University of Minnesota



Quatre-Vingt-septièmbe Session Ordinaire de l'Organe Central du Mecanisme Pour la Prevention, La Gestion et le Reglement des Conflits au Niveau des Ambassadeurs, Rapport du President Interimaire de la Commission de L'Union Africaine sur l'evolution de la situation en Cote d'Ivoire, 4 Decembre 2002, Addis Abéba, Ethiopie.




Central Organ/MEC/AMB/3.(LXXXVII)

I. INTRODUCTION

1. La Côte d’Ivoire est confrontée, depuis un peu plus de deux mois maintenant, à une grave crise qui a provoqué la mort de centaines de personnes, aussi bien civiles que militaires, fortement perturbé la vie administrative et économique et induit une situation humanitaire préoccupante. Les assaillants responsables des attaques simultanées perpétrées dans plusieurs villes ivoiriennes, y compris Abidjan, le 19 septembre 2002 - lesquels se sont, par la suite, réclamés d’une structure dénommée Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI) - occupent la partie septentrionale du pays.

2. Le présent rapport rend compte des efforts déployés par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), avec l’appui de l’Union africaine (UA) et des Nations unies (NU), en vue de régler la crise. Le rapport contient des recommandations visant à renforcer l’appui de l’UA aux efforts de la région.

II. ASPECTS POLITIQUES

3. Depuis l’éclatement de la crise ivoirienne, des efforts soutenus ont été déployés en vue de parvenir à une solution pacifique et négociée. Le 29 septembre 2002, la CEDEAO a tenu un Sommet extraordinaire à Accra, au Ghana, auquel le Président de l’UA et moi-même avons participé. A l’issue de ses délibérations, le Sommet, après avoir réaffirmé la position de la CEDEAO et celle de l’UA sur le rejet des changements anticonstitutionnels de gouvernements, a décidé la création d’un Groupe de Contact de haut niveau composé des chefs d’Etat du Ghana, de la Guinée Bissau, du Mali, du Niger, du Nigeria et du Togo et chargé d’établir le contact avec les assaillants, de les amener à cesser immédiatement les hostilités, de ramener le calme dans les localités occupées et de négocier un cadre général de règlement de la crise. Il a été convenu que le représentant spécial de l’Union africaine assurerait la liaison entre le Groupe de Contact et l’UA. Le Sommet a demandé aux assaillants d’engager sans retard le dialogue avec le Groupe de Contact, en vue de déposer leurs armes et de régler leurs différends avec le gouvernement par des voies pacifiques.

4. Lors de sa 85ème session ordinaire au niveau des ambassadeurs, tenue à Addis Abéba, le 11 octobre 2002, l’Organe central a apporté son soutien au communiqué adopté par le Sommet de la CEDEAO. L’Organe central a souligné la nécessité d’un cessez-le-feu immédiat, et lancé un appel pressant au gouvernement ivoirien et aux assaillants pour qu’ils coopèrent pleinement avec la CEDEAO en vue du règlement rapide de la crise sur la base des principes pertinents énoncés dans l’Acte constitutif de l’UA, en particulier le rejet de tout changement anticonstitutionnel de gouvernement. Pour ma part, j’avais, quelques jours plus tôt, nommé l’ancien Président de Sao Tomé et Principe, M. Miguel Trovoada, comme mon Envoyé spécial en Côte d’Ivoire, avec pour mandat d’assister la CEDEAO et les dirigeants de la région dans la recherche d’une solution négociée.

5. En exécution des décisions du Sommet d’Accra, une délégation ministérielle du Groupe de Contact s’est rendue en Côte d’Ivoire du 2 au 6 octobre 2002. J’ai dépêché un fonctionnaire de la Commission à Abidjan pour représenter l’UA aux travaux du Groupe de Contact. Sur place, la délégation de la CEDEAO s’est entretenue aussi bien avec les autorités ivoiriennes qu’avec les représentants des assaillants. Elle a soumis un projet d’accord de cessez-le-feu, qui n’a, toutefois, pu être signé, le gouvernement ayant estimé que le mandat du Groupe de Contact portait sur le dépôt par les assaillants de leurs armes et non sur le cessez-le-feu.

6. Le 17 octobre 2002, la Coordination des mutins a signé le plan de règlement de la crise soumis, au nom du Président en exercice de la CEDEAO, le Président Abdoulaye Wade, par le ministre des Affaires étrangères du Sénégal. Aux termes de ce plan, les mutins ont accepté la cessation des hostilités et le dialogue. Ils se sont engagés à faciliter le rétablissement de la vie administrative et le ravitaillement normal des villes. Le gouvernement a, par la suite, fait une déclaration constatant la signature du plan et confirmant son acceptation de la cessation des hostilités et du dialogue.

7. A la demande du Président Laurent Gbagbo, le gouvernement français a accepté de déployer les troupes françaises pour contrôler la cessation des hostilités, en attendant la mise en place d’une force de la CEDEAO à cette fin. En accord avec le gouvernement ivoirien, il a été convenu que les troupes françaises déployées dans la zone des opérations assureraient les fonctions suivantes :

Ø contrôler la cessation des hostilités ;

Ø assurer la sécurité des assaillants ;

Ø assurer la sécurité des observateurs ;

Ø faciliter la reprise des services de l’Etat et l’approvisionnement normal des villes ; et

Ø contribuer à la mise en œuvre de l’accord de paix lorsque celui-ci aura été conclu.

8. Le 23 octobre 2002, les chefs d’Etat et de gouvernement du Groupe de Contact de la CEDEAO se sont réunis à Abidjan. Le Président Thabo Mbeki, en sa qualité de Président de l’Union africaine, et mon Envoyé spécial ont pris part à cette réunion. Le Sommet a souligné la nécessité pour toutes les parties concernées de parvenir à un compromis et de consentir des sacrifices au cours des négociations visant à la réconciliation - celles-ci devant porter, entre autres, sur l’identification et l’examen des revendications à caractère professionnel et politique des assaillants.

9. Le Sommet a décidé de nommer le Président Gnassingbé Eyadéma du Togo comme coordonnateur chargé, en consultation avec les autres membres du Groupe de Contact et le Président de l’Union africaine, de faciliter la gestion quotidienne des activités de médiation. Le Sommet est également convenu de la nécessité du déploiement rapide en Côte d’Ivoire d’un Groupe de Contrôle de la CEDEAO chargé de contrôler la cessation des hostilités et de maintenir un climat propice au dialogue entre le gouvernement et les assaillants.

10. Lors de sa 86ème session ordinaire au niveau des ambassadeurs, tenue à Addis Abéba, le 29 octobre 2002, l’Organe central s’est félicité de la signature du plan de règlement de la crise, intervenue le 17 octobre 2002, ainsi que de la déclaration subséquente du gouvernement ivoirien sur la cessation des hostilités et son acceptation du dialogue. L’Organe central s’est, en outre, félicité de la décision du Sommet du Groupe de Contact de déployer rapidement un Groupe de Contrôle en Côte d’Ivoire. L’Organe central a encouragé les parties à coopérer pleinement avec le Président Gnassingbé Eyadéma, ainsi qu’avec le Président de l’Union africaine et mon Envoyé spécial, dans la recherche d’une solution durable à la crise.5 Enfin, l’Organe central a félicité le gouvernement de la France pour avoir accédé à la demande du Président Gbagbo de déployer sur la ligne de front les troupes françaises pour contrôler la cessation des hostilités, en attendant le déploiement du Groupe de Contrôle de la CEDEAO.

11. Les négociations entre le gouvernement ivoirien et le MPCI ont commencé à Lomé, au Togo, le 30 octobre 2002, sous l’égide du Président Eyadéma et en présence du Secrétaire exécutif de la CEDEAO, du Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies et de mon Envoyé spécial.

12. Le 30 octobre, les deux parties ont signé un communiqué dans lequel elles ont reconnu la nécessité de préserver l’intégrité territoriale de la Côte d’Ivoire et celle de respecter les institutions du pays et la légalité constitutionnelle. Elles ont, en outre, engagé leurs mandants à s’abstenir de tout acte belliqueux, tels que les exactions, les exécutions extra-judiciaires, le recrutement et l’usage des mercenaires, l’enrôlement des enfants, ainsi que les violations de l‘accord de cessation des hostilités.

13. Le 1er novembre, les deux parties ont signé une déclaration « sur l’acheminement de l’aide humanitaire dans les zones occupées ». Aux termes de cette déclaration, elles sont notamment convenues de ne pas entraver l’action des organisations et agences compétentes, afin que l’aide humanitaire soit apportée en toute sécurité et avec efficacité aux populations dans le besoin sur toute l’étendue du territoire de la Côte d’Ivoire. Le même jour, le gouvernement et le MPCI ont signé un communiqué marquant l’accord auquel ils sont parvenus sur les revendications dites à caractère corporatiste des mutins, et une déclaration sur la libération immédiate de tous les prisonniers civils et militaires détenus en relation avec la guerre.

14. La médiation a, par la suite, soumis un projet d’accord de paix. Celui-ci s’articule autour des points suivants : préservation de la paix (cessation des hostilités, contrôle de la cessation des hostilités, mandat du Groupe de Contrôle); questions politiques (réaffirmation de l’intégrité de la Côte d’Ivoire et du respect des institutions, mise en oeuvre des recommandations du Forum de réconciliation nationale, amnistie, etc.) ; questions militaires et de sécurité d’après-guerre (désarmement, réintégration des forces du MPCI, renonciation au recrutement, à l’usage, au financement et à la formation des mercenaires, restructuration et formation des forces armées de Côte d’Ivoire, etc.) ; questions d’ordre humanitaire et droits humains (libération des prisonniers civils et militaires et sort des militaires en exil, secours humanitaires, garantie et promotion des droits de l’homme, etc.) ; questions d’ordre socio-économique ; et mise en œuvre de l’accord de paix.

15. Le 9 novembre, le MPCI a décidé unilatéralement de suspendre sa participation aux négociations, à la suite de l’assassinat, la veille, du frère cadet de M. Dacoury Tabley, coordonnateur aux relations extérieures du MPCI. Les consultations informelles se sont néanmoins poursuivies jusqu’au retour, dix jours plus tard, du Secrétaire général du MPCI.

16. Au moment de la finalisation du présent rapport, les discussions se poursuivaient toujours à Lomé. Alors que le MPCI a renoncé à sa revendication de démission du Président Gbagbo, réclamant maintenant ce qu’il appelle un nouvel ordre politique, et que le gouvernement ivoirien s’est déclaré disposé à organiser un référendum sur la révision de la constitution, les discussions achoppaient toujours sur nombre d’autres points, y compris les modalités d’application des résolutions du Forum de réconciliation nationale.

III. ASPECTS MILITAIRES

17. Comme indiqué plus haut, le Sommet du Groupe de Contact de la CEDEAO du 23 octobre 2002 a décidé de déployer un Groupe de Contrôle en Côte d’Ivoire. Le 25 octobre 2002, la Commission de Défense et de Sécurité de la CEDEAO s’est réunie à Abidjan pour examiner le rapport de la mission de reconnaissance envoyée en Côte d’Ivoire, du 22 au 24 octobre 2002, en vue de préparer le déploiement du Groupe de Contrôle. Un officier militaire de la Commission de l’Union africaine a participé à cette réunion. Le lendemain, la 11ème réunion du Conseil de Médiation et de Sécurité de la CEDEAO s’est tenue à Abidjan. Mon Envoyé spécial a participé à cette réunion consacrée notamment à l’examen du rapport de la Commission de Défense et de Sécurité de la CEDEAO. Les 6 et 7 novembre, les chefs d’Etat Major et les officiers d’Etat Major des pays pourvoyeurs de contingents se sont réunis à Abuja, au Nigeria.

18. Le mandat de la mission de maintien de la paix qui doit être déployée par la CEDEAO se présente comme suit : surveiller la cessation des hostilités ; faciliter le retour à une vie administrative normale, ainsi que la libre circulation des personnes et des biens ; contribuer à la mise en œuvre de l’accord de paix ; mettre en œuvre les décisions relatives au désarmement des assaillants ; et assurer la sécurité des assaillants et des agences humanitaires. Les caractéristiques principales de la force et les besoins, telles qu’articulés par la CEDEAO lors de la réunion tenue à Paris le 14 novembre 2002 sur la coordination des contributions financières et matérielles à cette force, se présentent comme suit :

a. Composition de la force

19. La force de la CEDEAO sera forte de 1264 hommes, ainsi répartis :

Ø un PC multinational de 66 éléments ;

Ø 5 sous-groupements nationaux fournis par le Bénin, le Ghana, le Niger, le Sénégal et le Togo (effectif de 173 éléments par unité) ;

Ø un sous-groupement bi-national fourni par le Bénin et le Togo (173 éléments) ;

Ø une compagnie de quartier général fournie par le Ghana (effectif de 52 éléments);

Ø un détachement de soutien à Yamoussoukro fourni par le Niger (effectif de 75 éléments) ; et

Ø un détachement de soutien à Abidjan fourni par le Sénégal (effectif de 36 éléments).

20. Il convient de noter que cet effectif ne serait que le premier échelon d’un dispositif susceptible d’être renforcé au cas où la prise en charge de certaines missions deviendrait envisageable (extension de la surveillance à l’ensemble du territoire ivoirien, désarmement, etc.). Un format de 1500 à 2000 hommes serait alors envisageable.

b. Nature des besoins de la CEDEAO

21. Les besoins de la CEDEAO pour le déploiement de la force pour une période initiale de six mois sont de 3 ordres :

Ø Equipement initial des contingents : La mise à disposition de cet équipement est de la responsabilité des Etats fournisseurs de contingents. Toutefois, ces pays ont indiqué avoir besoin d’une aide pour permettre à leurs unités de s’engager avec un niveau d’équipement individuel et collectif suffisant pour une mission internationale et, dans tous les cas, supérieur au niveau habituel de ces unités dans leurs propres pays. A cet effet, la CEDEAO a besoin d’un financement de 5 156 700 US$ réparti comme suit:

· 2 148 800 US$ pour compléter l’équipement individuel des contingents ;

· 2 907 900 US$ pour doter les contingents en équipements collectifs de vie en campagne (tentes, lits, tables, cuisines roulantes, etc.) ; et

· 100 000 US$ pour acheter certains matériels (informatique, ameublement, etc.).

Ø Projection et déploiement des contingents : La CEDEAO souhaite bénéficier d’une assistance dans ce domaine. La projection et le déploiement des contingents se feront en 4 étapes:

· mise en place d’un détachement avancé d’officiers ;

· mise en place d’équipes de 50 éléments précurseurs par pays à compter du 20 novembre 2002 ;

· mise en place du gros de la force (environ 1000 hommes), à compter du 23 novembre 2002;

· mise en place des équipements lourds des contingents nationaux dès que possible.

Ø Soutien au fonctionnement de la force : Ce soutien prendrait les formes suivantes :

· un soutien technique de troisième niveau, jugé indispensable en raison du faible effectif de soutien déployé sur le théâtre ;

· un soutien pour la mise en place d’un détachement aérien permanent de 2 hélicoptères de transport et occasionnel de 2 avions cargo ;

· un soutien financier pour le fonctionnement courant de la force. Celui-ci comprendrait un forfait individuel et journalier de 13,25 US$, comprenant le soutien sanitaire, le carburant et les dépenses diverses d’instruction, et une prime individuelle uniforme journalière de 20 US$; et

· un soutien financier en vue du renforcement de la force -comme indiqué plus haut, la force de la CEDEAO pourrait voir son effectif renforcé. Le surcoût qu’occasionnerait le passage de 1264 à 1500 hommes sera de 850 000 US$ pour le perdiem et 562 000 US$ pour le forfait de fonctionnement.

22. La cessation des hostilités, qui est entrée en vigueur le 17 octobre 2002 à minuit, a jusqu’ici été globalement respectée par les deux parties. Les forces françaises continuent d’en assurer la surveillance, en attendant le déploiement envisagé de la force de la CEDEAO.

IV. SITUATION HUMANITAIRE

23. La situation qui prévaut en Côte d’Ivoire a provoqué une crise humanitaire de grande ampleur. Des centaines de milliers de personnes sont affectées, qu’il s’agisse d’Ivoiriens ou de ressortissants des pays voisins vivant en Côte d’Ivoire. D’où l’urgence de mesures spécifiques pour atténuer l’impact de cette crise, y compris une assistance internationale, d’autant que sa persistance risque de réagir négativement sur un environnement régional volatile.

24. Au cours de ses différentes réunions consacrées à l’examen de la situation en Côte d’Ivoire, l’Organe central a exprimé sa grave préoccupation face à cette situation, et exhorté aussi bien le gouvernement que les assaillants à protéger les populations tant ivoiriennes qu’étrangères, ainsi que leurs biens. A cet égard, l’Organe central a demandé à la Commission de suivre étroitement l’évolution de la situation en vue d’évaluer l’impact de la crise et de prendre les mesures les plus appropriées à cet effet. C’est ainsi qu’une délégation de l’UA s’est rendue en Côte d’Ivoire et dans d’autres pays de la région pour évaluer la situation humanitaire (voir infra).

25. Le 21 novembre, les agences des Nations unies en Côte d’Ivoire ont lancé un appel d’urgence pour la mobilisation de 15,9 millions de dollars pour venir en aide à quelques 3,9 millions de personnes affectées par le conflit, sur une période de trois mois. Il s’agira d’assister aussi bien les populations ivoiriennes et étrangères concernées que de renforcer les capacités régionales de réponse à la crise.

V. APPUI DE L’UA AUX EFFORTS DE LA CEDEAO

26. Depuis le début de la crise, l’UA a accompagné et soutenu l’action de la CEDEAO. Le Président en exercice a participé aussi bien au Sommet extraordinaire de la CEDEAO d’Accra qu’au Sommet du Groupe de Contact à Abidjan, s’impliquant ainsi personnellement dans les efforts de règlement de la crise. La Commission a pris part, tantôt à mon niveau, tantôt à celui du Commissaire intérimaire chargé de la paix, de la sécurité et des Affaires politiques ou de fonctionnaires et d’experts, à toutes les initiatives prises en relation avec la crise : Sommet extraordinaire de la CEDEAO d’Accra ; mission de la délégation ministérielle du Groupe de Contact en Côte d’Ivoire en octobre dernier ; réunion, à Abidjan, de la Commission de Défense et de Sécurité de la CEDEAO, suivie de celle du Conseil de Médiation et de Sécurité les 25 et 26 octobre 2002, respectivement ; réunion de Paris sur la coordination des contributions financières et matérielles à la force de la CEDEAO, tenue à la mi-novembre.

27. Depuis près de deux mois maintenant, mon Envoyé spécial, l’ancien Président Miguel Trovoada, est dans la région. A Abidjan, où il est arrivé en début octobre, il a œuvré étroitement avec les représentants de la CEDEAO dans les efforts de règlement de la crise. Il a maintenu un contact régulier avec les autorités ivoiriennes, y compris le Président Gbagbo. De même a-t-il été en liaison avec les mutins. C’est ainsi qu’il s’est rendu à Bouaké le 25 octobre 2002, en compagnie du ministre togolais de la Défense et du Secrétaire exécutif de la CEDEAO. A cette occasion, il s’est entretenu avec deux des chefs mutins, les exhortant à privilégier la voie de la négociation.

28. A Lomé, où il se trouve à présent pour les négociations entre le gouvernement et le MPCI, mon Envoyé spécial participe activement aux efforts en cours, apportant au Président Eyadéma le plein appui de l’UA. Je voudrais lui exprimer ma profonde reconnaissance pour l’engagement et la détermination avec lesquels il remplit sa mission.

29. Pour ma part, je me suis employé, tout au long de la période considérée, à faciliter un règlement rapide et négocié de la crise et à apporter l’appui total de la Commission aux efforts de la CEDEAO. Dans ce cadre, je suis resté en relation étroite avec le gouvernement ivoirien. Le 27 septembre, je me suis rendu à Abidjan avec le Commissaire intérimaire chargé de la paix, de la sécurité et des Affaires politiques. A cette occasion, j’ai été reçu par le Président Gbagbo, avec lequel j’ai procédé à un échange de vues sur la crise ivoirienne et les voies et moyens d’un règlement négocié. Je me suis également entretenu d’autres responsables politiques, ainsi qu’avec des responsables religieux et de la société civile. Tout en réaffirmant les principes bien connus de notre Organisation sur les changements anticonstitutionnels de gouvernement, j’ai prêché le dialogue et la négociation comme étant les voies les plus sûres pour un règlement durable de la crise.

30. Je n’ai, par ailleurs, eu de cesse d’exhorter les dirigeants de la région à renforcer leur cohésion, tant il est vrai que le succès de la médiation en dépend grandement. A cette fin, j’ai maintenu un contact régulier avec ces dirigeants. En outre, j’ai été en contact avec d’autres dirigeants des Etats membres pour promouvoir une solution pacifique à la crise.

31. Compte tenu des difficultés rencontrées par la CEDEAO dans le déploiement de sa force, j’ai, le 28 octobre 2002, écrit aux ministres des Affaires étrangères des pays partenaires de l’UA pour solliciter formellement leur appui financier et logistique aux efforts de la région. A cet égard, j’ai souligné la nécessité pour la communauté internationale de saisir la fenêtre d’opportunité qui s’offre aujourd’hui en vue d’un règlement rapide, ajoutant que tout retard ne pourrait que conduire à la prolongation de la crise, avec les conséquences incalculables qui en résulteraient pour la région dans son ensemble. Il me plaît de noter que certains de nos partenaires ont déjà répondu à cette demande d’assistance. D’une façon plus générale, je n’ai ménagé aucun effort pour mobiliser le soutien politique et autre de nos partenaires.

32. Au lendemain de la réunion de l’Organe central du 29 octobre dernier, la Commission a adressé des communications aux partenaires de l’UA. La Commission a saisi cette occasion pour attirer l’attention de nos partenaires sur l’appel lancé par cette instance à la communauté internationale pour qu’elle apporte l’assistance requise à la CEDEAO, afin de faciliter l’aboutissement de ses efforts de paix, en particulier l’assistance logistique et financière nécessaire pour le déploiement de la force régionale.

33. Le 19 novembre, j’ai décidé d’octroyer une contribution d’un montant total de 100 000 dollars EU prélevé du Fonds pour la paix pour soutenir les négociations de Lomé. Au moment de la finalisation du présent rapport, la Commission étudiait la possibilité d’une contribution destinée à faciliter le déploiement de la force de la CEDEAO.

34. Le 21 novembre, je me suis rendu à Lomé. Sur place, j’ai été reçu par le Président Eyadéma avec lequel j’ai procédé à un échange de vues sur l’évolution du processus de négociation. Je me suis également entretenu avec la délégation du gouvernement ivoirien et celle du MPCI, examinant avec elles les questions en suspens et les moyens de les régler.

35. Les autres organes de l’UA ont également contribué aux efforts en cours. L’Organe central a, au cours de ses deux dernières sessions, examiné la situation en Côte d’Ivoire, formulant à l’intention de la Commission des directives quant à l’action à prendre.

36. Quant à la Commission des réfugiés, elle a, depuis le 14 novembre 2002, dépêché dans la région une délégation dirigée par son Président, le représentant permanent de la Zambie auprès de l’UA, et comprenant le représentant permanent du Gabon, ainsi qu’un fonctionnaire de la Commission. L’objectif est d’évaluer l’impact humanitaire de la crise, d’examiner avec les autorités des pays concernés, ainsi qu’avec les agences humanitaires compétentes, les modalités d’un appui de l’UA aux efforts d’assistance aux populations affectées, et de sensibiliser la communauté internationale.

37. Au moment de la finalisation du présent rapport, la délégation s’était déjà rendue en Côte d’Ivoire, en Guinée, au Mali et au Burkina Faso. Elle doit conclure sa tournée par une visite au Ghana. Dans les pays visités, la délégation s’est entretenue avec les autorités compétentes et les représentants des agences humanitaires. Elle s’est rendue sur les sites d’accueil des populations affectées ; ce qui lui a permis de mieux apprécier l’impact de la crise et les moyens mobilisés pour y faire face. Sur la base des recommandations de la délégation, l’UA prendra les mesures les plus appropriées pour contribuer aux efforts en cours.

VI. APPUI DE LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE AUX EFFORTS DE LA CEDEAO

38. La crise que connaît la Côte d’Ivoire a suscité de nombreuses réactions internationales. Le 10 octobre, le Parlement européen a adopté une résolution sur la situation dans ce pays. Le Parlement européen y condamne fermement la tentative de coup d’Etat, réitère son attachement à une solution pacifique avec toutes les parties en présence, dans l’esprit de réconciliation qui s’est instaurée en octobre 2001 et dans le respect des institutions démocratiques et de l’unité du territoire ivoirien.

39. La neuvième Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement ayant le Français en partage, tenue à Beyrouth, au Liban, du 18 au 20 octobre 2002, s’est également penchée sur la crise en Côte d’Ivoire. Dans la déclaration dite de Beyrouth adoptée à l’issue de ses travaux, la Conférence a condamné la tentative de prise du pouvoir par la force et la remise en cause de l’ordre constitutionnel en Côte d’Ivoire. Elle en a appelé à l’ensemble de la classe politique et à la population ivoirienne pour faire preuve de retenue, s’abstenir du recours à la violence et préserver la vie des personnes et les biens. Elle a, enfin, exprimé son soutien aux efforts engagés, en particulier par la CEDEAO, pour favoriser le dialogue, seule voie d’une réconciliation durable.

40. Le 31 octobre, dans une déclaration à la presse faite par son Président, le Conseil de Sécurité a condamné avec la plus grande fermeté la tentative de prise du pouvoir ou de renversement du gouvernement démocratiquement élu de Côte d’Ivoire. Le Conseil de Sécurité a demandé à toutes les parties de résoudre la crise actuelle par des voies pacifiques et de s’abstenir de toute action, déclaration ou manifestation susceptible de compromettre ou d’entraver la recherche d’une solution négociée. Le Conseil de Sécurité a loué les initiatives et les activités entreprises par la CEDEAO en vue d’un règlement pacifique du conflit. A cet égard, le Conseil a exprimé son appui aux efforts déployés par le Groupe de Contact de la CEDEAO et lancé un appel à la communauté internationale, afin qu’elle soutienne la CEDEAO et qu’elle fournisse l’assistance nécessaire au déploiement immédiat de sa force.

41. Le 14 novembre, les autorités françaises ont organisé, à Paris, une réunion destinée à coordonner les contributions financières et matérielles à la force de la CEDEAO. Plusieurs pays donateurs et institutions multilatérales, dont l’UA, ont pris part à la réunion. Les représentants des pays donateurs, parmi lesquels l’Allemagne, les Etats Unis, la France, la Grande Bretagne et les Pays Bas, ont fourni des indications sur le volume et la nature de leurs contributions à la force de la CEDEAO. D’autre pays, comme l’Italie, l’Espagne et les pays nordiques, ont marqué leur intérêt à participer à l’effort de paix régional.

VII. OBSERVATIONS

42. La gravité de la crise que connaît la Côte d’Ivoire et ses répercussions pour la région ne sont plus à souligner. Qu’il suffise de rappeler ici la place importante de l’économie ivoirienne – la troisième en importance en Afrique subsaharienne – dans la région et le poids démographique des communautés étrangères en provenance des pays voisins en Côte d’Ivoire.

43. La situation actuelle a déjà provoqué la mort de plusieurs centaines de personnes et affecté la vie de larges secteurs de la population ivoirienne et des communautés étrangères vivant en Côte d’Ivoire. Elle perturbe gravement le fonctionnement de l’économie et des services administratifs, ainsi que les échanges régionaux, particulièrement avec les voisins, notamment le Burkina Faso et le Mali, dont l’essentiel du commerce transitait par le port d’Abidjan. Elle porte en elle le danger de fragiliser le tissu social et l’unité de la Côte d’Ivoire et d’affecter négativement l’environnement régional.

44. Dans ce contexte, des efforts soutenus doivent être déployés pour que la paix et la sécurité soient restaurées en Côte d’Ivoire aussi rapidement que possible. Je voudrais relever ici, pour m’en féliciter, la promptitude et la détermination avec lesquelles la CEDEAO a réagi à la crise actuelle. Je voudrais également exprimer ma profonde gratitude au Président Thabo Mbeki pour son engagement, ainsi qu’aux Nations unies et à nos partenaires, pour leur appui. Je voudrais, enfin, me féliciter de la volonté déclarée du Président Gbagbo de promouvoir le dialogue et la négociation en vue de surmonter la situation grave et, à bien des égards, délicate à laquelle est confrontée la Côte d’Ivoire.

45. Ces efforts doivent porter sur deux aspects: l’appui des pourparlers de paix afin de créer les conditions de leur aboutissement rapide et à l’action de la CEDEAO ; de l’autre, la mobilisation des ressources requises pour le déploiement rapide de la force de la CEDEAO.

46. Compte tenu de la nécessité d’amplifier la dynamique de paix et de mieux accompagner et soutenir les efforts de la CEDEAO, la Commission de l’UA entend, dans les semaines à venir, intensifier son action de mobilisation de la communauté internationale, y compris les Etats membres.

47. J’exhorte les dirigeants de la région à persévérer dans leurs efforts et à renforcer leur cohésion et unité d’action qui sont des conditions essentielles pour parvenir à un règlement rapide et négocié. J’encourage le gouvernement ivoirien et le MPCI à apporter leur pleine coopération à la CEDEAO et au Président Eyadéma. Pour ma part, je continuerai à apporter l’appui total de la Commission à la recherche de la paix en Côte d’Ivoire, et ce dans le cadre des principes de notre Organisation : respect de l’unité et de l’intégrité territoriale du pays, ainsi que de la légalité constitutionnelle.

VIII. RECOMMANDATIONS

48. A la lumière de ce qui précède :

i. la Commission envisage l’ouverture d’un bureau de liaison à Abidjan. Ce bureau, qui comprendrait un personnel aussi bien civil que militaire, aurait notamment pour mission d’assurer un contact régulier sur le terrain avec la CEDEAO et le représentant spécial de son Secrétaire exécutif, lequel assurera la direction et la coordination de l’ensemble de l’opération de l’Organisation régionale en Côte d’Ivoire. Le bureau assurerait également la liaison avec les autorités ivoiriennes et les autres acteurs concernés, et suivrait l’évolution de la situation sur le terrain et ses répercussions régionales. Le coût y afférant serait couvert par le Fonds pour la paix et les contributions volontaires des partenaires de l’UA. Je suis confiant que l’Organe central apportera son plein appui à cette initiative et encouragera la Commission à prendre toutes les dispositions nécessaires pour continuer à soutenir les efforts de la CEDEAO, particulièrement le déploiement de sa force en Côte d’Ivoire ;

ii. l’Organe central devrait réitérer son appel aux deux parties pour qu’elles apportent leur coopération totale à la médiation ;

iii. l’Organe central devrait réitérer son appel aux Etats membres et à la communauté internationale pour qu’ils apportent l’appui requis à la CEDEAO, particulièrement en ce qui concerne le déploiement de sa force ;

iv. l’Organe central devrait réitérer sa préoccupation face à la situation humanitaire née de la crise et son appel à la communauté internationale pour qu’elle mobilise les ressources nécessaires en vue d’assister les populations affectées.




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