avec préoccupation que les polices locales les utilisaient bien (art. 2 et 16).

L’État partie devrait envisager la possibilité de faire interdire l’utilisation d’armes neutralisantes à impulsion électrique «Taser» par les polices locales car ces dispositifs, en raison des conséquences qu’ils ont sur l’état physique et mental des personnes contre lesquelles ils sont dirigés, pourraient être incompatibles avec les articles 2 et 16 de la Convention.

13. Traite des êtres humains

28. Le Comité accueille avec satisfaction l’adoption du Plan de lutte contre la traite à des fins d’exploitation sexuelle (voir plus haut par. 4 f)). Il regrette toutefois que ce plan soit axé sur la prévention du crime plutôt que sur les droits fondamentaux et la protection des victimes. Il est également préoccupé de ce que le Code pénal ne prévoit pas une infraction visant spécifiquement la traite à des fins d’exploitation sexuelle (art. 16).

Le Comité encourage l’État partie à achever l’élaboration de l’avant-projet de code pénal en y introduisant un titre spécifiquement consacré à la question de la traite à des fins d’exploitation sexuelle et d’exploitation du travail. L’État partie devrait également veiller à ce que le Plan de lutte contre la traite reconnaisse que les victimes de la traite peuvent avoir besoin d’une protection internationale. À ce sujet, l’État partie devrait:

a) Établir un mécanisme national pour l’identification de toutes les victimes;

b) Prendre les mesures voulues pour garantir que la procédure d’asile soit ouverte aux femmes étrangères victimes de traite − ou exposées au risque d’être victimes de traite − qui peuvent montrer qu’elles ont besoin d’une protection internationale.

14. Protocole facultatif et mécanisme national de prévention

29. Le Comité note que, par la loi organique no 1/2009, il a été établi que le Défenseur du peuple exercerait les fonctions de mécanisme national de prévention de la torture, dont la mise en place est exigée par le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il note également que cette loi prévoit la création d’un conseil consultatif en tant qu’organe de coopération technique et juridique pour l’exercice des fonctions conférées au mécanisme national de prévention, qui sera présidé par l’adjoint auquel le Défenseur du peuple déléguera les fonctions prévues dans cette disposition (art. 2).

L’État partie devrait veiller à ce que le Défenseur du peuple dispose des ressources humaines, matérielles et financières suffisantes pour exercer en toute indépendance et avec efficacité son mandat de prévention dans tout le pays. Il devrait également veiller à ce que le Conseil consultatif ait une compétence et un mandat clairement définis et à ce que la relation entre le mécanisme national de prévention et le Conseil soit déterminée avec précision. Le Comité encourage l’État partie à s’assurer que les membres du Conseil soient désignés à l’issue d’un processus public et transparent et qu’il compte des experts reconnus dans diverses disciplines touchant à la prévention de la torture, y compris des représentants de la société civile.

30. Le Comité invite l’État partie à ratifier les principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme auxquels il n’est pas encore partie, c’est-à-dire la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille et le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

31. Le Comité invite l’État partie à soumettre son document de base en suivant les directives harmonisées pour l’établissement des rapports adoptées par les organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme (HRI/GEN/2/Rev.6).

32. L’État partie est encouragé à diffuser largement le rapport qu’il a soumis au Comité et les présentes observations finales, par le biais des sites Web officiels, des organes d’information et des organisations non gouvernementales.

33. Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir, dans un délai d’un an, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations formulées aux paragraphes 10, 12, 20, 23 et 25 des présentes observations finales.

34. Le Comité invite l’État partie à soumettre son cinquième rapport périodique au plus tard le 20 novembre 2013.

 



Page Principale || Traités || Recherche || Liens